[Archivé] Prévenir la maltraitance envers les enfants


Offord Centre for Child Studies, McMaster University, Canada

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Introduction

La maltraitance envers les enfants couvre quatre catégories principales d’abus : physique, sexuel, psychologique et la négligence. Depuis les premiers efforts destinés à prévenir la maltraitance envers les enfants dans les années soixante, la plus grande partie de la documentation a porté sur la prévention des abus physiques et sexuels et de la négligence, mais on en sait beaucoup moins sur les approches visant à réduire la violence psychologique.

Sujet

La maltraitance envers les enfants est un problème important de santé publique associé à une vaste gamme de répercussions négatives dans plusieurs domaines : physique, émotif, cognitif et social.1 Une enquête nationale sur les rapports officiels de cas d’abus et de négligence envers les enfants, l’Étude canadienne sur l’incidence, a estimé que l’incidence annuelle des taux d’enquêtes effectuées au Canada en 1998 était de 21,52 enquêtes pour 1000 enfants.2 Cependant, il existe une documentation abondante indiquant que les rapports officiels sous-estiment sérieusement l’étendue complète de la maltraitance envers les enfants. Par exemple, une enquête effectuée auprès de la communauté de résidents ontariens de 15 ans et plus a montré que 31 % des hommes et 21 % des femmes avaient été exposés aux abus physiques pendant l’enfance et que les taux d’agressions sexuelles étaient de 4 % pour les hommes et de 13 % pour les femmes.3

Problèmes

De plus en plus, les modèles utilisés pour conceptualiser les causes de la maltraitance envers les enfants prennent en compte les interactions entre les individus (enfant et parent), la famille et les influences sociales. Jusqu’à présent, la plupart des efforts visant à comprendre comment prévenir la maltraitance envers les enfants ont porté simultanément sur l’identification des risques et des indicateurs de protection des agressions sexuelles, des abus physiques et de la négligence envers les enfants. Les indicateurs des agressions sexuelles sont plutôt non spécifiques – par exemple des relations parent-enfant de mauvaise qualité – alors que ceux des abus physiques et de la négligence sont généralement associés aux désavantages psychosociaux et aux situations qui conduisent à une augmentation du stress ou à une diminution du soutien.

Contexte de la recherche

Évaluer les approches visant à prévenir la maltraitance envers les enfants représente un défi pour plusieurs raisons : 1) il n’existe pas de définition uniforme de chaque catégorie d’abus et de négligence envers les enfants; 2) il existe des obstacles légaux et éthiques à la mesure des occurrences; et 3) on a constaté de la réticence à utiliser les méthodes les plus rigoureuses, comme les groupes contrôles, lors de l’évaluation de l’efficacité des programmes.

Questions clés pour la recherche

Il est essentiel de développer des approches visant à mesurer les différents types de maltraitance envers les enfants si l’on veut être capable d’évaluer les efforts de prévention dans ce domaine.4 D’autres questions clefs incluent 1) comment prévenir l’occurrence des quatre catégories principales d’abus et de négligence envers les enfants tout en sachant que ces catégories se chevauchent souvent et 2) lorsque ces abus se produisent, quelles sont les stratégies disponibles pour prévenir la récurrence et les déficiences associées à l’exposition. La dernière question, bien que dépassant l’étendue de ce résumé, est tout de même importante pour l’approche générale de la prévention de la maltraitance envers les enfants.

Récents résultats de recherche

Les programmes visant à prévenir un type ou plus de maltraitance envers les enfants peuvent être classés en deux catégories principales : 1) programmes périnataux et destinés aux jeunes enfants – qui ciblent généralement la prévention des abus physiques et de la négligence; et 2) les programmes éducatifs, qui sont habituellement centrés sur la prévention des agressions sexuelles envers les enfants dans la population générale.5 Dans la première catégorie, malgré la mise en place de divers services de soutien, un seul type de programme de visite à domicile a recueilli des preuves solides d’efficacité en matière de prévention des abus et de la négligence, soit le Nurse-Family Partnership (NFP) développé par David Olds et ses collègues.6 Le NFP est un programme dans lequel des infirmières effectuent des visites à domicile chez des femmes primipares socialement défavorisées de la grossesse au deuxième anniversaire de l’enfant. Les infirmières se concentrent sur trois objectifs majeurs : 1) améliorer les résultats de la grossesse en assistant les femmes en matière de comportements reliés à la santé; 2) améliorer la santé et le développement de l’enfant en aidant les parents à offrir les soins appropriés et 3) aider les parents à devenir autosuffisants économiquement.

Trois études aléatoires comprenant des groupes contrôles ont évalué le programme NFP et ont démontré qu’il améliorait le fonctionnement maternel, celui de l’enfant et celui de la famille, incluant la prévention des abus et de la négligence envers les enfants ainsi que les conséquences associées comme les blessures.6,7 Il faut souligner que le programme NFP est particulièrement efficace pour réduire les conséquences négatives chez les enfants de mères dont les « ressources psychologiques » sont faibles, par exemple celles dont le fonctionnement intellectuel est limité. Cependant, dans les familles avec des taux extrêmement élevés de violence entre partenaires intimes (VPI), on a constaté aucune différence pour ce qui est du taux de maltraitance envers les enfants entre les groupes qui avaient reçu des visites à domicile et les groupes contrôles.8 Olds et ses collègues évaluent les façons d’améliorer ce programme afin de le rendre efficace pour réduire la VPI ainsi que la maltraitance envers les enfants.

Malheureusement, on avait présumé que les visites à domicile en général étaient efficaces pour prévenir la maltraitance envers les enfants. Cependant, la recherche ne l’a pas démontré. Plusieurs régions ont mis en place des programmes de visites à domicile effectuées par des paraprofessionnels malgré le manque de preuve d’efficacité de cette approche.9 De plus, une étude comparant les infirmières et les paraprofessionnels a démontré que les interventions des paraprofessionnels avaient peu d’effets sur les résultats des mères et des enfants.10 Bien que des programmes paraprofessionnels efficaces puissent être développés à l’avenir, à ce jour, le programme NFP détient les meilleures preuves de prévention d’abus et de négligence envers les enfants.

Dans la deuxième catégorie, les programmes éducatifs de prévention, les preuves sont plutôt cohérentes : plusieurs modèles de programmes de prévention des agressions sexuelles améliorent la connaissance et les capacités de prévention, même chez les enfants de quatre à cinq ans.5,11 Cependant, aucune étude n’a encore montré que de tels programmes préviennent réellement l’occurrence des agressions sexuelles chez les enfants. On ne peut pas présumer que l’amélioration de la connaissance ou des capacités se traduit par la réduction des agressions sexuelles envers les enfants. En fait, une étude observationnelle a montré que la participation aux programmes de prévention des agressions sexuelles, programmes qui se déroulaient à l’école, n’était pas associée à une réduction des agressions.12 La participation à de tels programmes a été associée à une augmentation de la divulgation des agressions sexuelles chez les enfants, ce qui suggère que de tels programmes peuvent être plus utiles pour détecter les agressions antérieures et prévenir la récurrence. Plusieurs auteurs ont souligné l’inquiétude concernant les programmes éducatifs qui rendraient les enfants responsables d’éviter les agressions sexuelles. On en sait peu sur les moyens d’empêcher les personnes de commettre des agressions sexuelles.

Conclusions

Les efforts continus de prévention de la maltraitance envers les enfants devront se  concentrer sur les façons de mesurer les quatre principaux types de maltraitance envers les enfants et d’effectuer des études longitudinales qui vont permettre l’identification des facteurs de risque causals ainsi que les facteurs de protection. La bonne nouvelle est que l’on a démontré que le programme NFP était efficace pour prévenir l’abus et la négligence envers les enfants chez les mères primipares socialement défavorisées. C’est un programme hautement spécifique cependant, et on ne devrait pas présumer que les programmes de visite à domicile, même ceux qui présentent certaines caractéristiques du NFP, auront les mêmes effets. De plus, on ne sait pas si le NFP sera efficace pour les autres populations à haut risque.

Les programmes d’éducation sur les agressions sexuelles améliorent effectivement les connaissances et les capacités des jeunes enfants pour ce qui est d’éviter les agressions, mais on ne sait pas si cela se traduit par une réduction réelle des agressions sexuelles. Les résultats d’une étude suggèrent que de tels programmes peuvent encourager la divulgation des agressions, mais pas en réduire l’occurrence.

Implications

Étant donné l’efficacité démontrée du programme NFP dans trois sites aux États-Unis, il est temps d’évaluer si cette intervention serait aussi efficace dans d’autres pays, comme le Canada, qui ont des systèmes de santé et de services sociaux différents. En tant qu’intervention ciblée vers les mères socialement défavorisées, le programme NFP n’est pas forcément la seule approche, mais étant donné son succès aux États-Unis, il serait important de l’évaluer plutôt que de présumer que d’autres modèles de visites à domicile sont efficaces. Dans le domaine de la prévention des agressions sexuelles envers les enfants, il est important de déterminer si les programmes éducatifs empêchent l’exposition à ce type d’agressions. Le domaine de la violence psychologique est un domaine où les approches en vigueur en matière d’intervention doivent être prises en compte, tout en sachant que ce type de violence empiète souvent sur les trois autres types. L’information sur les stratégies prometteuses basées dans la communauté et destinées à prévenir la maltraitance chez les enfants viendra, nous l’espérons, d’études longitudinales, mais il est essentiel de commencer par s’engager à évaluer les abus et la négligence envers les enfants.

Références

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  3. MacMillan HL, Fleming JE, Trocme N, Boyle MH, Wong M, Racine YA, Beardslee WR, Offord DR. Prevalence of child physical and sexual abuse in the community. Results from the Ontario Health Supplement.
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  8. Olds DL, Eckenrode J, Henderson CR Jr, Kitzman H, Powers J, Cole R, Sidora K, Morris P, Pettitt LM, Luckey D. Long-term effects of home visitation on maternal life course and child abuse and neglect. Fifteen-year follow-up of a randomized trial. JAMA - Journal of the American Medical Association. 1997;278(8):637-643.
  9. Eckenrode J, Ganzel B, Henderson CR Jr, Smith E, Olds DL, Powers J, Cole R, Kitzman H, Sidora K. Preventing child abuse and neglect with a program of nurse home visitation: the limiting effects of domestic violence. JAMA - Journal of the American Medical Association. 2000;284(11):1385-1391.
  10. Duggan AK, McFarlane EC, Windham AM, Rohde CA, Salkever DS, Fuddy L, Rosenberg LA, Buchbinder SB, Sia CCJ. Evaluation of Hawaii’s Healthy Start Program.  Future of Children. 1999;9(1):66-90.
  11. Olds DL, Robinson J, O'Brien R, Luckey DW, Pettitt LM, Henderson CR Jr, Ng RK, Sheff KL, Korfmacher J, Hiatt S, Talmi A. Home visiting by paraprofessionals and by nurses: a randomized, controlled trial.
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Pour citer cet article :

MacMillan HL. [Archivé] Prévenir la maltraitance envers les enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/prevenir-la-maltraitance-envers-les-enfants. Publié : Juin 2004. Consulté le 25 avril 2024.

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