Reconnaître la maltraitance des enfants et y faire face : un tour d’horizon


Offord Centre for Child Studies, McMaster University, Hamilton, Canada  

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Introduction

La maltraitance des enfants est un problème majeur de santé publique, susceptible d’avoir de nombreuses conséquences néfastes. Dans cette série de publications, les auteurs fournissent des aperçus concis des principales préoccupations et implications concrètes liées à la maltraitance des enfants, qu’il s’agisse de violence physique,1 de négligence,2 d’agression sexuelle,3 de violence psychologique4 ou de l’exposition à la violence conjugale.5 Ils proposent également un aperçu de ce que nous savons au sujet de la prévention de la maltraitance des enfants et des déficiences qui en découlent,6 ainsi qu’un résumé de l’épidémiologie de la maltraitance des enfants,7 qui contient notamment des informations sur les taux de prévalence et d’incidence de cette dernière au Canada. Chacun des auteurs attire l’attention des lecteurs sur le caractère complexe de la maltraitance, sur l’importance d’en comprendre les risques et sur les facteurs de protection qui doivent être pris en compte afin d’éviter efficacement les actes de maltraitance et les principales implications concrètes qui découlent de certains types de maltraitance ou, le cas échéant, de faire face à ces actes et implications. En plus de fournir des aperçus d’une importance non négligeable, nous mettons en lumière des ressources pédagogiques à destination des professionnels de la santé et des services sociaux qui cherchent à repérer les enfants exposés à la maltraitance et à faire face à ces situations en toute sécurité. 

Reconnaître la maltraitance

Dans chacun de ces articles, les auteurs relèvent les difficultés qui peuvent se présenter au moment de repérer les enfants qui ont fait l’objet de maltraitance. Trocmé7 note que la présence de blessures physiques découlant de la maltraitance est relativement rare. En effet, d’après l’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants réalisée en 2008, on ne trouve de blessures physiques que dans 8 % des 26 339 cas de maltraitance avérée impliquant des nouveau-nés et des enfants jusqu’à l’âge de 5 ans. Chaiyachati et Christian,1 pour leur part, expliquent qu’il est complexe de connaître les blessures exactes infligées à l’enfant en cas de maltraitance physique. Les auteurs précisent en effet que de nombreux enfants sont trop jeunes ou trop malades pour pouvoir fournir des détails sur la maltraitance qu’ils ont subie. Par ailleurs, s’ils sont suffisamment âgés, ils sont susceptibles d’être trop effrayés pour raconter ce qu’il s’est passé. De plus, les personnes qui s’occupent des enfants n’ont pas forcément connaissance des violences physiques dont ceux-ci ont fait l’objet. Elles peuvent également répugner à fournir des informations exactes si elles ont elles-mêmes causé des blessures à l’enfant, si elles ont peur de ce qui arrivera si elles révèlent ce qui s’est passé, ou si elles craignent un autre adulte qui fait usage de violence au sein du foyer. Dubowitz et Poole2 font remarquer qu’il est difficile de reconnaître les cas de négligence envers les enfants et suggèrent de se fonder sur les lois spécifiques de chaque territoire concernant les manquements aux besoins élémentaires des enfants et les préjudices potentiels ou avérés qui en découlent. Wekerle et Smith4 expliquent à quel point il est difficile de repérer la violence psychologique, étant donné qu’il n’existe aucun indice physique, contrairement à d’autres formes de maltraitance. Ils soulèvent également le fait que la violence psychologique accompagne souvent d’autres formes de maltraitance, et les déficiences profondes qui peuvent en découler. Bien qu’il soit difficile de reconnaître les victimes de violence psychologique, Trocmé7 remarque que, dans la plupart des cas de violences ou de négligence signalés aux services de protection de l’enfance, les enfants subissent déjà des violences psychologiques ou connaissent un risque élevé de les subir. Collin-Vézina et Milne3 expliquent qu’il est complexe de reconnaître les enfants ayant subi des violences sexuelles, dans la mesure où la plupart d’entre eux n’en parlent que bien plus tard ou passent cette expérience sous silence. 

C’est entre autres pour ces raisons que les signaux et les symptômes de la maltraitance peuvent être difficiles à reconnaître. Par ailleurs, ils se recoupent souvent avec des manifestations d’autres sources d’inquiétude potentielles liées à l’environnement dans lequel vit l’enfant, comme la pauvreté ou une dépendance des parents à l’alcool ou à d’autres drogues. Howarth5 fait remarquer que les différentes stratégies permettant de reconnaître les enfants exposés à la violence conjugale n’ont pas réellement fait leurs preuves et, en l’absence de données probantes, qu’il est recommandé aux professionnels d’adopter une approche axée sur le dépistage individuel plutôt que systématique. Cette approche consiste à rester à l’affût de potentiels signaux et symptômes de maltraitance, tout en réagissant de façon adéquate en fonction des inquiétudes qu’exprime l’enfant et des risques potentiels liés à sa sécurité.

Prévention et interventions

Le message que l’on peut tirer de ces différents aperçus est clair : il est nécessaire d’aborder la question de la maltraitance des enfants comme un problème de santé publique, en favorisant la prévention primaire (c’est-à-dire en évitant que la maltraitance ait lieu), en évitant que la situation se répète une fois la maltraitance repérée et en faisant le maximum pour éviter que des déficiences découlant de la maltraitance ne surviennent. Comme l’ont fait remarquer tous les auteurs, les efforts de prévention impliquent de réduire les facteurs de risque et de renforcer les facteurs de protection à tous les niveaux socioécologiques, qu’il s’agisse des facteurs de risque individuels (p. ex., les caractéristiques de l’enfant ou des parents, comme l’isolement social ou des actes de maltraitance commis par le passé), familiaux (p. ex., un manque d’attachement entre le parent et l’enfant), communautaires (p. ex., un taux de chômage élevé) ou sociétaux (p. ex., l’existence de politiques conduisant à un faible niveau de vie). Par exemple, Dubowitz et Poole2 précisent que pour prévenir la négligence à l’égard des enfants, il faut maîtriser les facteurs de risque liés à la négligence, tels que la pauvreté et le chômage. Le fait d’avoir des opportunités d’emploi flexible peut en revanche être un facteur de protection pour les familles. Wekerle et Smith4 expliquent qu’il est nécessaire de mettre en place des politiques afin de promouvoir la sécurité, le bien-être et le droit des enfants à vivre dans un environnement exempt de violence sous toutes ses formes. Ils suggèrent également que la mise en place de programmes centrés sur la résilience peut contribuer à atténuer les effets de la violence psychologique. Collin-Vézina et Milne3 soulignent que le risque de violences sexuelles est plus élevé chez les filles, mais ces données peuvent être en partie expliquées par le fait que les garçons sont plus réticents à avouer qu’ils en ont été victimes. De plus, le risque de violences sexuelles s’accroît avec l’âge : en effet, c’est entre 12 et 17 ans qu’on recense le plus de victimes. Howarth5 précise que, bien que toutes les relations puissent être source de violences conjugales, les femmes ainsi que les personnes transgenres et non binaires ont plus de risques de faire l’objet de violences conjugales. 

Les efforts de prévention impliquent également de prêter attention à la coordination de la volonté politique et des services entre les différents secteurs d’activité impliqués. Chaiyachati et Christian1 indiquent que, bien que mettre l’accent sur la prévention primaire soit une bonne idée en soi, les enfants n’ont pas vraiment les moyens de réclamer des programmes de prévention efficaces, surtout dans la mesure où « les solutions nécessitent des programmes exhaustifs en collaboration entre les services de protection de l’enfance, les forces de l’ordre, les tribunaux, le secteur de la santé et celui de l’enseignement ». Par conséquent, les auteurs affirment que réduire l’impact de la maltraitance requiert la volonté politique d’attirer l’attention sur les efforts de prévention de la maltraitance et de la mise en place de mesures en ce sens. 

Barlow6 décrit de nombreuses limites relatives aux données actuelles sur les interventions ayant pour but d’empêcher la maltraitance et les déficiences qui en découlent. Parmi ces limites, on trouve le manque de méthodologies de recherche rigoureuses pouvant servir à évaluer l’efficacité des programmes, la grande diversité d’instruments de mesure utilisés au sein d’une même étude et dans les différentes études, la confiance excessive accordée aux autoévaluations des parents et aux mesures de substitution des résultats et, de façon générale, le manque de recherches dans les pays à faibles ou moyens revenus. Malgré ces limites, Barlow6 met en lumière certaines initiatives prometteuses, comme le programme de Pratiques parentales positives (Triple P) et l’organisation Nurse-Family Partnership, qui œuvrent pour la prévention primaire de la maltraitance, le recours à la formation interactive parent-enfant et à l’association SafeCare pour prévenir la récurrence de la maltraitance, et l’usage de la thérapie cognitive comportementale axée sur le traumatisme pour les enfants ayant fait l’objet de violences sexuelles et présentant des symptômes associés aux troubles du stress post-traumatique. 

Malgré les limites que présentent les données disponibles à l’heure actuelle, certains auteurs de la série proposent de bonnes pratiques auxquelles les professionnels de la santé et des services sociaux peuvent avoir recours pour venir en aide aux enfants et aux familles lorsqu’il y a suspicion de maltraitance ou maltraitance avérée. Par exemple, Dubowitz et Poole2 présentent les six principes suivants, qui peuvent aider les professionnels de la santé et des services sociaux à adapter leurs services aux besoins uniques des enfants et de leur famille : « 1) dialoguer avec les personnes qui contribuent au problème, 2) tisser une relation d’entraide avec la famille, 3) établir des objectifs clairs et réalisables et mettre en place des stratégies pour atteindre ces derniers conjointement avec la famille, 4) surveiller attentivement la situation et adapter les objectifs et les stratégies au besoin, 5) prendre en compte les besoins spécifiques des enfants victimes de négligence et ceux des autres enfants du foyer, et 6) faire en sorte que les interventions soient coordonnées et que les professionnels impliqués collaborent efficacement ». En attendant que la recherche avance et propose des programmes efficaces fondés sur des données probantes afin d’empêcher la maltraitance et les déficiences qui en découlent, les bonnes pratiques présentées ci-dessus peuvent s’avérer utiles et servir de base aux professionnels de la santé et des services sociaux. 

Formation à destination des professionnels de la santé et des services sociaux

Bien que les auteurs de chaque article insistent sur le fait que le meilleur moyen de venir en aide aux enfants consiste à faire en sorte que la maltraitance n’ait pas lieu (prévention primaire), les professionnels de la santé et des services sociaux ont besoin d’aide pour prendre correctement en charge les enfants qui font l’objet de maltraitance et les protéger. Grâce aux fonds de l’Agence de la santé publique au Canada, le projet VEGA8 (Violence, Éléments factuels, Guidance, Action, voir https://vegaproject.mcmaster.ca/fr-ca/whyvegavideo) a élaboré des lignes directrices et des ressources éducatives pancanadiennes afin d’aider les professionnels de la santé et des services sociaux à reconnaître à reconnaître la violence familiale, y compris la maltraitance à l’égard des enfants, et à faire face à la situation en toute sécurité. Le projet VEGA8 inclut une plateforme regroupant des lignes directrices fondées sur des données probantes, un cursus d’apprentissage pouvant offrir des crédits composé de modules (comme des parcours de soin, des exemples de dialogues, des vidéos didactiques), des scénarios éducatifs interactifs et un guide afin de préparer les professionnels de la santé et des services sociaux (y compris les étudiants) aux différents aspects à prendre en compte pour répondre efficacement et en toute sécurité aux besoins des personnes qui pourraient avoir vécu de la violence familiale. Les modules traitent des sujets suivants : 1) épidémiologie de la maltraitance (taux de maltraitance, définitions, conséquences sur la santé et le plan social, facteurs de risque et facteurs de protection), 2) stratégies pour créer des interactions et des environnements sûrs par l’intermédiaire de soins spécialement conçus pour les personnes victimes de traumatisme et de violence, notamment pour assurer la sécurité physique, émotionnelle et culturelle du patient, et 3) stratégies pour repérer les enfants faisant l’objet de maltraitance et faire face à la situation en toute sécurité. Les ressources éducatives élaborées dans le cadre du projet VEGA se fondent sur les résultats de revues systématiques de nombreux documents, qui ont été réalisées en collaboration avec des membres du personnel de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), en parallèle avec l’élaboration de lignes directrices concernant la maltraitance des enfants par l’OMS. En plus de contenir des informations fondées sur des données probantes, comme les principes détaillés par Dubowitz et Poole,2 les ressources du projet VEGA renferment de nombreux principes directeurs qui s’inscrivent dans le cadre de bonnes pratiques à appliquer en cas de situation de maltraitance d’enfant. Par exemple, les ressources du projet VEGA suggèrent de s’assurer de respecter certaines conditions liées à la sécurité de l’enfant (par exemple, trouver un endroit isolé pour lui parler sans que ses parents ne soient présents) avant de lui poser des questions susceptibles de le conduire à révéler qu’il fait l’objet de maltraitance. Le projet VEGA met également à disposition d’autres bonnes pratiques sur divers sujets, notamment les stratégies permettant de détecter la maltraitance d’un enfant, les façons de poser des questions à ce sujet en toute sécurité, les manières dont les enfants avouent qu’ils sont maltraités, les façons de gérer ces aveux en garantissant leur sécurité, les stratégies pour signaler la situation adéquatement, les principes qui régissent une évaluation complète, les éléments à prendre en compte pour documenter la situation, et bien plus. 

Conclusion

Étant donné les conséquences qu’elle peut avoir sur la santé physique et mentale des individus, la maltraitance des enfants a un coût très élevé, tant sur le plan humain que financier. Les politiques mises en place devraient être axées sur la prévention de la maltraitance, ainsi que sur l’atténuation des facteurs de risque associés à cette dernière (comme la pauvreté et le chômage). Bien que les recherches sur les interventions efficaces en matière de prévention de la maltraitance et des déficiences qui en découlent soient pour l’instant limitées, il existe quelques programmes prometteurs. Même si renforcer la prévention primaire reste la priorité, le projet VEGA fournit de précieuses ressources éducatives aux professionnels de la santé et des services sociaux, afin de leur permettre de reconnaître efficacement les enfants susceptibles de faire l’objet de maltraitance et de faire face à la situation en toute sécurité. 

Références

  1. Chaiyachati BH, Christian CW. La violence physique à l’égard des enfants : un tour d’horizon. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. http://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/la-violence-physique-legard-des-enfants-un-tour-dhorizon. Actualisé : Mai 2019. Consulté le 26 janvier 2021.
  2. Dubowitz H, Poole G. La négligence à l’égard des enfants : un tour d’horizon . Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. http://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/la-negligence-legard-des-enfants-un-tour-dhorizon. Actualisé : Août 2019. Consulté le 26 janvier 2021.
  3. Collin-Vézina D, Milne L. L’agression sexuelle d’enfants : un tour d’horizon. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. http://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/lagression-sexuelle-denfants-un-tour-dhorizon. Actualisé : Mai 2019. Consulté le 26 janvier 2021.
  4. Wekerle C, Smith S. La violence psychologique : un tour d’horizon. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. http://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/la-violence-psychologique. Actualisé : Août 2019. Consulté le 26 janvier 2021.
  5. Howarth E. Prévenir et lutter contre l’exposition des enfants à la violence conjugale. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. http://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/prevenir-et-lutter-contre-lexposition-des-enfants-la-violence. Publié : Janvier 2021. Consulté le 26 janvier 2021.
  6. Barlow J. Prévention de la maltraitance des enfants et des séquelles connexes. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. http://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/prevention-de-la-maltraitance-des-enfants-et-des-sequelles. Actualisé : Janvier 2020. Consulté le 26 janvier 2021.
  7. Trocmé N. Maltraitance envers les enfants et impacts sur le développement psychosocial : Épidémiologie . Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. http://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/maltraitance-envers-les-enfants-et-impacts-sur-le. Actualisé : Mai 2020. Consulté le 26 janvier 2021.
  8. VEGA Project. VEGA (Violence, Éléments factuels, Guidance, Action) projet relatif à la violence familiale. Hamilton, ON: McMaster University; 2019. https://vegaproject.mcmaster.ca/fr-ca/accueil. Consulté le 17 décembre 2020.

Pour citer cet article :

McTavish J, MacMillan H. Reconnaître la maltraitance des enfants et y faire face : un tour d’horizon. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/reconnaitre-la-maltraitance-des-enfants-et-y-faire-face-un. Publié : Avril 2021. Consulté le 28 mars 2024.

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