L’aménagement des villes pour le jeu en plein air


Chercheur indépendant, Royaume-Uni

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Introduction et sujet

Le droit de l’enfant de jouer est inscrit dans les conventions internationales.1 En outre, l’importance du jeu de l’enfant à l’extérieur (en plein air) pour sa santé et son bien-être est bien établie.2–5 Cependant, dans différents pays du monde, les possibilités de jouer à l’extérieur déclinent.6

Ce chapitre est une synthèse des données scientifiques et des arguments sur la relation entre le jeu de l’enfant en plein air et la planification urbaine et son aménagement. Il est axé sur les « caractéristiques des environnements aménagés des quartiers »,7 notamment les jardins/cours, les typologies des habitations, la voirie et les espaces publics ouverts, et leur organisation en quartiers résidentiels, et pas seulement sur les espaces de jeu (l’intervention en environnement construit la plus évidente). 

Les caractéristiques des aménagements voués à des espaces de jeu (les aménagements paysagers, les équipements de jeu, par exemple) ne sont pas abordées dans cette synthèse, car ce thème est traité ailleurs.8 Cette synthèse ne porte pas non plus sur les aspects liés à la toxicité ou à la dangerosité des environnements aménagés. Pour finir, les facteurs sociaux, culturels et économiques (pouvant avoir plus d’impact sur les expériences de jeu à l’extérieur de l’enfant par rapport aux facteurs liés aux environnements aménagés7) ne sont pas non plus analysés dans ce chapitre.

Problèmes 

Un accès restreint au jeu à l’extérieur a des conséquences sur la santé et le bien-être de l’enfant.4,5 Les familles, les communautés et les sociétés au sens plus large ont également beaucoup à perdre. De surcroît, le jeu en plein air est associé à une conscience environnementale, à des connexions avec la nature9 et à une utilisation des espaces publics à l’âge adulte supérieures.10 Ainsi, une faible pratique du jeu en plein air pourrait réduire l’intérêt de l’enfant pour l’environnement en général et son engagement au sein de sa communauté.11 

Malgré ces faits, dans la plupart des villes, les prises de décisions relatives à la planification et à l’aménagement des quartiers prennent peu en considération leur impact sur les enfants.12,13 Ces enjeux sont plus importants dans les pays à faible ou à moyen revenu en raison de la croissance rapide et désorganisée des villes de ces pays.14,15

Contexte de la recherche 

Les données scientifiques sur l’influence des caractéristiques des environnements aménagés des quartiers sur le jeu en plein air sont minces. Deux revues systématiques ont permis d’identifier 51 études quantitative pertinentes.7,16 Toutefois, seule une minorité de ces études avait utilisé de solides méthodologies. De plus, elles présentaient une forte hétérogénéité, notamment des ensembles d’interventions, groupes de populations, contextes urbains et mesures des résultats diversifiés. Les résultats reposent souvent sur des réponses formulées par les parents, et non sur des mesures plus directes, et risquent ainsi d’être biaisés. De nombreuses études ciblent l’activité physique, au lieu de se consacrer au jeu à l’extérieur, bien que la rue ou les espaces publics puissent représenter des contextes où le niveau d’activité physique peut servir d’indicateur indirect raisonnable de l’activité physique pratiquée à l’extérieur.

Questions clés pour la recherche

La question centrale de la recherche est l’impact de la planification et de l’aménagement des habitations, de la voirie et des espaces publics des quartiers sur les possibilités de pratique du jeu chez l’enfant. En raison de l’expansion des villes à l’échelle mondiale, une priorité pour la recherche serait de renseigner sur la principale planification de nouveaux développements résidentiels. Les contextes économiques, culturels et géographiques doivent être étudiés, à l’instar des difficultés rencontrées par les enfants et les familles présentant des âges, des capacités et des origines différentes.

Les facteurs de planification et d’aménagement qu’il serait intéressant d’étudier comprennent :

  • la densité de la population du secteur;
  • la dimension, la distribution et l’accessibilité des parcs, aires de jeu et autres espaces publics ouverts;
  • la proximité et la facilité d’accès aux services et aux installations locaux, notamment les établissements scolaires, les services de garde, les magasins et les services de santé;
  • les densités, les typologies et les régimes fonciers des habitations;
  • l’accès aux espaces extérieurs privés et semi-privés;
  • la relation entre les résidences et la partition des espaces publics environnants;
  • l’aménagement et l’agencement de voies et de réseaux pour piétons et pour cyclistes;
  • le courant et la vitesse de la circulation;
  • le quadrillage des rues;
  • l’aménagement des rues, y compris l’apaisement de la circulation et d’autres caractéristiques de la voirie;
  • les caractéristiques précises d’aménagement d’espaces publics ouverts.

Récents résultats de recherche

Un faible débit de circulation, moins d’intersections, un quartier vert et l’accès à une cour ou à un jardin privé sont des paramètres qui sont tous associés à un niveau supérieur de pratique du jeu en plein air. Les infrastructures pédestres et l’apaisement de la circulation sont quant à eux des paramètres associés à une plus grande participation au jeu à l’extérieur chez les filles, mais pas chez les garçons. Un nombre plus restreint de données suggère qu’une faible densité de résidences, vivre en logement locatif ou social, ne pas vivre en appartement et des troubles physiques plus élevés sont associés à une pratique supérieure du jeu en plein air.

Curieusement peut-être, les résultats sont mitigés quant à l’impact de l’espace public ouvert. Deux articles de synthèse n’ont mis en évidence aucun impact sur le jeu à l’extérieur.7,16 Cependant, les synthèses clairement axées sur l’activité physique (au lieu du jeu à l’extérieur) n’ont pas abouti aux mêmes conclusions.17,18

Une étude observationnelle supplémentaire à citer sur le développement de résidences nouvellement construites dans les banlieues d’Angleterre suggère que les caractéristiques des aménagements urbains résidentiels (notamment, l’accès direct, sans circulation automobile, du domicile aux espaces verts, la maîtrise des espaces extérieurs et de bons réseaux piétonniers) sont tous associés à une occupation supérieure des espaces publics ouverts par la population, y compris les enfants qui jouent.10

Lacunes de la recherche

La documentation composée d’études empiriques n’est pas seulement hétérogène, elle met également en relief des lacunes importantes. Tel que mentionné précédemment, quelques études seulement utilisent des méthodologies d’intervention solides, ce qui limite la portée des affirmations de cause à effet. De plus amples études visant à mieux déterminer l’importance des espaces publics ouverts seraient particulièrement utiles, puisque les résultats publiés sont contradictoires. 

Bien que certains résultats fassent la distinction entre les filles et les garçons et d’autres entre les différentes formes d’occupation des logements, l’influence des milieux socioéconomiques et culturels (ou origines ethniques) est mal comprise. 

Il est nécessaire de cibler davantage les groupes d’âge : quelques rares études figurant dans les synthèses bibliographiques incluent des enfants de moins de trois ans. De même, de plus amples études axées sur des pays à faible ou à moyen revenu sont requises.7,16 D’une manière générale, c’est dans ces régions qu’il a été déterminé que la population urbaine connaissait la plus forte croissance.14

La recherche pourrait contribuer à étudier les tendances à long terme. Des études conduites dans plusieurs pays démontrent des déclins entre générations sur le plan de la mobilité indépendante et de la « plage d’autonomie » des enfants,19 deux éléments qui sont associés au jeu en plein air.7 Le plus important à souligner est que le niveau d’activité physique pratiqué pendant l’enfance pourrait influencer les habitudes ultérieures en matière d’activité physique.20,21 Pour finir, le niveau d’activité physique des enfants est influencé par des facteurs d’ordre parental.22,23 Ce phénomène soulève les perspectives de tomber dans une spirale quant au déclin de la pratique du jeu à l’extérieur chez les enfants au fur et à mesure que les parents ayant peu d’expérience de jeu à l’extérieur deviennent parents à leur tour. 

Une revue documentée des études qualitatives et des publications parallèles serait utile, pour compléter la base de données quantitatives et mettre le doigt sur les mécanismes possibles de cause à effet. 

Enfin, la conduite de nouvelles études est nécessaire pour évaluer le rôle en croissance rapide de la technologie sur la vie de tous les jours des enfants,24 ce qui a très probablement un impact sur leur pratique du jeu en plein air.25

Conclusions

En raison du nombre limité d’études publiées, les conclusions ici proposées sont à mettre entre guillemets. Cependant, les études empiriques suggèrent que les caractéristiques des environnements résidentiels aménagés ont un impact réel sur les possibilités de jeu en plein air. Le résultat le plus solide est que les secteurs propices au jeu sont ceux qui ne sont pas dominés par la circulation de véhicules motorisés. En conséquence, les mesures ciblant la réduction du courant de circulation au sein des quartiers augmenteraient efficacement le niveau de pratique du jeu à l’extérieur. 

Les espaces extérieurs privés ou semi-privés favorables au jeu (sous forme de jardins ou de cours) sont susceptibles d’augmenter la pratique du jeu à l’extérieur, particulièrement si les enfants et les familles ont accès sans intermédiaire et sans circulation à ces espaces. Il y aurait également un lien entre l’adaptation des quartiers en des milieux plus propices au jeu et la hausse des voies piétonnes et cyclables qu’ils renferment.10

Un article de synthèse conclut qu’un quartier où la pratique du jeu est possible ressemble à « à un quartier rural ou banlieusard, avec peu de circulation, de grandes cours/grands jardins et beaucoup de verdure ».7 Le même article indique qu’un « accès facile aux parcs et l’accessibilité aux cours d’école sont des facteurs moins importants pour le jeu à l’extérieur », même si, tel que mentionné précédemment, d’autres articles sont parvenus à une autre conclusion. 

Implications pour les parents, les services et les politiques

Les principaux pivots favorables au changement sont au niveau municipal, qui est généralement le siège des prises de décisions relatives à la planification et à l’aménagement urbains. Certains grands principes en faveur du jeu en plein air, comme la nécessité d’apprivoiser la circulation des véhicules dans les zones résidentielles, seraient applicables à toutes les villes. 

Les résultats de recherche sur la valeur des espaces verts privés corroborent les opinions traditionnelles des aspirations parentales,26,27 même si cela pourrait changer.26,27 De telles aspirations subissent la tension des changements en cours ou planifiés, dans de nombreuses villes. Une réponse à cette tension est de plaider en faveur de secteurs urbains verts, compacts et dont les caractéristiques font écho avec celles retrouvées dans les conditions des zones plus périphériques, y compris l’agencement de voiries qui réduit la vitesse et les débits de circulation et favorise les rencontres sociales dans les espaces publics.7

Les décisions politiques portant sur le transport, l’utilisation des terrains, l’aménagement des habitations, les voiries, les écoles et les services sont intimement liées, ce qui souligne la nécessité de conduite de projets interdisciplinaires.16 La création d’une orientation stratégique à l’échelle municipale, sous forme d’un agent bien placé, avec une mission claire de planification adaptée aux enfants, serait une étape clé.28

L’engagement des enfants, des parents et des autres intervenants dans leurs soins permettra de mieux comprendre ce sujet et d’apporter son expérience et ses préoccupations à l’attention directe des décideurs politiques. Les initiatives de création de « villes intelligentes » pourraient permettre aux responsables politiques de mieux évaluer l’impact de leurs décisions en matière de planification et d’aménagement sur les enfants.29

Finalement, le droit de l’enfant de bénéficier d’espace et de temps dédiés au jeu en plein air est une question de valeurs, pas juste une évidence. Il s’agit d’un exemple de ce que l’on appelle la justice spatiale définie par la « distribution juste et équitable dans l’espace des ressources ayant une importance sociale et les possibilités de les utiliser ».30

Références

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  2. Yogman M, Garner A, Hutchinson J, Hirsh-Pasek K, Golinkoff RM. The power of play: A pediatric role in enhancing development in young children. Pediatrics. 2018;142(3):e20182058. doi:10.1542/peds.2018-2058
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  30. Soja EW. The city and spatial justice. Justice Spatiale | Spatial Justice. 2009;1.

Pour citer cet article :

Gill T. L’aménagement des villes pour le jeu en plein air. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Brussoni M, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/jeu-exterieur/selon-experts/lamenagement-des-villes-pour-le-jeu-en-plein-air. Publié : Mai 2019. Consulté le 24 avril 2024.

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