Le rôle des parents dans la transition des enfants vers l’école
Philip A. Cowan, Ph.D., Carolyn Pape Cowan, Ph.D.
University of California, Berkeley, États-Unis
, 2e éd.
Introduction
Le modèle explicatif prédominant de la réussite de la transition des enfants de l’école préscolaire vers l’école élémentaire suppose que les risques et les facteurs de protection majeurs dépendent principalement de l'enfant en ce qui a trait à sa « préparation » cognitive et émotionnelle pour l’entrer en maternelle.1 En accord avec cette hypothèse, la plupart des efforts en matière d’intervention impliquent des tentatives fondées au niveau scolaire pour améliorer les habiletés cognitives et d’autorégulation des enfants. Les études sur les contextes sociaux et les relations qui affectent la transition des enfants vers l’école ne font que commencer à paraître. Étonnamment, malgré la reconnaissance générale du fait que les relations parent-enfant constituent un contexte central pour le développement des enfants,2 peu d’attention a été portée aux rôles que les parents jouent dans la transition des enfants vers l’école élémentaire, et pratiquement aucune à la planification ou à l’évaluation des interventions visant les parents d’enfants d’âge préscolaire. Nous tentons d’aborder ces lacunes.
Sujet
Dans la plupart des études sur le développement des enfants, « parent » signifie la mère, et les pratiques parentales sont étudiées en dehors des autres contextes familiaux et sociaux dans lesquels la relation parent-enfant se développe. Nous présentons un modèle à domaines multiples du développement des enfants qui situe les relations mère-enfant et père-enfant dans un système de relations à l’intérieur et à l’extérieur de la famille, en accordant une attention particulière à la qualité de la relation entre les parents. Nous décrivons ensuite les résultats d’interventions préventives basées sur notre modèle conceptuel qui prend la forme d’un groupe de couples dirigés par des professionnels formés en santé mentale.
Problèmes
Les défis pour le jeune enfant d’âge préscolaire qui s’apprête à entrer à la maternelle sont bien documentés.3,4,5 Ce qui fait de cette période une transition développementale particulièrement importante est la consistance des données pour une « hypothèse de trajectoire », tant pour les échantillons issus de la classe moyenne que celle à faibles revenus : comment l’évolution académique et sociale des enfants à l’école élémentaire est une solide variable prédictive de leurs résultats scolaires, sociaux et relatifs à leur santé mentale tout au long du secondaire.6,7,8 Ces découvertes impliquent que les interventions visant à améliorer le classement relatif de l'enfant à son entrée à l’école pourraient être rentables à long terme.
Contexte de la recherche et lacunes de la recherche
La recherche qui prétend démontrer l’importance des relations parent-enfant dans l’adaptation scolaire des enfants comporte plusieurs lacunes importantes. Nous n’avons pas d’études longitudinales qui retracent les trajectoires familiales tout au long de la transition vers l’école. L’information sur le rôle potentiel des pères dans la transition de leur enfant est extrêmement rare. Seule une poignée d’études examinent les autres aspects du contexte du système familial (p. ex., la relation du couple) qui peuvent avoir un effet sur l’évolution des enfants. Enfin, en dehors des interventions précoces à l’école qui visent la préparation des enfants, nous possédons très peu de données sur les interventions centrées sur la famille pendant la période préscolaire, qui pourraient aider les enfants à relever les nouveaux défis que représente une entrée à l’école réussie.
Questions clés pour la recherche
Que nous apprend la recherche actuelle à propos du rôle des parents dans leur influence sur l a transition des enfants vers l’école? Que nous disent les résultats sur les interventions qui pourraient servir de « béquille » pour les enfants alors qu’ils effectuent leur transition vers l’école élémentaire?
Récents résultats de recherche
Corrélations concurrentes
Il a été établi par d’innombrables études que les parents qui sont chaleureux, réceptifs aux questions et aux émotions des enfants, fournissent une structure, fixent des limites et font des demandes en matière de compétence (les parents démocratiques, selon les termes de Baumrind) ont des enfants qui sont plus susceptibles de réussir leurs premières années de scolarisation et de bien s’entendre avec leurs pairs.9,10,11 Le problème avec ces études est qu’elles n’établissent pas de liens de cause à effet.
Études longitudinales
Seulement quelques études, y compris deux des nôtres, évaluent les familles pendant la période préscolaire ainsi qu’après que l’enfant ait débuté l’école élémentaire.8,12,13 Le résultat de base est très cohérent tout au long de la transition en ce qui a trait aux caractéristiques des mères, des pères et des enfants; les pratiques parentales démocratiques, tant des mères que des pères pendant la période préscolaire, expliquent la variance significative de la performance scolaire des enfants et du comportement d’externalisation ou d’internalisation avec les pairs, deux et trois ans plus tard.
Le contexte des pratiques parentales à domaines multiples
Nos résultats appuient le modèle14 du risque des systèmes familiaux, qui explique le développement cognitif, social et affectif des enfants en utilisant de l’information concernant cinq types de facteurs de risque ou de protection familiaux : 1) Pour chaque membre de la famille, le degré d’adaptation, la perception de soi, la santé mentale et la détresse psychologique de; 2) la qualité des relations mère-enfant et père-enfant; 3) la qualité de la relation entre les parents, incluant les styles de communication, la résolution de conflit, les styles de résolution de problème et la régulation émotionnelle; 4) les modèles des relations de couple et parent-enfant transmis d’une génération à l’autre; et 5) l’équilibre entre les événements de vie anxiogènes et le soutien social à l’extérieur de la famille immédiate. La plupart des études sur le développement des enfants sont centrées sur un ou au plus deux des cinq facteurs de risque ou de protection familiaux. Nous avons montré que chaque type, surtout la qualité de la relation de couple, contribue uniquement à prédire la compétence scolaire et sociale des enfants et leurs problèmes de comportement de nature internes et externes au début de l’école élémentaire.15 Conformément à la science de la prévention, nous avons ensuite identifié une série de facteurs qui peuvent être ciblés lors des interventions afin de diminuer la probabilité que les enfants auront des difficultés et d’augmenter la probabilité qu’ils feront preuve de compétence intellectuelle et sociale au début de l’école élémentaire.
Interventions sur les pratiques parentales centrées sur la famille
Au cours des 35 dernières années, nous avons mené deux essais cliniques randomisés dans lesquels certains couples ont été sélectionnés aléatoirement pour faire partie de groupes de couples animés par des professionnels formés en santé mentale, tandis que d’autres ne l’étaient pas. Les coanimateurs homme-femme ont rencontré les couples hebdomadairement pendant au moins quatre mois.
Dans le projet Becoming a Family Project,12 nous avons suivi 96 couples avec des entrevues, des questionnaires et des observations sur une période de cinq ans dès le milieu de la grossesse jusqu’à ce que le premier enfant termine la maternelle. Certains couples qui attendaient un enfant, sélectionnés aléatoirement, se sont vus offrir de participer à des groupes de couples qui se réunissaient avec leurs coanimateurs pendant 24 semaines étalées sur six mois. Chaque séance de groupe comprenait un moment ouvert à la discussion sur les événements personnels et sur les préoccupations de leurs vies et sur un sujet qui concernait un des aspects de la vie familiale selon notre modèle conceptuel. Nous avons découvert que, malgré le déclin de la satisfaction relative au couple chez les nouveaux parents qui ne bénéficiaient pas de l’intervention, les couples de nouveaux parents qui participaient aux groupes de couples continus maintenaient leur niveau de satisfaction sur les cinq années suivantes jusqu’à ce que leurs enfants aient terminé la maternelle. Cinq ans après la fin des groupes de couples, tant la qualité des relations de couple que la qualité des relations parent-enfant mesurées lorsque les enfants avaient trois ans et demi étaient significativement corrélées avec l’adaptation des enfants à la maternelle (auto déclarations de l’enfant, évaluations des enseignants et résultats d’épreuves).
Une deuxième étude sur l’intervention, le School Children and their Families Project16 a suivi 100 autres couples depuis l’année précédant l’entrée en maternelle de leur premier enfant jusqu’à ce que les enfants soient en 11e année (5e année du secondaire). Il y avait trois conditions pour l’assignation aléatoire — une occasion d’utiliser notre personnel comme consultant une fois par année (le groupe témoin), un groupe de couples qui mettait l’accent sur les relations parent-enfant pendant la période de discussion libre lors des soirées (l’approche la plus traditionnelle), ou un groupe de couples qui étaient plus centrés sur la relation entre les parents pendant ces périodes ouvertes. Lorsque les familles étaient évaluées pendant la maternelle et la première année, les parents ayant fait partie d’un groupe mettant l’emphase sur les relations parent-enfant avaient amélioré les aspects de leurs pratiques parentales que nous avions observées dans notre projet de salle de jeu, contrairement à ceux du groupe témoin qui ne montraient pas d’amélioration. En comparaison, les parents qui avaient participé à un groupe dans lequel les animateurs étaient davantage centrés sur les problèmes de couple présentaient une diminution de leurs conflits pendant notre observation et leurs pratiques parentales étaient devenues plus efficaces.
Les deux variations de l’intervention ont affecté les enfants. Les enfants de parents appartenant aux groupes centrés sur les pratiques parentales ont amélioré leur image de soi et étaient moins susceptibles de présenter des comportements de timidité, de retrait ou de déprime à l’école. Les enfants de parents appartenant aux groupes centrés sur le couple ont été avantagés en ce sens qu’ils ont obtenu de meilleurs résultats aux épreuves administrées individuellement que les autres et qu’ils ont manifesté moins de comportements agressifs à l’école. Les interventions ont continué à avoir des répercussions significatives sur les familles au cours des dix années suivantes pour ce qui est de la qualité des relations de couple auto rapportées et observées ainsi que des problèmes de comportement des élèves. L’impact des groupes centrés sur le couple a toujours été égal ou supérieur à l’impact des groupes centrés sur les pratiques parentales.17
Conclusions
En résumé, nous avons montré grâce à des études corrélationnelles, que la qualité des relations parent-enfant et de couple est liée à l’adaptation scolaire précoce des enfants. Grâce aux études sur l’intervention, nous constatons que le changement du ton des relations de couple et parent-enfant a un impact causal à long terme sur l’adaptation des enfants à l’école.
Implications
L’accent que nous mettons sur les relations familiales en tant que contexte important pour les capacités des enfants à gérer les demandes de l’école élémentaire représente réellement un défi pour les décideurs politiques du milieu de l’éducation et pour le personnel scolaire. Nous suggérons de solliciter les parents avant l’entrée à l’école des enfants et nous croyons que les enfants profiteront d’une amélioration de la relation de leurs parents. L’expérience durant les années passées à consulter le personnel enseignant au niveau préscolaire et élémentaire, nous a permis de constater qu’ils sont peu nombreux à détenir une formation pour communiquer avec les parents, et qu’aucun n’est formé pour fournir des interventions qui pourraient améliorer le coparentage ou les relations de couple.
La solution de rechange évidente serait d’engager des éducateurs familiaux formés, des travailleurs sociaux, des infirmières ou des psychologues cliniciens pour offrir des services d’approche et pour animer des groupes de couples. Bien entendu, cela occasionnerait des coûts. Ce qu’on ne connaît pas encore, c’est l’équilibre coûts-bénéfices. S’il en coûte plus cher à l’école et à la société de s’occuper des enfants qui ont des problèmes de comportement que de payer pour ces interventions centrées sur la famille, il est peut-être temps d’envisager une telle approche.
Références
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Note:
La première version de ce texte a été financé par le Conseil Canadien sur l'apprentissage - Centre du savoir sur l'apprentissage chez les jeunes enfants
Pour citer cet article :
Cowan PA, Cowan CP. Le rôle des parents dans la transition des enfants vers l’école. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Tremblay RE, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/habiletes-parentales/selon-experts/le-role-des-parents-dans-la-transition-des-enfants-vers-lecole. Actualisé : Décembre 2014. Consulté le 8 octobre 2024.
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