L’impact du tempérament sur le développement de l’enfant : commentaire sur Rothbart, Eisenberg, Kagan et Schermerhorn & Bates


Colgate University, États-Unis
, Éd. rév.

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Introduction

Les articles de ce thème constituent quatre recensions éclairées de la recherche contemporaine sur le tempérament : une revue abordant le domaine du tempérament dans son ensemble (Rothbart), deux revues sur des traits tempéramentaux particuliers (Kagan sur l’inhibition et Eisenberg sur le contrôle volontaire) et une revue sur l’interaction entre le tempérament et le parentage au cours du développement (Schermerhorn & Bates). Ces quatre recensions sont représentatives du dynamisme de ce domaine de recherche en pleine croissance. Bien que, tout au long de l’histoire, les parents aient toujours reconnu que les enfants manifestent différents patrons comportementaux dès leur plus jeune âge, la recherche récente a exploré ces patrons plus en profondeur. Plus spécifiquement, au cours des dernières décennies, les chercheurs ont documenté quatre découvertes particulièrement importantes : 1) le tempérament réfère à des différences individuelles en matière d’extraversion, d’affectivité négative et de contrôle volontaire; il est modelé à la fois par des facteurs génétiques et environnementaux; 2) le tempérament influence l’expérience que font les enfants de leur environnement 3) le tempérament interagit avec les expériences pour façonner des aspects importants du développement et 4) bien que le tempérament présente une certaine stabilité, il peut changer, naturellement ou par des interventions. Les prochains paragraphes passent en revue ces quatre thèmes majeurs et soulignent des recherches additionnelles sur chacun d’eux.

Recherches et conclusions

La nature du tempérament

Les chercheurs du domaine du tempérament ont débattu vivement de la définition même du tempérament pendant des décennies. Au cours des dernières années, cependant, on a observé un consensus croissant sur la nature fondamentale du tempérament,1,2 consensus qui se reflète dans les revues commentées. Tous les auteurs s’entendent sur le fait que le tempérament réfère à des différences individuelles sur le plan des processus émotionnels et comportementaux. Ces différences émergent tôt dans le développement et sont façonnées par des processus biologiques. Trois traits globaux rencontrant cette définition sont décrits par Rothbart. L’Extraversion ou la Surgence désigne l’inclination générale de l’enfant envers la sociabilité, les émotions positives et l’enthousiasme lors de l’approche d’activités potentiellement plaisantes. L’Affectivité Négative mesure la tendance générale envers une large gamme d’émotions négatives, dont la crainte et l’irritabilité/frustration. Le trait que Kagan nomme « inhibition » est fort probablement un mélange de faible extraversion et d’affectivité négative (particulièrement de crainte) élevée.3 Le contrôle volontaire reflète la maîtrise et la régulation du comportement, émergentes chez les enfants. Un autre trait potentiel du tempérament réfère aux différences dans l’affiliation, l’empathie, la gentillesse et l’inclination à prendre soin d’autrui, par opposition à l’antagonisme ou antipathie (un trait mentionné brièvement par Rothbart); ces tendances présentent une certaine stabilité dans la petite enfance et sont influencées en partie par des facteurs génétiques, comme les autres traits tempéramentaux.4

Comme le note Rothbart, les traits tempéramentaux émergent sous une forme rudimentaire au tout début de la vie, mais ils se développent et deviennent plus complexes au fil du temps. Par exemple, Eisenberg décrit comment les capacités d’autorégulation des enfants s’élargissent depuis l’habileté limitée de déployer l’attention au début de la vie jusqu’au répertoire complexe de contrôles comportementaux observables au cours des années préscolaires. Bien que le tempérament ait une base génétique et biologique, il est important de reconnaître qu’il est aussi façonné par l’expérience. À la naissance, les traits tempéramentaux des nourrissons ont déjà été influencés par des expériences prénatales5 et les expériences continuent à façonner l’expression des gènes après la naissance.6,7,8,9 De plus, d’autres influences génétiques sur les traits tempéramentaux surviennent plus tard au cours du développement.10 Ainsi, les traits du tempérament sont modelés par une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux au début de la vie et tout au long de l’enfance.

Le tempérament influence l’expérience que font les enfants de leur environnement

L’une des façons les plus profondes par laquelle le tempérament façonne le développement est qu’il influence l’expérience que font les enfants de leur environnement.1,11 Premièrement, le tempérament joue un rôle dans les réactions qu’évoque typiquement l’enfant chez les autres. Comme le décrivent Schermerhorn et Bates, les enfants plus extravertis, plus craintifs et qui ont un meilleur contrôle d’eux-mêmes tendent à évoquer plus de chaleur parentale, alors que les enfants ayant des niveaux élevés d’émotions négatives tendent à stimuler plus de tentatives de contrôle indésirables de la part des parents. Le tempérament des enfants affecte aussi les réactions qu’ils évoquent chez les autres personnes qui s’occupent d’eux, leurs enseignants et leurs pairs.12 Deuxièmement, les enfants interprètent leurs expériences environnementales différemment selon leur tempérament. Par exemple, les enfants anxieux et irritables ont tendance à percevoir les événements négatifs dans leur vie comme étant plus menaçants que ne les perçoivent les enfants dont les niveaux d’émotions négatives sont plus faibles.13

Le tempérament interagit avec les expériences pour façonner des aspects importants du développement

Le tempérament ne scelle certainement pas le destin, mais il existe des résultats solides à l’effet que les traits du tempérament rendent certaines issues développementales positives ou négatives plus ou moins susceptibles de survenir. Par exemple, comme le note Kagan, les enfants plus inhibés sont un peu plus à risque que les autres de développer une anxiété sociale ou une dépression. À l’inverse, Eisenberg résume des recherches indiquant qu’un excellent contrôle volontaire est associé à des issues positives, comme des problèmes de comportement faibles et des compétences sociales plus fortes. Cependant, dans plusieurs cas, les expériences de l’enfant jouent un rôle pour déterminer si le trait entraînera une orientation du développement plutôt négative ou plutôt positive. Comme le suggèrent Schermerhorn et Bates, le parentage pourrait jouer un rôle particulièrement important de modération du lien entre les traits et les issues développementales. Il y a plusieurs années, Thomas et Chess ont introduit le concept de « qualité de l’ajustement » entre le parent et l’enfant dans certains des premiers travaux contemporains sur le tempérament. Selon ce modèle, les issues développementales entraînées par le tempérament d’un enfant varieront selon le succès avec lequel les parents adapteront leur style de parentage à son tempérament.14 Des travaux récents ont illustré plusieurs exemples reproductibles de la « qualité de l’ajustement ».1,15,16 Par exemple, les enfants agressifs et difficiles à gérer semblent bénéficier particulièrement d’un style de parentage impliquant davantage de contrôle restrictif et moins de négativité parentale. Les enfants timides semblent bénéficier de l’encouragement des parents à explorer des situations nouvelles et sont plus susceptibles de demeurer timides et inhibés si les parents sont surprotecteurs. Au-delà de l’environnement familial, les milieux scolaires et les relations avec les pairs et le voisinage peuvent avoir d’autres impacts importants sur la stabilité du tempérament précoce de l'enfant et sur l’orientation plus ou moins positive que son tempérament donnera à son développement.12

Bien que le tempérament présente une certaine stabilité, il peut changer, naturellement ou suite à une intervention

Il y a maintenant des données solides sur la continuité des traits précoces des enfants. Après les quelques premiers mois de vie, y a-t-il des résultats convaincants appuyant la continuité dans le tempérament? Selon une revue exhaustive des données sur la question, les traits tempéramentaux des enfants présentent seulement une stabilité modeste au début de la vie et cette stabilité augmente ensuite de façon assez importante autour de l’âge de trois ans.17 Étonnamment, le tempérament ne semble pas devenir plus stable au cours des années scolaires primaires ni à l’adolescence. Il reste plutôt modérément stable, le niveau de stabilité observé à ces périodes étant comparable à celui qui prévaut pendant les années préscolaires. En bref, les traits tempéramentaux des enfants d’âge préscolaire prédisent significativement leur personnalité ultérieure, mais des résultats solides montrent aussi que les enfants continuent à changer au cours de l’enfance et de l’adolescence. De nouvelles recherches ont aussi démontré que les traits des enfants et les issues développementales associées à ces traits peuvent être modifiés directement par des efforts de prévention et d’intervention. Des programmes d’intervention ont été conçus pour modifier les patrons typiques de comportement des enfants, ciblant notamment leurs habiletés d’autorégulation, leurs compétences émotionnelles et leur capacité de faire face aux difficultés.18,19,20

Implications

Tous les textes de ce thème soulignent plusieurs implications importantes de la recherche actuelle sur le tempérament. Les différences comportementales des enfants sont dues en partie à des facteurs qui dépassent l’apprentissage social; en effet, il y a des influences héréditaires importantes sur le tempérament. Le contrôle volontaire et l’attention précoces sont bénéfiques pour les enfants. Les parents et les éducateurs devraient donc faire tous les efforts possibles pour aider les enfants à développer ces traits positifs. En revanche, les tendances précoces à l’extraversion et à la crainte, par opposition, respectivement, à la timidité et à l’intrépidité, entraîneraient à la fois des risques et de possibles avantages.

Une dernière implication doit être soulignée. À cause de leur tempérament, certains enfants présentent un plus grand défi pour les parents, les enseignants et les autres personnes qui s’occupent d’eux. Plusieurs caractéristiques tempéramentales peuvent être particulièrement éprouvantes pour les adultes qui y sont confrontés : irritabilité/frustration, crainte extrême, niveau d’activité élevé et faible contrôle volontaire. Les adultes qui retrouvent ces traits chez les enfants dont ils s’occupent ont avantage à recevoir plus de soutien et d’éducation; plus spécifiquement, on peut les aider à éviter les réactions négatives qui peuvent naturellement être évoquées par de tels traits tempéramentaux. Par exemple, on a réussi à enseigner avec succès à des parents comment agir avec des nourrissons irritables et difficiles à apaiser pour qu’ils puissent développer un attachement sécurisé.21 En éduquant et en soutenant les parents et les autres adultes responsables d’enfants, on peut favoriser la « qualité de l’ajustement » et aider les enfants à mieux s’adapter aux milieux dans lesquels ils grandissent.

Références

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Pour citer cet article :

Shiner RL. L’impact du tempérament sur le développement de l’enfant : commentaire sur Rothbart, Eisenberg, Kagan et Schermerhorn & Bates. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Rothbart MK, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/temperament/selon-experts/limpact-du-temperament-sur-le-developpement-de-lenfant-commentaire-sur. Actualisé : Mai 2012. Consulté le 28 mars 2024.

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