[Archivé] Le diagnostic des SAF/EAF et leurs incidences sur le développement psychosocial des enfants


University of Washington, États-Unis

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Introduction

Le syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF) est une anomalie congénitale causée par la consommation d'alcool par la mère pendant la grossesse. Le SAF est caractérisé par des retards de croissance, des dysfonctions du système nerveux central (SNC) et un ensemble unique d'anomalies mineures du visage.1,2 Bien qu'entièrement évitable, le SAF est la principale cause avérée de la déficience intellectuelle dans le monde occidental.3 Les personnes affectées par l'exposition prénatale à l'alcool ne souffrent pas toutes du SAF. Beaucoup présentent des problèmes cognitifs ou de comportement sans toutefois présenter quelque retard de croissance que ce soit, ou du phénotype facial caractéristique du SAF. On a souvent dit de ces personnes qu'elles souffrent d'effets d'alcoolisation fœtale (EAF) ou de troubles neurodéveloppementaux liés à l'alcool (TNLA).4

Objet

À l'heure actuelle, les diagnostics d'effets négatifs de l'exposition prénatale à l'alcool varient considérablement d'un médecin à l'autre. Bien qu'il existe des lignes directrices diagnostiques1,2,4,5,6 qu'on encourage les médecins à suivre, celles-ci ne sont pas suffisamment précises pour assurer l'exactitude du diagnostic (la capacité d’établir le diagnostic exact) ou sa précision (la capacité de parvenir systématiquement au même diagnostic chaque fois que des patients présentent les mêmes symptômes). Par exemple, les lignes directrices relatives au dysfonctionnement du SNC ne spécifient pas combien de types de déficit doivent être présents, quels doivent en être les degrés de gravité ou quelle somme d’informations doit être cumulée pour en déterminer la gravité. Les lignes directrices relatives au phénotype facial n'indiquent pas combien de caractéristiques faciales doivent être présentes, quelle doit être la gravité de chaque caractéristique ou quelle échelle de mesure doit être employée pour en déterminer la gravité. L'utilisation de termes comme « EAF » et « TNLA » passe sous silence le fait que des retards de croissance et des dysfonctionnements du SNC ne sont pas propres à l'exposition prénatale à l'alcool.7 Ces lignes directrices reflètent une approche diagnostique de type Gestalt qui doit plus à l'impression clinique générale qu'aux données systématiquement cueillies et interprétées sur les expositions et leurs conséquences. Les caractéristiques diagnostiques clés (retards de croissance, anomalies faciales, dysfonctionnement du SNC et exposition prénatale à l'alcool) ne sont pas simplement présentes ou absentes; elles se manifestent plutôt le long de continuums distincts allant de normales à graves, dans toutes les combinaisons possibles.8,9 Il nous faut donc une méthode qui tient plus adéquatement compte de cette complexité si nous voulons obtenir des diagnostics plus exacts.

Problèmes

En l’absence d'une méthode diagnostique exacte et reproductible, les diagnostics continueront à varier de façon considérable d'une clinique à l'autre.4,10,11 Sur le plan clinique, les erreurs de classification diagnostique conduisent à l'administration de soins inappropriés, à un risque accru d'incapacités secondaires12 et à des occasions de prévention primaire manquées8. Sur le plan de la santé publique, les erreurs de classification diagnostique conduisent à des évaluations inexactes des incidences et des prévalences.4,8 Les évaluations inexactes compromettent les efforts d'affecter des services sociaux, éducatifs et médicaux requis à cette population à haut risque et rendent impossible toute évaluation sérieuse des interventions de prévention primaire. Sur le plan de la recherche clinique, les erreurs de classification diagnostique réduisent notre capacité d'identifier des contrastes cliniquement significatifs entre des groupes. Enfin, les méthodes diagnostiques non normalisées empêchent toute comparaison valable entre les études effectuées.

Contexte de la recherche

On a cherché à pallier les limitations de la méthode Gestalt en mettant au point une nouvelle méthode diagnostique très détaillée de tout le continuum de conséquences associées à l'exposition prénatale à l'alcool appelé « Code diagnostique à quatre chiffres ».8,9,13-16 Les quatre chiffres du Code diagnostique reflètent le degré d'expression des quatre principales caractéristiques diagnostiques du SAF dans l'ordre suivant: 

  1. retards de croissance 
  2. phénotype facial du SAF 
  3. atteinte neurologique / dysfonctionnement cérébral
  4. exposition prénatale à l'alcool. 

Pour générer le Code diagnostique à quatre chiffres, on commence par inscrire les données cliniques clefs sur le formulaire d'évaluation diagnostique du SAF et on suit les définitions de cas spécifiques pour déterminer chaque chiffre. Le degré d'expression de chaque caractéristique est indiqué indépendamment selon une échelle de type Likert à 4 niveaux, dans laquelle « 1 » signifie l'absence complète des caractéristiques du SAF et « 4 » signifie une forte présence de type « classique » des caractéristiques du SAF. Chaque chiffre à l'échelle de Likert est choisi selon les caractéristiques propres au sujet évalué. Le Code diagnostique à quatre chiffres peut servir à diagnostiquer des personnes de tous les âges. 

Questions clefs pour la recherche

Le Code diagnostique à quatre chiffres a été mis au point à l'aide des dossiers médicaux et de recherche de 1 014 patients diagnostiqués dans les cliniques du Washington State FAS Diagnostic and Prevention Network.8,15 L'efficacité (l’exactitude, la reproductibilité et la puissance) du Code à quatre chiffres a été comparée à celle de la méthode diagnostique Gestalt à l'aide des dossiers des premiers 454 patients auxquels on a appliqué les deux méthodes.

Résultats récents de la recherche

Le Code à quatre chiffres s'est révélé sensiblement plus efficace que la méthode Gestalt sur les plans de l'exactitude diagnostique, de la reproductibilité et de la puissance.8 Sur les 69 patients chez qui on avait diagnostiqué un SAF selon la méthode Gestalt, seulement neuf répondaient aux critères diagnostiques du SAF selon le Code à quatre chiffres. En l’absence de définitions de cas spécifiques et d'échelles de mesures quantitatives, la méthode Gestalt a produit un groupe très hétérogène de personnes atteintes du SAF — plus hétérogène même que prévu dans les principes directeurs de la méthode Gestalt.6 Par exemple, 37 des 69 patients ne présentaient aucun signe de retard de croissance, 27 ne présentaient qu'une seule des trois caractéristiques faciales, 29 ne présentaient aucune preuve psychométrique ou structurelle d'atteintes neurologiques et dans cinq cas, l'exposition à l'alcool n'était pas établie. Quant aux 344 patients auxquels on avait diagnostiqué des EAF selon la méthode Gestalt, les résultats étaient encore plus variables. Lorsqu'on les a reclassés selon le Code à quatre chiffres, ces patients présentaient des signes qui se retrouvent dans les 13 catégories diagnostiques différentes du Code à quatre chiffres, qui vont de la simple exposition à l'alcool à un diagnostic SAF presque, mais pas tout-à-fait, complet. Les études qui traitent ce groupe diversifié de patients à EAF comme un groupe « homogène » risquent sérieusement de ne pas capter des contrastes et des associations cliniquement significatifs. Par exemple, une association linéaire importante et statistiquement significative entre la baisse du QI et l'expression croissante du phénotype facial du SAF a été retrouvée chez 216 patients diagnostiqués à l'aide du Code à quatre chiffres. Cette association n'a pas été détectée lorsque les mêmes 216 patients étaient diagnostiqués au moyen de la méthode Gestalt. Par ailleurs, selon une évaluation préliminaire de la reproductibilité diagnostique, la fiabilité inter-juges et intra-juges du Code à quatre chiffres variait de 94 % à 100 %. 

Conclusions 

Le Code diagnostique à quatre chiffres possède de nombreux atouts. Il représente une approche chiffrée intuitivement logique de la documentation des signes et des expositions qui reflète la vraie diversité et le continuum des déficits associés à l'exposition prénatale à l'alcool. Il offre un niveau sensiblement plus élevé de précision, d'exactitude et de puissance que la méthode diagnostique Gestalt puisqu'il repose sur des échelles de mesure quantitative, des définitions de cas spécifiques et un travail d'équipe clinique multidisciplinaire. Une des grandes caractéristiques du Code à quatre chiffres est l'emploi d'une nomenclature diagnostique qui remplace des termes comme « EAF » et « TNLA ». Cette nouvelle nomenclature documente clairement les expositions et les conséquences pour chaque patient sans supposer que l'alcool est l'unique agent causal. Le volet facial du Code constitue un outil extrêmement sensible et spécifique de dépistage du SAF.16 De plus, le Code à quatre chiffres définit un langage descriptif commun qui permet de communiquer les signes plus clairement dans les dossiers médicaux et les publications médicales.

Implications pour l'élaboration des politiques et le développement des services

Deux des plus importants objectifs des études du SAF sont la prévention primaire (la prévention des naissances d'enfants affectés par l'alcool) et la prévention secondaire (la réduction de la prévalence de déficits secondaires chez les enfants déjà affectés par l'exposition prénatale à l'alcool). Ces efforts sont inextricablement liés à notre capacité de diagnostiquer avec exactitude le spectre complet des troubles d'alcoolisation fœtale. Si l'on veut prévenir le SAF de façon quantifiable, on doit commencer par identifier les femmes qui présentent un risque élevé de donner naissance à un enfant affecté par l'exposition prénatale à l'alcool. Ensuite, on doit employer des méthodes diagnostiques précises pour déterminer avec exactitude l'incidence du SAF chez leurs enfants. De la même façon, pour mesurer le degré de réussite des efforts de prévention, on doit pouvoir suivre avec précision les changements d'incidence du SAF dans le temps, ce qui requiert encore une fois des méthodes de dépistage16 et de diagnostic qui sont précises et reproductibles dans le temps. Enfin, pour mesurer l'efficacité des interventions auprès des enfants affectés par l'exposition prénatale à l'alcool, on doit  élaborer des études scientifiques rigoureuses qui ciblent les enfants présentant des atteintes liées à l’exposition prénatale à l’alcool. Encore une fois, on ne pourra identifier avec précision les populations à étudier sans outils diagnostiques précis. 

Plus de 50 équipes cliniques multidisciplinaires à travers les États-Unis et le Canada emploient désormais le Code diagnostique à quatre chiffres dans un large éventail de contextes de services cliniques et sociaux. Cette expansion s'appuie en grande partie par des décisions législatives en faveur de l'établissement de réseaux coordonnés de diagnostic et de prévention du SAF (FAS Diagnostic and Prevention Networks).

Références

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  15. Clarren SK, Astley SJ. Development of the FAS Diagnostic and Prevention Network in Washington State. In: Streissguth AP, Kanton J, ed. The Challenge of Fetal Alcohol Syndrome: Overcoming Secondary Disabilities. Seattle, WA: University of Washington Press; 1997:40-51.
  16. Astley SJ, Stachowiak J, Clarren SK, Clausen C. Application of the fetal alcohol syndrome facial photographic screening tool in a foster care population. Journal of Pediatrics 2002;141(5):712-717.

Pour citer cet article :

Astley S. [Archivé] Le diagnostic des SAF/EAF et leurs incidences sur le développement psychosocial des enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. O’Connor MJ, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/syndrome-dalcoolisation-foetale-saf/selon-experts/le-diagnostic-des-safeaf-et-leurs-incidences-sur. Publié : Mai 2003. Consulté le 24 avril 2024.

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