[Archivé] Commentaires de Piyadasa Kodituwakku sur les textes de Sandra et Joseph Jacobson et de Susan Astley (SAF et EAF)
Piyadasa Kodituwakku, Ph.D.
University of New Mexico Center on Alcoholism, Substance Abuse and Addictions, États-Unis
Introduction
Les troubles neurodéveloppementaux sont associés à des combinaisons spécifiques d'aptitudes motrices, cognitives et sociales. Par exemple, les personnes atteintes du syndrome Prader-Willi présentent un ensemble caractéristique d'aptitudes cognitives (p. ex., des aptitudes inhabituelles à assembler des puzzles combinées à des difficultés de traitement d'informations auditives) et de comportements (p. ex., un appétit insatiable).1 Il y a donc lieu de se demander si l'exposition prénatale à l'alcool s'accompagne ou non d'un profil neurocomportemental typique.
L'établissement d'un profil neurocomportemental distinct pour les personnes exposées in utero à l'alcool aiderait énormément au diagnostic, à la planification du traitement et à la recherche épidémiologique. Selon les études épidémiologiques du syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF), seulement un tiers des bébés nés de mères ayant beaucoup bu pendant la grossesse présentent un SAF avéré.2 Qui plus est, la majorité des personnes exposées à l'alcool dans l'utérus ne présentent aucun trait dysmorphique typique du syndrome d'alcoolisation fœtale et les cliniciens ont dû s'appuyer sur des données neurocognitives pour identifier les patients atteints du SAF. En même temps, la recherche révèle que les déficiences du fonctionnement socio-cognitif sont aussi fréquentes chez les enfants atteint du SAF sans traits dysmorphiques que chez ceux qui en présentent.3
A. Contexte de la recherche : Sandra et Joseph Jacobson
Sandra et Joseph Jacobson nous proposent un survol des résultats d’études portant sur les caractéristiques neurocomportementales chez les enfants exposés à l'alcool; ce survol démontre clairement que les chercheurs ont beaucoup progressé dans la caractérisation du fonctionnement cognitif et socio-affectif de ces enfants. Les auteurs décrivent les résultats d’études récentes qui concernent trois grands aspects du fonctionnement, soit l'hyperactivité et l'attention, l'apprentissage et la mémoire, et le fonctionnement socio-affectif. Ils concluent que les enfants exposés à l'alcool présentent un modèle distinctif de déficiences cognitives, telles qu’illustrées par des difficultés importantes sur le plan de l'arithmétique, des fonctions exécutives, de l'acquisition de connaissances nouvelles et du comportement social.
Malgré le fait qu'on observe souvent cette combinaison de difficultés chez les enfants exposés à l'alcool au stade prénatal, on n'a pas encore déterminé ce qui est unique à ce groupe. En effet, les enfants ayant des difficultés d'apprentissage non verbal présentent eux aussi des déficiences en arithmétique, de l’attention et d’aptitudes sociales. De plus, le survol des Jacobson ne mentionne pas d'autres résultats de recherche qui pourraient servir à l'élaboration de plans de traitement et de politiques. Par exemple, les enfants qui ont été exposés à l'alcool au stade prénatal ont de la difficulté à modifier leurs comportements en réaction à des renforcements (modulation de l'affect), et ces difficultés sont des prédicteurs de problèmes de comportement tels qu'évalués par les parents.4 Même si les enfants légèrement atteints ne présentent pas de déficits du langage, les enfants diagnostiqués comme ayant un SAF présentent des déficits marqués sur ce plan.5 Certains chercheurs ont aussi signalé des niveaux d'exécution déficients dans les tests d'intégration visuo-motrice et de mémoire visuelle.6
Implications pour l'élaboration des politiques et la prestation des services
Plusieurs des résultats mis en relief dans le survol des Jacobson ont des implications importantes pour l'élaboration des politiques et la prestation des services. D'abord, les enfants de mères qui ont bu occasionnellement pendant la grossesse présentent des combinaisons de déficits socio-cognitifs semblables à ceux qu'on retrouve chez les enfants atteints du SAF. Cette observation soulève la question de savoir s'il existe un seuil d'innocuité pour la consommation d'alcool pendant la grossesse. Les auteurs d'études de grande envergure ont trouvé certaines données qui semblent indiquer qu'un tel seuil pourrait exister,7 mais les informations en question ne sont pas nécessairement généralisables, puisqu'on sait que les effets nocifs de l'alcool sur le fœtus varient en fonction d'une multitude de facteurs. La ligne de conduite la plus sûre consisterait de toute évidence à s'abstenir complètement de boire de l'alcool pendant la grossesse.
En deuxième lieu, les études neuropsychologiques d'enfants affectés par l'alcool ont mis en lumière des données qui ont utilement servi dans des interventions à l'école. Par exemple, le fait que les enfants exposés à l'alcool aient des fonctions exécutives déficientes indique que ces enfants ont de la difficulté à maintenir un comportement orienté vers un but en se servant des informations stockées dans leur mémoire opérationnelle. Ces enfants peuvent s'appuyer sur des stratégies fondées sur les repères visuels pour les aider à gérer leur comportement. Par ailleurs, une étude prospective à Seattle indique que certaines variables spécifiques sont associées à de meilleures issues chez les enfants affectés par l'alcool.8 Parmi ces variables, il y a le fait de vivre dans un foyer stable et attentionné, d'être diagnostiqué jeune et de ne jamais avoir subi de violences. Des résultats de ce genre ont des implications importantes pour les interventions précoces et pour le placement d'enfants dans des foyers stables. Quant on sait que les conditions familiales défavorables peuvent influer négativement sur le développement cognitif des enfants, on doit considérer les interventions au niveau de la famille, conjuguées au traitement individuel des enfants exposés à l'alcool, comme des impératifs sur le plan des politiques et des services.
Ceci dit, il est vrai que les origines du trouble de la conduite chez les enfants exposés à l'alcool n'ont pas encore été complètement élucidées, et donc que d'autres études vont devoir fournir les données dont on a absolument besoin pour mettre au point des interventions spécifiques pour prévenir les comportements violents chez ces enfants.
B. Contexte de la recherche : Susan Astley
Jones et Smith9 ont proposé l'expression syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF) pour décrire un ensemble d'anomalies constatées chez un groupe d’enfants nés de mères alcooliques. Les caractéristiques définissant ce syndrome étaient notamment le retard de croissance et la présence de signes de dysfonctionnement du système nerveux central et d'une combinaison caractéristique d'anomalies mineures du visage. Dans les années qui ont suivi la publication de la communication de Jones et Smith, les cliniciens ont remarqué une grande variabilité d'expression du syndrome, qui tantôt se présentait sous la forme classique tantôt se limitait à quelques anomalies mineures. Pour pallier cette variabilité, Clarren et Smith10 ont proposé la nomenclature diagnostique des effets d'alcoolisation fœtale (EAF) soupçonnés destinée à rendre compte de l'expression partielle du syndrome. Ce terme est malheureusement devenu une étiquette « fourre-tout » qu'on s'est mis à coller sur n'importe quel dysfonctionnement comportemental d'un enfant chez qui on soupçonnait une exposition prénatale à l'alcool. Or, on ne peut pas nécessairement supposer qu'il existe un lien causal entre l'exposition à l'alcool et le dysfonctionnement cognitif chez ces enfants, car on sait que le dysfonctionnement cognitif est déterminé par une multiplicité de facteurs. Ainsi, on a commencé à douter de la validité diagnostique des EAF. Pis encore, les cliniciens ont employé les critères diagnostiques applicables de manière incohérente, rendant doublement spécieuse l'idée d'un diagnostic fiable.11
Conclusions
Le Code à quatre chiffres a été créé pour remédier à ces problèmes de fiabilité et de validité diagnostique.12 Les fondateurs de cette approche ont élaboré une série de mesures destinées à accroître la fiabilité diagnostique, à commencer par des échelles ordinales pour quantifier certaines caractéristiques diagnostiques importantes (p. ex., le sillon sous-nasal). Ensuite, ils ont gradué la présence de chacun des critères diagnostiques clés (retard de croissance, phénotype facial du SAF, dysfonctionnement du système nerveux central et exposition à l'alcool) selon une échelle à quatre points. Enfin, ils ont explicitement défini chaque point sur ces échelles. L'éventail complet des combinaisons des quatre chiffres forme un total de 256 codes qu'on peut regrouper en 22 catégories diagnostiques.
Le principal progrès marqué par le Code à quatre chiffres est l'accroissement de la fiabilité diagnostique grâce à la quantification des caractéristiques diagnostiques clés. Mais il ne faut pas confondre fiabilité et validité. Les sous-types d'un trouble donné représentent généralement des catégories distinctes qu'on doit valider à l'aide de critères multiples (p. ex., le comportement, la physiologie et la réponse au traitement). Devant la tendance trop répandue à traiter ces sous-types comme des catégories arbitraires, Meehl se fait le défenseur de l'application plus rigoureuse de critères diagnostiques spécifiques : « À mon sens, la classification est une entreprise qui consiste à découper la nature suivant ses articulations (Platon) en définissant des catégories d'entités qui sont non arbitraires, non anthropiques. » 13
Implications pour les politiques publiques et la planification des traitements
Je souscris à l'optique d'Astley. Un diagnostic exact de tout le spectre des déficiences causées par l'exposition à l'alcool est essentiel aux efforts de prévention tant primaires que secondaires. À cet égard, Astley et Clarren12 ont sensiblement amélioré la fiabilité du diagnostic en mettant au point des échelles quantitatives. Toujours est-il que le plus épineux problème posé par le syndrome d'alcoolisation fœtale demeure celui de l'identification des enfants exposés à l'alcool qui ne présentent aucune dysmorphie (soit la majorité des enfants exposés à l'alcool). L'identification de ce groupe nécessite l'emploi combiné d'instruments neuropsychologiques sensibles et de mesures de correction pour tenir compte des variables de confusion. Pour délinéer les profils cognitifs, des études toujours plus nombreuses militent en faveur de l'utilisation de tests à bande étroite (par opposition aux tests universels comme les tests d'intelligence) et de données sur le traitement de l'information, en plus des scores de résultat final.14 Reste à savoir si les diagnostics de sous-type fondés sur des données obtenues au moyen de mesures sensibles de ce genre seront plus utiles au développement de méthodes thérapeutiques que celles du Code à quatre chiffres.
Références
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- Bellugi U, Wang PP, Jernigan TL. Williams syndrome: an unusual neuropsychological profile. In: Broman SH, Grafman J, eds. Atypical Cognitive Deficits in Developmental Disorders: Implications for Brain Function. Hillsdale, NJ: Laurence Erlbaum Associates; 1994:23-56.
Pour citer cet article :
Kodituwakku P. [Archivé] Commentaires de Piyadasa Kodituwakku sur les textes de Sandra et Joseph Jacobson et de Susan Astley (SAF et EAF). Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. O’Connor MJ, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/syndrome-dalcoolisation-foetale-saf/selon-experts/commentaires-de-piyadasa-kodituwakku-sur-les. Publié : Mai 2003. Consulté le 8 octobre 2024.
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