Résilience précoce et résultats multidimensionnels en matière de santé : Les expériences positives dans l’enfance dans un contexte d’adversité


University of Denver, États-Unis

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Introduction

Les enfants en pleine croissance sont confrontés à l’adversité et sont en mesure de faire preuve de résilience à de nombreux âges et stades de développement. Les voies de développement associées au risque et à la résilience se dessinent dès la conception et la période prénatale, et elles trouvent également leur origine dans l’adaptation et la mésadaptation des générations précédentes.1,2 Dans le cas du développement de l’enfant, nous définissons la résilience comme la capacité dynamique de se développer avec succès, de s’épanouir et de maintenir un fonctionnement positif malgré la présence de risques susceptibles d’empêcher une adaptation saine.3,4 En d’autres termes, la résilience ne peut être observée en l’absence de risques ou d’adversité menaçant le développement positif de l’enfant.
    
Sujet

Il est essentiel de savoir comment identifier et favoriser les processus de résilience tout au long du développement pour appréhender les moments où le fonctionnement de l’enfant est susceptible de poursuivre sur une trajectoire positive ou de diverger vers une mésadaptation.5 La petite enfance, définie comme la période allant de la naissance à l’âge de cinq ans, est une période fondamentale au cours de laquelle le développement positif (et la faculté de résilience à long terme) commence à se consolider et à former les éléments constitutifs du développement ultérieur.2 Ainsi, c’est au cours de la petite enfance que commencent à se développer les liens d’attachement sécurisants, les compétences marquées en matière de régulation des émotions, la motivation d’accomplissement et l’émergence de l’estime de soi, qui ouvrent la voie à des relations saines, à des aptitudes socioémotionnelles, à la réussite scolaire et professionnelle et à la satisfaction relative à sa vie tout au long de cette dernière.5,6 Par ailleurs, c’est la présence de relations sécuritaires et prévisibles, de facultés d’adaptation et de confiance en soi dès le plus jeune âge qui protègent contre les effets de l’adversité pendant l’enfance, tels que les abus, la négligence, l’exposition à la violence au sein de la famille et de la communauté, la pauvreté ou encore les problèmes de santé à long terme et les décès prématurés.7

Problèmes et lacunes dans la littérature

Jusqu’à présent, les recherches se sont davantage concentrées sur le côté négatif de cette question, à savoir sur le fait que l’adversité précoce prédise des problèmes de santé à long terme, plutôt que sur le côté positif, qui veut que les facteurs de résilience précoce puissent contrecarrer les effets de l’adversité et favoriser une meilleure santé et un plus grand bien-être tout au long de la vie. En effet, si, au cours des 25 dernières années, les équipes de recherche en psychologie, médecine et santé publique ont abondamment étudié les effets néfastes de l’adversité durant l’enfance sur la santé8, le rôle des expériences positives au cours de cette période dans l’amélioration de la santé reste encore largement méconnu. Néanmoins, la plupart des individus exposés à l’adversité durant leur enfance ne subissent pas de conséquences néfastes sur leur santé, ce qui met en lumière la prévalence des processus de résilience, bien que ceux-ci demeurent trop peu étudiés.4

Contexte de la recherche

Ces cinq dernières années, un nombre croissant d’études sur les expériences positives durant l’enfance ont révélé que les adultes qui affirment avoir tissé des relations sécuritaires et encourageantes (avec des soignants, des enseignants, des amis, des mentors...) et bénéficié d’une structure et d’habitudes prévisibles à la maison, de liens avec la communauté et d’une image de soi positive durant leur enfance, présentent moins de problèmes de santé, adoptent moins de comportements à risque pour la santé et sont moins sujets au stress, même après prise en compte des effets de l’adversité durant l’enfance et des ressources de soutien actuelles.9,10 Ce schéma met en lumière le lien particulièrement étroit entre les expériences positives vécues durant l’enfance et le développement à l’âge adulte. En outre, des études récentes confirment que la grande majorité des individus vivent des expériences positives durant leur enfance, mais font aussi face à un certain degré d’adversité. Ces expériences coexistent naturellement et les expériences positives agissent souvent dans l’ombre pour contrecarrer les effets négatifs de l’adversité sur les expériences de vie futures.10,11,12,13

Les recherches sur les expériences positives de l’enfance se sont aussi étendues à l’échelle mondiale, englobant tant les pays en développement que les pays développés, et examinant des individus et des familles d’horizons et d’identités variés. Plusieurs études ont montré que les expériences positives durant l’enfance, en particulier lorsqu’elles sont mises en œuvre et évaluées en tenant compte des sensibilités et des réalités culturelles, sont courantes dans de nombreuses populations. Ces expériences prédisent directement de meilleurs résultats en matière de santé, et ce parfois de manière encore plus marquée que les effets de l’adversité et ses conséquences néfastes sur la santé.11,14,15
    
Questions clés pour la recherche et résultats récents de la recherche

Les recherches actuelles sur les expériences positives durant l’enfance ont examiné les processus mécaniques par lesquels ces dernières donnent lieu à de meilleurs résultats en dépit de l’adversité vécue par l’enfant. Une revue systématique récente a révélé que, pour de nombreuses personnes dans le monde, la présence de davantage d’expériences positives durant l’enfance se traduit directement par une meilleure santé mentale (par exemple, moins de symptômes de dépression, d’anxiété et de stress post-traumatique) et moins de stress psychosocial.11 Bien que peu nombreuses, certaines études ont montré que les expériences positives vécues durant l’enfance peuvent contrebalancer directement les effets négatifs des expériences adverses subies au cours de la petite enfance. Cette piste de recherche demeure toutefois peu explorée.13 En outre, plusieurs études ont commencé à examiner si le moment du développement des expériences positives vécues durant la petite enfance (de la naissance à 5 ans) plutôt que plus tard dans l’enfance et l’adolescence permet de prédire de manière unique de meilleurs résultats en matière de santé. En effet, certaines recherches suggèrent que les expériences positives précoces contribuent à réduire le nombre d’événements stressants rencontrés ultérieurement dans la vie.16
    
Stratégies pour combler les lacunes de la recherche

Jusqu’à présent, les recherches sur les expérience d’adversité durant l’enfance se sont majoritairement focalisées sur un modèle déficitaire, en s’attardant sur les conséquences néfastes de ces expériences sur la santé. Pourtant, les recherches qui soulignent l’importance cruciale des expériences positives vécues au cours de l’enfance mettent également en évidence les perspectives de résilience associées. Cet angle d’approche axé sur la résilience insuffle de l’espoir aux individus et leur donne des clés de compréhension et des moyens d’action, en particulier à ceux qui sont minorisés et marginalisés et sont victimes d’un racisme et d’une oppression systémiques et structurels.4

L’un des atouts majeurs de l’étude des expériences positives durant l’enfance et de leurs effets réside dans la possibilité d’évaluer ces derniers à l’aide d’outils simples et efficaces, tels que les échelles Benevolent Childhood Experiences (BCE).10,13 Dix des éléments évalués par ces échelles sont communs à différentes populations, tandis que les dix autres, légèrement moins répandus, s’avèrent néanmoins essentiels face à l’adversité.13 Par ailleurs, l’évaluation des expériences positives durant l’enfance, même en l’absence d’évaluation de l’adversité infantile, apporte un éclairage unique et précieux. Toutefois, si le fait de questionner les individus sur leurs expériences d’adversité durant l’enfance permet de comprendre leur exposition à des événements défavorables au cours de cette période, elle ne permet pas de comprendre la présence ou l’étendue de ressources protectrices à un stade précoce de leur développement. Autrement dit, le fait que certains individus ne déclarent pas avoir été confrontés à l’adversité dans leur enfance ne fait que confirmer l’absence d’événements négatifs dans leur vie (mais ne donne pas d’informations sur ce qui s’est passé de positif). Cependant, le fait de questionner les individus sur leurs expériences positives durant l’enfance permet de mieux comprendre les ressources qui étaient présentes pendant cette période et qui sont susceptibles d’être exploitées dans une perspective de résilience à long terme, ainsi que les ressources qui auraient dû être présentes, mais qui ont fait défaut. En d’autres termes, la présence d’expériences positives vécues pendant l’enfance témoigne d’un potentiel de résilience, tandis que leur absence révèle une enfance pauvre en ressources, deux éléments très instructifs pour les stratégies de détection, d’évaluation, d’orientation et d’intervention.4,12

Conclusions

La recherche sur les expériences positives durant l’enfance connaît une croissance exponentielle d’année en année. Des travaux passionnants se profilent à l’horizon, notamment sur le lien entre les expériences positives durant l’enfance des adultes et leur santé physique et la qualité de leurs relations (amoureuses, parentales...) à long terme, ainsi que sur la transmission intergénérationnelle de la résilience par le biais des expériences positives durant l’enfance chez ses propres descendants. Un des aspects les plus remarquables des expériences positives durant l’enfance réside dans le fait que nombre d’adultes les ont vécues sans même s’en rendre compte. Lorsque des adultes ou des parents sont confrontés à des facteurs de stress accablants provoqués par l’oppression, la marginalisation et la pauvreté, ils n’ont souvent pas le temps de réfléchir aux expériences positives qu’ils ont vécues pendant leur enfance, qui pourraient cependant elles-mêmes servir de modèles pour recréer des expériences positives avec leurs enfants.2 Lorsque les expériences positives vécues durant l’enfance sont prises en considération pour évaluer les ressources des adultes et des parents traumatisés, la plupart réagissent favorablement et apprécient l’occasion de se remémorer ces moments heureux. En effet, la plupart des parents qui sont accaparés par la nécessité de satisfaire leurs besoins essentiels et ceux de leur famille et confrontés à un stress permanent ne prennent pas le temps de se remémorer les expériences positives de leur enfance, des moments qui pourraient pourtant servir de base pour créer des expériences positives pour leurs propres enfants.17

Implications pour les parents, les services et les politiques

En pratique, l’évaluation des expériences positives de l’enfance invite les individus à réfléchir aux richesses, aux ressources et aux points forts qui ont marqué leur enfance. Plutôt que de se centrer uniquement sur les expériences liées à l’adversité, les professionnels devraient donc également évaluer ces expériences positives, en s’appuyant par exemple sur des outils tels que les échelles BCE. Il faut moins de cinq minutes pour faire passer les tests associés à ces échelles. Ces dernières évaluent un ensemble d’expériences positives communes vécues pendant l’enfance, qui sont généralement indépendantes du niveau socio-économique des individus.13 Si les expériences d’adversité sont souvent inévitables pour la plupart des gens, la présence d’expériences positives durant l’enfance, telles que la présence d’adultes bienveillants et attentifs, un environnement stable et propice à l’épanouissement à la maison, à l’école et dans la communauté, et la possibilité de développer une image de soi positive, peuvent s’avérer être des facteurs prédictifs plus forts que l’adversité infantile pour ce qui est des résultats à long terme.10,18

À noter qu’un nombre disproportionné d’expériences d’adversité vécues durant l’enfance affecte les jeunes des communautés marginalisées, étant donné que la pauvreté, l’oppression et les traumatismes dans l’enfance se recoupent.19,20 Néanmoins, la mise en place de politiques sociales visant à aider les adultes et les parents à surmonter le stress traumatique lié à leurs propres expériences d’adversité durant l’enfance, tout en favorisant l’accès à des possibilités et à des services de qualité pour toutes les familles, quelles que soient leurs origines, contribuera indéniablement à multiplier les expériences positives vécues durant l’enfance et à encourager un développement sain chez tous les jeunes, et ce, même face à l’adversité. Il peut être intéressant de se concentrer sur les ressources disponibles pendant l’enfance et d’évaluer cet aspect en plus (ou à la place) des expériences d’adversité durant l’enfance, étant donné qu’il est tout aussi important. En définitive, il est essentiel de lever les obstacles à l’accès aux services de santé et de réduire les disparités en matière de santé. Il est tout aussi crucial de renforcer les expériences positives durant l’enfance qui sont moins fréquemment évoquées (p. ex., l’accès à une alimentation nutritive, une sécurité publique adéquate et un sentiment d’acceptation et d’appartenance au sein de la famille et de la communauté). Ces mesures favoriseront un développement positif et une résilience accrus pour tout le monde.

Références

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Pour citer cet article :

Narayan AJ, Mickel T. Résilience précoce et résultats multidimensionnels en matière de santé : Les expériences positives dans l’enfance dans un contexte d’adversité. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Masten AS, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/resilience/selon-experts/resilience-precoce-et-resultats-multidimensionnels-en-matiere-de-sante-les. Publié : Avril 2024. Consulté le 4 mai 2024.

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