Relations établies pendant la petite enfance et fondements de la résilience
Sabrina M. Richardson, Ph.D., Tuppett M. Yates, Ph.D.
University of California, Riverside, États-Unis
, Éd. rév.
Introduction
À titre d’expression de la compétence dans un contexte d’adversité, la résilience suscite beaucoup d’intérêt chez les chercheurs et les praticiens, à la fois pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle peut nous révéler au sujet du développement dans un environnement sécuritaire. En fait, il existe plus de similarités que de différences entre les processus qui favorisent une adaptation positive malgré l’adversité et les processus qui influencent le développement type.1 Aucune autre situation ne peut rendre cette réalité plus apparente que lorsqu’on observe le rôle central que jouent les relations en matière de risques et de ressources dans la compréhension de l’adaptation résiliente.
Que ce soit dans un contexte d’adversité ou sécuritaire, les relations qui sont établies pendant la petite enfance constituent la base sur laquelle repose l’adaptation cognitive, affective et neurobiologique.2,3 Alors que les vulnérabilités relationnelles engendrent la détresse et la mésadaptation, les ressources relationnelles encouragent la santé émotionnelle et la compétence.4,5 Dans le cadre de relations sécuritaires et réceptives avec les fournisseurs de soins (les parents principalement) et les autres, les jeunes enfants développent des capacités fondamentales de régulation et de relation qui leur permettent d’optimiser les occasions de se développer et de faire face aux défis développementaux. Lorsque l’environnement de soins en bas âge n’est pas optimal, d’autres relations au sein et en dehors de la famille peuvent permettre aux enfants d’atteindre une ré(organisation), frayant ainsi un chemin vers la résilience.
Sujet
Les efforts visant à établir les fondements relationnels de la résilience peuvent mettre en lumière des influences développementales modifiables pouvant être exploitées au profit du développement positif des jeunes. Les efforts de prévention et d’intervention peuvent viser à protéger, à restaurer ou à offrir des relations positives dans un environnement à risque. Lorsqu’elles sont mises en œuvre à grande échelle par le biais de services de préservation de la famille, de mentors communautaires, d’éducation des parents adoptifs ou d’accueil ou d’adoption et d’autres services de soutien systématiques,6,7 les ressources relationnelles peuvent renforcer la capacité des enfants à atteindre des étapes clés importantes selon l’âge prévu et la culture. Ainsi, comme elles constituent une importante porte d’accès à une adaptation autant positive que problématique, les relations sont au cœur de la recherche axée sur la résilience.
Questions clés et résultats récents de la recherche
Quelles relations sont importantes pour comprendre la résilience dans la petite enfance?
Dans le développement, les ressources relationnelles varient sur les plans de la forme et de la fonction. Les parents, les compagnons du même âge (p. ex., les frères et les sœurs, les pairs et les partenaires) ainsi que les adultes qui ne sont pas parents (p. ex., les enseignants et les mentors) ont une influence différente qui varie en fonction des périodes et des contextes du développement. Alors que les relations platoniques entre pairs sont importantes à l’école et au début de l’adolescence, par exemple, les relations romantiques deviennent de plus en plus influentes à la fin de l’adolescence et à l’âge adulte. Malgré ces variations, les fondements des relations et, jusqu’à un certain point, de la résilience reposent sur les expériences fondamentales de la petite enfance.
Dans le cadre d’une relation avec les fournisseurs de soins pendant la petite enfance, les enfants développent des capacités de base en matière de régulation et de relation. En plus des substrats de la réactivité et de la régulation du stress, les patrons d’échange la relation précoce avec les fournisseurs de soins éclairent les attentes naissantes de l’enfant à l’égard de lui-même et des autres.4 Au fil du temps, les relations avec les frères et les sœurs, les pairs et les autres adultes peuvent plus canaliser ou défier ces schémas relationnels en début de vie. En effet, des recherches de plus en plus nombreuses démontrent la capacité durable des relations saines de permettre des opportunités de changement. Ainsi, les enfants qui réussissent à s’adapter dans l’adversité (à savoir, la résilience) reflètent l’influence combinée d’expériences précoces et continues dans de multiples relations. Les tendances précoces en matière d’adaptation peuvent être amplifiées avec le temps ou réorientées grâce à des connexions avec des partenaires relationnels hors de la famille, notamment à l’école, avec les pairs et au sein de la communauté.
Nous croyons généralement que les relations avec les fournisseurs de soins pendant la petite enfance proviennent des échanges récurrents qui caractérisent les relations entre les fournisseurs de soins et les enfants en bas âge, mais des recherches récentes dirigent notre attention vers des périodes de développement encore plus précoces, les périodes prénatale et périnatale. Par exemple, évaluées pendant la grossesse, les représentations relationnelles qu’ont les mères de leurs propres expériences d’enfance permettent de prédire la qualité de la relation mère-enfant un an plus tard.8 Au-delà des expériences que les mères ont vécues pendant leur enfance, des études sur l’attachement prénatal9,10 démontrent que l’attachement des mères à leur enfant à naître pendant la grossesse permet de prédire la qualité de la relation mère-enfant après l’accouchement.
Certes, les représentations de soi et de l’enfant liées à l’attachement sont centrales dans le processus de développement de la mère comme de l’enfant. Toutefois, ces influences ne sont pas pour autant déterminantes. Un environnement changeant peut favoriser la résilience, même peu après la naissance. Par exemple, le stress prénatal est corrélé à une morphologie délétère du cerveau, comme un volume moindre de l’hippocampe, mais la sensibilité maternelle postnatale, le soutien social reçu et de bonnes conditions socioéconomiques peuvent contrebalancer ces effets.5 Dans la même veine, une revue des interventions faites pour soigner les problèmes de santé mentale postpartum chez les mères a permis de découvrir que différentes formes de psychoéducation et d’interactions entre le nourrisson et la mère, comme le fait de masser le nourrisson, les psychothérapies de groupe ou individuelles et les séances de rétroaction en visio, peuvent contribuer à améliorer la santé mentale de la mère comme de l’enfant, leur attachement et la relation résultante au sein de cette dyade.11 Ainsi, les racines relationnelles de la résilience remontant aux générations précédentes à travers les représentations d’attachement qui soutiennent et encadrent la négociation des problèmes et des défis développementaux contemporains et potentiels des enfants. Plus encore, même lorsque l’environnement prénatal confère une vulnérabilité, les interventions périnatales, et particulièrement celles encourageant une relation parent-enfant sûre, peuvent servir de pilier sur lequel bâtir la résilience à l’avenir.
De quelle façon les relations contribuent-elles à la résilience?
La recherche en matière de résilience a relevé plusieurs mécanismes selon lesquels des facteurs de protection et de vulnérabilité augmentent ou réduisent, respectivement, la probabilité de devenir compétent dans l’adversité.12 Premièrement, tel qu’il a été indiqué précédemment, des soins attentionnés pendant la petite enfance entraînent une organisation cognitive, comportementale et neurobiologique adaptative.4,8 Ainsi, les relations positives contribuent à développer une adaptation résiliente en encourageant le développement de ressources comme l’estime de soi, l’autoefficacité et les habiletés d’adaptation. Deuxièmement, les relations peuvent atténuer l’impact du risque, par exemple lorsqu’ un frère ou une sœur supervise attentivement un jeune frère ou une jeune sœur quand le parent ne peut le faire lui-même. Troisièmement, les processus relationnels peuvent contrecarrer la progression des réactions négatives en chaîne. Par exemple, la présence d’un autre fournisseur de soins peut atténuer les répercussions négatives sur un enfant causées par la perte d’un parent.13 Finalement, les relations peuvent créer de nouvelles vers des possibilités d’adaptation positive,14,15 comme c’est le cas quand un mentor permet à un jeune enfant de s’exprimer positivement et de s’intéresser à de nouveaux champs d’intérêt, comme l’art ou le sport.
De même que la pertinence de certains partenaires relationnels (p. ex., les parents par rapport aux pairs) varie au fil du temps, le contenu et la signification des qualités relationnelles peuvent différer selon le contexte. La recherche en matière de résilience souligne le besoin de considérer le développement selon le contexte et la culture. Les fournisseurs de soins sensibles et réceptifs entraînent un développement positif chez les jeunes, mais les aspects particuliers qui caractérisent les soins de grande qualité peuvent différer d’une culture à une autre.16 Quand les risques sont plus élevés, les facteurs relationnels liés à de mauvais résultats dans des contextes à faible risque peuvent entraîner un développement positif. Par exemple, des études ont révélé que certaines dimensions de l’éducation autoritaire (à savoir, une autorité parentale très sévère, peu d’affection), qui peuvent être nuisibles pour certains jeunes,17,18 peuvent être moins préjudiciables et peut-être même favorables pour les enfants vivant dans des environnements à risque ou au sein de certains groupes culturels.19,20,21 De même, bien que la parentification (p. ex., les fournisseurs de soins qui chargent les enfants de s’occuper de leurs parents) ait été autrefois considérée comme un phénomène néfaste au développement,22 les soins que les enfants prodiguent aux parents et aux membres de la famille peuvent conférer une plus grande confiance en soi et des réalisations plus importantes au sein de certains groupes. Mises ensemble, ces études démontrent que les effets sur le développement de certaines dynamiques relationnelles bien précises peuvent être influencés par la culture et les jugements de valeur des membres de la famille.23,24
Implications pour les politiques et la pratique
La qualité des relations avec les fournisseurs de soins pendant la petite enfance a des répercussions à long terme, mais pas définitives, sur le développement d’un enfant. Ainsi, les efforts visant à appuyer ces relations sont essentiels à la plupart des programmes de prévention et d’intervention pendant la petite enfance (p. ex., les programmes de visites à domicile6,7 et les thérapies enfant-parents25). Même dans un contexte d’adversité extrême, comme le placement à l’extérieur du domicile, il faut appuyer la relation entre le fournisseur de soins et l’enfant afin que l’intervention en début de vie et pendant la petite enfance soit efficace.13,26 À cette fin, plusieurs facteurs sont primordiaux pour appuyer les fondements relationnels de la résilience.
Premièrement, les efforts de prévention et d’intervention doivent se faire tôt, même avant la naissance. Il est nécessaire de travailler avec les parents en attente d’un enfant, biologiques ou autres, afin d’appuyer le développement positif, notamment pour les enfants à risque élevé en raison du propre héritage des parents en matière de perte ou de traumatisme ou de facteurs stressants contemporains, comme la pauvreté ou la guerre.27 En ce qui a trait au développement en début de vie, les services de soutien peuvent même s’adresser aux frères et aux sœurs, aux pairs et aux enseignants, et non uniquement à la relation avec le fournisseur de soins, comme ressources susceptibles de protéger et de fournir des processus relationnels positifs.28,29
Deuxièmement, le soutien relationnel ne doit pas être offert seulement pendant l’enfance pour assurer le développement positif des jeunes. Les relations en début de vie sont importantes, mais elles ne sont pas déterminantes. Tout comme les possibilités de corriger une mésadaptation demeurent dans le développement ultérieur, les comportements positifs en début de vie peuvent également être sabotés en raison d’une adversité subséquente. Les relations positives devraient être encouragées et protégées tout au long de la vie, particulièrement lorsqu’elles deviennent des contextes sur lesquels peuvent reposer les fondements relationnels de la résilience pour les prochaines générations.
Finalement, les politiques et les pratiques appliquées doivent tenir compte des contextes développementaux et culturels des individus. Les individus peuvent valoriser et interpréter des expériences, notamment des adversités présumées, de manière très différente comme une fonction de leur contexte développemental ou culture. Ainsi, les chercheurs et les praticiens devraient porter attention aux solutions uniques des individus devant les défis liés à l’adaptation et demeurer ouverts à la possibilité que des caractéristiques relationnelles spécifiques puissent prendre plusieurs significations dans différents contextes. En effet, même une relation vraisemblablement négative ou déviante (p. ex., une association criminelle dans un gang) peut conférer une certaine protection relationnelle pour les jeunes vulnérables en leur procurant un sentiment de sécurité et de connexion. Ce n’est qu’en étudiant les individus dans leur contexte que nous pourrons commencer à comprendre la complexité de la résilience comme une construction développementale au fil du temps et dans un contexte d’expériences déjà vécues.
Conclusions
La résilience constitue un processus relationnel qui reflète des qualités organisationnelles parmi des systèmes et des personnes. Elle ne représente pas un trait de personnalité ou un héritage génétique et ce n’est pas quelque chose que l’on a ou que l’on n’a pas; c’est une capacité qui s’exprime de manière différente en fonction des ressources relationnelles disponibles. La résilience dans la petite enfance et au-delà reflète des processus d’adaptation dynamiques que les relations proches peuvent entraîner ou compromettre jusqu’à un certain point. Les efforts déployés qui tiennent compte adéquatement des facteurs développementaux, culturels et contextuels peuvent considérablement mobiliser le pouvoir des relations afin d’appuyer le développement positif de tous les enfants.
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Pour citer cet article :
Richardson SM, Yates TM. Relations établies pendant la petite enfance et fondements de la résilience. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Masten AS, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/resilience/selon-experts/relations-etablies-pendant-la-petite-enfance-et-fondements-de-la-resilience. Actualisé : Avril 2024. Consulté le 8 octobre 2024.
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