[Archivé] La résilience chez les jeunes enfants et son impact sur leur développement psychosocial
Suniya S. Luthar, Ph.D.
Columbia University, États-Unis
, 2e éd.
Introduction
La résilience est un processus ou un phénomène qui reflète une adaptation relativement positive malgré des expériences de risques significatifs ou de traumatisme. La résilience implique des jugements sur la vie des personnes. Elle n’est jamais mesurée directement, mais plutôt insinuée, d’après la connaissance de deux conditions a) une personne va raisonnablement bien; et b) c’est le cas malgré une adversité significative.1-4
Il faut souligner que la résilience n’est pas une caractéristique propre à l’individu. Les enfants peuvent réussir malgré le risque grâce à divers atouts – dont plusieurs sont extérieurs à leur personnalité – comme le soutien des parents, des grands-parents, ou des communautés qui fonctionnent bien et qui ont des liens étroits. En fait, il serait prudent d’éviter d’utiliser le terme résilient comme adjectif (comme dans « enfants résilients »), puisque cela suggère implicitement une capacité innée à esquiver le risque. Il serait préférable d’utiliser des termes comme « adaptation résiliente » ou « modèle résilient » qui ne comportent pas de suggestion sur les personnes ou sur ce qui est responsable de la compétence de l'enfant.
La résilience n’est pas un phénomène tout ou rien, et n’est pas non plus fixe dans le temps.2,5 Les enfants peuvent manifester des forces importantes dans certains domaines (comme les capacités nécessaires à l’entrée à l’école) et en même temps éprouver des difficultés dans d’autres domaines (comme dans leur interaction avec les autres). De même, les individus à risque peuvent exceller à un moment donné, mais confrontés à une adversité continuelle – ou sans soutien pour y faire face – ils peuvent chanceler et manifester une détérioration considérable.
Sujet
La recherche sur la résilience est très pertinente pour ceux qui cherchent à favoriser l’excellence en matière de développement de l'enfant parce que a) dans le monde actuel, plusieurs enfants font face à des conditions à risque; et b) une proportion importante d’entre eux connaissent un bon développement socioaffectif. Il est donc pertinent pour les prestataires de services et les décideurs politiques de comprendre les antécédents de ces trajectoires qui sont « meilleures que ce à quoi on s’attendait ». Quand on travaille avec les groupes à risque, il vaut beaucoup mieux promouvoir le développement du fonctionnement résilient au début de la trajectoire développementale plutôt que de mettre en place des traitements visant à réparer les troubles qui se sont déjà cristallisés. La connaissance des processus résilients dans des circonstances spécifiques à risque peut être cruciale pour connaître les problèmes spécifiques qui nécessitent une attention urgente dans le contexte de certains types particuliers d’adversité.6,7
Questions clés pour la recherche
Les chercheurs en résilience ont examiné divers contextes de risques allant de la pauvreté familiale et de la violence communautaire à la maladie mentale des parents et à la maltraitance envers les enfants.5 Généralement, le contexte de la recherche suppose que l’on identifie un groupe d’enfants confrontés à un risque particulier, ceux ayant un développement relativement positif, et que l’on détermine les types de facteurs qui distinguent ces jeunes de ceux ayant un moins bon développement. La question clé pour la recherche est donc « Pourquoi certains enfants placés dans des conditions à risque s’en sortent plutôt bien alors que d’autres s’en sortent beaucoup moins bien? »
« S’en sortir plutôt bien » signifie généralement à quel point les enfants sont capables de faire ce à quoi la société s’attend normalement de leur part à cette étape de leur développement. Par exemple, pour les jeunes enfants, ceci comprend les comportements reflétant un solide attachement à la mère, et pour les enfants de cinq ans, la capacité à bien interagir avec les enfants de leur âge et avec les adultes en maternelle. Encore une fois, avec les jeunes enfants, il est souvent plus approprié de se centrer non seulement sur leur fonctionnement, mais aussi, sinon plus, sur les capacités familiales et sur les moyens à favoriser pour maintenir leur bien-être. Le jeune enfant a évidemment une capacité limitée à se servir de ses forces intérieures pour faire face à l’adversité; ce qui est crucial, c’est la capacité du parent à le protéger contre les pressions environnementales majeures, de le consoler et de lui fournir le soutien essentiel au développement d’habiletés lui permettant de faire face à long terme de façon efficace.
Résultats clés de la recherche
Il existe plusieurs trajectoires de l’adaptation résiliente, mais le thème central transcendant plusieurs conditions de risques est la présence d’une relation solide et aidante avec au moins un adulte.5 Pour les enfants d’un parent ayant des problèmes de santé mentale, une relation intime avec l’autre parent – ou avec un grand-parent ou un autre membre de la famille – peut être extrêmement bénéfique. Les relations chaleureuses, aidantes et consistantes à l’extérieur de la famille peuvent aussi aider, comme celles avec les éducateurs dans les environnements de garde ou les enseignants à l’école. Bien entendu, les effets salutaires de toute relation dépendent du degré de continuité et de cohérence qui est maintenu.
Les propres forces des enfants contribuent évidemment aussi à l’adaptation résiliente. Les trajectoires positives sont plus courantes chez les jeunes à risque qui sont très intelligents, qui ont un tempérament facile, un charisme personnel et des habiletés sociales.8 Ce qui est important à retenir cependant, c’est que plusieurs de ces « forces personnelles » sont elles-mêmes sensibles aux assauts de l’environnement. Prenons par exemple l’intelligence : les enfants qui grandissent dans des conditions interpersonnelles de dépouillement et de négligence – comme c’est le cas dans les orphelinats roumains – manifestent des déficiences importantes en matière de développement intellectuel; et ces déficiences diminuent substantiellement après avoir vécu un certain temps dans des foyers adoptifs bienveillants.9
De plus en plus, les chercheurs s’intéressent au rôle critique de la biologie en matière de résilience et de vulnérabilité. Certains enfants montrent une plus grande réactivité physiologique aux stresseurs que d’autres, ce qui se manifeste par exemple par leur niveau d’hormone de stress, le cortisol.10 Les scientifiques ont documenté le rôle critique de la régulation de l’émotion – la capacité à moduler les émotions en réponse aux situations stressantes – grâce à des indices comme le rythme cardiaque.11 Dans le même ordre d’idées, il existe de nombreuses preuves sur les contributions des facteurs génétiques. Par exemple, parmi les enfants qui avaient subi de la maltraitance, la probabilité d’être sujets à la dépression plus tard dans la vie était plus faible dans le cas d’un génotype permettant le transport efficace de la sérotonine.12
Implications
Quelles sont les implications de ces découvertes sur les interventions et les politiques? En tout premier lieu, il doit y avoir des efforts concertés visant à favoriser les soins optimaux chez les parents de jeunes enfants, afin d’intervenir le plus tôt possible et de continuer le plus longtemps possible. À cet égard, les travaux de Olds et coll. sont exemplaires : les infirmières font des visites au domicile des mères enceintes à risque et leur fournissent du soutien pendant leur grossesse ainsi que pendant les premières années de la vie de leurs enfants.13 Pour ceux qui fréquentent les services de garde, la chaleur et la constance des éducateurs sont essentiels, tout comme le soutien prodigué aux mères de ces enfants.14
Pour les enfants ayant des vulnérabilités biologiques, comme une réactivité très élevée au stress ou une intelligence inférieure à la moyenne, le soutien des parents est encore plus important. Il est évidemment difficile de modifier le tempérament d’un enfant. Ce que l’on peut faire, c’est s’assurer que les mères ont assez de ressources pour continuer à être chaleureuses et constantes dans l’horaire quotidien, ce dont les enfants au tempérament plus difficile ont besoin.
Les ressources nécessaires pour prendre efficacement soin des enfants ne sont pas uniquement financières – l’argent est indispensable pour fournir la nourriture, le logement, l’éducation et les soins de santé – mais aussi psychologiques. La dépression ou l’anxiété chroniques handicapent sérieusement les habiletés des mères à prendre soin de leur progéniture, peu importe leurs ressources matérielles, et nous savons que les enfants de mères dépressives sont à risque élevé d’un développement négatif. Si notre but ultime est de maximiser le bien-être des jeunes enfants, nous devons accorder une grande priorité aux besoins des mères en terme de parentage et de santé mentale.
À part le renforcement des relations familiales, il est aussi important de renforcer les réseaux dans les communautés; ceci peut aider à maintenir les gains provenant des interventions externes. Par exemple dans les communautés à faibles revenus, une fois que les parents cessent de recevoir du soutien de la part des organismes de services externes, le soutien dans la communauté peut être essentiel pour favoriser la continuité du bien-être.6
Parfois, les processus de risques particuliers peuvent être relativement spécifiques – et néanmoins puissants – à des environnements individuels, et il faut accorder une attention concertée aux risques « particuliers au contexte », par exemple, à l’exposition à la violence communautaire à l’intérieur des villes, et aux expériences de discrimination chez les jeunes appartenant à des minorités ethniques. En plus d’assurer de solides relations avec au moins un donneur de soins, les interventions doivent aussi prendre en compte ces risques uniques.
En conclusion, la résilience est un phénomène qui représente une adaptation positive malgré les risques. Il ne s’agit pas d’une caractéristique propre à l'enfant, et la résilience n’est pas « fixée » à tout jamais; si les enfants veulent réussir et maintenir une adaptation résiliente, ils doivent être soutenus par des adultes dans leur environnement. Ceci suppose de s’assurer que leur premier et principal donneur de soins, généralement la mère, dispose des ressources adéquates pour fournir des soins optimaux, et il ne s’agit pas seulement de ressources financières, mais aussi psychologiques. Du point de vue de l’intervention, le principe central qui ressort de la recherche est que la résilience repose principalement sur des relations solides. La façon la plus rapide de favoriser l’adaptation résiliente est donc de s’assurer que les enfants reçoivent toujours des soins et du support de façon cohérente de la part de ceux qui sont principalement responsables d’eux.
Références
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Pour citer cet article :
Luthar SS. [Archivé] La résilience chez les jeunes enfants et son impact sur leur développement psychosocial. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Masten AS, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/resilience/selon-experts/la-resilience-chez-les-jeunes-enfants-et-son-impact-sur-leur-developpement. Actualisé : Octobre 2013. Consulté le 14 octobre 2024.
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