Jouer et apprendre


Department of Education, Communication and Learning, University of Gothenburg, Suède
, Éd. rév.

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Introduction

Cet article traite des notions de jeu et d’apprentissage antérieures et actuelles propres à l’éducation de la petite enfance (ÉPE).

Début de l’ÉPE

L’éducation de la petite enfance provient de deux sources : la tradition de l’école maternelle de Froebel1 en Allemagne et les classes préparatoires de Grande-Bretagne.2 L’apprentissage au préscolaire a toujours été considéré comme différent de l’apprentissage au primaire. Le jeu a joué un rôle important dans les deux cas, mais de manière différente.3

La maternelle est axée sur le développement général de l’enfant plutôt que sur l’enseignement de sujets précis, de façon à ce que les enfants développent d’abord leurs aptitudes sociales, émotionnelles, motrices et cognitives afin d’acquérir plus tard des connaissances au primaire. De plus, du matériel d’apprentissage portant sur les intérêts des jeunes enfants a été mis sur pied afin qu’ils apprennent tôt les mathématiques.4

Ensuite, selon la tradition de la maternelle, les enfants devraient être actifs quand ils commencent à apprendre. L’enseignant devrait organiser des activités qui aideront les enfants à développer diverses aptitudes et attitudes qui, en retour, permettront d’acquérir des connaissances. Par exemple, les activités axées sur le thème du mouton pourraient permettre aux enfants d’apprendre des chansons et d’écouter des histoires sur cet animal, de le dessiner et d’apprendre comment la laine du mouton est transformée en tissus afin de fabriquer des vêtements.5 Avec ce type d’apprentissage, l’enseignant planifie ou organise des activités pour les enfants afin qu’ils apprennent par l’action.6 Froebel a introduit le jeu comme moyen d’apprentissage.1 Il a utilisé les notions de jeu, d’apprentissage et de travail comme trois aspects des expériences que vivent les enfants à la maternelle. Le jeu a été étroitement lié à la résolution de problèmes mathématiques en gérant plusieurs matériaux et diverses tâches. Toutefois, les enfants pouvaient également jouer avec d’autres matériaux et organiser des jeux de rôle.

Selon la tradition britannique des classes préparatoires,7 la méthode pédagogique différait légèrement : les matières scolaires traditionnelles étaient enseignées aux enfants, mais pendant de plus courtes périodes, et le jeu devenait un moyen de relaxation entre les séances d’apprentissage. Mais ici aussi le jeu était important. Étant donné que les enfants n’étaient prétendument capables de se concentrer que pendant de courtes périodes, le jeu permettait de récupérer avant une nouvelle séance.8

Jeu et apprentissage propres à l’ÉPE

Selon les traditions de la maternelle et des classes préparatoires, le jeu a occupé et continue d’occuper une place importante dans l’éducation des jeunes enfants. Actuellement, le jeu est jugé important dans la plupart des programmes pédagogiques et des programmes d’ÉPE.9,10,11,12 Toutefois, bien que plusieurs livres traitent du jeu et de l’apprentissage à l’école,13,14 la recherche porte rarement sur la manière dont le jeu et l’apprentissage sont interreliés ou sur le rôle qu’a le jeu dans le système d’ÉPE.15 En pratique, il semble normal que le jeu fasse partie de la vie des enfants et qu’il soit essentiel à leur éducation. De plus, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant16 stipule que tous les enfants ont le droit de jouer. D’une part, nous pouvons facilement comprendre pourquoi le jeu est si important dans la vie des jeunes enfants. D’autre part, les enfants n’ont pas tous l’occasion de jouer, dans leur quartier ou dans le cadre de l’ÉPE,17 même si nous pouvons faire valoir que tous les humains aiment jouer, comme le suggère Huizinga.18

Nous pouvons prétendre qu’en général, l’ÉPE comprend des activités structurées, pour apprendre ou pour s’amuser, mais qu’elle offre moins d’activités structurées, souvent appelées « jeux libres ». Ces derniers sont souvent considérés comme le contraire des activités que les enseignants organisent. Dans le cadre des jeux libres, les enfants dirigent leur activité et font preuve d’imagination, et aucune compétence ou connaissance précise n’est censée être acquise. Montessori19 parle même d’empêcher les jeunes enfants de lire des histoires (jouer avec la réalité) avant qu’ils soient conscients de la réalité. Selon une comparaison internationale de l’ÉPE réalisée dans sept pays, il ne fait aucun doute que le jeu fait partie intégrante de la vie des jeunes enfants.20 De plus, dans certains pays, il n’était même pas question de parler des jeunes enfants en termes d’apprentissage, mais plutôt du fait que les enfants apprennent en jouant. Les participants de la plupart des pays ont exprimé leur intention de trouver une méthode plus actuelle d’aborder l’éducation de la petite enfance et le jeu était toujours considéré comme un aspect essentiel de cette méthode.

Certains croient également qu’en matière d’ÉPE, le jeu est toujours positif. En fait, ce n’est pas toujours le cas.21 Le romantisme qui plane autour du jeu chez les jeunes enfants repose sur l’idée que ces derniers apprennent en jouant. Toutefois, dans le contexte de l’ÉPE, il existe des compétences et des connaissances spécifiques que les enfants doivent être aidés à développer selon les programmes, et par conséquent, les activités doivent, dans une certaine mesure, être orientées vers un objectif.22

L’enfant qui apprend en jouant

Dans le cadre d’une méta-analyse d’une recherche axée sur les praxies, Pramling Samuelsson et Asplund Carlsson23 ont élaboré le concept de l’enfant qui apprend en jouant, où l’enfant ne fait pas de distinction entre le jeu et l’apprentissage, mais s’identifie plutôt à son environnement en s’amusant. Il crée des idées, il imagine et parle de la réalité, et ce, simultanément. Par exemple, quand un enseignant demande à un enfant de dessiner un arbre qu’ils ont étudié au cours d’une excursion en forêt, l’enfant peut provoquer l’enseignant en ajoutant Winnie l’ourson au dessin de l’arbre.3 Les approches d’ÉPE diffèrent selon la réaction de chaque enseignant relativement à ces recommandations : soit ils les intègrent à leurs cours, soit ils les appliquent séparément (par exemple, dessiner d’abord l’arbre de la forêt – et ensuite l’enfant pourra jouer avec la réalité!).

En matière d’ÉPE, les enfants, surtout les jeunes enfants, n’ont pas encore appris à différencier l’apprentissage du jeu, mais ils osent être créatifs si l’enseignant leur permet de communiquer,24 ce qui signifie également que l’enseignant doit tenir compte de la méthode que l’enfant adopte pour élaborer une méthode préscolaire propre à l’enfant qui apprend en jouant.

Apprendre en jouant à l’ÉPE

Que signifie l’expression l’« enfant qui apprend en jouant » dans le contexte de l’ÉPE au quotidien? De quoi un enseignant a-t-il besoin pour tenir compte de cette notion théorique propre aux enfants à titre d’individus qui apprennent en jouant dans le contexte de l’ÉPE? Les enseignants doivent adopter des méthodes théoriques spécifiques, soit des théories axées sur la communication et les interactions. De plus, les enseignants doivent considérer les croyances des enfants, à savoir, de quelle manière ils perçoivent leur environnement.

Les pratiques actuelles en matière d’ÉPE reposent généralement sur trois programmes d’ÉPE : la pédagogie sociale « traditionnelle » de Froebel, la pédagogie « scolaire » axée sur les matières scolaires et les aptitudes, et la « pédagogie développementale », novatrice, où le jeu et l’apprentissage sont intégrés grâce à une pédagogie d’investigation. Sylva et coll.25 ont découvert que les différences en matière de pédagogie (propres au programme pédagogique) ont donné lieu à des résultats développementaux très différents chez les enfants. Par conséquent, le programme pédagogique et la pédagogie influent sur le développement des enfants et ils contribuent à la réussite et au bien-être de la société.

Le concept de la didactique (en particulier d’un point de vue européen) est essentiel dans certains pays, notamment dans les établissements préscolaires nordiques. Selon l’idée allemande et européenne d’« élaboration » (Buildung), le programme pédagogique et la pédagogie ne font qu’un. La didactique est axée sur les moyens que l’enseignant utilise pour « faire remarquer quelque chose aux enfants », c’est-à-dire diriger l’attention des enfants vers des domaines particuliers de connaissances, d’aptitudes ou d’attitudes qui amélioreront leur développement. La didactique représente le carrefour entre l’objet d’apprentissage (soutien que les enfants devraient obtenir pour donner du sens) et l’apprentissage en soi (de quelle manière les enfants jouent et apprennent). Le questionnement partagé sur le sens de la vie dépend de la capacité de l’enseignant à s’identifier à l’enfant dans une situation d’apprentissage. Cette méthode didactique est axée sur le questionnement à l’égard du sens de la vie des enfants.22 Elle repose sur le fait que la « variation fait partie intégrante de l’apprentissage » et définit la situation d’apprentissage, les échanges sociaux et la coordination du point de vue de l’enfant et de l’enseignant, ce qui veut dire que chaque enfant pourra s’impliquer dans ses expériences et utiliser le jeu et l’imagination pour tenter de comprendre son environnement. Par le biais de la didactique communicatrice, les enfants peuvent utiliser un langage axé sur le contexte et ensuite employer un langage plus diversifié et acquérir des connaissances plus approfondies sur ce que signifie connaître quelque chose en profondeur et finalement être également conscients des modèles de connaissances.26

Évolution récente

La pratique éducative PlayWorld27 (univers de jeu), développée en Australie, ainsi que la théorie de l’éducation et de l’accueil des jeunes enfants par le jeu (PRECEC),28 développée en Suède, représentent de récentes avancées théoriques dans le domaine de la pédagogie par le jeu. La pratique éducative PlayWorld consiste en une mise en situation thématique proposée aux enfants par le biais d’une histoire fictive et dramatisée, mise en scène au moyen de costumes et de décors. Les enfants et les enseignants interagissent à tour de rôle dans ce monde imaginaire où ils sont confrontés à des problématiques du monde réel faisant appel en particulier à des connaissances STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques). La théorie PRECEC, quant à elle, cherche à démontrer que l’enseignement, soit le soutien à l’apprentissage, peut être subséquent au jeu dans l’ÉPE. On entend par « subséquent » le fait que les actions de l’enfant aient des conséquences sur l’évolution des activités, dont, notamment, la construction de relations concrètes entre le monde réel et le monde imaginaire, et l’alternance entre ces deux mondes. Cette relation de cause-effet est essentielle afin de soutenir l’apprentissage et le développement de l’enfant dans le cadre du jeu, par le jeu, ainsi que son aptitude à jouer. 

Lacunes de la recherche, conclusion et implications pour les politiques

Selon la tradition, les chercheurs étudient le jeu ou l’apprentissage, alors qu’il manque d’études sur la façon dont le jeu et l’apprentissage s’articulent en une pratique liée à des objectifs,29 mais également sur ce que cela signifie pour un enfant qui participe à un programme d’ÉPE où l’environnement des enfants est estimé et mis en valeur. Les pays pourraient comparer leurs programmes à d’autres programmes pédagogiques et évaluer de quelle manière le jeu et l’apprentissage sont discutés, planifiés et soutenus pour tenter une nouvelle méthode qui pourrait reposer sur une approche communicatrice plus ludique et axée sur l’enfant pendant la petite enfance. Puisque nous savons maintenant que la petite enfance est déterminante quant à l’apprentissage futur des enfants et au développement de la société,30 tous les pays devraient revoir leur programme pédagogique et leurs méthodes en matière d’ÉPE en mettant l’accent sur le jeu.

Références

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  2. Whitbread N. The evolution of the nursery-infant school: A history of infant and nursery education in Britain, 1800-1970. London: Routledge and K. Paul; 1972.

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  29. Wallerstedt C, Pramling N. Learning to play in a goal-directed practice. Early Years. 2012;32(1):5-15. doi:10.1080/09575146.2011.593028

  30. Pramling Samuelsson I, Wagner J. Open appeal to local, national, regional and global leaders. Secure the World’s Future: Prioritize Early Childhood Development, Education, and Care. International Journal of Early Childhood. 2012;44(3):341-346.

Pour citer cet article :

Pramling Samuelsson I, Pramling N. Jouer et apprendre. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Smith PK, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/jeu/selon-experts/jouer-et-apprendre. Actualisé : Juillet 2023. Consulté le 20 avril 2024.

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