Le jeu risqué et la santé mentale


University of Exeter Medical School, University of Exeter, Royaume-Uni

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Introduction 

La santé mentale des enfants et des jeunes suscite de plus en plus d’inquiétudes. Les parents et les personnes qui enseignent aux enfants et s’occupent de ceux-ci reconnaissent de plus en plus qu’une proportion importante d’entre eux éprouve des difficultés, notamment des niveaux élevés d’anxiété, un manque d’entrain et des comportements difficiles. Or, les bases d’une bonne santé mentale sont posées dès la petite enfance. Il est donc important d’examiner les facteurs qui, au cours de cette période, peuvent contribuer à poser des bases favorables à une bonne santé mentale. Il est déjà établi que les expériences ludiques riches et diversifiées sont importantes et favorisent le développement sain de l’enfant. En outre, l’on reconnaît de plus en plus que le jeu risqué, en particulier, peut jouer un rôle dans la prévention des problèmes de santé mentale.

Sujet

Dans de nombreux pays, le jeu risqué fait partie du programme scolaire de la petite enfance1,2, mais il peut s’avérer difficile pour les professionnels et les parents d’encourager le jeu risqué. Si l’on veut inciter le jeu risqué, il faut trouver un équilibre entre la prévention des blessures graves et la possibilité pour les enfants d’explorer et d’apprendre.3 Le fait d’encourager le jeu risqué chez les enfants peut être anxiogène pour les adultes en raison de crainte de blessures, de politiques contradictoires, d’un manque de compréhension des avantages potentiels que représente le jeu risqué et de l’absence d’environnements et d’équipement appropriés.3,4

Problèmes

Un nombre considérable d’enfants et de jeunes rencontrent des difficultés liées à leur santé mentale. Avant la pandémie de COVID-19, on estimait que, peu importe le point temporel, environ une personne sur huit vivant dans les pays à revenus élevés présentait un problème de santé mentale.5 La pandémie a entraîné des conséquences négatives sur la santé mentale et l’on estime aujourd'hui que cette proportion est maintenant une personne sur cinq.6,7

Les sociétés occidentales sont devenues de plus en plus réfractaires au risque, ce qui a eu pour effet de réduire les occasions pour les enfants d’être indépendants (par exemple, de marcher seul dans son quartier) et de prendre des risques dans le cadre de leurs jeux.8

Contexte de la recherche

Il a été avancé que la diminution des possibilités de jeux risqués entraînait des répercussions sur la santé mentale des enfants et des jeunes. Il est laborieux d’évaluer cette proposition de façon rigoureuse, car il est difficile de mesurer le jeu risqué; la mesure dans laquelle une activité ludique est risquée varie d’un enfant à l’autre. En outre, l’influence des jeux risqués sur la santé mentale ne peut être observée que sur une longue période ou dans des circonstances particulières. Néanmoins, certaines recherches initiales confirment l’existence d’un lien entre le jeu risqué et la santé mentale des enfants.

Questions clés de la recherche

Dans quelle mesure la diminution des jeux risqués est-elle liée à l’augmentation des problèmes de santé mentale chez les enfants?
L’augmentation des possibilités de jeux risqués pour les enfants diminue-t-elle le risque de problèmes de santé mentale?

Résultats récents de la recherche

Un certain nombre de chercheurs ont proposé que le jeu risqué puisse contribuer à prévenir les problèmes de santé mentale. Par exemple, Sanseter et Kennair ont expliqué les façons dont le jeu risqué permet aux enfants de surmonter des phobies telles que la peur des hauteurs.9 Plus récemment, Dodd et Lester se sont appuyé sur une compréhension des processus cognitifs et comportementaux liés l’anxiété pour expliquer comment le jeu risqué peut contribuer à prévenir le développement de l’anxiété.10 Plus précisément, ils affirment que le jeu risqué favorise l’apprentissage de l’incertitude, de l’excitation physiologique et de l’adaptation efficace chez les enfants. Peter Gray a également beaucoup écrit sur les liens entre les taux croissants de problèmes de santé mentale et le déclin du jeu chez les enfants.11

Malgré l’intérêt théorique, les recherches évaluant les liens entre le jeu risqué et la santé mentale sont relativement rares, en particulier chez les jeunes enfants. Une étude portant sur des enfants d’âge préscolaire au Royaume-Uni fait exception à la règle. Elle a révélé que les enfants âgés de 2 à 4 ans qui passent plus de temps à participer à des jeux risqués ont des niveaux inférieurs de problèmes d’internalisation tels que l’anxiété et la dépression, et une humeur positive plus élevée.12 Ces constatations reflètent les résultats de recherches menées auprès d’enfants d’âge scolaire. Dans le cas des enfants plus âgés, toutefois, aucun lien avec les problèmes d’externalisation n’a été démontré.13 De plus, ces études ont eu recours à des échantillons nationaux de grande taille, mais s’appuient sur des questionnaires remplis par les parents. En complément de cette approche, une étude menée par Imai et ses collègues s’est appuyée sur l’observation des jeux risqués chez des enfants d’âge préscolaire dans les écoles maternelles japonaises.14 Ils ont constaté que les comportements de jeu risqué observés étaient associés à un bon comportement prosocial, après une prise en considération d’autres traits des enfants.14

Le jeu turbulent et désorganisé est un type particulier de jeu risqué qui a été étudié un peu plus en détail, bien que souvent dans le contexte relativement étroit du jeu père-enfant. Les résultats sont mitigés en ce qui concerne les liens entre ce type de jeux et la santé mentale. Par exemple, certaines recherches ont montré qu’un jeu plus turbulent est associé à une meilleure expressivité émotionnelle et à une meilleure régulation des émotions un an plus tard chez les enfants d’âge préscolaire.15 En revanche, d’autres études ont montré que le jeu turbulent et désorganisé était lié à une plus grande agressivité physique et à une perturbation des émotions chez les enfants de 4 à 6 ans.16 Les raisons de ces incohérences ne sont pas encore claires, mais il est possible que les répercussions du jeu turbulent et désorganisé varient en fonction d’autres difficultés développementales et relationnelles de l’enfant.

Si tous les jeux menés à l’extérieur ne sont pas des jeux risqués, les environnements extérieurs favorisent ce type de jeu. Il est donc pertinent de constater qu’il est de plus en plus évident que le fait de passer plus de temps à jouer à l’extérieur est associé à une meilleure santé mentale. Par exemple, Piccininni et ses collègues ont constaté que les jeux à l’extérieur étaient associés à moins de symptômes psychosomatiques chez les adolescentes.17 En outre, Flouri et ses collègues ont démontré des associations entre la fréquentation des parcs et des aires de jeux et les symptômes d’internalisation et d’externalisation.18

Lacunes de la recherche

Les recherches sur les liens entre le jeu risqué et la santé mentale sont loin d’être terminées. Des recherches longitudinales mesurant le jeu risqué et les symptômes de santé mentale au fil du temps permettraient de démêler les causes et les effets. La meilleure façon d’évaluer si le jeu risqué peut contribuer à réduire le risque de problèmes de santé mentale serait d’augmenter les possibilités de ce type de jeu dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé (ECR) et d’évaluer ses répercussions sur la santé mentale. Des travaux sont en cours en vue d’adopter cette approche dans les écoles.19 

La grande majorité de la théorie et de la recherche sur le jeu risqué provient de contextes occidentaux et se concentre sur les enfants qui grandissent dans des environnements relativement sécuritaires. Les jeux à risque peuvent avoir des effets différents et se présenter différemment selon le contexte. Lorsque les enfants vivent dans un environnement à haut risque, le jeu risqué peut ne pas avoir les mêmes retombées, voire causer du tort.20 Il est donc essentiel de mener des recherches dans différents contextes.  

Conclusions

Il existe de bonnes raisons théoriques de penser que les possibilités de jeux risqués au cours de la petite enfance peuvent contribuer au développement d’une bonne santé mentale, en particulier en ce qui concerne l’anxiété. De nouvelles recherches viennent étayer ce lien : les jeux plus risqués sont liés à une diminution des symptômes d’anxiété et de dépression chez les enfants d’âge préscolaire et scolaire. Néanmoins, la recherche présente encore d’importantes lacunes. Il sera important pour les recherches futures d’utiliser des méthodes longitudinales et des modèles expérimentaux afin de mieux comprendre les causes et les effets du jeu risqué. Il est également essentiel de prendre en compte, lors de travaux futurs, un éventail plus large de cultures et de contextes dans lesquels les enfants grandissent. Une expansion importante de la recherche en dehors des pays occidentaux et des contextes relativement sûrs est donc nécessaire. Il existe de plus en plus d’éléments probants sur la façon de créer des environnements qui favorisent le jeu à risque dans les structures de la petite enfance et dans les espaces communautaires. Une prochaine étape importante consisterait donc à évaluer les effets de la mise en pratique de ces orientations sur la santé mentale des enfants.

Implications pour les parents, les services et les politiques

Il peut être difficile pour les parents et les professionnels de la petite enfance de laisser les enfants prendre des risques lors de leurs jeux. Les parents et les professionnels nous disent qu’ils s’inquiètent de voir un enfant se blesser. Dans la mesure du possible, il faut résister à la tentation d’intervenir, d’aider un enfant ou de lui demander d’arrêter immédiatement ce qu’il fait si l’on pense qu’il est capable de se sortir d’une situation par lui-même. Chaque fois que l’on intervient pour aider un enfant qui pourrait résoudre lui-même un problème, on le prive d’une occasion d’apprentissage.

Les services peuvent bénéficier de l’adoption d’une analyse avantages-risques, plutôt que des évaluations de risques traditionnelles, qui se concentrent sur la réduction de tous les risques au minimum. L’analyse avantages-risques permet aux professionnels de considérer les avantages et les risques que présente une activité pour les enfants, et d’adopter une approche équilibrée.21 Lorsque les avantages sont évalués comme étant supérieurs au risque, l’activité peut être poursuivie, même si elle suppose un certain risque. Par exemple, dans une situation où un enfant manipule un marteau et un clou, il y a des risques que l’enfant se blesse avec ces objets. Toutefois, le fait de le laisser les manipuler contribue à développer sa coordination main-œil et sa concentration, et lui donne l’occasion d’exercer une influence sur son environnement.

Il est utile de disposer de politiques claires concernant l’utilisation de l’analyse avantages-risques et de documentation sur la manière de réaliser ce type d’évaluation dans le contexte de la petite enfance, car ces outils donnent aux professionnels une idée claire des attentes en la matière. Une politique à l’échelle gouvernementale concernant les attentes en matière de création d’occasions de jeu risqué suffisantes, tout en prévenant les blessures graves, serait utile en vue d’appuyer les établissements lors de l’élaboration de politiques correspondantes. 

Références:    

  1. GOV.UK. Early years foundation stage. https://www.gov.uk/early-years-foundation-stage. Accessed August 9, 2024
  2. Makovichuk L, Hewes J, Lirette P, Thomas N. Play, participation, and possibilities: an early learning and child care curriculum framework for Alberta; 2014. https://education.alberta.ca/media/482257/play-participation-and-possibilities-reduced.pdf. Accessed August 9, 2024.
  3. Harper NJ, Obee P. Articulating outdoor risky play in early childhood education: voices of forest and nature school practitioners. Journal of Adventure Education and Outdoor Learning. 2021;21(2):184-194. doi:10.3390/children8080681
  4. Nesbit RJ, Bagnall CL, Harvey K, & Dodd HF. Perceived barriers and facilitators of adventurous play in schools: A qualitative systematic review. Children. 2021;8(8):681. doi:10.3390/children8080681
  5. Barican JL, Yung D, Schwartz C, Zheng Y, Georgiades K, Waddell C. Prevalence of childhood mental disorders in high-income countries: a systematic review and meta-analysis to inform policymaking. BMJ Ment Health. 2022;25(1):36-44. doi:10.1136/ebmental-2021-300277
  6. NHS ENGLAND. One in five children and young people had a probable mental disorder in 2023. https://www.england.nhs.uk/2023/11/one-in-five-children-and-young-people-had-a-probable-mental-disorder-in-2023/ Published November 21, 2023. Accessed August 9, 2024.
  7. Canadian Paediatric Society. Child and Youth Mental Health. https://cps.ca/en/child-and-youth-mental-health. Updated June 5, 2024. Accessed August 9, 2024.
  8. Dodd HF, FitzGibbon L, Watson BE, Nesbit RJ. Children’s play and independent mobility in 2020: results from the British Children’s Play Survey. International Journal of Environmental Research and Public Health. 2021;18(8):4334. doi:10.3390/ijerph18084334
  9. Sandseter EBH, Kennair LEO. Children's risky play from an evolutionary perspective: The anti-phobic effects of thrilling experiences. Evolutionary Psychology. 2011;9(2):257-284. Doi:10.1177/147470491100900212
  10. Dodd HF, Lester KJ. Adventurous play as a mechanism for reducing risk for childhood anxiety: a conceptual model. Clinical Child and Family Psychology Review. 2021;24(1):164-181. doi:10.1007/s10567-020-00338-w
  11. Gray P. The decline of play and the rise of psychopathology in children and adolescents. American Journal of Play. 2011;3(4):443-463. https://files.eric.ed.gov/fulltext/EJ985541.pdf. Accessed August 9, 2024.
  12. Hesketh KR, Dodd HF. More play and fewer screens: a way to improve preschoolers’ mental health? Cross-sectional findings from the British Preschool-children's Play Survey. Lancet. 2023;402 Suppl 1:S49. doi:10.1016/S0140-6736(23)02137-2
  13. Dodd HF, Nesbit RJ, FitzGibbon L. Child's play: Examining the association between time spent playing and child mental health. Child Psychiatry and Human Development. 2023;54(6):1678-1686. doi:10.1007/s10578-022-01363-2
  14. Imai N, Shikano A, Kidokoro T, Noi S. Risky play and social behaviors among Japanese preschoolers: Direct observation method. International Journal of Environmental Research and Public Health. 2022;19(13):7889. doi:10.3390/ijerph19137889
  15. Lindsey EW, Colwell MJ. Pretend and physical play: Links to preschoolers’ affective social competence. Merrill-Palmer Quarterly. 2013;59(3):330-360. Doi:10.1353/mpq.2013.0015
  16. Veiga G, O’Connor R, Neto C, Rieffe C. Rough-and-tumble play and the regulation of aggression in preschoolers. Early Child Development and Care. 2020;192(6):980-992. doi:10.1080/03004430.2020.1828396
  17. Piccininni C, Michaelson V, Janssen I, Pickett W. Outdoor play and nature connectedness as potential correlates of internalized mental health symptoms among Canadian adolescents. Preventive Medicine. 2018 Jul;112:168-175. doi:10.1016/j.ypmed.2018.04.020
  18. Flouri E, Midouhas E, Joshi H. The role of urban neighbourhood green space in children's emotional and behavioural resilience. Journal of Environmental Psychology. 2014;40:179-186. doi:10.1016/j.jenvp.2014.06.007
  19. Dodd HF. Project Playtime: Evaluation of the Outdoor Play and Learning (OPAL) programme on the wellbeing of primary-aged children in England; 2024. doi:10.1186/ISRCTN55659573
  20. Giles AR, Bauer MEE, Darroch FE. Risky statement?: a critique of the Position Statement on Active Outdoor Play. World Leisure Journal. 2018;61(1):58-66. doi:10.1080/16078055.2018.1549590
  21. UK Play Safety Forum. Resources. https://playsafetyforum.wordpress.com/resources/ 

Pour citer cet article :

Dodd HF. Le jeu risqué et la santé mentale. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Brussoni M, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/jeu-exterieur/selon-experts/le-jeu-risque-et-la-sante-mentale. Publié : Septembre 2024. Consulté le 12 septembre 2024.

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