Jeu risqué à l’extérieur


1Queen Maud University College of Early Childhood Education, Norvège
2Kanvas Foundation and Oslo Metropolitan University, Norvège

, Éd. rév.

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Introduction 

Le jeu risqué est devenu, au cours des vingt dernières années, un sujet d’intérêt pour les chercheurs, les parents, les responsables politiques, les autorités et les praticiens et enseignants en éducation et garde des jeunes enfants (EGJE). La raison de cette émergence est multiple, mais un point de départ serait la formulation équivoque qui consiste à associer la connotation positive du « jeu » aux connotations intuitivement plus négatives associées au « risque ». Néanmoins, de plus en plus d’études sont consacrées à l’évaluation des divers aspects associés à la prise de risque, y compris les activités ludiques, indiquant que ce concept reflète un élément essentiel de la vie humaine.

Sujet

Qu’est-ce que le jeu risqué?

Le jeu risqué partage certaines caractéristiques avec différents types de jeux faisant partie des définitions antérieures des différentes catégories de jeu. Par exemple, les activités ludiques de locomotion1 et physiques,2 les jeux turbulents2-4 et la manipulation d’objets entrent dans la définition du jeu risqué.2 Il présente également des caractéristiques communes avec le jeu associé à de gros enjeux ou jeu irrationnel (le « deep play », en anglais, où l’on affronte les risques et les craintes, et flirte avec la mortalité/la mort), le jeu exploratoire (par exploration de l’inconnu) et le jeu de maîtrise (par évaluation de ses propres capacités physiques et psychiques).5

On utilise couramment cette définition du jeu risqué : « des formes palpitantes de jeu actif associé à de l’incertitude et à des possibilités de blessure physique. »6 Le jeu risqué a été divisé en huit catégories par des observations et des entretiens avec des enfants et des professionnels en milieu EGJE :7-9 1) jouer en hauteur / danger de blessure par chute : comprend toutes les formes de grimpe, saut, suspension ou balancement en hauteur; 2) jouer à haute vitesse / aucune maîtrise de la vitesse et du rythme, pouvant conduire à une collision avec un objet ou une personne. Par exemple, faire de la bicyclette à haute vitesse, de la luge (en hiver), des glissades et courir (de façon non contrôlée); 3) jouer avec des outils dangereux / pouvant entraîner des blessures. Par exemple, une hache, une scie, un couteau, un marteau ou des cordes; 4) jouer à côté d’éléments dangereux / dans ou depuis lesquels il est dangereux de chuter : une piscine ou un feu de foyer, par exemple; 5) jouer de façon turbulente ou désordonnée. Les enfants peuvent se blesser mutuellement, par exemple se bagarrer ou jouer avec des bâtons; 6) jouer en explorant seul, par exemple dans des lieux sans surveillance ni limites de démarcation, comme en forêt; 7) jeux causant des chocs : l’enfant percute ou s’écrase contre quelque chose pour s’amuser; et 8) jouer par procuration : l’enfant ressent de fortes émotions en regardant d’autres enfants (plus âgés le plus souvent) s’adonner à des activités dangereuses.

Contexte et résultats de la recherche

Les premières études consacrées au jeu risqué se sont principalement déroulées en milieu EGJE (prématernelle, maternelle, centre de la petite enfance, etc.). Smith,10 Greenfield11,12 et Stephenson13 ont très tôt décrit la façon dont les enfants recherchaient le risque en jouant; comment le personnel gérait les risques encourus lors du jeu des enfants et quels bienfaits ce type de jeu pouvait leur procurer. En s’appuyant sur ces études, Sandseter6-8 a étudié le jeu risqué chez des enfants âgés de quatre à six ans et la manière dont il pouvait être défini et divisé en différentes catégories. Kleppe et coll.9,14 ont identifié ce type de jeu chez des enfants encore plus jeunes, jusqu’à l’âge d’un an. De façon générale, les études publiées montrent que les enfants âgés de un à six ans s’adonnent au jeu risqué, d’une manière ou d’une autre, à un niveau correspondant à leurs capacités et à leur courage individuels. Des études portant sur des enfants plus âgés (de six à quatorze ans) montrent que ces derniers aiment participer à des jeux risqués et qu’ils souhaitent avoir plus de liberté et des environnements de jeu plus stimulants.15

Les observations et les entretiens ont tous deux démontré que les expériences émotionnelles que procure le jeu risqué aux enfants oscillent entre une pure exaltation et une peur véritable, en passant par un mélange d’exaltation et de peur (peur à la limite de l’exaltation). Cette ambiguïté des émotions est probablement l’élément qui attire les enfants vers ce type de jeu.6,13,16 Le sentiment de grande palpitation ressenti par les enfants participant à un jeu risqué s’exprime par des expressions faciales d’enthousiasme, de joie et d’allégresse, et des expressions verbales d’euphorie, comme des rires et des cris, illustrant leur exaltation et leur sentiment d’immense joie.13,17 Néanmoins, ces expressions courantes sont propres à l’individu et il a été suggéré qu’elles étaient en partie liées à l’âge, puisque le jeu risqué peut s’exprimer de façon plus subtile, avec moins d’exaltation, chez les jeunes enfants.9 Quels que soient l’âge et le niveau d’excitation exprimé, une telle activité serait répétitive et demanderait un authentique engagement.17,18 Les études publiées sont hautement descriptives et les bienfaits réels du jeu risqué sont moins documentés.

Le concept de jeu risqué est étudié dans plusieurs pays d'Europe, en Amérique du Nord et en Australie, ce qui indique certains points communs interculturels de ce type de jeu.19,20 Néanmoins, certains éléments indiquent que les attitudes à l'égard du risque et la gestion pratique du risque dans le jeu et la vie quotidienne des enfants sont largement influencées par la culture.

Des études conduites en Afrique centrale relatent des pratiques couramment employées pour élever les enfants, associées à des niveaux de risque qui seraient inacceptables dans les contextes occidentaux actuels : par exemple, des nourrissons âgés de huit mois jouant avec des couteaux et participant au ramassage de brindilles pour allumer le foyer familial,21 ou encore des enfants de deux ans parcourant en toute autonomie le village, et les champs et forêts alentour.22 Toutefois, des études comparatives indiquent également des variations entre les différents pays occidentaux. New, Mardell et Robinson23 ont effectué une comparaison des enseignants en milieu EGJE exerçant en Norvège, en Suède, au Danemark, en Italie et aux États-Unis, et ont découvert que les enseignants européens présentaient moins d’inquiétude que leurs collègues américains vis-à-vis de la prise de risque des enfants. De manière analogue, Little, Sandseter et Wyver24 ont démontré que les professionnels scandinaves exerçant en milieu EGJE, particulièrement les Norvégiens, adoptaient des pratiques plus libertaires envers le jeu risqué des enfants par rapport à leurs homologues australiens. Sandseter et al. ont également constaté que les pays du sud de l’Europe étaient plus réfractaires aux risques liés aux jeux des enfants que les pays du nord de l’Europe.25 Les explications de ces résultats se trouvent probablement au niveau des différentes approches théoriques et pédagogiques employées,26 mais sont également sur le plan des croyances et des valeurs culturelles, souvent associées à un intérêt variable porté au jeu à l’extérieur et aux différences d’apprentissage entre les pays.23,27

Quel que soit le contexte culturel, le jeu serait un environnement idéal pour développer les capacités d’évaluation et de gestion du risque, tandis que les jeux de simulation ou non littéraux permettent aux joueurs de tester leur comportement, des situations ou des actions sans grandes conséquences pour la vie de tous les jours. Avec ces données en toile de fond, des chercheurs ont suggéré que la capacité de gérer le risque a constitué un caractère favorable sur le plan de l'évolution et que le jeu aventureux et risqué peut réduire le risque de développement de l'anxiété chez les enfants.28,29 De plus, les expériences de jeu risqué ont été associées de façon positive aux capacités de gestion du risque des enfants,30 et avaient plusieurs effets bénéfiques sur l'épanouissement de l'enfant.31 En abordant cette question sous un autre angle, des signes d’impact négatif chez les enfants surprotégés peuvent être observés; restreindre la pratique du jeu risqué et l’autonomie peuvent augmenter les risques d’anxiété, autant pendant l’enfance32,33 qu’à l’adolescence et à l’âge adulte.28,34-38

Malgré les avantages bien documentés et l'intérêt des enfants pour le jeu risqué, il semble que ce type de jeu soit restreint dans les services d’EGJE.39,40 Il y a plusieurs raisons à cela, notamment les perceptions, les attitudes et les pratiques des intervenants en EGJE, qui sont souvent influencées par des facteurs sociétaux, dont l'opinion des parents ne constitue pas la moindre.41,24 Bien que certaines recherches indiquent que les éducateurs en EGJE permettent aux enfants de mettre leurs capacités à l’essai, développant ainsi les compétences nécessaires pour faire face aux obstacles de la vie réelle,24,42-45 les éducateurs doivent trouver un équilibre entre les avantages potentiels à court et à long terme d'un tel jeu et la possibilité de blessures. Ce dilemme n’est pas simple, et il est normal que les professionnels de la petite enfance et les parents veuillent éviter les blessures. Cependant, la diminution générale des possibilités de prise de risque des enfants dans le jeu46,47 pourrait entraîner des conséquences négatives plus graves. Premièrement, il est déjà bien documenté qu'un fort accent sur la sécurité a entraîné une liberté de mouvement restreinte et des terrains de jeu ennuyeux.40,48-54 Deuxièmement, bien que ce fait soit moins documenté, on craint que ce manque d'occasions de jeu n'entraîne des conséquences négatives à long terme telles qu'une diminution du bien-être, une prise de risque excessive ou, au contraire, une augmentation de l'anxiété.28,32 À bien des égards, les recherches de plus en plus nombreuses sur le jeu risqué des enfants et ses avantages éventuels peuvent être considérées comme une réaction au discours sur la sécurité.

Questions clés de la recherche et lacunes

La plupart des recherches sur le jeu risqué reposent sur l’hypothèse que la pratique du jeu risqué pendant l’enfance favorise l’activité physique, contribue au bien-être et protège la personne contre l’anxiété, les mauvaises décisions et/ou la prise excessive de risques au cours de sa vie. Néanmoins, puisque la plupart des études se composent d’échantillons de petite taille et/ou présentent des lacunes au niveau du plan expérimental (conception longitudinale, répartition aléatoire et groupes témoins appropriés), elles ne sont pas conçues pour répondre correctement à cette hypothèse. Il faut également souligner qu’il est difficile de tester cette hypothèse de manière empirique. À l’évidence, les aspects éthiques sont problématiques lors de la conduite d’études conçues pour laisser les enfants prendre des risques associés à des possibilités de blessures, tout comme empêcher les enfants de jouer librement afin d’évaluer les effets à long terme de la privation de jeu. Des méthodes créatives devraient être développées davantage, comme les expériences menées par Kretch et Adolph55,56 composées de ravins virtuels laissant les enfants traverser des ponts étroits sans réelle possibilité de chute, constituent un terrain méthodologique prometteur. Par exemple, Sandseter et al.57 cherchent à examiner l’acquisition des compétences de gestion des risques chez les enfants par le biais de jeux risqués dans ces ravins virtuels. Toutefois, cela pourrait être un défi de transférer les résultats obtenus dans des conditions de laboratoire ou dans des environnements contrôlés à des contextes de la vie réelle. L’identification de méthodes appropriées permettant de mesurer les effets à long terme du jeu risqué constitue également un défi car il faut définir les paramètres à mesurer au cours de l’adolescence et/ou de la vie adulte tout en édifiant des groupes témoins comparables. Le peu d’études examinant la manière dont les documents réglementaires influencent les pratiques indiquent que les éducateurs enfreignent parfois les règles ou les remettent en question, et favorisent le jeu risqué chez les enfants.58,59,60,61 Par conséquent, les réglementations pourraient avoir moins d’influence que prévu, et devraient être étudiées de manière plus concrète. Enfin, quelques études suggèrent que les enfants vivant avec un handicap ont moins d’occasions de participer à des jeux risqués, même si l’on peut supposer qu’ils en tirent les mêmes avantages que les enfants au développement typique62,63,64. De telles perspectives devraient être étudiées de manière plus approfondie.

Implications pour les parents, les services et les politiques

Le fondement de la recherche existante doit servir à guider non seulement les parents mais également les professionnels en milieu EGJE sur la façon de soutenir adéquatement les enfants se livrant au jeu risqué. Les preuves les plus tangibles disponibles suggèrent que laisser à l’enfant un certain degré d’autonomie renforce la conscience de soi et la maîtrise de soi, tout en diminuant les probabilités de développer de l’anxiété (présentes et à un moment ultérieur au cours de leur vie). 

Les propriétaires d’EGJE, les créateurs d’espaces de jeu et les responsables politiques doivent tenir compte des connaissances dont nous disposons sur le jeu risqué lors de la création d’environnements dédiés au jeu.65 La recherche suggère d’établir des environnements de jeu versatiles, complexes et flexibles afin de s’adapter aux divers intérêts de l’enfant, ainsi qu’à ses compétences et à sa tolérance du risque spécifiques.  

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Pour citer cet article :

Sandseter EBH, Kleppe R. Jeu risqué à l’extérieur . Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Brussoni M, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/jeu-exterieur/selon-experts/jeu-risque-lexterieur. Actualisé : Octobre 2024. Consulté le 8 décembre 2024.

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