Sur quoi repose une politique d’EAJE efficace?
Kerry McCuaig, B.A., Fellow in Early Childhood Policy
Atkinson Centre for Society and Child Development, University of Toronto, Canada
Introduction
L’efficacité de l’éducation et l’accueil des jeunes enfants (EAJE) en tant qu’outil pour avancer vers l’équité dépend de la mesure dans laquelle l’EAJE est perçue comme une responsabilité publique plutôt que privée. Cette perspective reflète la façon dont l’EAJE est fournie et les personnes qu’elle sert1.
Sujet
La petite enfance est la période de la vie où rétablir les inégalités et briser les cycles intergénérationnels de désavantages est le plus efficace et économique2. Les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies pour la période 2015-2030 comprennent un appel aux pays de veiller à ce que tous les enfants « aient accès au développement de la petite enfance, à des soins et à une éducation avant l’école primaire3. » C’est le premier programme de développement qui aborde la petite enfance. Cet objectif et les autres ODD fournissent un cadre qui sera utilisé pour guider les politiques nationales, informer les programmes d’aide internationale et qui servira comme point de ralliement pour que les activistes demandent des résultats aux gouvernements.
Problèmes
Il existe un lien clair entre les revenus des familles et la participation des enfants à des programmes d’EAJE. Dans les systèmes soumis aux lois du marché, les enfants de familles pauvres sont moins susceptibles d’y prendre part que les enfants de familles plus aisées. Lorsqu’ils y participent, la qualité est souvent moindre4.
Par contraste, le droit universel à des programmes d’EAJE réduit significativement les disparités liées aux revenus entre les enfants qui participent. Une réelle équité requiert toutefois de chercher délibérément à impliquer les groupes défavorisés et marginalisés, tout en veillant à ce que les programmes reflètent la diversité culturelle et linguistique de la population5.
Les décideurs politiques peinent à améliorer l’accès à l’EAJE et à en assurer la qualité, en particulier lors de périodes d’expansion rapide. Des contraintes liées au financement compromettent souvent la qualité dans les environnements d’apprentissage précoce, ce qui en réduit les bienfaits potentiels6.
Contexte de la recherche
Au niveau primaire, l’éducation est fermement ancrée dans la sphère publique. Elle est perçue comme un droit, elle est gérée par le gouvernement, financée par des fonds publics et généralement fournie comme un service public. À l’inverse, l’éducation et la garde des enfants d’âge préscolaire sont totalement privées. Les gouvernements, sauf quelques exceptions, limitent leur implication dans la régulation du marché privé de fournisseurs de programmes privés à but commercial ou non. Ces derniers sont financés à des niveaux bien plus faibles que l’éducation primaire. Les opérateurs s’appuient sur des frais payés par les parents et emploient généralement des éducateurs moins qualifiés que ceux des programmes scolaires7.
Questions clés de la recherche
L’EAJE publique est-elle mieux placée pour promouvoir un accès à tous les enfants et des résultats favorables?
Résultats récents de la recherche
L’EAJE remplit deux fonctions : elle soutient le développement des enfants et offre un service de garde aux parents qui travaillent. Des programmes bien conçus font les deux. Mais le raisonnement dominant dans la programmation, que le service soit perçu comme étant principalement un soutien au marché du travail ou un programme de développement de l’enfance, influence fortement la conception du service.
Lorsque les besoins du marché du travail sont le principal facteur de motivation, le fait d’accommoder les parents prend le pas sur les bienfaits pour les enfants. Le développement cognitif, social et émotionnel des enfants est souhaité, mais ce n’est pas la priorité du programme. Les politiques publiques tendent vers un modèle de service privé, axé sur la surveillance et régulé par l’état, visant à protéger les enfants plus qu’à accompagner leur développement. L’insuffisance des fonds publics fait que les services doivent fonctionner grâce aux frais payés par les parents. Les frais élevés découragent les familles défavorisées de faire appel à des services de garde groupée8. Dans les modèles axés sur le marché du travail, les services de garde peuvent être soutenus par des mesures telles que des coupons ou des subventions à caractère fiscal8.
Lorsque les programmes d’EAJE sont perçus comme des services destinés aux mères, le soutien public est vulnérable. Même l’accès universel à des services de garde n’est pas toujours réellement universel. Par exemple, dans les pays nordiques, si la mère perd son emploi ou prend un congé de maternité, son enfant peut perdre le droit de recevoir des services de garde. Dans les modèles axés sur le marché du travail, lorsque, pour des raisons liées à leur emploi, leur santé, leur statut d’immigration, des barrières sociales ou d’une autre nature, les parents ne travaillent pas, leurs enfants se voient exclus des services.
Au contraire, les services d’EAJE motivés par des objectifs de capital social ou humain se concentrent sur les résultats en matière d’éducation, et ils sont plus susceptibles de s’appuyer sur des programmes fournis par les centres. Habituellement classés comme de l’éducation préprimaire ou préscolaire (et non des services de garde), ils se concentrent sur les enfants plus âgés et moins sur les nourrissons et les bambins9.
Les frais déboursés par les parents sont généralement minimaux ou nuls, mais l’éducation préprimaire reçoit souvent moins de financement public que l’éducation obligatoire. De plus, les programmes d’éducation préprimaire se concentrent sur le fait d’atteindre des marqueurs scolaires, au détriment du développement plus général des enfants.
Il existe au niveau mondial une tendance à la privatisation de programmes d’EAJE publics. La privatisation est justifiée comme une mesure d’économie et un moyen de contourner la bureaucratie. Elle se caractérise par la prolifération des écoles sous charte et de responsables pédagogiques à but lucratif. Les centres et les écoles privées sont appréciés pour leurs approches entrepreneuriales, mais servent généralement moins d’enfants défavorisés, et donc des enfants qui engendrent moins de dépenses10.
Cette tendance pose la question de l’équité. Il ne reste que les programmes publics pour assister les groupes les moins bien desservis, y compris les enfants handicapés et les familles en crise. Avec le temps, les services publics se réduisant, les programmes restants finissent par être réservés à des groupes de plus en plus marginalisés. Cette tendance réduit le nombre de personnes qui bénéficient des services publics, voire le nombre de personnes qui connaissent leur existence, ce qui affaiblit la perception du public sur l’éducation et donc de l’éducation précoce en tant que droit universel.
Lacunes de la recherche
La recherche présente des lacunes critiques. Les politiques et les pratiques pourraient s’appuyer sur des recherches dans les domaines suivants :
Financement : le niveau de financement nécessaire pour garantir une EAJE de qualité dans les systèmes publics n’est pas entièrement compris.
Personnel : nous savons que la qualité des éducateurs est importante, mais on manque de preuves relatives à l’influence de politiques spécifiques liées au personnel (par exemple le salaire, les exigences de formation, etc.) sur les résultats pour les enfants.
Équité : des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre pourquoi certaines familles ne profitent pas des services d’EAJE publics, même lorsqu’ils sont accessibles. Des recherches limitées existent sur la façon dont les systèmes publics peuvent être adaptés pour mieux servir les communautés autochtones ou marginalisées.
Qualité : les lacunes persistent dans la recherche quant à l’identification des façons les plus efficaces de mesurer et de suivre la qualité des grands programmes publics d’EAJE.
Conclusions
Des analyses économiques des dépenses publiques sur les services pour la petite enfance montrent unanimement un important retour sur les investissements faits pour les jeunes enfants. Les améliorations comprennent de meilleurs résultats en matière de santé et de développement social et émotionnel, une bonne préparation à la scolarité, la réussite scolaire et des avantages pour les familles et les sociétés au niveau de l’emploi et des revenus, particulièrement pour les femmes11. Toutefois, le changement ne peut être atteint que par une croissance considérable de services planifiés et de qualité afin de générer une structure universelle alignée avec les demandes des économies de plein emploi, des objectifs d’équité de genre et de revenu et des avancées scientifiques de nos connaissances au sujet de l’apprentissage et du développement des enfants.
Implications pour les parents, les services et les politiques
Parents : les modèles publics sont typiquement universels, avec le mandat de servir des populations diverses, y compris des enfants avec des handicaps.
Fournisseurs de services : les fournisseurs publics sont souvent réglementés par des normes de qualité strictes, notamment sur les qualifications des enseignants, les lignes directrices des programmes et les ratios du nombre d’enfants et d’enseignants. Les éducateurs des programmes publics sont souvent syndiqués, ce qui leur confère un meilleur salaire, de meilleurs avantages et plus de possibilités de formation continue, ce qui permet aux programmes d’attirer et de retenir du personnel qualifié.
Décisions politiques : l’EAJE, lorsqu’elle est intégrée à l’éducation publique, fournit une plateforme prête à élargir et exploiter des services. Cela permet un alignement avec les objectifs sociaux plus généraux tels que la réduction de l’iniquité, la cohésion des communautés et la poursuite d’objectifs de durabilité pour le climat. L’investissement dans les systèmes publics peut contribuer à des avantages économiques et sociaux à long terme en permettant des résultats optimaux pour tous les enfants.
Références
- McCuaig K, Akbari E, Bertrand J. The role of public policies in promoting equity in early childhood. In: Global Report on Equity and Early Childhood. Consultative Group on Early Childhood Care and Development c/o International Step by Step Association; 2016:30-50.
- Conti G, Gupta S. Chapter 26: Early childhood interventions to reduce intergenerational inequality. In: Kilpi-Jakonen E, Blanden J, Erola J, Macmillan L, eds. Research Handbook on Intergenerational Inequality. Cheltenham, UK: Edward Elgar Publishing; 2024:342-356. doi:10.4337/9781800888265.00035.
- United Nations. SDG Goal 4: Ensure inclusive and equitable quality education and promote lifelong learning opportunities for all. Sustainable Development Knowledge Platform. https://sustainabledevelopment.un.org/sdg4. Published 2015. Accessed January 24, 2025.
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- Akbari E, McCuaig K, Mehta S. Early Childhood Education Report 2023. Ontario Institute for Studies in Education/University of Toronto; 2024. https://ecereport.ca/media/uploads/2023-overview/ecer_2023_overview-en.pdf. Accessed January 24, 2025.
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Pour citer cet article :
McCuaig K. Sur quoi repose une politique d’EAJE efficace?. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Akbari E, McCuaig K, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/education-prescolaire-dans-le-systeme-public/selon-experts/sur-quoi-repose-une-politique-deaje. Publié : Février 2025. Consulté le 1 mai 2025.
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