L’expérience du programme préscolaire de la Nouvelle-Écosse par les familles et l’incidence de celui-ci sur les politiques et la pratique


Mount Saint Vincent University, Nouvelle-Écosse, Canada

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Introduction

Partout au Canada, des accords pancanadiens sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants motivent des changements qui ont pour but de rendre les services de garde d’enfants plus accessibles aux familles. Les réformes continuent néanmoins de considérer la garde d’enfants comme un produit privé dont les propriétaires ou les exploitants envisagent la viabilité en fonction de leurs plans d’affaires individuels1. En conséquence, la plupart des enfants et des familles vivent encore dans des déserts de garde d’enfants, des endroits mal desservis depuis toujours. Ce problème touche les régions éloignées en particulier2.

Les services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants financés par l’État et gérés par les écoles présentent plusieurs avantages par rapport aux services privés. Les programmes, lorsqu’ils sont offerts par les écoles, suivent généralement des curricula obligatoires visant à promouvoir les compétences sociales et scolaires, ce qui garantit un équilibre entre le développement cognitif, émotionnel et physique des enfants. Les éducateurs de ces programmes sont généralement certifiés et ont reçu une formation spécialisée en éducation de la petite enfance, ce qui conduit à des interactions de meilleure qualité et à des expériences d’apprentissage plus riches pour les jeunes enfants3. En outre, le fait de faire partie d’un vaste système scolaire signifie souvent un meilleur accès aux ressources, aux services de soutien et au matériel pédagogique. La gestion par les écoles de l’enseignement préscolaire permet également une transition aisée vers l’école primaire. Les parents peuvent également bénéficier de coûts moins élevés grâce au financement public, ce qui en fait un choix abordable et fiable pour les familles.

Sujet

La Nouvelle-Écosse, l’une des provinces les plus à l’est du Canada, a commencé à modifier ses services à la petite enfance il y a 15 ans, en commençant par le projet d’offrir un programme d’apprentissage précoce aux enfants l’année précédant leur entrée à l’école (à l’âge de 4 ans). Mis en place dans un nombre limité d’écoles, les « centres de la petite enfance » (de l’anglais Early Years Centres) s’inspiraient du succès de l’étude Toronto First Duty, selon laquelle la participation des enfants d’âge préscolaire à un service scolaire intégré améliorait leur développement4. Le projet s’inspirait également du projet Better Futures en Ontario, qui se servait des écoles comme centres de soutien à la petite enfance. Des évaluations ont permis de constater que ce modèle, dans le cadre du projet Better Futures, permettait de réaliser des économies, notamment en réduisant la nécessité d’interventions éducatives ultérieures5,6. Nous avons documenté la mise au point des centres de la petite enfance et la faisabilité de leur adoption à grande échelle en vue d’une prestation universelle7,8.

Problèmes

Si les établissements préscolaires publics sont bénéfiques pour grand nombre de personnes, ils peuvent tout de même être aux prises à des problèmes politiques, de qualité et d’accessibilité.

Lorsque ces programmes sont placés dans un cadre scolaire, la flexibilité peut devenir un enjeu. En effet, les centres préscolaires publics au sein des écoles sont limités par les horaires, les budgets et les ressources disponibles dans le système d’éducation, qui peuvent être moins malléables que ceux des centres privés, ce qui, au bout du compte, limite le soutien aux enfants ayant des besoins d’apprentissage particuliers. En outre, la communication entre les centres préscolaires publics et les parents risque d’être peu fréquente en raison de l’adoption du transport scolaire ou des programmes d’activités avant/après l’école, ce qui peut limiter la participation des familles. Enfin, comme les centres préscolaires publics font souvent partie de systèmes scolaires plus vastes, ils peuvent être confrontés à des retards bureaucratiques ou à des changements de politiques entraînant des conséquences sur la cohérence des programmes, les ressources ou les priorités, ce qui risque d’influencer la qualité de l’éducation reçue par les enfants.

Contexte de la recherche

En Nouvelle-Écosse, la scolarité obligatoire commence à l’âge de 5 ans lors la première année du primaire (l’équivalent de la maternelle dans d’autres régions du pays). Le succès des sites ayant expérimenté les « centres de la petite enfance » a donné lieu à un mandat provincial visant à garantir à tous les enfants l’accès à l’éducation de la petite enfance au cours de l’année précédant l’entrée à l’école. Le programme universel d’éducation préprimaire a débuté en 2017 et, dès l’année scolaire 2020-2021, il a été offert dans les écoles primaires des sept centres régionaux d’éducation et du Conseil scolaire acadien provincial. Le programme préprimaire est analogue à la maternelle en Ontario et dans les Territoires du Nord-Ouest, mais il présente d’importantes distinctions :  

Il n’est pas obligatoire, il est gratuit et il peut accueillir l’ensemble des enfants de la zone desservie par une école particulière. Dans les communautés rurales, en particulier celles qui connaissent des niveaux élevés de pauvreté, le préprimaire a fait ses preuves : il a directement remédié à la pénurie de services de garde d’enfants et a éliminé le stress que les familles éprouvent souvent à trouver des services de garde pour leurs enfants. Le programme suit la journée scolaire et le calendrier annuel. Les enfants qui fréquentent le préprimaire peuvent bénéficier du transport scolaire. Le Nova Scotia Before and After Program, fourni sur place par des organismes communautaires, offre des services de garde d’enfants axés sur le jeu en plein air, actif et aventureux.

Questions clés de la recherche

Dans le cadre des premières recherches menées sur le projet des centres de la petite enfance, les expériences des familles ont été documentées. L’on visait à évaluer le point de vue des parents sur un programme destiné aux enfants âgés de 4 ans, ses répercussions potentielles sur le développement de leurs enfants et la transition de ceux-ci vers la première année d’école. Les familles ont souligné l’importance de l’implantation du programme dans leur école de quartier, le lien entre le programme et la communauté scolaire, et leur reconnaissance de la valeur de l’apprentissage par le jeu7,8.

Résultats récents de la recherche

Une récente analyse documentaire a permis de dégager les principales caractéristiques de la qualité des programmes d’apprentissage universel et scolaire de la petite enfance, notamment l’accent mis sur les politiques à l’échelle du système qui soutiennent les programmes par des pratiques pédagogiques et inclusives, le regroupement du programme dans un environnement d’apprentissage scolaire, ainsi que des personnes clés qui soutiennent le programme8,9. Comme l’ont bien montré des études et des recherches antérieures10,11,12, des éducateurs de la petite enfance (EPE) bien formés et bien rémunérés sont une caractéristique essentielle de la qualité des programmes. En Nouvelle-Écosse, ce sont des éducateurs du préprimaire titulaires d’un diplôme spécifique à l’éducation de la petite enfance (EPE) qui mettent en œuvre le Early Learning Curriculum Framework de la province. Ce cadre met l’accent sur l’apprentissage par le jeu grâce à un enseignement intentionnel, délibéré et adapté aux explorations, aux théories et aux styles d’apprentissages des enfants13. Le fait de posséder des qualifications spécialisées en EPE permet aux éducateurs de concevoir des espaces d’apprentissage, de choisir le matériel adéquat et de créer des expériences d’apprentissage qui favorisent le développement des jeunes enfants dans un environnement axé sur le jeu.

Lacunes de la recherche

L’éducation inclusive de la petite enfance exige des éducateurs qu’ils soient réfléchis et réceptifs lorsqu’ils conçoivent, mettent en œuvre et soutiennent des environnements d’apprentissage qui accueillent tous les enfants et toutes les familles. Les programmes inclusifs reconnaissent la diversité des aptitudes, des antécédents culturels et des structures familiales, et y rendent hommage9. La recherche a toutefois montré que les familles d’enfants vivant avec un handicap disposent souvent d’options limitées en matière d’éducation préscolaire et de garde d’enfants, auxquelles s’ajoutent des contraintes financières supplémentaires14. Les études sur les handicaps de l’enfant dans la petite enfance soulignent les préoccupations concernant la façon dont l’inclusion est comprise et pratiquée dans les programmes de la petite enfance14,15,16. Ces difficultés peuvent entraîner une augmentation du stress et de la fatigue émotionnelle chez les familles, qui se voient aux prises avec un accès limité alors qu’elles se préoccupent déjà de la sécurité et du soutien des besoins uniques de leur enfant en matière de santé et de développement14.

D’autres recherches menées en Nouvelle-Écosse ont mis en évidence les limites de la mise en œuvre de pratiques adaptées à la culture dans les programmes d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, ainsi que l’existence d’une xénophobie et d’un racisme à l’encontre des personnes noires17,18,19. Ces problèmes ne sont pas propres aux programmes de la petite enfance, puisque des recherches ont démontré l’existence d’inégalités persistantes dans les écoles publiques, en particulier au sein des communautés autochtones et africaines de la Nouvelle-Écosse10,20,21. Une réforme des politiques est en cours en vue de soutenir l’éducation inclusive dans les écoles de la Nouvelle-Écosse; une évaluation du développement des enfants a mis en lumière l’importance du soutien aux éducateurs, y compris de l’apprentissage professionnel, afin que ces derniers adoptent des pratiques efficaces en classe22,23.

Conclusions

L’accès au préprimaire étant désormais assuré, une priorité essentielle est de maintenir des programmes de haute qualité, inclusifs et adaptés à la culture. Si l’intégration de l’éducation de la petite enfance dans les écoles peut favoriser l’accessibilité, il subsiste des tensions entre les approches pédagogiques basées sur le jeu et la pression croissante en faveur de résultats en matière de compétences scolaires, parfois appelée schoolification (« académisation » ou « scolarisation »). Cette approche vise à prouver que l’enfant est prêt pour l’école, plutôt que de promouvoir l’importance de lui donner le temps et l’occasion d’acquérir des compétences complexes qui seront fondamentales pour son apprentissage tout au long de sa vie12.

Les partenariats entre les éducateurs de la petite enfance travaillant en milieu scolaire, les administrateurs d’écoles, les enseignants du primaire et les familles sont essentiels à la mise en place de programmes de la petite enfance de qualité9 dont le programme d’activités tend vers la « ludification », et qui visent l’acquisition de compétences telles que la curiosité, la découverte et la compétence au moyen de jeux conçus de manière intentionnelle24. Dans le cadre d’une recherche en cours en Nouvelle-Écosse, des éducateurs de la petite enfance travaillant dans des programmes préprimaires axés sur l’apprentissage de la numératie et de la littératie par le biais du jeu ont eu recours à des photographies lors d’activités avec les enfants. Cette recherche a fourni des exemples de l’apprentissage par le jeu et a facilité les discussions sur ce qui est compris et exigé dans le cadre d’une approche basée sur le jeu offerte dans un contexte scolaire25.

Implications pour les parents, les intervenants et les politiques

Alors que le Canada s’efforce de mettre en place un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de haute qualité, accessible et abordable, l’infrastructure fournie par le système scolaire public permet de créer des places de garde d’enfants dont le besoin se fait cruellement sentir. Cependant, le simple fait de regrouper des programmes d’éducation de la petite enfance dans un bâtiment scolaire ne se traduit pas automatiquement par des expériences de qualité pour les enfants, les éducateurs et les familles. Il faut veiller à élaborer des politiques qui reconnaissent et soutiennent les exigences de programmes de haute qualité par le biais d’administrateurs éclairés et de liens intentionnels avec les premières années du primaire qui attirent l’attention sur la valeur de l’apprentissage par le jeu. Les programmes ont également besoin d’espaces aménagés à cet effet et d’éducateurs qualifiés et bien rémunérés qui reçoivent de l’aide, afin de pouvoir favoriser des pratiques inclusives, respectueuses et adaptées à la culture de toutes les familles et de tous les enfants.

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Pour citer cet article :

McIsaac JL, McLean C. L’expérience du programme préscolaire de la Nouvelle-Écosse par les familles et l’incidence de celui-ci sur les politiques et la pratique. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Akbari E, McCuaig K, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/education-prescolaire-dans-le-systeme-public/selon-experts/lexperience-du-programme-prescolaire-de. Publié : Février 2025. Consulté le 1 mai 2025.

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