Alphabétisation, langage et développement affectif


Carleton University, Canada
, Éd. rév.

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Introduction

L’apprentissage de la lecture est l’accomplissement central de la scolarisation au début de l’école primaire. Les enfants possèdent des expériences, des connaissances et des habiletés qui facilitent l’acquisition d’habiletés de lecture efficace et exacte. La vision présentée ici est que les enfants passent leurs trois premières années scolaires à apprendre à lire, et qu’ils utiliseront ensuite la lecture pour apprendre.1 De plus, une compréhension exacte des textes écrits présuppose que les enfants peuvent lire des mots individuels sans effort.2 Les éducateurs de jeunes enfants voudront comprendre les habiletés dont les enfants ont besoin pour réussir leur apprentissage en première, deuxième et troisième année. Cet article se penche sur les habiletés précoces en langage qui sont liées à la lecture efficace de mots et à la compréhension de textes, notamment la sensibilisation des enfants au langage parlé et à leur vocabulaire. De plus, l’article présente certaines données limitées démontrant que le degré de la réussite des enfants en lecture est lié à leur concept de soi.

Sujet

La participation complète et réussie aux sociétés occidentales présuppose que les individus savent comment tirer des significations des textes écrits. Malheureusement, les dernières statistiques montrent qu’un nombre important de Canadiens a de faibles capacités en lecture, ce qui peut compromettre leur intégration au marché du travail.3 Des études longitudinales ont clairement montré que des différences de réussite en lecture s’établissent très tôt et restent relativement stables dans le temps.4,5 La plupart des enfants ayant de faibles compétences en lecture à la fin de la première année continueront à avoir des difficultés en lecture plus tard. Il est donc important d’intervenir tôt dans l’enfance afin de prévenir les problèmes de lecture et leurs conséquences négatives.

Problème

Les parents, les éducateurs et les chercheurs partagent la même préoccupation : comment s’assurer que chaque enfant parvient à comprendre efficacement et correctement les textes écrits?

Contexte de la recherche

Les chercheurs ont adopté diverses méthodologies afin de mieux comprendre comment les enfants apprennent à lire. Bien que le choix d’une méthodologie particulière, ses hypothèses et les résultats obtenus puissent provoquer de vifs débats, les intervenants doivent avoir la sagesse d’explorer la recherche disponible afin de trouver des preuves convergentes et de développer une pratique solide. On obtient des preuves convergentes quand les études observationnelles, corrélationnelles, expérimentales et d’intervention indiquent la même conclusion. 

Questions clés pour la recherche

Une série de questions clés centrées sur la transition entre les années préscolaires et le début de la scolarité continue à guider la recherche sur la lecture. Certaines des questions les plus importantes sont énumérées ci-dessous :

  1. Quelles sont les habiletés et les connaissances dont les enfants disposent et qui facilitent leur acquisition de la lecture?
  2. Quelles expériences favorisent les habiletés et la connaissance précoces de l’alphabétisation ainsi que la motivation à lire?
  3. Comment peut-on identifier les enfants qui sont à risque de problèmes de lecture?
  4. Comment peut-on intervenir tôt dans les vies des enfants à risque afin de prévenir les problèmes de lecture?
  5. Quelles méthodes d’enseignement sont les mieux adaptées pour optimiser le nombre d’enfants qui réussiront à apprendre à lire?

Une présentation adéquate des récentes découvertes sur chacune de ces questions dépasse le cadre du présent chapitre. Les lecteurs peuvent s’assurer d’une excellente compréhension des résultats récents sur ces questions en lisant l’article de Rayner et al.6 ainsi que le rapport de 2008 du National Early Literacy Panel (États-Unis).4

Récents résultats de recherche

Le point de vue présenté ici est que les habiletés langagières précoces jouent un rôle important dans l’acquisition de la lecture, et que l’apprentissage du langage et de la lecture sont des domaines apparentés, mais distincts. Les récents résultats de recherche sur deux habiletés de langage, soit la conscience phonologique et le vocabulaire, sont traités plus bas. En plus de ces sujets, nous abordons aussi certaines découvertes quant au rôle de la lecture sur le développement du concept de soi des enfants.

Conscience phonologique. Au cours des 20 dernières années, les chercheurs ont fait des progrès notables dans la compréhension du rôle de la conscience que les enfants possèdent du langage parlé. Le terme conscience phonologique fait référence à la capacité à identifier, comparer et manipuler les plus petites unités de mots parlés ― les phonèmes.7 La plupart des mots parlés contiennent plus qu’un phonème; par exemple, le mot chat a deux phonèmes et le mot chute en a trois.

  • Certaines données indiquent que les enfants commencent par être conscients d’unités plus grandes du langage parlé comme les mots dans les phrases et les syllabes à l’intérieur des mots; cependant, la conscience phonologique est le meilleur prédicteur de la lecture.2,7,8
  • La conscience phonologique mesurée à la maternelle est un des meilleurs prédicteurs uniques de la lecture à la fin de la première année. On pense que la conscience phonologique aide les enfants à apprendre à lire parce qu’elle leur permet de comprendre que les lettres correspondent aux sons du langage parlé.7,8
  • Les études sur l’intervention montrent clairement que l’enseignement de la conscience phonologique aux jeunes enfants avantage la lecture des mots ainsi que la compréhension de la lecture.7,8 Elles révèlent aussi que les activités de conscience phonologique qui font appel aux lettres de l’alphabet donnent les meilleurs résultats.7

Vocabulaire. Le but ultime de l’enseignement de la lecture est de s’assurer que les enfants comprennent les textes qu’ils lisent. La compréhension des textes écrits est un processus complexe qui touche la maîtrise de la reconnaissance des mots, l’activation des mots et la connaissance du monde, la capacité de déduction et d’intégration des parties dans un tout cohérent.2 Étant donné cette vision de la compréhension de la lecture, le vocabulaire des enfants est une composante du langage oral nécessaire à la compréhension de la lecture.9

  • Le vocabulaire des enfants, évalué à la maternelle, est un des meilleurs prédicteurs de la compréhension de la lecture en troisième et quatrième année.10
  • Les études sur l’intervention montrent que l’enseignement des mots présentés dans un texte améliore la compréhension du texte par les enfants.11
  • Il reste à démontrer que l’amélioration des habiletés des jeunes enfants au plan du vocabulaire aura des conséquences à long terme sur leur compréhension de la lecture.

Concepts de soi. Les données longitudinales touchant la façon dont les habiletés en lecture peuvent influencer la façon dont les enfants se perçoivent sont limitées. La recherche est de nature corrélationnelle, mais est conforme à l’opinion selon laquelle les enfants qui lisent mal ont tendance à se percevoir comme moins capables et sont moins motivés à lire.12,13,14 Les résultats longitudinaux suggèrent que les habiletés précoces de lecture prédisent le développement des perceptions de soi plutôt que l’inverse.14,15 C’est‑à‑dire qu’ils semblent tous avoir une perception positive d’eux-mêmes lorsqu’ils commencent à lire, mais que cette perception tend à changer au fil du temps. Certaines données indiquent aussi que les enfants qui se perçoivent comme moins capables ont tendance à éviter la lecture ou à lire moins souvent.15 Le fait de lire moins fréquemment entrave l’acquisition d’habiletés qui favorisent la reconnaissance des mots et la compréhension en lecture.16 Bien que des données convergentes soient nécessaires, ces découvertes sont en accord avec l’idée qu’il est crucial que les enfants développent rapidement de solides habiletés en lecture.

Conclusions

Les données accumulées suggèrent trois choses :

  1. Les enfants qui sont plus conscients de la structure du langage apprendront à lire plus facilement que ceux qui le sont moins ou pas du tout. Plus important encore, la conscience phonologique peut être développée avant la première année.
  2. Les enfants ayant de solides habiletés en vocabulaire ont tendance à avoir une meilleure compréhension de la lecture en troisième année. Plus important encore, le vocabulaire peut être enrichi à la maison, dans les centres de la petite enfance et à la maternelle.
  3. Les enfants dont les habiletés de lecture sont plus faibles ont tendance à avoir des concepts de soi moins développés et à lire moins. Ceci met en lumière l’importance des interventions précoces afin de s’assurer que les enfants commencent leur première année avec les habiletés et les connaissances nécessaires pour apprendre à lire.

Implications

Les parents et les éducateurs peuvent favoriser le développement de la conscience phonologique et du vocabulaire chez les jeunes enfants. Ils peuvent y parvenir en incorporant les activités suivantes dans leurs occupations quotidiennes :

  1. Jouer à des jeux de mots qui mettent l’accent sur la structure du langage. Certaines données indiquent que l’introduction de l’alphabet peut aussi aider les enfants à comprendre que les mots sont formés de sons individuels.7,17 Enfin, il peut être bénéfique d’amener les jeunes enfants à explorer la structure phonologique des mots en les incitant à remarquer les sons qu’ils entendent en s’appuyant sur leur connaissance de l’alphabet, si minime soit-elle.18
  2. Lire des livres d’enfants. Des données solides indiquent que les jeunes enfants peuvent apprendre de nouveaux mots introduits par un adulte en regardant les images dans un livre, ou quand l’adulte lit le livre. Pour assurer l’apprentissage, il est important de lire les mêmes livres plus d’une fois. Les parents et les éducateurs peuvent emprunter des livres à la bibliothèque de leur quartier.19,20,21,22

Références

  1. Chall JS. Stages of reading development. New York, NY: McGraw-Hill; 1983.
  2. Adams MJ. Beginning to read: thinking and learning about print. Cambridge, Mass: MIT Press; 1990.
  3. Jones S, Pignal J. Reading the future: a portrait of literacy in Canada. Ottawa, Ontario: Statistics Canada; 1994. Cat. no. 89-551-XPE.
  4. National Early Literacy Panel. Developing early literacy: Report of the National Early Literacy Panel. Washington, DC: National Institute for Literacy; 2008. Available at: http://lincs.ed.gov/publications/pdf/NELPReport09.pdf. Accessed October 21, 2015.
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  6. Rayner K, Foorman BR, Perfetti CA, Pesetsky D, Seidenberg MS. How psychological science informs the teaching of reading. Psychological Science in the Public Interest 2001;2(2):31-74. 
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  8. National Reading Panel. Teaching children to read: An evidence-based assessment of the scientific research literature on reading and its implications for reading instruction . Washington, DC: U.S. Department of Health and Human Services, National Institutes of Health, National Institute of Child Health and Human Development; 2000. NIH Pub. No. 00-4754. 
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  10. Sénéchal M, Ouellette G, Rodney D. The misunderstood giant: On the predictive role of vocabulary to reading. In: Neuman SB, Dickinson D, eds. Handbook of early literacy research . vol 2. New York, NY: Guilford Press; 2006: 173-182.
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* Monique Sénéchal est membre du Réseau canadien de recherche sur le langage et l’alphabétisation (http://www.cllrnet.ca/).

Pour citer cet article :

Sénéchal M. Alphabétisation, langage et développement affectif. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Rvachew S, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/developpement-du-langage-et-alphabetisation/selon-experts/alphabetisation-langage-et-developpement. Actualisé : Décembre 2009. Consulté le 19 mars 2024.

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