Incidence de la dépression périnatale sur le développement des enfants : une perspective développementale
Sherryl H. Goodman, Ph.D.
Université Emory, États-Unis
, Éd. rév.
Introduction
La dépression périnatale chez les mères, c’est-à-dire la dépression qui se manifeste pendant la grossesse ou après l’accouchement, parmi les personnes qui s’identifient comme des femmes, constitue une préoccupation pour toutes les personnes en relation avec des familles qui en sont touchées. En effet, elle est une source d’inquiétude puisqu’il est reconnu qu’une grossesse saine et des soins affectueux et attentifs prodigués par la mère après la naissance jouent un rôle essentiel dans le développement du fœtus et du nourrisson et que la dépression maternelle peut lui nuire. De plus en plus d’études révèlent les liens entre la dépression périnatale de la mère et le développement psychologique du nourrisson et du jeune enfant. La recherche s’est concentrée sur les résultats qui sont préoccupants en eux-mêmes et sur les vulnérabilités de développer des troubles psychiques plus tard ainsi que les mécanismes probables de la transmission intergénérationnelle de la dépression. Même s’il reste beaucoup de questions à élucider, il est malgré tout possible de tirer des conclusions concernant les effets de la dépression périnatale sur le développement de l’enfant et les implications pour les parents, les fournisseurs de services et les décideurs politiques.
Sujet
La dépression est fréquente, surtout chez les femmes. Pendant la grossesse, les taux d’épisodes de dépression majeure, tels qu’ils sont définis dans la cinquième édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (le DSM 5), ainsi que les taux de symptômes dépressifs d’importance considérable d’un point de vue clinique et fondés sur les scores d’échelles d’évaluation psychométriques, varient de 10 à 25 %.1 Ces chiffres sont plus élevés dans les études portant sur des femmes originaires de pays à revenu faible ou intermédiaire. Parmi les femmes qui ont connu au moins un épisode de dépression majeure avant leur première grossesse, la proportion est encore plus élevée (77 %).2 Les taux de dépression prénatale et postnatale sont semblables. Enfin, comme la dépression prénatale est l’un des facteurs prédictifs les plus fiables de la dépression postnatale, c’est-à-dire que la dépression périnatale commence souvent pendant la grossesse ou avant la conception,3,4 de nombreux enfants y sont exposés à la fois pendant leur développement intra-utérin et au stade de nourrisson.
Problèmes
Du point de vue du développement, il est important d'examiner le moment où l’enfant est exposé à la dépression maternelle, surtout lorsque celle-ci présente des risques précis pour le développement et de vérifier les mécanismes par lesquels ils peuvent se concrétiser ainsi que les facteurs de résilience qui permettent aux enfants plus âgés de se prémunir contre eux. Il est particulièrement inquiétant de savoir que les enfants de mères dépressives peuvent acquérir très tôt une prédisposition à la dépression ou à d’autres problèmes qui surgiront plus tard. La dépression prénatale peut non seulement modifier le développement des systèmes biologiques associés au stress chez le fœtus, mais aussi accroître le risque de complications pendant la grossesse et l’accouchement.5 La dépression postnatale peut devenir un facteur de stress en début de vie car il est établi que la mère qui en souffre est moins portée à prodiguer à son nourrisson les soins attentifs et chaleureux dont il a besoin pour créer des liens d’attachement sains, développer les aptitudes nécessaires à la maîtrise des émotions, ainsi qu’acquérir des habiletés sociales et des mécanismes régulateurs du stress.6,7 Les facteurs de stress présents tôt dans la vie, comme ceux qui sont liés à la dépression maternelle, peuvent avoir une incidence sur le développement du cerveau, lequel se poursuit à une vitesse accélérée pendant plusieurs années après la naissance.8,9 Les problèmes touchant l’un ou l’autre des aspects du développement susmentionnés peuvent nuire au développement socioaffectif et cognitif dans les premiers stades de l’enfance, ce qui peut rendre l’enfant sujet à la dépression et à d’autres troubles plus tard.
Contexte de la recherche
La recherche sur le développement des enfants exposés à la dépression périnatale découle et bénéficie d’un ensemble de travaux qui portent sur le contexte global dans lequel s’inscrit la dépression périnatale, y compris les affections comorbides (p. ex., l’anxiété et la toxicomanie), les problèmes corrélatifs (p. ex., les troubles conjugaux) et les difficultés associées au milieu élargi (p. ex., les facteurs de stress d’ordre économique).10,11
Questions clés pour la recherche
Des chercheurs ont axé leurs études sur les effets de la dépression prénatale ou postnatale sur le développement de l’enfant au stade du nourrisson et de l'enfant et aux stades ultérieurs. D'autres ont examiné surtout sur les effets combinés de la dépression avant et après la naissance. Certaines questions importantes ont fait l’objet de recherches, notamment : a) les effets de la dépression maternelle sur le développement au stade de nourrisson et aux stades ultérieurs selon que l’enfant est exposé à la maladie avant, après ou avant et après sa naissance, b) les principaux mécanismes ou médiateurs qui permettent d'expliquer ces effets, c) les modérateurs de ces associations, comme le fait que certains enfants sont plus à risque que d'autres, notamment en tenant compte des qualités des parents, des enfants et de l’environnement. Le modèle intégratif de Goodman et Gotlib a servi de cadre organisationnel pour la plupart de ces travaux.12,13
Résultats récents de la recherche
Conformément aux mécanismes théoriques, la dépression prénatale est liée à l’accouchement prématuré, à la régulation du comportement neurologique des nourrissons, y compris leur aptitude à prêter attention à des stimuli visuels et auditifs et leur niveau général de vivacité intellectuelle, qui ont été évalués au moyen de l’échelle d’évaluation du comportement néonatal.14-17 Au-delà de la période néonatale, d’autres effets négatifs notés chez la progéniture évaluée se trouvent de l’agitation, des pleurs et des troubles du sommeil (ceux ci persistant au delà de 18 à 30 mois18) plus marqués, une plus grande asymétrie dans le tracé des électroencéphalogrammes (EEG) dans la région frontale,19,20 des taux de cortisol plus élevés,21 une plus faible variabilité de la fréquence cardiaque fœtale et une plus faible autorégulation chez le nourrisson âgé de trois mois,22 ainsi que divers aspects liés à son développement cérébral.23-26 Enfin, la dépression prénatale est associée à une augmentation des problèmes émotionnels et comportementaux à l’âge de 8 ou 9 ans.27
La dépression post-partum a été associée à une série de problèmes de développement chez les nourrissons et les jeunes enfants,28 dont un tempérament difficile chez le nourrisson, notamment une affectivité négative,29 un attachement insécurisant,30 des difficultés liées au développement cognitif et langagier,31 une faible estime de soi et d’autres lacunes sur le plan cognitif, de même que la dépression chez des enfants de cinq ans32 et de mauvaises relations avec les pairs pendant la petite enfance.33
Même si beaucoup de théories ont été élaborées à partir d’études sur les animaux qui soutiennent que le cortisol agit comme médiateur dans la relation entre la dépression prénatale et ce qui est observé chez le nourrisson ou l’enfant, les données à cet égard ne sont pas convergentes et ont été obtenues principalement de façon indirecte. D’abord, les tests d’association entre la dépression et le cortisol pendant la grossesse ont généré des résultats mitigés ou insuffisants.34 Toutefois, une étude récente portant sur une cohorte de naissance a révélé de fortes corrélations entre les niveaux de cortisol capillaire à l’accouchement et une dépression prénatale systématiquement marquée, révélant ainsi que des indices cumulatifs ou de trajectoire associés à la dépression prénatale jouent un rôle important.35 Ensuite, les études qui ont porté soit sur le lien direct entre le taux de cortisol maternel pendant la grossesse et les éléments observés chez les nourrissons et les enfants, soit sur le rôle du cortisol durant la période prénatale en tant que médiateur entre la dépression avant la grossesse et les effets subséquents constatés ont donné des résultats variés, bien qu’ils aient bénéficié récemment d’un certain soutien.36,37 À l'inverse, de plus en plus de données mettent en évidence le rôle de médiateur que jouent certaines caractéristiques de la progéniture dans la transmission intergénérationnelle du risque de dépression chez la mère, et notamment de la dépression prénatale. Par exemple, des symptômes de dépression élevés chez les femmes enceintes ont été associés à une maturation neuronale moindre dans la région pariétale du nourrisson âgé de 4 mois (régions qui assurent les fonctions sociocognitives). Ceci a par la suite été associé à un tempérament d’affectivité négative plus important chez le nourrisson.38
Les principaux mécanismes qui jouent un rôle dans le rapport entre la dépression postnatale et le développement des jeunes enfants sont les problèmes de conduites parentales et le niveau élevé de stress, deux éléments étroitement liés à la dépression chez la femme. Des études de plus en plus nombreuses montrent que les habiletés parentales et le stress ou l’adversité sont des médiateurs de l’association entre la dépression postnatale et les problèmes de développement de l’enfant.7,39,40 La dépression mine les habiletés parentales reconnues comme étant liées au bon développement des nourrissons et des jeunes enfants, puisqu’elle est associée à un style de conduites parentales fort probablement stressant pour les enfants (p. ex., indifférence/désengagement, hostilité/critique ou imprévisibilité).41 Les conflits de couple6 sont d’autres mécanismes qui ont fait l’objet de recherches empiriques concluantes. Des tests de plus en plus nombreux sur les mécanismes de transmission intergénérationnelle de la dépression révèlent la complexité des modèles prédictifs. En guise d’exemple, Sellers et coll.42 ont prouvé de façon empirique que l’hostilité et la tendresse manifestées par la mère constituent des médiateurs de l’association entre la gravité de la dépression de celle-ci et le risque de troubles psychologiques chez son enfant, ce risque étant atténué par la présence de symptômes de comportement antisocial cooccurrents chez la mère.
Étant donné que les femmes souffrant de dépression prénatale sont fréquemment aussi touchées par la dépression postnatale, beaucoup d’enfants sont doublement exposés à cette affection. Cette exposition répétée au cours de la grossesse et après l’accouchement est plus nuisible que l’une ou l’autre des expositions considérées de façon isolée.43 De façon plus générale, la chronicité est associée à des résultats plus négatifs.43,44
Lacunes de la recherche
Bien que la dépression périnatale et ses répercussions sur les enfants soient de mieux en mieux comprises, de nombreuses questions restent encore sans réponse. Il convient de mener des études longitudinales pour tester les mécanismes particuliers susceptibles d’expliquer ces associations et les voies par lesquelles la dépression, qui commence pendant la grossesse, en vient à être associée à des résultats néfastes chez les enfants. Des plans d’étude et des approches d’analyse de plus en plus élaborés permettent de tester la façon dont ces mécanismes sont susceptibles d’interagir, et ce, de différentes manières, à diverses étapes du développement.
De plus, d’autres études sont nécessaires pour déterminer les enfants de parents atteints de dépression périnatale qui sont plus, ou moins, susceptibles de connaître des difficultés, que ce soit en raison de leurs propres caractéristiques, comme le sexe, de celles de leurs parents, comme la gravité de la dépression ou des affections comorbides, ou de facteurs liés au milieu, comme la pauvreté. Il importe également d’étudier en tant qu’éventuels modérateurs les gènes polymorphes qui sont impliqués dans la dépression. La méthode de l’appariement des coefficients de propension semble prometteuse en vue de mettre en évidence les différences entre les mères dépressives et celles qui ne le sont pas, différences qui ont une incidence sur les enfants.45 Nous devons donc accorder une plus grande attention à la variabilité, en commençant par la caractérisation de nos échantillons de mères dépressives en ce qui concerne les comorbidités, les corrélats et l’évolution de la maladie. De façon générale, il faut mener plus d’études d’un point de vue développemental comportant plusieurs évaluations de la dépression périnatale, à divers intervalles, qui permettra d’évaluer par un processus transactionnel la façon dont les facteurs liés à l’enfant peuvent contribuer au développement et à la persistance de la dépression chez la mère.46 En outre, il est indispensable de reconnaître et d’inclure dans nos études les personnes transgenres et celles dont le genre est expansif pendant la grossesse et la période postnatale.
Conclusions
La dépression périnatale est liée à divers problèmes touchant de nombreux aspects du fonctionnement chez les nourrissons et les jeunes enfants, ce qui accroît chez eux le risque de dépression ou d’autres troubles plus tard. Il peut s’agir aussi bien de dysfonctionnement affectif et interpersonnel que d’anomalies neuroendocrines et de l‘asymétrie frontale dans le tracé d’EEG. Même si, jusqu’ici, la plupart des études sur la dépression périnatale ont davantage porté sur la dépression postnatale, certaines qui ont également évalué la dépression prénatale révélant que cette dernière est au moins en partie la cause de certains des effets antérieurement attribués à la dépression postnatale. La qualité des conduites parentales et les milieux stressants sont des mécanismes qui jouent un rôle, du moins en partie, dans le rapport entre la dépression postnatale et les problèmes de développement du jeune enfant. Des mécanismes commencent à apparaître pour expliquer les associations entre la dépression prénatale et les problèmes des jeunes enfants. Les processus transactionnels aident à expliquer les nombreux effets négatifs successifs, comme le fait qu’une mère souffrant de dépression pendant sa grossesse mette au monde un bébé difficile qui lui donnera du fil à retordre alors qu’elle est déjà fragile, ce qui pourra la conduire à sombrer de nouveau dans la dépression. Bien qu’il n’en ait pas été question ici, il est bien souvent possible de prévenir et de soigner la dépression, y compris la dépression périnatale.
Implications : parents, services et politiques
Les résultats présentés sont importants pour les parents, car ils peuvent les aider à comprendre que la dépression périnatale doit être prise au sérieux, évaluée et soignée. Les femmes qui ont des antécédents de dépression pourraient bénéficier d’interventions préventives lorsqu’elles tombent enceintes ou envisagent de le devenir, ce qui pourrait réduire les risques qu’elles souffrent de dépression périnatale. Les membres de la famille peuvent aider en reconnaissant les premiers signes de la dépression périnatale, en fournissant du soutien et en réduisant au minimum les obstacles qui empêchent de recevoir des soins, y compris ceux d’ordre pratique ainsi que les préjugés. Les prestataires de services qui travaillent auprès de femmes enceintes ou ayant nouvellement accouché jouent un rôle clé, non seulement parce qu’ils peuvent aider à dépister la dépression périnatale, mais aussi parce qu’ils peuvent faciliter l’accès rapide à des soins efficaces et suivre le développement des nourrissons. De nombreux traitements existent. Un rapport du National Research Council et de l’Institute of Medicine of the National Academies comporte de nombreuses recommandations à l’intention des décideurs politiques.47
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Pour citer cet article :
Goodman SH. Incidence de la dépression périnatale sur le développement des enfants : une perspective développementale. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/depression-maternelle/selon-experts/incidence-de-la-depression-perinatale-sur-le-developpement-des. Actualisé : Janvier 2024. Consulté le 9 décembre 2024.
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