Le développement prosocial au cours de la vie


1University of Ottawa, School of Psychology, Canada, 2University of Pittsburgh, Department of Psychology, États-Unis

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Introduction

Les comportements prosociaux sont des actes volontaires qui ont pour but de bénéficier à quelqu’un.1 Ces actes émergent tôt dans la vie, un peu après le stade où le bébé apprend à ramper,2 et leur complexité augmente au fil de l’existence. En effet, les actes prosociaux paradoxaux, comme le mensonge prosocial, émergent au milieu de l’enfance, et ceux qui impliquent un engagement à long terme apparaissent à l’adolescence et à l’âge adulte. 

Sujet

Le comportement prosocial apparaissant dès la première année de la vie, certains ont soutenu récemment que les bébés naissent avec une prédisposition pour la moralité et l’altruisme.3,4 Une perspective à long terme du développement prosocial, sur toute la durée de la vie, permet à la fois de confronter et d’enrichir ce point de vue. Au cours de la vie, le comportement prosocial exerce plusieurs fonctions, allant du simple plaisir à l’établissement de relations ou de la réputation ainsi qu’à la satisfaction d’aspirations explicitement morales.5 

Problème

En adoptant une perspective qui couvre toute la durée de la vie, on peut décrire comment le comportement prosocial change avec l’âge, tant dans sa forme que dans sa fonction, ainsi que les mécanismes spécifiques pouvant affecter son émergence et son développement à chaque stade de la vie. Par exemple, les comportements prosociaux précoces des très jeunes enfants, bien que semblables en apparence aux formes de comportement adultes, pourraient avoir des motifs et des fonctions uniques qui s’appliquent moins aux comportements ultérieurs.6 Une perspective à long terme du développement prosocial peut aussi aider les chercheurs à déterminer le rôle que les parents, les pairs et d’autres adultes peuvent jouer dans ce développement tout au long de la vie, ainsi qu’à intervenir pour le favoriser. 

Contexte de la recherche

La majorité des recherches sur le comportement prosocial est basée sur des observations directes et indirectes du comportement, dans des études expérimentales ou en milieu naturel, et sur des rapports du participant, d’un parent ou d’un enseignant;  les devis sont transversaux, longitudinaux et, plus rarement, basés sur des jumeaux. Cependant, des études plus récentes ont aussi utilisé d’autres méthodes pour explorer le comportement prosocial, notamment l’imagerie neurale7 et la dilatation des pupilles et le suivi oculaire (« eye tracking »).8 Il est probable que la recherche future utilisera des méthodes convergentes, en combinant des approches comportementales à d’autres méthodologies. 

Questions clés de la recherche

Deux questions de recherche centrales se posent en ce qui a trait au développement du comportement prosocial au cours de la vie : il importe de comprendre les trajectoires générales de ce développement et d’étudier comment les niveaux individuels de comportement prosocial changent ou restent stables au fil des années.5 

Résultats de recherche récents

a) Aider, partager et prendre soin de l’autre chez les enfants de 1 à 3 ans

Les très jeunes enfants, dès l’âge de 12 mois, avertissent les adultes d’événements que ceux-ci n’ont pas vus en les pointant et leur offrent aussi une aide instrumentale en les aidant à compléter des tâches contrariantes telles que de ramasser un objet hors de leur portée.9,10 Vers l’âge de 3 ans, les enfants sont plus en mesure de réconforter une personne en détresse, par exemple en étreignant un pair blessé, et de partager des ressources (par ex., nourriture ou jouet) avec ceux qui en expriment le besoin.11-15 Dans les études expérimentales, ces comportements prosociaux en bas âge sont relativement similaires chez les garçons et chez les filles; cependant, dans les rapports remplis par les parents de jeunes enfants et leurs enseignants, ainsi que dans les études expérimentales menées pendant l’enfance et au-delà, les filles ont tendance à adopter des comportements plus réconfortants et les garçons, des comportements d’aide plus risqués.16,17 

Les études interculturelles mettent en lumière les mêmes formes de base de comportement prosocial chez les nourrissons de différentes cultures18 et certains résultats indiquent que les différences interindividuelles dans la prosocialité seraient héritables (c.-à-d., déterminées par les gènes).19 On note également des différences interculturelles et interindividuelles considérables dans la prosocialité à tous les âges.20-24 

Un mécanisme sous-tendant potentiellement le comportement prosocial précoce est l’empathie,25 qui se manifeste d’abord par des pleurs réactifs en réponse aux pleurs d’un autre nourrisson.26-29 Chez les enfants de 1 à 3 ans, les expressions de préoccupation empathique sont liées à l’action de réconforter les autres.15,30 D’autres formes de comportement prosocial, comme les tentatives d’assister les adultes dans les activités et les tâches quotidiennes, peuvent découler du désir d’affiliation des jeunes enfants (par ex., interagir avec les autres dans un contexte de plaisir et d’amusement) ou encore de leur désir de maîtrise des tâches adultes.31-35 Bien que cela soit moins bien compris, les motifs derrière un acte prosocial particulier peuvent également changer au cours du développement; par exemple, nourrir un animal domestique peut être « amusant » pour un jeune enfant, mais cet acte devient graduellement motivé par un sentiment de responsabilité et un souci envers l’animal au fil des années.2,24 

Tout au long de la petite enfance, les parents contribuent au développement précoce du comportement prosocial, par exemple lorsqu’ils parlent des émotions et états d’esprit des autres avec leur enfant (par ex., « triste », « se rappeler »12) et lorsqu’ils structurent des interactions d’affiliation et de collaboration pour faciliter la participation des jeunes enfants à des événements prosociaux et leur apprentissage par imitation.35-37 

b) Enfance : réfléchir sur soi et les autres 

Vers l’âge de 4 ans, les réflexions des enfants sur leurs propres actions et celles des autres deviennent plus sophistiquées.5,38,39 Alors que les très jeunes enfants s’attendent à une répartition équitable des biens,40,41 les enfants un peu plus âgés acceptent que cette répartition puisse être inégale, car ils acquièrent une compréhension sociale plus complexe qui tient compte de facteurs comme l’effort, le besoin, l’appartenance au groupe, le coût et les expériences passées en matière de répartition.42-46 

Au milieu de l’enfance, les enfants des pays industrialisés s’associent régulièrement avec leurs pairs et moins souvent avec leurs parents. Les pairs, comme les parents, influencent à leur manière la compétence de l’enfant à assister les autres et ses opportunités de le faire.47 Ainsi, le comportement prosocial de l’enfant devient plus complexe dans ces nouveaux contextes sociaux.2,5,48,49 Alors que les enfants commencent à comprendre les émotions de leurs amis et de leurs pairs, ainsi que les attentes de l’école et des enseignants, ils commencent à utiliser le mensonge prosocial pour protéger les émotions d’un pair ou, dans certaines cultures, pour sembler modeste.50 De façon similaire, les enfants apprennent aussi que les contrariétés nécessaires, comme de retirer un enfant d’une structure de jeu dangereuse, peuvent s’avérer bénéfiques.51 

c) Adolescence et début de l’âge adulte : bénévolat et identité

Le comportement prosocial a tendance à décliner au début de l’adolescence,52 ce qui est lié en partie aux changements hormonaux et physiologiques de la puberté,53 puis il revient.54 Une nouvelle forme de prosocialité émerge alors que les adolescents deviennent plus indépendants socialement : l’engagement civique et le bénévolat. Participer à des groupes confessionnels, faire partie d’une équipe sportive comme joueur ou entraîneur ou s’impliquer dans un club scolaire sont des activités qui requièrent le maintien de l’activité prosociale dans le temps. Ces activités contribuent à un sentiment de pouvoir par l’action, à savoir que les actions individuelles peuvent faire une différence dans la vie des autres,55 et au développement de l’identité.56-58 Le bénévolat pendant l’adolescence est lié à l’engagement civique ultérieur.59

d) Âge adulte et au-delà : générations futures et modèles de vertu

Les adultes disposent de plus de ressources matérielles, de connaissances, d’indépendance et, particulièrement pour les adultes retraités, de temps, que les individus à d’autres stades de la vie. Certains individus extraordinaires deviennent des modèles de vertu, démontrant un engagement moral exceptionnel ou un sacrifice héroïque.58 Cependant, la recherche classique en psychologie sociale sur des phénomènes comme l’effet du passant, selon lequel les adultes sont moins susceptibles d’aider leur prochain lorsqu’ils se trouvent en groupe, montre que les adultes ne sont pas automatiquement plus prosociaux que les enfants et les adolescents.5,60 

La parentalité ou la responsabilité d’un enfant au sens large constitue un contexte important de prosocialité, bien qu’il soit rarement reconnu ainsi dans la littérature scientifique. En plus d’aider les autres directement, les parents, enseignants et autres adultes responsables d’enfants tentent aussi de cultiver la prosocialité de ces derniers lors de leur socialisation, en explicitant les attentes morales et en facilitant la coopération des enfants dans la famille et la vie sociétale. Ils bouclent ainsi la boucle du développement prosocial au fil de la vie.2,37,47,61-63

Lacunes de la recherche

La principale lacune dans la recherche sur l’évolution du comportement prosocial au cours de la vie consiste à comprendre la relation développementale entre les comportements prosociaux qui apparaissent très tôt et ceux qui émergent plus tard dans la vie.2,5 On ne sait pas non plus comment certains comportements prosociaux en viennent à être motivés par des considérations morales. Éclaircir ceci est un grand défi, car ces comportements sont motivés par de nombreux facteurs qu’il est difficile de départager: compréhension sociale et morale croissante, formation et maintien de relations sociales et évolution des rôles sociaux, comme celui d’étudiant ou de parent.5

Conclusion

Le comportement prosocial est un concept dont la définition relativement simple (actes volontaires intentionnellement bénéfiques aux autres) masque une diversité remarquable.5 Cette diversité est particulièrement apparente à l’échelle temporelle de la vie entière : lorsque le comportement prosocial est étudié au fil des années, on observe des changements dans ses motifs, sa structure, son cadre temporel et ses bénéficiaires. Le comportement prosocial du très jeune enfant n’est pas complètement différent de celui de l’adulte, mais il n’y est pas non plus identique. De plus, le comportement prosocial d’un même individu peut ne pas être motivé chaque fois par les mêmes raisons. En l’observant sur toute la durée de la vie, on peut constater que la nature humaine est guidée par des considérations sociales (les interactions avec les autres), mais pas toujours par la morale. Étant donné sa complexité développementale, nous devons aussi considérer la possibilité que le comportement prosocial ait plusieurs fonctions. Il est possible que ce soit à travers les expériences de vie, avec le travail assidu, la réflexion et l’engagement, qu’il prenne réellement sa forme morale. 

Implications for les parents, les services et les politiques 

Le comportement prosocial constitue un aspect normal et nécessaire de la vie en société et du développement social; le promouvoir sous toutes ses formes est clairement souhaitable.63 Cependant, les parents et les enseignants doivent être conscients que la prosocialité est compliquée et que certains motifs et certaines structures de comportement sont plus souhaitables que d’autres. Par exemple, bien qu’il soit important d’encourager le partage des ressources, ce comportement peut facilement amener l’enfant à faire preuve de favoritisme, par exemple envers les enfants de son propre groupe. Ces biais peuvent être abordés et rectifiés par les parents et éducateurs.45 

Sur le plan développemental, certaines données indiquent que les actes prosociaux initialement posés pour des raisons sociales, comme les tâches auxquelles les très jeunes enfants participent pour le plaisir, peuvent devenir motivés par des facteurs personnels et moraux légitimes lorsque les enfants commencent à se soucier des bénéficiaires de ces actes.31,34 En parallèle, les parents ne devraient pas se préoccuper outre-mesure du fait qu’un comportement prosocial motivé par l’intérêt et le plaisir chez le jeune enfant décline alors que l’enfant maîtrise la tâche et que celle-ci devient une « corvée »; un certain déclin de la prosocialité lié à l’âge est aussi attendu.  

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Pour citer cet article :

Hammond SI, Brownell SA. Le développement prosocial au cours de la vie. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Knafo-Noam A, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/comportement-prosocial/selon-experts/le-developpement-prosocial-au-cours-de-la-vie. Publié : Novembre 2015. Consulté le 14 octobre 2024.

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