Soutenir les familles pour former des liens d’attachement sécurisant : commentaires sur Benoit, Dozier et Egeland
Femmie Juffer, Ph.D., Marian J. Bakermans-Kranenburg, Ph.D., & Marinus H. van IJzendoorn, Ph.D.
Centre for Child & Family Studies, Leiden University, Pays-Bas
, 2e éd.
Introduction
Depuis que Bowlby et Ainsworth ont formulé la théorie de l’attachement,1,2 plusieurs programmes d’intervention visant à favoriser des liens d’attachement sécurisant entre les parents et l'enfant ont été lancés. Généralement, ces programmes sont conçus pour améliorer la sensibilité des parents, soit la capacité à percevoir correctement les signaux d’attachement de l’enfant et celle d’y réagir rapidement et adéquatement.2 L’objectif ultime de ces interventions est de transformer les liens d’attachement enfant-parent insécurisant-évitant (A) et insécurisant-résistant (C) en liens sécurisants (B).2 Dans quelques programmes, l’intervention n’est pas seulement axée sur la sensibilité du comportement des parents, mais aussi sur les représentations mentales de l’attachement chez la mère, comme dans le programme STEEP (Steps Toward Effective Enjoyable Parenting) décrit par Egeland. Selon Benoit, la découverte d’une nouvelle catégorie d’attachement insécurisant, l’attachement désorganisé (D),3 entraîne de nouveaux défis pour les interventions portant sur l’attachement.
Étant donné l’impact négatif de l’attachement désorganisé sur le développement de l'enfant, les interventions portant sur l’attachement ne devraient pas se centrer, ou pas uniquement, sur les déterminants empiriquement dérivés de l’attachement organisé (A, B, C), comme les représentations mentales de l’attachement sécurisant ou insécurisant des parents ou le comportement sensible (voir Dozier), mais aussi sur les déterminants de l’attachement désorganisé (D). Les résultats d’études empiriques ont permis d’appuyer le modèle de Main et Hesse4 selon lequel les pertes ou les traumatismes non résolus des parents sont liés à l’attachement insécurisant-désorganisé chez les enfants à cause des comportements effrayés ou effrayants des parents. Cependant, on n’a pas encore rapporté de résultats pour les interventions qui ciblaient directement les comportements effrayants. À la première étape, il est important d’évaluer les effets des interventions portant sur l’attachement qui incluent la désorganisation de l’attachement des nourrissons comme mesure de résultat (voir plus bas), mais à l’étape suivante, on devrait évaluer les interventions spécifiquement conçues pour prévenir l’attachement insécurisant désorganisé.
Recherches et conclusions
Egeland résume élégamment les grands principes de la théorie de l’attachement. Selon Bowlby,1 les nourrissons sont biologiquement prédisposés à utiliser leur parent comme un havre de sécurité pouvant leur procurer du réconfort et de la protection quand ils sont en détresse, et qui représente une base sécurisante à partir de laquelle ils peuvent explorer leur environnement. En grandissant, les enfants forment des représentations mentales ou des modèles opérants internes en se basant sur leurs expériences avec les donneurs de soins. S’ils ont vécu des expériences positives avec des parents sensibles, ils continueront à compter sur eux en montrant leur détresse, et le contact avec eux les calmera (ce que Ainsworth2 définit comme des modèles d’attachement sécurisant). En revanche, les parents insensibles rejettent les demandes de réconfort de leurs enfants, et d’autres parents ne sont pas disponibles de façon constante. Les enfants de ces parents forment des liens d’attachement insécurisant, soit en évitant le parent ou en lui résistant passivement ou avec colère. Les attachements sécurisants pendant la petite enfance prédisent un développement plus optimal plus tard dans l’enfance (par exemple, la compétence sociale), alors que les attachements insécurisants prédisent des résultats moins optimaux.
En se basant sur les nombreux résultats positifs de l’attachement sécurisant découverts dans des études empiriques, Egeland conclut clairement que les programmes devraient être conçus et évalués afin de promouvoir des liens d’attachement sécurisant et d’améliorer le développement des enfants à risque de problèmes développementaux. Il recense plusieurs interventions portant sur l’attachement (par exemple, le projet complet STEEP) et décrit aussi une première méta-analyse dans ce domaine.5 Cette méta-analyse des effets de 12 interventions sur l’attachement portant sur la sensibilité maternelle et la sécurité de l'enfant montre que ces interventions réussissent mieux à modifier l’insensibilité des parents que la sécurité de l’attachement des enfants.5
Egeland ne traite pas du suivi de cette première méta-analyse sur la sensibilité des parents et l’attachement, et ne couvre pas non plus la façon de prévenir les attachements insécurisants désorganisés. Récemment, une méta-analyse quantitative soigneusement étendue et mise à jour a inclus 88 interventions portant sur la sensibilité maternelle et la sécurité de l'enfant et répertoriées dans 70 études.6 Cette méta-analyse a permis de montrer que les interventions spécifiquement axées sur la promotion de la sensibilité du comportement des parents semblaient plutôt efficaces pour modifier l’insensibilité du parentage ainsi que l’insécurité de l’attachement du nourrisson. Une des conclusions de cette série de méta-analyses, aussi illustrée par le titre de l’article “Less is more” (Moins, c’est mieux), était que les interventions comportant un nombre modeste de séances (jusqu’à 16) semblaient plus efficaces que celles qui en avaient un plus grand nombre. Cela s’est révélé vrai autant pour les groupes cliniques que non cliniques.6
Ceci diverge de la conclusion d’Egeland selon laquelle des interventions plus complètes et à plus long terme sont nécessaires pour les familles à risque élevé. Bien que cela puisse être vrai pour d’autres objectifs d’intervention, comme aider les mères à risque élevé à faire face à l’adversité ou aux tracas quotidiens entourant la naissance d’un enfant, une récente méta-analyse montre qu’en ce qui a trait à la sensibilité et à l’attachement, le moyen le plus efficace est de fournir des interventions portant sur l’attachement qui consistent en un petit nombre de séances centrées sur la sensibilité.
Dozier élabore sur l’état d’esprit des parents comme un des prédicteurs les plus solides de l’attachement de l'enfant. L’état d’esprit des parents capables de réfléchir à leurs propres expériences d’enfance de façon cohérente est qualifié d’autonome. Quand ils ne sont pas cohérents lorsqu’ils évoquent leurs propres expériences d’attachement, on parle d’état d’esprit non autonome. Ici, les travaux de Main se font remarquer : l’entrevue sur l’attachement de l’adulte7 permet aux codeurs de distinguer la fiabilité chez les parents ayant des états d’esprit insécurisants (rejet, préoccupation, non résolu) et chez ceux dont les représentations de l’attachement sont sécurisantes (autonomes). Plusieurs études empiriques ainsi qu’une méta-analyse8 ont permis de découvrir que les parents insécurisants avaient généralement des nourrissons dont l’attachement était insécurisant et que les parents sécurisants avaient des enfants qui avaient tendance à être sécurisés. Dozier remarque que certaines interventions portant sur l’attachement sont conçues pour cibler l’état d’esprit des parents afin de modifier l’attachement du nourrisson, bien que plusieurs autres interventions tentent de changer uniquement la sensibilité parentale.
Dozier cite la récente méta-analyse d’interventions portant sur l’attachement effectuée par Bakermans-Kranenburg et collègues,6 et en résume les principaux résultats : les interventions brèves axées sur la sensibilité et débutant après les six mois de l’enfant sont les plus efficaces, indépendamment du statut de risque ou de la condition socio-économique des parents. Elle n’aborde pas explicitement l’attachement désorganisé ni ses implications pour la recherche sur l’intervention.
Contrairement aux deux premiers auteurs, Benoit décrit explicitement le défi que pose la découverte de l’attachement insécurisant-désorganisé pour le domaine des interventions portant sur l’attachement. Au début de son article, elle remarque que parmi les quatre modèles d’attachement du nourrisson (sécurisant, évitant, résistant, désorganisé), la catégorie désorganisée pendant l’enfance a été identifiée comme un risque puissant de psychopathologie ultérieure. De plus, elle observe que dans le cas de l’attachement désorganisé, l’intervention ne devrait pas se centrer sur la sensibilité des parents puisqu’elle remarque que la sensibilité n’est pas liée à l’attachement désorganisé. Néanmoins, une méta-analyse a permis de montrer que les interventions centrées sur la sensibilité réussissaient à réduire ou à prévenir la désorganisation de l’attachement9 (voir plus bas). Nous avons remarqué que cette découverte pouvait être expliquée par le fait que les parents deviennent plus centrés lors de leur interaction avec l'enfant et donc moins enclins aux processus dissociatifs en sa présence. . Selon Benoit, une des trajectoires récemment identifiée et conduisant vers l’attachement désorganisé est l’exposition des enfants à des formes spécifiques de comportements aberrants chez les donneurs de soins, que l’on qualifie d’atypiques.
Par conséquent, Benoit conclut que les interventions portant sur l’attachement devraient se centrer à la fois sur l’amélioration de la sensibilité des parents (pour promouvoir un attachement sécurisant) et sur la réduction et l’élimination des comportements atypiques des parents (pour prévenir ou diminuer l’attachement désorganisé). L’étude de Benoit, qui a démontré les effets d’une intervention centrée, brève, et portant sur la formation comportementale des parents pour réduire les comportements atypiques des donneurs de soins, est un premier exemple d’étude indispensable visant à réduire les comportements effrayants/effrayés ou atypiques des parents. Il serait enthousiasmant de savoir si ce type d’intervention a effectivement réussi à prévenir ou à réduire l’attachement désorganisé.
Implications pour la pratique clinique et pour les services
Que pouvons-nous conclure sur les interventions portant sur l’attachement et sur l’état des connaissances de la recherche sur l’intervention? En se basant sur deux méta-analyses5,6 effectuées en 1995 et 2003, on peut tirer plusieurs conclusions pour la pratique clinique. Des données empiriques indiquent que les interventions peuvent réussir à améliorer la sensibilité des parents et à promouvoir un attachement sécurisant chez les enfants, surtout quand l’intervention est relativement courte (jusqu’à 16 séances), orientée sur le comportement, centrée uniquement sur la sensibilité (plutôt que des interventions plus larges incluant du soutien social, etc.), et commence après les six mois du nourrisson. Cependant, le soutien à long terme et portant sur des aspects variés des familles à problèmes multiples et visant à les aider à faire face à leurs tracas quotidiens peut être nécessaire afin de les habiliter à se centrer sur la sensibilité par la suite.6 La méta-analyse de 2003 a aussi trouvé une relation dose-réponse notable entre le succès de l’intervention sur la sensibilité des parents et son impact sur la sécurité de l’attachement des enfants : seules les interventions ayant eu des répercussions substantielles sur la sensibilité ont réussi à changer l’insécurité de l’attachement.6
Les deux méta-analyses incluaient des interventions visant à modifier les liens d’attachement insécurisant organisé : soit les liens insécurisants-évitants et insécurisants-résistants, mais pas la catégorie clinique importante de l’attachement insécurisant désorganisé. À ce jour, peu d’interventions sont spécifiquement conçues pour prévenir la désorganisation de l’attachement. Dans la même veine, la plupart des interventions portant sur l’attachement ne rapportent pas d’effets sur l’attachement désorganisé. Ceci constitue une sérieuse lacune dans nos connaissances pour deux raisons : 1) La recherche récente a montré que l’attachement désorganisé était un prédicteur de la psychopathologie, alors que l’attachement insécurisant-évitant et résistant menait à une adaptation moins optimale mais non pathologique chez l'enfant.10 Il est donc impératif d’évaluer les interventions portant sur l’attachement d’après leur valeur potentielle de prévention de la désorganisation de l’attachement. 2) Étant donné que même les enfants sécurisés sont considérés insécurisés quand leur comportement d’attachement comporte de graves signes de désorganisation, il est très pertinent que les interventions rapportent non seulement les effets sur l’attachement sécurisant, mais aussi ceux sur l’attachement désorganisé.
Récemment, une recension narrative et une méta-analyse quantitative ont été complétées afin d’inclure 15 interventions préventives où l’attachement désorganisé du nourrisson était considéré comme une mesure de résultat.9 Bien que l’effet général de toutes les interventions combinées n’ait pas été significatif, certaines ont réussi à prévenir l’attachement désorganisé chez les enfants. Ces interventions avaient toutes les caractéristiques suivantes : elles débutaient après l’âge de six mois plutôt qu’avant; elles étaient centrées sur la sensibilité; et elles incluaient des échantillons d’enfants à risque plutôt que des parents à risque.9
Par exemple, une intervention préventive chez des familles qui avaient adopté des enfants à l’étranger a significativement augmenté la sensibilité maternelle et significativement réduit l’attachement désorganisé : dans le groupe d’intervention, il y avait seulement 6 % d’enfants dont l’attachement était désorganisé comparé à 22 % dans le groupe témoin.11 Cette étude a utilisé une intervention brève de trois séances à domicile qui consistait en une rétroaction par vidéo, centrée sur la sensibilité des parents, et qui commençait quand l'enfant atteignait l’âge de six mois. En se basant sur les résultats positifs de cette étude, la pratique de l’adoption a changé aux Pays-Bas. Les nouveaux parents adoptifs peuvent demander un nouveau service après l’adoption : jusqu’à quatre séances de rétroaction par vidéo, mis en place par une organisation qui centralise les services d’adoption, financé par le gouvernement. De plus en plus de parents adoptifs utilisent ce nouveau service. L’intervention de rétroaction par vidéo utilisée dans les familles adoptives11 a été étendue et adaptée pour le programme Leiden VIPP (Video-feedback Intervention to Promote Positive Parenting).12,13 Ce programme, ainsi que plusieurs adaptations et extensions ont été utilisés dans plusieurs contextes et cultures, par exemple avec des mères qui souffrent d’insécurité ou de troubles de l’alimentation, avec des familles ayant des nourrissons prématurés et malades ou des jeunes enfants externalisés, et dans les services de garde.14
Les études futures devraient aussi se centrer sur l’évaluation des interventions explicitement orientées sur le comportement effrayé ou effrayant des parents comme déterminant dérivé de l’attachement désorganisé du nourrisson. Comme les méta-analyses sur l’attachement organisé et désorganisé indiquent toutes l’importance du rôle de la sensibilité des parents, il serait avisé d’inclure l’amélioration de cette sensibilité dans toutes les interventions portant sur l’attachement.
Références
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- Main M, Hesse E. Parents’ unresolved traumatic experiences are related to infant disorganized attachment status: Is frightened and/or frightening parental behavior the linking mechanism? In: Greenberg MT, Cichetti D, Cummings E, eds. Attachment in the preschool years: Theory, research, and intervention. Chicago, Ill: University of Chicago Press; 1990:161-182.
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- Solomon J, George C. The place of disorganization in attachment theory: Linking classic observations with contemporary findings. In: Solomon J, George C, eds. Attachment disorganization. New York, NY: Guilford Press; 1999:3-32.
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- Juffer F, Bakermans-Kranenburg MJ, Van IJzendoorn MH. Introduction and outline of the VIPP and VIPP-R program. In: Juffer F, Bakermans-Kranenburg MJ, van IJzendoorn MH, eds. Attachment-based intervention with video-feedback and biographical discussion: The Leiden VIPP and VIPP-R program. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum. Sous presse.
- Juffer F, Bakermans-Kranenburg MJ, Van IJzendoorn MH, eds. Attachment-based intervention with video-feedback and biographical discussion: The Leiden VIPP and VIPP-R program. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum. Sous presse.
Pour citer cet article :
Juffer F, Bakermans-Kranenburg MJ, van IJzendoorn MH. Soutenir les familles pour former des liens d’attachement sécurisant : commentaires sur Benoit, Dozier et Egeland. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. van IJzendoorn MH, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/attachement/selon-experts/soutenir-les-familles-pour-former-des-liens-dattachement-securisant. Actualisé : Mars 2007. Consulté le 14 octobre 2024.
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