[Archivé] Promouvoir la sécurité d’attachement chez les enfants victimes de maltraitance : Un commentaire sur van IJzendoorn et Bakermans-Kranenburg


1Université du Québec à Montréal, Canada, 2Université du Québec à Trois-Rivières, Canada

Version PDF

Introduction

Afin de mieux comprendre les effets de la maltraitance sur le développement de l’enfant, il importe selon van IJzendoorn et Bakermans-Kranenburg1 de se questionner sur les mécanismes impliqués dans le développement de l’attachement désorganisé et sur les capacités de résilience que présentent contre toute attente certains enfants maltraités.

De telles questions sont prioritaires, car les études qui en découleront permettront de développer des services spécifiques aux besoins présentés par les enfants maltraités et leurs donneurs de soins. En effet, il est malheureusement déconcertant de constater encore aujourd’hui que certaines pratiques cliniques inadéquates, voire abusives et même dangereuses pour la vie de l’enfant, continuent à être privilégiées par certains cliniciens et parents.2,3 À notre avis, des études rigoureuses sur l’efficacité de programmes d’intervention favorisant le développement d’un attachement sécurisant chez l’enfant maltraité sont essentielles pour répondre aux questions posées par ces chercheurs. Ceux-ci illustrent bien l’état des connaissances sur l’attachement des enfants victimes de maltraitance. Notre commentaire vise donc à mettre en lumière les aspects à considérer dans le développement de programmes d’intervention visant à prévenir l’attachement désorganisé chez les enfants maltraités.

Recherche et conclusions

Parmi les études évaluant l’efficacité de programmes d’intervention fondée sur la théorie de l’attachement, seulement deux ont exclusivement été menées auprès d’enfants maltraités et de leurs parents signalés aux services de la protection de l’enfance.4,5 Ces deux études, remarquables pour leur devis à essais randomisés, ont démontré une réduction substantielle des comportements d’attachement désorganisé et une augmentation des comportements d’attachement sécurisant chez des enfants à la petite enfance et d’âge préscolaire suite à une intervention fondée sur la théorie de l’attachement.

Cicchetti et al.,4 lesquels ont administré une intervention de longue durée (environ 21 rencontres) visant à modifier les perceptions et attributions erronées du parent à l’égard de son enfant en les reliant aux expériences d’attachement dans l’enfance du parent, n’ont toutefois observé aucun effet sur la sensibilité maternelle. En contre partie, le programme de Moss et al.,5 constitué de huit rencontres hebdomadaires visant à renforcer les comportements de sensibilité via la rétroaction vidéo, a démontré une amélioration importante de la sensibilité maternelle chez des parents maltraitants en comparaison avec ceux recevant le suivi habituel de la protection de l’enfance. Cette étude démontre aussi une diminution des troubles de comportement chez les enfants plus âgés (3-5 ans).

Bien que ces deux études soient efficaces pour améliorer l’attachement de l’enfant maltraité à l’égard de son parent, elles ne parviennent pas à expliquer au plan empirique le processus par lequel s’est effectué ce changement. Cette absence de résultats suggère que des mécanismes, autres que la sensibilité parentale, doivent être identifiés pour expliquer le changement dans l’attachement de l’enfant. Une évaluation plus approfondie des interventions proposées par ces deux études permet de dégager d’autres variables susceptibles d’expliquer la diminution de l’attachement désorganisé.

  1. Les comportements parentaux inquiétants :
    Un des précurseurs les plus importants de l’attachement désorganisé est la peur vécue par l’enfant en regard des comportements atypiques et effrayants manifestés par son parent,6,7,8 mais aussi en regard de l’environnement chaotique, voire négligent, dans lequel il vit et qui ne répond pas à ses besoins d’attachement primaires.3

    Les effets positifs observés sur la sensibilité maternelle dans l’étude de Moss et al.5 pourraient s’expliquer par une diminution des comportements effrayants ou de l’environnement négligent auquel l’enfant est exposé. En effet, ces auteurs mentionnent avoir formé leurs intervenants à reconnaître ce type de comportements problématiques chez le parent. Ceci a pu amener l’intervenant à favoriser la sensibilité parentale dans des moments où l’enfant manifeste de la peur, de l’hypervigilance ou d’autres comportements d’attachement désorganisé. Les comportements inquiétants du parent mériteraient donc d’être évalués afin de vérifier s’ils expliquent les changements observés dans l’attachement et s’ils interagissent également avec la sensibilité maternelle. Mais surtout, il importe de préciser les stratégies d’intervention qui visent spécifiquement à réduire la peur ressentie par l’enfant en présence de son parent.

  2. Les capacités limitées d’introspection des parents :
    Dans l’étude de Cicchetti et al.4 l’intervention n’était pas orientée sur les comportements de sensibilité du parent et ceci a pu contribuer au manque de résultat sur la sensibilité maternelle. Toutefois, ils ont invité le parent à observer son enfant et à exprimer ce qu’il  comprenait de ce dernier. Les perceptions et les attributions parentales erronées étaient alors reprises par l’intervenant de manière à faire prendre conscience au parent que la compréhension erronée qu’il se fait de son enfant est liée aux interactions dysfonctionnelles que le parent a connu dans son enfance. Ce travail a favorisé chez le parent de meilleures habiletés d’introspections et une plus grande capacité de mentalisation lui permettant de ne plus confondre ses propres besoins et ceux de son enfant, ce qui a pu augmenter la possibilité pour l’enfant de se sentir davantage en confiance et de recourir à son parent en situation de détresse.

Récemment, Cyr et ses collègues9 ont amorcé une étude visant à favoriser la sensibilité de parents maltraitants afin d’évaluer leurs capacités de changement et mieux orienter les décisions relatives au retrait ou au maintien de l’enfant dans sa famille. L’aspect novateur de cette intervention (4 à 8 séances) est qu’elle vise également à renforcer les comportements de réparation à la suite de comportements parentaux inquiétants pour l’enfant. Afin de promouvoir la réparation, le parent est invité, via l’observation de ses comportements pendant la rétroaction vidéo, à exprimer ce qu’il (ainsi que son enfant) pense ou ressent lorsqu’il émet des comportements déstabilisants pour l’enfant. Ces situations constituent des moments clés du processus d’intervention, car ils permettent au parent d’être plus conscient de ses comportements inappropriés et à l’intervenant de rappeler au parent ses forces. Ceci a pour effet de lui proposer des façons alternatives d’agir qu’il possède déjà parmi son répertoire de comportements sensibles, et qui sont donc plus susceptibles d’être reproduites.

Bien qu’aucune donnée ne soit actuellement disponible sur les effets de cette intervention pour l’attachement des enfants, il demeure que des analyses préliminaires démontrent une amélioration de la qualité des interactions parent-enfant en termes, notamment, de sensibilité parentale, de plaisir partagé et de la capacité accrue de l’enfant à réguler ses émotions.

Implications pour les services et les politiques

Les résultats de ces études devraient avoir un impact majeur sur les politiques visant à protéger les enfants victimes de maltraitance, ainsi que sur l’offre de services faite à cette population.

D’une part, ces études soulignent l’importance de développer des politiques qui sont cohérentes avec les résultats des recherches empiriques, mais qui en font aussi la promotion dans les établissements d’offre de services sociaux.

Les nouveaux programmes d’intervention devraient donc être :

  • fondés sur la base d’études ayant été soumises à une investigation scientifique rigoureuse et dont les résultats ont mené à des données probantes;
  • évalués quant à leur efficacité à répondre aux besoins spécifiques des familles  (par exemple, la capacité du parent à prendre conscience de ses limites pouvant l’amener à favoriser le placement volontaire représente un succès clinique.);
  • évalués quant à la facilité de leur réplication;
  • fondés sur des recherches où sont aussi questionnées les caractéristiques parentales et environnementales pouvant accroître ou limiter la capacité des familles à bénéficier de l’intervention proposée;
  • développés sur la base d’un partenariat entre les milieux cliniques, incluant les intervenants et les gestionnaires, et les équipes de recherche.

D’autre part, les données actuelles nous permettent de statuer sur certains principes cliniques à intégrer dès maintenant dans les interventions auprès des enfants victimes de maltraitance et leurs parents. Il importe donc de :

  • cibler en priorité les variables proximales au développement de l’enfant pour favoriser un attachement sécurisant. Bien que les parents signalés présentent des déficits à plusieurs niveaux, il demeure que la capacité de l’enfant à être protégé dépend tout d’abord de la qualité des soins prodigués par son parent et cette capacité parentale ne peut être améliorée qu’en intervenant sur la relation parent-enfant.
  • favoriser les capacités d’observation du parent, lesquelles lui permettent de s’arrêter pour mieux comprendre ce qui se passe dans les interactions avec son enfant et ainsi mieux interpréter ses signaux et besoins et y répondre plus adéquatement.
  • former les intervenants à l’observation des comportements parentaux et des signaux de détresse des enfants maltraités qui sont souvent ambigus. Nous encourageons ainsi le transfert des connaissances et les supervisions régulières afin d’assurer l’intégrité des programmes offerts. 
  • offrir des interventions soutenues, comme un suivi hebdomadaire et stable, afin de favoriser le maintien des acquis chez le parent et permettre à l’enfant et au parent de développer un sentiment de sécurité à l’égard d’un adulte significatif. Tout roulement de professionnels gravitants autour de ces familles est à éviter.
  • former les intervenants à orienter leurs interventions sur l’identification des forces du parent et la façon dont il peut utiliser celles-ci pour remédier à ses comportements inappropriés. En offrant au parent un portrait plus complet de ses limites et capacités parentales, il devient plus facile pour l’intervenant qui représente la loi de la protection de l’enfance de favoriser un lien de confiance avec le parent. 

Références

  1. van IJzendoorn MH, Bakermans-Kranenburg MJ. Attachement sécurisé et désorganisé dans les familles et les orphelinats où il y a maltraitance. In: Tremblay RE, Barr RG, Peters RDeV, Boivin M, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [sur Internet]. Montréal, Québec: Centre d’excellence pour le développement des jeunes enfants; 2010:1-8. Disponible sur le site: http://www.enfant-encyclopedie.com/documents/van_IJzendoorn-Bakermans-KranenburgFRxp-Attachement.pdf. Page consultée le 11 juin 2010.
  2. Chaffin M, Hanson R, Saunders BE, Nichols T, Barnett D, Zeanah C, Berliner L, Egeland B, Newman E, Lyon T, LeTourneau E, Miller-Perrin C. Report of the APSAC Task Force on attachment therapy, reactive attachment disorder, and attachment problems. Child Maltreatment 2006;11:76-89.
  3. Cyr C, Euser E, Bakermans-Kranenburg MJ, van IJzendoorn MH. Attachment security and disorganization in maltreating and high-risk families: A series of meta-analyses. Development and Psychopathology 2010;22:87-208.
  4. Cicchetti D, Rogosch FA, Toth SL. Fostering secure attachment in infants in maltreating families through prevention interventions. Development and Psychopathology 2006;18:623-649.
  5. Moss E, Dubois-Comtois K, Cyr C, Tarabulsy G, St-Laurent D, Bernier A. Efficacy of a home-visiting intervention aimed at improving maternal sensitivity, child attachment, and behavioral outcomes for maltreated children: A randomized control trial. Development & Psychopathology. Sous presse.
  6. Main M, Hesse E. Parent’s unresolved traumatic experiences are related to infant disorganized attachment status: Is frightened and/or frightening parental behavior the linking mechanism? In: Greenberg MT, Cicchetti D, Cummings EM, eds. Attachment in the preschool years: Theory, research, and intervention. Chicago, IL : University of Chicago Press; 1990: 161-182.
  7. Lyons-Ruth K, Bronfman E, Parsons E. Chapter IV. Maternal frightened, frightening, or atypical behavior and disorganized infant attachment patterns. Monograph of the Society for Research in Child Development 1999;64(3):67-96.
  8. Madigan S, Moran G, Pederson DR. Unresolved states of mind, disorganized attachment relationships, and disrupted interactions of adolescent mothers and their infants. Developmental Psychology 2006;42:293-304.
  9. Cyr C, Rivard Boulos N, Paquette D. Un programme d’évaluation/intervention auprès de parents signalés pour mauvais traitement : L’application clinique de la théorie de l’attachement. In: Coté A, chair.  La prévention des difficultés d’adaptation à l’enfance : Résultats de trois programmes Québécois. Communication présentée à: La Société québécoise de la recherche en psychologie. 19, 21 Mars 2010. Montréal, Canada.

Pour citer cet article :

Cyr C, Dubois-Comtois K, Moss E. [Archivé] Promouvoir la sécurité d’attachement chez les enfants victimes de maltraitance : Un commentaire sur van IJzendoorn et Bakermans-Kranenburg. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. van IJzendoorn MH, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/attachement/selon-experts/promouvoir-la-securite-dattachement-chez-les-enfants-victimes-de. Publié : Juillet 2010. Consulté le 29 mars 2024.

Texte copié dans le presse-papier ✓