L’attachement et son impact sur le développement des enfants : commentaires sur van IJzendoorn, Grossmann et Grossmann , Hennighausen et Lyons-Ruth


Institute of Infant and Early Childhood Mental Health, Tulane University Health Sciences Center, États-Unis
, 2e éd.

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Introduction

Il y a plus de 50 ans, l’Organisation mondiale de la Santé demandait au pédopsychiatre John Bowlby de rédiger une monographie sur les besoins des jeunes enfants en matière de santé mentale. La conclusion de Bowlby fut la suivante : « Nous pensons qu’il est essentiel pour la santé mentale de l’enfant de bénéficier d’une relation chaleureuse, intime et continue avec sa mère (ou mère substitut – ou mère substitut permanente – une personne qui joue le rôle de mère de façon stable), relation dans laquelle les deux trouvent de la satisfaction et du plaisir. »1 Grossmann et Grossmann, van IJzendoorn, ainsi que Hennighausen et Lyons-Ruth ont examiné l'état actuel des recherches faites depuis 35 ans qui ont soutenu, raffiné et élargi la thèse centrale de Bowlby. Dans ce commentaire, nous réviserons les interprétations que ces auteurs font de la recherche, les implications pour les politiques, et nous mettrons l’accent sur d’autres domaines.

Recherche et conclusions

Plusieurs questions et conclusions sont recensées dans les sections sur l’attachement et sur son impact sur le développement de l’enfant :

(1)  Les chercheurs ont prouvé que les différences individuelles d’organisation du comportement d’attachement que le jeune enfant exprime envers le donneur de soins sont des prédicteurs raisonnablement solides de son adaptation psychosociale subséquente. La question importante ayant fait l’objet d’attention et de débats empiriques consiste à déterminer jusqu’à quel degré les différences individuelles en matière d’attachement sont attribuables à l’enfant plutôt qu’à la relation avec un donneur de soins particulier. van IJzendoorn conclut que c’est l’acquis plutôt que l’inné qui explique les différences en sécurité de l’attachement. Les recherches qu’il cite appuient bien son hypothèse, comme le font les découvertes répétées indiquant qu’un enfant peut avoir différentes catégories d’attachement avec plusieurs donneurs de soins.2

(2)  Si les modèles d’attachement reflètent les caractéristiques relationnelles plutôt que les traits de caractère de l'enfant, on s’attendrait à ce que les caractéristiques de l’interaction dyadique soient associées aux modèles d’attachement. La recherche que cite van IJzendoorn appuie le rôle causal de la sensibilité parentale dans le développement de la sécurité de l’attachement, bien que beaucoup moins de recherches aient porté sur les modèles interactifs qui précèdent l’attachement évitant et résistant. Hennighausen et Lyons-Ruth ont aussi recensé des recherches qui démontrent que certains comportements parentaux comme le retrait, les réactions négatives intrusives, de confusion des rôles, désorientées, les comportements effrayés ou effrayants et les erreurs de communication affective incluant des réactions contradictoires face aux signaux de l'enfant, sont susceptibles d’être plus évidentes dans le contexte de certains types de psychopathologies parentales et la documentation indique qu’ils sont associés à l’attachement désorganisé.3,4

(3)  Un principe central de la théorie de l’attachement est que les expériences précoces entre les jeunes enfants et les donneurs de soins fournissent un modèle pour les relations intimes plus tard dans la vie. Bien que l’on pense que les expériences subséquentes puissent le modifier, la théorie a postulé une tendance conservatrice à résister au changement. Ces propositions suggèrent que dans un environnement de soins stable, on s’attend à trouver des modèles stables d’attachement, et que dans les environnements caractérisés par des changements importants, on s’attendrait à moins de stabilité. Tout compte fait, la recherche appuie ces affirmations, bien que les résultats provenant de quatre études longitudinales sur l’attachement de l’enfance à l’âge adulte n’appuient pas une relation linéaire,5-8 puisque ces études ne démontrent pas uniformément la stabilité des catégories d’attachement de l’enfance à l’âge adulte. En revanche, elles appuient la relation entre les événements de la vie et les changements en matière de catégorie d’attachement. Les travaux de Grossmann ont aussi montré que les événements négatifs et le stress compromettaient la sécurité de l’attachement. Les individus dont les catégories d’attachement étaient passées de l’attachement sécurisant à l’attachement insécurisant à l’âge adulte étaient plus susceptibles d’avoir vécu des événements négatifs (comme un divorce), et les enfants qui manifestaient un attachement insécurisant pendant la petite enfance étaient plus susceptibles de continuer à manquer d’assurance s’ils vivaient des événements négatifs. Les études conduites et recensées par  Grossmann et Grossmann (ce volume) ont aidé à éclairer certaines des complexités des trajectoires développementales.

(4)  Hennighausen et Lyons-Ruth ont raison de mettre en lumière l’importance de l’attachement désorganisé comme composante de l’étude de la psychopathologie pendant l’enfance. Bien que la distinction entre l'attachement insécurisant et l’attachement sécurisant ait une certaine valeur prédictive, les liens entre l’attachement désorganisé et des types spécifiques de psychopathologie sont beaucoup mieux documentés que les autres types d’insécurité.4,9 Pourtant, on comprend encore moins de choses sur les mécanismes par lesquels l’attachement désorganisé peut influencer l’expression de la psychopathologie chez l'enfant, et s’il contribue spécifiquement à la psychopathologie en général ou s’il en est un marqueur plus général. Hennighausen et Lyons-Ruth insistent sur le fait que les interventions auprès des familles les plus à risque d’avoir des enfants dont l’attachement est désorganisé se sont révélées prometteuses quand elles se déroulent à la maison, quand elles sont intensives et de longue durée. Ceci est un point particulièrement important.

Questions supplémentaires

Ce qui manque dans ces contributions, c’est l’étude de l’attachement chez des populations extrêmes, comme les jeunes enfants maltraités ou extrêmement défavorisés. Contrairement à la perspective développementale qui considère que la qualité de l’attachement d’un jeune enfant à son donneur de soins est un facteur de risque ou de protection pour le développement de la psychopathologie, la tradition clinique considère que les attachements peuvent être si perturbés qu’ils constituent un trouble déjà établi. Le trouble d’attachement réactionnel (RAD) décrit un ensemble de comportements d’attachement aberrants et d’autres anomalies comportementales sociales que l’on pense être le résultat de « soins pathogènes ».10 On a décrit deux modèles cliniques : a) un modèle de repli sur soi/inhibé, dans lequel l'enfant manifeste une réaction ou une initiation limitée ou absente face aux interactions sociales avec les donneurs de soins, et une diversité de comportements sociaux aberrants, comme des réactions inhibées, hyper vigilantes ou hautement ambivalentes; et b) un modèle social/désinhibé sans distinction, dans lequel l'enfant manifeste un manque de sélectivité attendu dans la recherche du réconfort, de soutien et de nurturance, avec un manque de réticence sociale envers les adultes qu’il ne connaît pas et une volonté de « partir » avec les étrangers.

Bien que l’étude systématique des troubles de l’attachement soit très récente, cela fait plus de 50 ans qu’on les décrit. En se fiant à quelques récentes études, il semble clair que les signes des troubles de l’attachement sont rares, voire inexistants chez les échantillons à faibles risques,11-13  plus nombreux parmi ceux à risques plus élevés14,15 et facilement identifiables parmi les échantillons maltraités16 et institutionnalisés.12,13 Il est intéressant de constater que le type RAD en retrait/inhibé sur le plan affectif, est facilement apparent chez les jeunes enfants vivant en institution et chez ceux qui viennent d’être placés en foyers d’accueil parce qu’ils ont subi de la maltraitance, mais que c’est rarement le cas parmi les échantillons d’enfants adoptés qui ne séjournaient pas en institution.11,17 En revanche, on rencontre le type de RAD social/désinhibé sans distinction chez les enfants maltraités,16 institutionnalisés12,13,18 et post-institutionnalisés.11,13, 17,19-20

Il est clair qu'il existe un besoin de comprendre comment interagissent les perspectives cliniques et développementales sur l’attachement. À ce jour, la recherche n’a pas confirmé les suggestions initiales selon lesquelles les attachements sécurisants, insécurisants, désorganisés et les troubles de l’attachement pouvaient s’étendre sur un spectre qui va de l’adaptation saine à malsaine,21 ni que l’attachement désorganisé devrait être considéré comme un trouble de l’attachement. Le portrait qui commence à se dégager est plutôt que les perspectives cliniques et développementales sur les attachements perturbés offrent différentes façons de comprendre les perturbations en matière d’attachement.

Implications pour les politiques et les services

Chez les nourrissons humains, la tendance à développer des attachements envers leurs donneurs de soins, ainsi que celle des donneurs de soins à s’occuper des nourrissons semble être ancrée. Ainsi, les perturbations de l’attachement deviennent évidentes quand divers facteurs chez le parent, l'enfant ou dans le cadre plus large des donneurs de soins interfèrent avec la capacité normale de l’espèce de développer des attachements.

Les trois auteurs décrivent les implications pour les politiques. van IJzendoorn précise que l’on devrait élaborer des politiques visant à encourager la sensibilité parentale pendant la période de la petite enfance. Grossmann et Grossmann insistent sur l’importance de la relation d’attachement chez les enfants plus âgés et chez les adolescents, et par conséquent, en déduisent que les interventions auprès des familles ne devraient pas se centrer uniquement sur la période de la jeune enfance, mais plutôt viser à fournir du soutien et de l’assistance constante tout au long du développement de l'enfant. Enfin, Hennighausen et Lyons-Ruth ont raison de souligner que les interventions précoces auprès de nourrissons et de jeunes enfants dont l’attachement est désorganisé sont susceptibles de réduire la nécessité d’interventions plus coûteuses après l’apparition de la psychopathologie.

Les trois auteurs seraient probablement d’accord sur le fait que nous en savons assez pour identifier les enfants à risque de perturbations de l’attachement et sa psychopathologie associée. Cependant, les interventions préventives, peut-être même avant la naissance, ont un potentiel énorme pour modifier les trajectoires comportementales et développementales que peuvent subir les enfants nés dans des familles à risques multiples. Les auteurs affirment aussi que les politiques et la pratique devraient être centrées sur l’identification précoce des difficultés relationnelles parent-enfant dans l’espoir de fournir des services qui pourraient diminuer le risque de développement de psychopathologie ultérieure.

Les politiques devraient identifier les moyens par lesquels les familles peuvent avoir accès à du soutien psychologique et de parentage de façon continue tout au long de la vie de leur enfant. Les intervenants en soins de première ligne et les professionnels des services de garde à l’enfance sont deux groupes qui ont des contacts avec la plupart des familles ayant des enfants et des adolescents. La façon dont ces professionnels peuvent soutenir au mieux les besoins des parents, et les interventions les plus bénéfiques pour améliorer la sensibilité parentale et l’attachement du nourrisson restent à débattre. Une récente méta-analyse des interventions auprès de jeunes enfants affirme que les interventions brèves (moins de cinq séances) centrées sur l’augmentation de la sensibilité maternelle et l’amélioration de la sécurité de l’attachement sont plus efficaces que les interventions à long terme.23 En revanche, Hennighausen et Lyons-Ruth citent des données selon lesquelles les interventions basées à domicile, intensives et à long terme tendent à mieux agir sur l’attachement désorganisé. En d’autres mots, selon la perspective de promotion de la santé (promouvoir des attachements sécurisants), les interventions plus courtes et plus ciblées semblent préférables, mais selon la perspective de diminution des risques (diminuer les attachements désorganisés), des interventions plus longues et plus intensives peuvent être nécessaires. Les défis qui restent à relever représentent des approches valables pour identifier les différents niveaux de risques chez les familles et les interventions rentables pour optimiser les résultats développementaux et comportementaux ultérieurs chez les jeunes enfants.

Références

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Pour citer cet article :

Zeanah CH, Shah P. L’attachement et son impact sur le développement des enfants : commentaires sur van IJzendoorn, Grossmann et Grossmann , Hennighausen et Lyons-Ruth. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. van IJzendoorn MH, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/attachement/selon-experts/lattachement-et-son-impact-sur-le-developpement-des-enfants-commentaires. Actualisé : Mars 2007. Consulté le 24 avril 2024.

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