Différences sexuelles dans le développement de l’agressivité, de la petite enfance à l’âge adulte
John Archer, Ph.D., FBPS
University of Central Lancashire, Royaume-Uni
Introduction
Les différences sexuelles sur le plan de l’agressivité sont d’une grande importance pratique étant donné les problèmes sociaux causés par les comportements violents et le fait, comme le montrent plusieurs recherches, que ces comportements impliquent principalement des jeunes hommes.1-5 L’origine de ces différences sexuelles est sujette à un vif débat entre les scientifiques orientés vers les causes biologiques du phénomène et ceux qui sont plutôt orientés vers les causes sociales et culturelles.6-9
Sujet
Cet article traite de l’origine et du développement des différences sexuelles dans l’agressivité, de leurs différentes formes, de leur manifestation à l’âge adulte et des différences individuelles au sein de ces différences sexuelles.
Problèmes
Les recherches scientifiques cherchent principalement à déterminer à quel âge les différences sexuelles apparaissent, si elles s’accroissent avec l’âge, si la progression développementale diffère selon le type d’agressivité et si les comportements violents peuvent être attribués à des influences ayant opéré dans la petite enfance.
Contexte de la recherche
La plupart des recherches ont été effectuées dans des sociétés occidentales modernes, bien que quelques résultats clés, comme l’occurrence des différences sexuelles dans l’agressivité chez les jeunes enfants et le niveau maximal d’agressions violentes observé au début de l’âge adulte, ont été confirmés dans d’autres contextes sociétaux.4,6
Questions clés et résultats de recherche
L’agressivité est observée pour la première fois très tôt dans la vie, lorsque le nourrisson montre une expression faciale de colère. Le début des gestes agressifs contre les pairs se produit lorsque l’enfant essaie de s’emparer du jouet d’un autre enfant; plus tard dans son développement, il commence à frapper.10,11 Une étude observationnelle12 a montré de grandes différences sexuelles à 27 mois pour l’élément « arracher le jouet d’un autre enfant ». Des études longitudinales à grande échelle basées sur des rapports maternels ont fait état de niveaux plus élevés d’agressivité physique chez les garçons à 17 mois et à 2 ans.8,9,13,14 Ces différences sexuelles précoces se produisent avant que les enfants aient été soumis aux agents de socialisation, qui sont, selon certains, considérés comme la cause de ces différences.15 Au bilan, il n’y a pas d’augmentation de la magnitude des différences sexuelles dans l’agressivité lorsque les enfants vieillissent.14
L’agressivité physique atteint un sommet vers l’âge de deux ans, puis diminue typiquement jusqu’à quatre ans, alors qu’elle est remplacée par des méthodes alternatives de résolution de conflits.8,9 Une diminution de l’agressivité est observée chez les garçons et chez les filles, bien que la différence entre le niveau d’agressivité des deux sexes se maintienne tout au long de l’enfance et à l’âge adulte.6 En pratique, ce sont les enfants qui présentent des niveaux inhabituellement élevés d’agressivité physique qui sont plus préoccupants. Des études longitudinales à grande échelle montrent qu’un groupe formant environ 10 % de l’échantillon d’enfants maintient un niveau élevé d’agressivité physique depuis très tôt dans la vie jusqu’à 11 ans ou plus. Ce groupe est composé principalement de garçons;14 cependant, la plupart des garçons ne s’y trouvent pas. En revanche, un peu plus du tiers de l’échantillon montre très peu d’agressivité physique tout au long de l’enfance, et la plupart sont des filles.14 Les études menées auprès de jeunes adultes montrent qu’il existe une plus grande variation chez les hommes que chez les femmes en ce qui concerne le niveau d’agressivité.16 Ces études montrent aussi qu’il y a proportionnellement plus d’hommes que de femmes qui commettent des actes de violence dangereux.6,7
Deux autres changements développementaux importants se produisent en parallèle avec le déclin de l’agressivité physique avec l’âge. D’abord, on observe une augmentation des formes d’agressivité non-physiques. Ensuite, on constate une augmentation de la gravité de l’agression physique lorsqu’elle se produit.
L’agressivité verbale inclut les menaces qui accompagnent l’agression physique, les disputes et le dénigrement verbal, qui vise à rabaisser le statut social de l’autre.14 Il existe des formes d’agressivité verbale spécifiques à chaque sexe et elles correspondent aux différences entre les groupes sociaux masculins et féminins, notamment sur le plan de ce qui y est considéré important. Par exemple, l’agression verbale « face à face » tend à être plus commune chez les garçons que chez les filles, dès la petite enfance et jusqu’à l’âge adulte.6,7
L’agressivité verbale indirecte est plus commune chez les filles que chez les garçons.6,17 Elle implique que l’agresseur cherche à nuire à la réputation ou au statut social de la victime et peut inclure l’ostracisme social. Des études finlandaises basées sur des rapports de pairs ont montré que l’agressivité indirecte atteint un sommet entre 11 et 17 ans,18,19 et que la différence entre le niveau d’agressivité indirecte des garçons et des filles s’accroît entre le milieu de l’enfance et l’âge de 17 ans (les filles ayant une tendance croissante à recourir à cette forme d’agressivité, qu’elles employaient déjà plus que les garçons pendant l’enfance).19 Des études longitudinales basées sur des rapports maternels montrent que globalement, au cours de l’enfance, l’agressivité indirecte augmente alors que l’agressivité physique diminue, bien qu’une majorité de l’échantillon présente systématiquement de faibles niveaux d’agressivité à tous les âges.20-22 Les filles montrent une plus forte tendance que les garçons à utiliser de plus en plus l’agressivité indirecte entre l’âge de 4 et 8 ans.22 Au bilan, les filles sont plus susceptibles de manifester un niveau élevé d’agressivité indirecte jumelé à un niveau faible ou moyen décroissant d’agressivité physique, alors que les garçons sont plus susceptibles de montrer un faible niveau d’agressivité indirecte jumelé à un niveau moyen décroissant d’agressivité physique.22
Même si l’agressivité physique décline avec l’âge, sa sévérité – en terme de blessures infligées – augmente jusqu’à un sommet à la fin de l’adolescence et au début de l’âge adulte, comme le montrent les statistiques sur les crimes violents et les homicides. Les agresseurs et les victimes concernés sont presque tous des hommes.1-4,6,7 Ces crimes violents trouvent leurs racines dans des influences qui se manifestent dès la conception et continuent par la suite, augmentant la probabilité que l’agresseur soit enclin à la violence tout au long de sa vie.8,9
Les formes sérieuses de violence commencent à diminuer vers la fin de la vingtaine, comme c’est le cas pour les autres formes d’agressivité physique,6 et continuent à décroître par la suite, la différence sexuelle sur ce plan étant maintenue au moins jusqu’au milieu de la vie.6 Il y a peu d’études sur l’agressivité à un âge avancé, mais les quelques résultats disponibles montrent que la différence sexuelle typique en ce qui concerne l’agressivité physique est encore observée entre 65 et 96 ans.23-25
Lacune de la recherche
On ne sait pas encore avec certitude dans quelle mesure les différences sexuelles précoces dépendent de androgènes prénataux.26 De plus, même si quelques études ont abordé les variables médiatrices des différences sexuelles dans l’agressivité,27-28 elles sont relativement limitées.
Conclusions
Les différences sexuelles dans l’agressivité physique se manifestent dès la petite enfance et se maintiennent tout au long de l’enfance et jusqu’à l’âge adulte. La différence sexuelle sur le plan de l’agressivité verbale est de plus faible ampleur. Les filles montrent plus d’agressivité indirecte que les garçons tout au long de l’enfance, en particulier pendant l’adolescence. Ces différences globales masquent des groupes spécifiques, par exemple un groupe formé majoritairement de garçons qui manifeste une agressivité élevée de façon persistante et un groupe systématiquement non-agressif qui contient une plus grande proportion de filles.
Implications
La manifestation précoce des différences sexuelles dans l’agressivité implique qu’elles ne résultent pas des influences de la socialisation. Quelques garçons particulièrement agressifs contribuent de façon disproportionnelle aux problèmes de comportement en milieu scolaire, alors que, dans ce même milieu, le niveau plus élevé d’agressivité indirecte chez les filles a un impact négatif sur la vie sociale.
Références
- Courtwright DT. Violent land: Single men and social disorder from the frontier to the inner city. Cambridge, MA: Harvard University Press; 1996.
- Daly M, Wilson M. Killing the competition: Female/female and male/male homicide. Hum Nat. 1990;1(1):81-107.
- Quetelet A. Recherches sur le penchant au crime aux différents âges. Bruxelles: M. Hayez; 1833 (Trans by S.F. Sylvester as Research on the Propensity for Crime at Different Ages, Cincinnati, Ohio: Anderson; 1984).
- Eisner M. Long-term historical trends in violent crime. In: Tonry M, eds. Crime and Justice: A Review of Research. Volume 30. Chicago: The University of Chicago Press; 2003: 83-142.
- Hirschi T, Gottfredson M. Age and the explanation of crime. Am J Sociol 1983;89 (3):552-584.
- Archer J. Sex differences in aggression in real-world settings: A meta-analytic review. Rev Gen Psychol. 2004;8(4):291-322.
- Archer J. Does sexual selection explain human sex differences in aggression? Behav Brain Sci. 2009;32(3):249-311.
- Tremblay RE, Japel C, Perusse D, et al; The search for the age of ‘onset’ of physical aggression: Rousseau and Bandura revisited. Crim Behav Ment Health. 1999;9(1):8-23.
- Tremblay RE. Developmental origins of disruptive behaviour problems: the ‘original sin’ hypothesis, epigenetics and their consequences for prevention. J Child Psychol Psychiatry. 2010;51(4):341-367.
- Hay DF, Ross HS. The social nature of early conflict. Child Dev. 1982(1);53:105-113.
- Hay DF, Castle J, Davies L. Toddlers’ use of force against familiar peers: A precursor of serious aggression? Child Dev. 2000;71(2):457-467.
- Campbell A, Shirley L, Caygill L. (2002). Sex-typed preferences in three domains: Do two-year-olds need cognitive variables? Br J Psychol. 2002;93(2):203-217.
- Baillargeon RH, Zoccolillo M, Keenan,K, et al; Gender differences in physical aggression: A prospective population-based survey of children before and after 2 years of age. Dev Psychol. 2007;43(1):13-26.
- Archer J, Côté S. Sex differences in aggressive behavior: A developmental and evolutionary perspective. In: Tremblay R, Hartup WW, Archer J, eds. Developmental origins of aggression. New York: Guilford; 2005: 425-443.
- Tremblay RE., Côté S. Development of sex differences in physical aggression: The maternal link to epigenetic mechanisms. Behav Brain Sci. 2009;32(3):290-291.
- Archer J, Mehdikhani M. (2003). Variability among males in sexually-selected attributes. Rev Gen Psychol. 2003;7(3):219-236.
- Archer J, Coyne SM.. An integrated review of indirect, relational, and social aggression. Pers Soc Psychol Rev. 2005;9(3):212-230.
- Björkqvist K, Lagerspetz KMJ, Kaukiainen A. Do girls manipulate and boys fight? Developmental trends in regard to direct and indirect aggression. Aggress Behav. 1992:18(2):117-127.
- Bjorkqvist K, Österman K, Kaukiainen A. The development of direct and indirect aggressive strategies in males and females. In: Bjorkqvist K, Niemela P, eds. Of mice and women: Aspects of female aggression. San Diego, CA: Academic Press; 1992: 51-64.
- Vaillancourt T, Brendgen M, Boivin M, Tremblay RE. A longitudinal confirmatory factor analysis of indirect and physical aggression: Evidence of two factors over time. Child Dev. 2003;74(6):1628-1638.
- Vaillancourt T, Miller J, Fagbemi J, Côté S., Tremblay RE. T trajectories and predictors of indirect aggression: Results from a nationally representative longitudinal study of Canadian children aged 2-10. Aggress Behav. 2007;33(4):314-326.
- Côté S., Vaillancourt T, Barker T, Nagin D, Tremblay RE. The joint development of physical and indirect aggression: Predictors of continuity and change during childhood. Dev Psychopathol. 2007;19(1):37-55.
- Morales-Vives F, Vigil-Colet A. Are there sex differences in physical aggression in the elderly? Pers Individ Dif. 2010;49(6):659-662.
- Walker S, Richardson DS, Green LR. Aggression among older adults: The relationship of interaction networks and gender role to direct and indirect responses. Aggress Behav.2000;26(2):145-154.
- Vigil-Colet A, Lorenzo-Seva U, Codorniu-Raga MJ, et al; Factor structure of the Buss-Perry Aggression Questionnaire in different samples and languages. Aggress Behav.2005;31(6):601-608.
- Hines M. Sex-related variation in human behaviour and the brain. Trends Cogn Sci. 2010;14(10):448-456.
- Moffitt T, Caspi A, Rutter M, Silva PA. Sex differences in antisocial behaviour: Conduct disorder, delinquency and violence in the Dunedin Longitudinal Study. Cambridge, UK: Cambridge University Press; 2001.
- Campbell A, Muncer S. Can ‘risky’ impulsivity explain sex differences in aggression? Pers Individ Dif. 2009;47(5):402-406.
Pour citer cet article :
Archer J. Différences sexuelles dans le développement de l’agressivité, de la petite enfance à l’âge adulte. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Tremblay RE, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/agressivite-agression/selon-experts/differences-sexuelles-dans-le-developpement-de-lagressivite-de. Publié : Janvier 2012. Consulté le 8 octobre 2024.
Texte copié dans le presse-papier ✓