Les effets de la violence communautaire sur le développement de l’enfant
1Nancy G. Guerra, EdD, 2Carly Dierkhising, M.A.
1University of Delaware, États-Unis, 2University of California at Riverside, États-Unis
Introduction
Les communautés dans lesquelles les enfants grandissent peuvent avoir un grand impact sur les adultes qu’ils deviendront. Plusieurs enfants sont élevés dans un environnement calme et favorable, avec une abondance de ressources. À l’autre extrémité du spectre, des millions d’enfants grandissent dans des conditions adverses, qui se manifestent souvent par l’absence des ressources de base nécessaires au développement. Mais l’adversité peut aussi prendre la forme d’une exposition accrue à des événements négatifs qui façonnent le développement tout au long de la vie.
L’exposition à la violence communautaire fait partie des expériences les plus néfastes auxquelles les enfants peuvent être confrontés. Elle a un impact sur la façon dont ils se sentent, réfléchissent et agissent. La violence communautaire réfère à la violence interpersonnelle qui survient dans la communauté, qui n’est pas perpétrée par un membre de la famille et qui vise à faire du mal. Elle peut résulter de différentes circonstances, allant de la violence de quartier aux guerres ou conflits civils continus. Les trois situations suivantes sont considérées comme une exposition à la violence : être conscient de l’expérience de la violence par autrui (par ex., entendre parler de violence), être directement victime d’un acte violent ou être témoin d’un acte violent subi par d’autres individus.1
Malheureusement, trop d’enfants et de jeunes partout dans le monde sont hautement exposés à la violence communautaire. Par exemple, dans une enquête nationale menée aux États-Unis, 55 % des adolescents ont rapporté avoir vécu une forme quelconque d’exposition à la violence communautaire.2 Actuellement, dans ce même pays, l’homicide est la deuxième cause de mortalité la plus fréquente chez les jeunes âgés entre 10 et 24 ans, bien que cette statistique tienne compte de la violence familiale et d’autres types de victimisation violente.3 Ces taux élevés s’appliquent également aux formes moins sévères de violence. Par exemple, selon l’enquête Youth Risk Behavior Survey (Enquête sur les comportements à risque chez les jeunes), conduite annuellement à l’échelle nationale auprès d’un échantillon représentatif d’étudiants du niveau secondaire, 32 % des jeunes rapportent qu’ils ont été impliqués dans au moins une bagarre physique au cours de la dernière année.3 Bien que la violence traverse les barrières sociales et démographiques, l’exposition à la violence communautaire est plus grande dans les centres-villes et dans les quartiers défavorisés en milieu urbain.1
Résultats récents de la recherche
Quel est l’impact de l’exposition à la violence sur le développement de l’enfant? Il est maintenant clair que « la violence engendre la violence » — ce qui signifie que les enfants exposés à la violence sont plus susceptibles de se retrouver piégés dans un cycle de violence qui les mène ultérieurement à commettre des actes violents, dont les agressions, la délinquance, le crime et la maltraitance des enfants.4 Ceci est vrai pour tous les types d’exposition à la violence au cours de l’enfance, incluant notamment la violence communautaire.
De plus, il a été montré que l’exposition à la violence contribue aux problèmes de santé mentale au cours de l’enfance et de l’adolescence. Les troubles psychologiques, dont la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique (TSPT) sont plus fréquents chez les jeunes exposés à la violence communautaire.5 Aussi, plusieurs enfants présentent plus d’un symptôme ou trouble. Par exemple, dans une enquête nationale sur l’exposition des adolescents à la violence, près de la moitié des garçons ayant reçu un diagnostic de TSPT présentaient un diagnostic de dépression comorbide et près du tiers présentaient un trouble d’abus de substance comorbide. Parmi les filles atteintes de TSPT, plus des deux tiers avaient aussi un diagnostic de dépression comorbide et un quart présentaient un trouble d’abus de substance comorbide.6
On a montré que les symptômes de TSPT sont reliés à l’exposition à la violence communautaire de façon graduée; en effet, un niveau d’exposition plus élevé est associé à une expression accrue des symptômes.2 Au cours de l’adolescence, les symptômes de TSPT peuvent se manifester par des comportements d’externalisation, lorsque les jeunes sont surexcités et trop prompts à percevoir une menace; à l’inverse, ils peuvent sembler déprimés et retirés. Les études montrent typiquement des différences sexuelles sur le plan développemental, les garçons devenant plus agressifs et les filles devenant plus dépressives suite à l’exposition à la violence communautaire.7
En plus de documenter l’impact de la violence sur le développement de l’enfant, une quantité croissante de recherches examinent les processus qui sous-tendent l’hétérogénéité de cet impact, particulièrement pour les enfants de différents âges. L’exposition à la violence influence le développement dans de multiples domaines et à différents stades développementaux. Elle peut affecter le développement neurologique, physique, émotionnel et social des enfants, menant souvent à une cascade de problèmes qui interfèrent avec l’adaptation.
Chez les très jeunes enfants, l’exposition répétée à la violence communautaire peut contribuer à des difficultés dans la formation de relations de confiance positives, nécessaires pour qu’ils explorent leur environnement et développent un sentiment de sécurité.8 Des difficultés dans la formation de ces relations d’attachement peuvent interférer avec le développement d’un sentiment de confiance envers les autres et compromettre les relations interpersonnelles à l’âge adulte. L’effet de l’exposition à la violence sur le cerveau en développement de l’enfant est particulièrement préoccupant. Comme le cerveau se développe de façon séquentielle, les perturbations vécues tôt dans la vie peuvent déclencher une chaîne développementale physiologique négative qui devient de plus en plus difficile à interrompre. Les adaptations neurobiologiques qui permettent aux enfants « incubés sous terreur » de survivre dans des milieux violents peuvent ultimement mener à la violence et à des problèmes de santé mentale, même lorsque ces mécanismes ne sont plus adaptés.9
La survie humaine dépend de l’activation de la réponse « fuir ou combattre » lors de menaces potentielles. Mais chez certains enfants, l’exposition élevée à la violence communautaire crée un état perpétuel de peur qui active continuellement le mécanisme de réponse au stress du système nerveux central. Ceci prédit une foule de problèmes développementaux, dont une hypersensibilité aux stimuli externes, des sursauts intenses et des problèmes de régulation des affects.10 Ces réactions rendent l’individu plus vulnérable aux problèmes de santé mentale, aux distorsions cognitives et aux comportements problématiques.
La meilleure illustration du lien entre l’exposition à la violence communautaire, le développement social et cognitif et le comportement se trouve dans l’examen des mécanismes impliqués dans le cycle de la violence. Lorsque les enfants vieillissent et perfectionnent leur compréhension cognitive du monde social, la programmation neurodéveloppementale liée à l’exposition précoce à la violence peut facilement se manifester par une vision biaisée du monde. Chez certains enfants (particulièrement les garçons), ce processus peut mener à l’hyper vigilance envers la menace, à la mauvaise attribution des intentions et à la volonté d’endosser la violence.11 Ces patrons de cognitions deviennent de plus en plus stables avec le temps et peuvent mener aux patrons caractéristiques de pensées et d’actions associés aux comportements agressifs et violents.12 En bref, ces schémas internalisés sur le besoin et la pertinence de l’agressivité servent de mécanismes par lesquels la violence communautaire contribue à l’agressivité et à la violence ultérieures.13
Lacunes de la recherche
La violence communautaire ne survient pas sans fondement. Elle se produit souvent en même temps que d’autres types de violence. Plus particulièrement, la famille est la source primaire d’exposition à la violence chez les jeunes enfants, bien que cette exposition familiale soit souvent plus élevée chez les enfants qui vivent dans des communautés très violentes.8,9 Certaines études ont abordé l’importance des différents niveaux du contexte écologique, mais la plupart examinent encore les effets de l’exposition à la violence dans un seul contexte. De plus, les enfants et les jeunes exposés à un haut niveau de violence communautaire sont typiquement soumis à d’autres stresseurs ou facteurs de risque dans leur communauté, leur famille ou leur groupe de pairs. Il est important que les études départagent les effets des différentes expériences stressantes sur le développement et déterminent la contribution unique de l’exposition à la violence.
En général, la recherche a réuni toutes les formes d’exposition à la violence sous le concept d’« exposition à la violence » et a traité ce concept comme un phénomène unique. Peu d’études ont examiné les effets distincts d’entendre parler de violence, d’être témoin de violence ou d’être victime de violence. Ces effets pourraient aussi varier selon l’âge. La recherche future pourrait se baser sur les études sur la résilience (ou l’adaptation en contexte d’adversité) pour mettre en lumière les facteurs individuels et contextuels qui favorisent l’adaptation en contexte violent. Ces facteurs sont d’une importance critique pour la prévention et l’intervention (bien qu’évidemment, l’intervention idéale serait celle qui permettrait de réduire les niveaux d’exposition à la violence). En effet, la plupart des jeunes exposés à la violence communautaire ne vivent pas un développement problématique.14
Conclusion
Aux États-Unis et partout dans le monde, les enfants sont fréquemment exposés à de hauts niveaux de violence communautaire. Selon les estimations obtenues à partir d’enquêtes récentes, plus de 50 % des enfants et des jeunes ont été exposés à la violence communautaire dans une certaine mesure. Il a été montré que cette exposition a un impact négatif sur le développement et peut mener à une augmentation des problèmes émotionnels, sociaux et comportementaux. Un résultat robuste dans la littérature est le lien entre l’exposition à la violence et la perpétration ultérieure de violence, qu’on désigne par l’expression « cycle de la violence ». En d’autres mots, les enfants qui sont témoins de violence ou la subissent sont plus susceptibles d’y recourir au cours de leur maturation et à l’âge adulte. Les effets de l’exposition à la violence sont particulièrement problématiques chez les jeunes enfants; on a montré qu’ils affectent négativement le développement du cerveau. Les perturbations rencontrées tôt dans la vie peuvent mettre en marche une chaine développementale physiologique qui devient de plus en plus difficile à interrompre. En plus de manifester plus de comportements agressifs, les jeunes exposés à la violence communautaire souffrent plus fréquemment de troubles psychiatriques, dont la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique (TSPT). Toutefois, la plupart des jeunes qui grandissent dans des milieux violents ne développent pas de troubles de santé mentale ou de problèmes de comportement; plus de recherches seront donc nécessaires pour comprendre les mécanismes spécifiques de résilience.
Implications pour les parents, les services et les politiques
Il va sans dire que, devant l’ampleur de l’exposition à la violence communautaire, la démarche la plus importante est de travailler en collaboration pour réduire la violence dans les milieux où les enfants grandissent. Il existe plusieurs exemples de stratégies communautaires de réduction de la violence qui ont montré leur efficacité. Les parents peuvent aussi limiter l’exposition de leurs enfants, même dans les quartiers plus violents, en surveillant attentivement et supervisant leurs activités. Ils peuvent également réduire l’exposition à la violence dans d’autres contextes, par exemple en limitant l’exposition des enfants à des émissions de télévision, des films et des jeux vidéo violents. Comme l’exposition à la violence affecte la réactivité au stress des enfants, les programmes de prévention et d’intervention qui aident à comprendre et gérer le stress sont un ingrédient important pour promouvoir la résilience et l’adaptation chez les enfants exposés à la violence.
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Pour citer cet article :
Guerra NG, Dierkhising C. Les effets de la violence communautaire sur le développement de l’enfant. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Tremblay RE, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/violence-sociale/selon-experts/les-effets-de-la-violence-communautaire-sur-le-developpement-de. Publié : Janvier 2012. Consulté le 7 octobre 2024.
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