La violence collective et les enfants
Joanne Klevens, M.D., Ph.D.
Centers for Disease Control and Prevention, États-Unis
Introduction
La violence collective désigne toutes les formes de violence commise par des groupes d’individus ou des états.1 On l’appelle violence sociale lorsqu’elle est utilisée pour faire avancer un agenda social (par ex., l’homicide des enfants des rues par la police, la violence de gang, le terrorisme commis par des groupes haineux, le racisme structurel), violence politique lorsqu’elle est utilisée pour des raisons politiques (par ex., les conflits armés ou le terrorisme impliquant des guérillas ou des forces paramilitaires) et violence économique lorsqu’elle est au service de considérations économiques (par ex., le terrorisme commis par des cartels de la drogue, l’exclusion sociale des pauvres).1 Le présent chapitre fait référence à ces trois types de violence collective, puisque les distinctions dans les motifs des agresseurs ne sont pas pertinentes lorsqu’on considère l’impact de la violence sur la santé des enfants. Cependant, bien que les actes d’omission (par ex., empêcher l’accès des enfants à l’éducation, aux soins de santé ou à d’autres nécessités de base) puissent aussi avoir des impacts sérieux sur la santé et le développement des enfants, les effets de ce type de violence collective ne sont pas abordés dans ce chapitre.
La violence collective affecte directement les jeunes enfants lorsqu’ils en sont victimes ou témoins. Elle peut aussi les affecter indirectement par son impact sur leur environnement et sur la disponibilité, la stabilité et la sensibilité des personnes qui s’occupent d’eux.2 Les capacités cognitives et physiques nécessaires pour réguler leur réponse psychologique, réduire la menace ou s’en éloigner étant limitées chez les jeunes enfants, ceux-ci peuvent être particulièrement vulnérables aux situations menaçantes.3 L’impact de l’exposition à la violence collective sur la santé des enfants dépend du degré d’exposition, du support de la personne qui s’occupe d’eux pendant et après l’expérience et du degré de perturbations au quotidien dans la communauté environnante.2,4
Sujet
On estime qu’au cours de la dernière décennie, plus de deux millions d’enfants à travers le monde sont décédés, au moins trois fois ce nombre d’enfants ont été affligés d’un handicap permanent ou ont été gravement blessés, 20 millions d’enfants sont devenus sans abri et un million d’enfants sont devenus orphelins ou ont été séparés de leur famille suite à un conflit armé.5 Les enfants exposés à un conflit armé présentent aussi des taux de mortalité et de morbidité accrus pour plusieurs raisons autres que les blessures directes (par ex., les infections, la malnutrition).6 Les taux de troubles psychologiques, particulièrement le trouble de stress post-traumatique (TSPT), la dépression et les troubles anxieux, sont particulièrement élevés chez les enfants exposés.7 Également, plus de quatre millions d’enfants de moins de cinq ans étaient réfugiés, déplacés à l’intérieur de leur pays, demandeurs d’asile ou apatrides en 2009 en raison d’un conflit ou d’un risque de persécution.8 Un conflit armé peut aussi détruire ou perturber les infrastructures (par ex., les écoles, les services de santé, les entreprises, la production et la distribution de nourriture) et la cohésion sociale, ce qui mène à l’insécurité, à l’imprévisibilité et à la confusion dans le quotidien des familles et à la rupture de la structure communautaire qui supporte le développement sain des enfants.9 Bien que moins d’enfants en soient affectés, le terrorisme (qui inclut les attentats à la bombe, la piraterie et les détournements de véhicules, les enlèvements, l’extorsion)10 commis par des groupes politiques, économiques ou sociaux peut entraîner des effets physiques et mentaux sur les enfants similaires à ceux de l’exposition à la guerre.2,4
Un grand nombre d’enfants sont aussi exclus socialement. Par exemple, plus de 900 millions de personnes, dont plusieurs sont des enfants, vivent dans des bidonvilles à travers le monde.11 La plupart n’ont pas accès à une éducation formelle, des soins de santé, des moyens de transport, l’électricité, des services d’assainissement, l’eau potable, un logement stable et sécuritaire, la participation politique, la sécurité et la primauté du droit. Tout ceci accroît leur risque de contracter des maladies contagieuses, d’être exposés aux toxines, de vivre une catastrophe naturelle et d’être stigmatisés.11 Presque 900 millions de personnes appartiennent à des groupes ethniques ou religieux qui sont victimes de discrimination.12 Aux États-Unis, des conditions historiques et des politiques sociales et économiques inéquitables ont engendré une plus grande probabilité que les enfants noirs et latinos vivent dans des quartiers très pauvres où la ségrégation est claire.13 L’exclusion ou la discrimination systématique d’une population entraîne un stress chronique, un risque accru d’exposition à l’adversité et aux toxines et un accès réduit aux services, aux ressources et à des options saines, ce qui mène à une multitude de problèmes de santé tout au long de la vie.14-15
Problèmes
La recherche et l’intervention sur la violence collective sont entravées par :
- Le manque de définitions uniformes et claires pour désigner certains types de violence collective, comme l’exclusion sociale;
- Le manque de statistiques fiables sur le nombre et les caractéristiques des enfants affectés;
- Les difficultés pratiques importantes rencontrées lorsqu’il s’agit de recueillir des données fiables au cœur ou à la suite d’un conflit armé;
- L’agrégation des données, qui empêche de déterminer les conditions des populations marginalisées, itinérantes ou transitoires;
- Des lacunes dans la connaissance des causes profondes et proximales de la violence collective et des interventions efficaces pouvant prévenir son occurrence ou atténuer ses impacts négatifs.
Contexte de la recherche
Bien que la recherche traitant de l’impact de la violence collective soit limitée, il existe une abondance de recherches sur l’exposition des enfants à d’autres formes de traumatismes et de stress comme les mauvais traitements, la violence domestique et la pauvreté. Ces recherches provenant des sciences sociales et comportementales, des neurosciences, de la biologie moléculaire, de la génomique et des modèles animaux convergent clairement vers les effets négatifs de l’adversité grave et chronique sur les jeunes enfants.16
Questions clés pour la recherche
Quels sont les déterminants qui sous-tendent et déclenchent la violence collective? Des études transversales basées sur de larges échantillons ont identifié des corrélats au déclenchement des conflits armés (par ex., la pauvreté et l’iniquité, l’instabilité politique, des institutions démocratiques faibles, la disponibilité d’opportunités rentables comme les drogues illégales ou l’extraction minérale, de métal ou d’huile alors que le taux de chômage est élevé, l’existence de populations exclues ou discriminées, des milieux enclins aux conflits)17-26 et des corrélats au déclenchement du terrorisme (par ex, la pauvreté et l’iniquité, la répression des droits politiques ou civils, la migration et les changements dans l’équilibre ethnique, religieux ou social d’une société, la dépossession, l’expropriation et les abus aux droits de l’homme, la présence d’un grand nombre de jeunes hommes sans emploi en milieu urbain).27-29 Cependant, ces associations étant basées sur un ensemble limité de conflits armés ou d’actes de terrorisme, il est difficile de tester si elles sont systématiques; l’importance relative de différents corrélats dépend des spécifications du modèle choisi. Dans la mesure du possible, des revues de littérature seraient nécessaires pour identifier les facteurs qui sont présents de façon systématique. Des analyses statistiques plus complexes seraient requises pour établir la robustesse de facteurs identifiés dans des études isolées ou dont les effets ne sont pas systématiques (par ex., le processus de démocratisation, l’exclusion sociale, la présence de groupes misant sur la ségrégation ethnique ou raciale, les catastrophes naturelles, la rareté et la provision des ressources) et déterminer des modérateurs et médiateurs contextuels. De plus, les incertitudes théoriques quant aux causes de la violence collective suggèrent de continuer à examiner d’autres facteurs causaux potentiels, particulièrement des facteurs sous-jacents (par ex., des valeurs culturelles, des systèmes économiques). Des études qui élucident la chaîne causale d’événements menant à la violence collective ou ses mécanismes seraient utiles pour identifier des stratégies et des opportunités de prévention. Également, il existe des descriptions des causes potentielles de l’émergence de l’exclusion sociale ou de la discrimination dans certaines communautés et des études qui identifient leurs déterminants particuliers, mais des recherches identifiant les facteurs qui contribuent au maintien du racisme structurel ou de la discrimination seront nécessaires pour développer des interventions.
Quels types d’interventions pourraient prévenir ou contrôler efficacement la violence collective? Certains des corrélats des conflits armés et du terrorisme sont potentiellement modifiables (par ex., la pauvreté, l’iniquité, l’exclusion). On observe une croissance de la recherche sur les stratégies efficaces possibles pour réduire la pauvreté et l’iniquité30-31 (par ex., une éducation à la petite enfance de qualité ; le plein emploi et des emplois adéquatement rémunérés; une protection universelle contre la perte de revenu lors du chômage, d’une maladie, d’une invalidité, de la retraite, d’une grossesse, de la garde de jeunes enfants ou de la garde de proches invalides; une couverture universelle des soins de santé, de l’éducation, de l’hygiène publique et de l’accès à l’eau ; des politiques sociales et économiques de redistribution; l’accès au crédit) mais plus de stratégies pourraient être identifiées et évaluées. Des stratégies pour réduire l’exclusion sociale ou la discrimination (par ex., l’action positive, la déségrégation des écoles et des quartiers) ont été tentées aux États-Unis, avec des résultats variables.32-34 D’autres stratégies ayant le potentiel d’éliminer ou de réduire l’exclusion sociale doivent être évaluées (par ex., la réduction des politiques ou des actions qui ciblent ou qui sont limitées à des groupes spécifiques, la prestation universelle d’une assurance sociale et de services essentiels de qualité uniforme, la coordination intersectorielle des politiques et des actions, la promotion et la protection des droits de l’homme, la promotion et le support d’une véritable responsabilisation des communautés, la gouvernance participative35-36). De façon similaire, bien qu’il existe des études examinant les facteurs qui mènent aux interventions précoces dans les situations de conflits armés (par ex., les effets sur la population civile ; des tentatives antérieures de médiation; les coûts de la sécurité de l’intervenant ainsi que ses relations avec les transgresseurs et sa vulnérabilité militaire et économique37-38), des études évaluant l’efficacité et les potentiels effets adverses de différentes interventions (par ex., les sanctions, la diplomatie, les missions de maintien de la paix, les interventions militaires) sont aussi nécessaires.
Quelles interventions réduisent efficacement les impacts de la violence collective sur les enfants? Bien que les gouvernements et les organismes non-gouvernementaux tendent à répondre à la violence collective en fournissant des nécessités de base et des soins de santé,9 ils ne répondent pas à tous les types de violence collective (par ex., la discrimination) et lorsqu’il y a une réponse, elle est souvent trop lente, insuffisante ou inéquitable. De plus, étant donné que le fonctionnement des personnes responsables des enfants médiatise et modère l’impact de la violence collective sur ces derniers,2 des interventions qui facilitent ou supportent le fonctionnement de ces personnes devraient être implémentées et évaluées aux échelles communautaire et sociétale. Finalement, bien que quelques études aient suggéré que les interventions préventives systématiques soient efficaces pour réduire le TSPT et les symptômes dépressifs chez les enfants plus âgés traumatisés par un conflit armé ou des actes terroristes, seulement quatre interventions de ce type ont été rigoureusement évaluées et aucune n’a été développée pour les jeunes enfants.40
Résultats récents de la recherche
Des conditions comme un déplacement forcé, l’exclusion sociale ou la ségrégation, particulièrement lorsqu’elles mènent à la pauvreté ou qu’elles sont aggravées par celle-ci, peuvent créer chez les jeunes enfants un stress chronique sévère et incontrôlable. Ce stress peut devenir, s’il n’est pas tempéré par des soins sûrs, stables et sensibles, un « stress toxique ».41 Le stress toxique vécu au cours de périodes sensibles de la croissance en bas âge a un impact sur la structure et le fonctionnement du cerveau, en modifiant le seuil d’activation du système de réponse au stress et en perturbant les systèmes immunitaire et endocrinien et les réponses inflammatoires. Ces changements liés au stress affectent l’attention, la prise de décision, le contrôle de l’impulsivité et la régulation émotionnelle. Ils affectent également les processus physiologiques car les personnes affectées sont plus enclines à présenter ultérieurement de l’instabilité émotionnelle, des troubles anxieux et dépressifs, des problèmes d’apprentissage, de l’agressivité, des abus de substance, des maladies transmissibles sexuellement, de l’obésité, de l’asthme, des infections respiratoires et des maladies du cœur, des poumons et du foie.3,16
Lacunes de la recherche
En premier lieu, le développement et l’évaluation d’interventions visant à prévenir la violence collective (par ex., les conflits armés et le terrorisme) devrait constituer une priorité. Cependant, les interventions préventives étant basées sur l’identification et la compréhension des facteurs et mécanismes causaux de la violence collective, une combinaison de méthodes de recherche historiques, qualitatives et quantitatives sera nécessaire pour combler les lacunes existantes. Les interventions ciblant les causes profondes de la violence collective sont plus susceptibles d’avoir des impacts à grande échelle et à long terme, mais les facteurs motivant les gouvernements à implémenter ces interventions potentielles doivent être identifiés. Entre temps, les chercheurs devraient aussi évaluer des interventions permettant d’atténuer l’impact de la violence collective sur les enfants. Les facteurs contribuant à la persistance et à la répétition de l’exclusion sociale de populations doivent être identifiés et des interventions pour modifier ces facteurs sont nécessaires.
Conclusions
La violence collective inclut toute violence physique, sexuelle ou psychologique commise par des groupes d’individus ou par des états. Trop d’enfants autour du monde sont exposés à différentes formes de violence collective, telles que les conflits armés, le terrorisme, l’exclusion, la discrimination ou le racisme. L’exposition des jeunes enfants à la violence collective, qu’elle soit directe ou indirecte (par ses impacts sur les personnes qui s’occupent d’eux), a de graves conséquences à long terme sur leur développement cognitif, émotionnel et social et leur santé physique et mentale. En plus de mener à des blessures mortelles et non-mortelles, la violence collective peut augmenter le risque de contracter des maladies infectieuses et chroniques et accroître le taux de mortalité, par des mécanismes variés comme le stress toxique, un accès réduit aux ressources et services ou une plus grande exposition au risque. Puisque le fonctionnement des personnes responsables de l’enfant peut tempérer l’impact de la violence collective sur celui-ci, des interventions devraient être développées pour faciliter et promouvoir des soins sécuritaires, stables et sensibles aux enfants. Les efforts de recherche devraient être axés sur le développement et l’évaluation d’interventions de prévention primaire de la violence collective. Ces interventions préventives devraient être basées sur une meilleure compréhension des causes profondes de cette violence, de ses facteurs déclencheurs et de leur séquence dans la chaîne causale des événements.
Implications pour les parents, les services et les politiques
Les parents peuvent aider à atténuer les conséquences de l’exposition des enfants à la violence collective en leur offrant des soins sûrs, stables et sensibles. Ils peuvent aussi songer à réclamer publiquement des conditions qui faciliteraient des pratiques parentales adéquates et préviendraient l’occurrence de la violence collective. Les services disponibles devraient offrir le support et les conditions dont les parents ont besoin pour continuer à offrir des soins sûrs, stables et sensibles à leurs enfants (par. ex., un logis adéquat et stable, un environnement sécuritaire, de la nourriture en quantité suffisante, de l’eau potable, des services d’assainissement et d’hygiène publique, des soins de santé, incluant des services de santé mentale pour traiter des problèmes comme le TSPT, un emploi significatif). Les décideurs politiques devraient examiner les politiques actuelles et futures pour déterminer leur influence potentielle sur les causes suspectées de conflit armé et de terrorisme et leur influence sur le maintien de la discrimination et de l’exclusion de sous-groupes de la population. Les gouvernements devraient protéger tous les membres de la société et assurer un accès égalitaire aux conditions nécessaires à la santé.
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Pour citer cet article :
Klevens J. La violence collective et les enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Tremblay RE, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/violence-sociale/selon-experts/la-violence-collective-et-les-enfants. Publié : Janvier 2012. Consulté le 9 décembre 2024.
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