Stress prénatal et développement de la progéniture chez les primates non humains


University of Wisconsin-Madison, États-Unis
, Éd. rév.

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Introduction

Le stress psychosocial pendant la grossesse a été relié à des problèmes de développement chez les enfants, notamment un faible poids à la naissance et une durée de gestation plus courte, à une diminution de l’attention et de l’habituation aux stimuli durant la période néonatale, à un risque accru de trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), à la schizophrénie, à des difficultés de langage et à des anomalies sociales.1-6 Les études sur les primates effectuées en laboratoire ont fourni un lien inférentiel entre les études sur les rongeurs et les recherches épidémiologiques sur les humains.

Sujet

On s’inquiète de plus en plus des effets du stress maternel sur les enfants, étant donné l’augmentation du stress et de la violence dans la vie quotidienne. C’est particulièrement le cas pour les secteurs défavorisés de notre société, où les personnes sont davantage soumises à des pressions quotidiennes incontrôlables et à d’autres facteurs de stress plus graves comme la délocalisation et le chômage. Comme les femmes qui subissent du stress sont plus susceptibles de fumer, de boire et d’adopter d’autres comportements liés au stress, il y a souvent une accumulation d’événements négatifs qui peuvent aggraver les effets négatifs du stress sur le développement.

Problèmes

Les liens causals entre le stress prénatal et les problèmes de développement sont difficiles à établir dans les études sur les humains, à cause des biais de sélection et des éventuelles variables de confusion. Même en appliquant des corrections statistiques, il est impossible de s’assurer que les variables de confusion majeures ont été éliminées ou que la méthode d’ajustement a réellement éliminé les effets de ces variables. Dans les études sur les primates, on peut effectuer des expériences aléatoires, déduire des liens causals entre le stress prénatal, d’une part, et le comportement et le développement des enfants, d’autre part. Les recherches sur les primates non humains constituent un excellent modèle pour l’étude du stress prénatal. En effet, la structure du cerveau et les processus biologiques qui interviennent dans les réactions humaines face au stress sont similaires chez les primates et chez les humains. Les autres facteurs sont la richesse de l’organisation sociale des primates non humains et leurs habiletés cognitives complexes, la possibilité d’isoler le stress prénatal des autres facteurs et de recourir à un traitement standard du stress, ainsi que la capacité de mener des recherches sur de possibles bases biologiques.7-9

Les inconvénients des études sur les primates non humains tiennent au fait qu’il est nécessaire d’utiliser de petits échantillons, que les coûts sont élevés comparativement à ceux des études sur les rongeurs et qu’il faut généraliser les résultats des études sur les animaux pour les appliquer aux humains, bien que ce saut inférentiel soit moins prononcé avec les primates non humains qu’avec les rongeurs.

Contexte de la recherche

Les événements stressants stimulent la libération des hormones du stress, qui peuvent pénétrer dans le placenta du primate (du moins en faible quantité) et influer sur le développement du fœtus. Les études sur les rongeurs et les primates non humains ont révélé que lorsque des mères recevaient une injection d’hormone de stress (hormone libérant la corticotrophine – CRH), ou lorsque les singes rhésus recevaient une injection d’hormone adrénocorticotropique (ACTH), leur progéniture présentait des effets similaires à ceux observés chez la progéniture qui avait vécu du stress prénatal.10,11

Questions clés pour la recherche

Au cours de notre recherche, nous avons eu recours à une exposition quotidienne de 3 courts bruits soudains (son de 115 dB à 1 m, 1300 Hz) utilisés comme stresseur prénatal afin de répondre aux questions suivantes :

  • Le stress psychologique quotidien de nature imprévisible pendant la grossesse a-t-il des effets négatifs sur le poids à la naissance, la durée de la gestation, le comportement neurologique néonatal ou la réaction au stress?
  • Existe-t-il une période sensible ou un moment de vulnérabilité accrue pour ce qui est des effets du stress?
  • Les hormones maternelles du stress constituent-elles une partie importante du mécanisme déterminant les effets du stress sur la progéniture?
  • Le stress prénatal interagit-il avec d’autres situations pouvant avoir des effets négatifs, comme l’exposition à l’alcool pendant la période fœtale?
  • Y a-t-il une continuité entre les effets observés pendant la petite enfance et les fonctions cognitives futures?
  • Le stress prénatal a-t-il des effets à long terme sur le fonctionnement du système dopaminergique qui peuvent être évalués au moyen de la tomographie par émission de positons (TEP)?

Résultats récents de la recherche

  • Le stress prénatal n’a pas réduit la durée de la gestation, mais a entraîné une diminution importante du poids à la naissance, bien que celui de tous les sujets ait été considéré comme un poids normal pour les singes rhésus.12 Le stress prénatal a aussi été lié à un comportement neurologique comprenant une réduction de l’attention néonatale ainsi que de la maturité et de l’activité motrices.13-15,10 Lorsqu’ils étaient exposés à des situations stressantes, les singes qui avaient subi un stress prénatal ont fait preuve d’une plus grande agitation et ont présenté des taux d’hormones de stress plus élevés que les sujets témoins.16-18,12
  • Les effets du stress prénatal sur le poids à la naissance et sur le comportement neurologique à un très jeune âge semblent atteindre leur plus haut niveau au début de la gestation et diminuer progressivement au cours de la deuxième moitié de la gestation.14
  • L’activation des glandes endocrines de la mère s’est révélée être un des mécanismes sous-jacents de l’effet, puisqu’en administrant de l’ACTH aux femelles enceintes, on obtenait des effets similaires à ceux observés chez les singes soumis à un stress prénatal.10
  • Comparativement aux sujets témoins, les petits ayant été exposés au stress et à l’alcool durant la gestation étaient ceux qui subissaient les effets les plus négatifs sur le poids à la naissance et sur le comportement.19-21
  • On a observé une association significative entre la diminution de l’attention néonatale et les déficits d’apprentissage pendant l’adolescence chez des sujets non appariés, ce qui démontrait une certaine continuité entre les déficits pendant la prime enfance et les problèmes futurs.20
  • On trouve chez des singes exposés au stress avant leur naissance et chez ceux qui, en plus d'avoir été exposé au stress prénatal, ont aussi été exposés à l'alcool avant leur naissance, deux différences dans la fonction dopaminergique mesurée dans le striatum, comparativement aux singes qui n'ont pas été exposés au stress prénatal : 1) un rapport plus élevé entre la liaison de la dopamine aux récepteurs D2 et la synthèse de dopamine.22 Comme moins de dopamine est synthétisée, le nombre de récepteurs augmente pour compenser ou réguler positivement cette insuffisance de dopamine, et 2) une liaison plus importante de la dopamine à son transporteur qui régule les concentrations extracellulaires de dopamine dans le striatum.

Conclusions

Les études sur les primates non humains, effectuées dans des conditions de laboratoire soigneusement contrôlées, sont un lien important entre la recherche sur les rongeurs et celle sur les humains. Les études sur les primates révèlent que le stress prénatal provoque un poids plus faible à la naissance, une diminution de l’attention, le ralentissement du développement moteur et de l’apprentissage, des difficultés sur le plan de la régulation des émotions ainsi que des changements à long terme dans le fonctionnement du système dopaminergique dans le striatum. Il est intéressant de noter qu’il y aurait, dans le striatum des adolescents et des adultes atteints d’un TDAH, une augmentation de 40 à 50 p. cent de la liaison de la dopamine à son transporteur, qui n’est toutefois pas démontrée par toutes les études. Le début de la gestation semble être une période particulièrement vulnérable en ce qui concerne certains des effets mentionnés, bien qu’on observe aussi des effets du stress chronique dans la deuxième moitié de la gestation. Il est nécessaire d’effectuer d’autres recherches afin d’étudier l’intensité du stress, sa durée (s’agit-il d’un stress chronique ou d’épisodes isolés?), le moment où apparaissent les événements stressants et les effets de l’accumulation des événements négatifs. Chez les humains, les stratégies d’adaptation sont très importantes pour diminuer les répercussions du stress. Or, de telles stratégies ne peuvent être étudiées chez les animaux. À ce jour, la recherche confirme l’hypothèse selon laquelle il y aurait un lien de cause à effet entre le stress prénatal et les problèmes de développement chez les humains et chez les primates non humains.

Implications

Étant donné que le développement est déterminé par un processus complexe qui implique une interaction entre facteurs biologiques et facteurs environnementaux,23 on peut raisonnablement ajouter le stress parental à la liste des facteurs de risque qui peuvent nuire au développement, spécialement lorsqu’il est combiné à d’autres facteurs de risque. Les politiques publiques appropriées à ce champ de recherche incluent l’identification et la réduction des facteurs de risque existants et l’amélioration des facteurs de protection disponibles chez les femmes enceintes. Le public a besoin d’être renseigné sur les facteurs de risque pendant la grossesse, notamment le stress prénatal, et l’accumulation d’événements négatifs. La formation professionnelle des prestataires de services devrait inclure de l’information sur les facteurs de risque, y compris le stress et ses effets possibles sur les enfants.

Références

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Pour citer cet article :

Schneider ML, Moore CF. Stress prénatal et développement de la progéniture chez les primates non humains. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Glover V, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/stress-et-grossesse-prenatal-et-perinatal/selon-experts/stress-prenatal-et-developpement-de-la. Actualisé : Mars 2011. Consulté le 23 avril 2024.

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