Les effets du stress prénatal sur le développement comportemental et cognitif des enfants


Institute of Reproductive and Developmental Biology, Imperial College London, Royaume-Uni
, Éd. rév.

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Introduction

L’importance du développement au cours de la période fœtale est bien connue, étant donné le lien entre la croissance du bébé dans l’utérus et la vulnérabilité ultérieure à des troubles physiques comme les maladies cardiovasculaires et d’autres maladies du syndrome métabolique.1 Il est maintenant clair que, lors de la période fœtale, l’environnement a aussi des effets sur le développement affectif, comportemental et cognitif de l’enfant à naître. Des études animales ont montré que le stress pendant la grossesse peut avoir des effets à long terme sur le développement neurologique de la progéniture.2

Sujet et contexte de la recherche

Partout dans le monde, plusieurs groupes étudient la façon dont l’état émotif de la mère pendant la grossesse peut avoir des effets à long terme sur le développement psychologique de son enfant.3,4 Certains de ces groupes étudient de grandes cohortes de populations, ce qui permet, sur le plan statistique, de tenir compte de plusieurs facteurs confusionnels, dont l’humeur de la mère après l’accouchement.5  Les autres recherches sont de plus petites études d’observation, dans lesquelles l’enfant peut être étudié plus en détails.6 Le stress est un terme générique qui englobe l’anxiété et la dépression, mais aussi la détresse causée par des relations interpersonnelles difficiles et la réaction à un grand désastre. Il a été montré que toutes ces facettes du stress sont liées à des effets négatifs sur le développement de l’enfant. 

Questions clés pour la recherche

Quels types et quels niveaux de stress prénatal ont un effet sur le fœtus et l’enfant? À quels âges gestationnels le fœtus est-il vulnérable aux différentes difficultés développementales? Quels sont les différents effets du stress sur l’enfant et combien de temps durent-ils? De quelle façon le stress prénatal interagit-il avec les vulnérabilités génétiques? Comment les effets du stress prénatal sont-ils modérés par la qualité des soins postnataux. De quelle façon les résultats varient-ils entre les différents groupes ethniques et les diverses parties du monde?7

Résultats de recherche récents

Plusieurs études prospectives indépendantes ont montré que si la mère est stressée, anxieuse ou déprimée pendant la grossesse, son enfant est plus à risque d’éprouver un certain nombre de problèmes, notamment des problèmes affectifs, un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), des troubles des conduites et un développement cognitif altéré. Le stress prénatal est lié à la fois à des altérations de la structure8 et des fonctions9 cérébrales, et également aux traumatismes de la mère pendant l’enfance.10 La transmission génétique et la qualité des soins postnataux seraient impliquées dans certains de ces résultats d’association. Cependant, des preuves solides stipulent également le rôle de l’état émotionnel de la mère pendant la grossesse. Certaines études ont mis en évidence des relations plus étroites avec l’humeur maternelle pendant la grossesse, par rapport à l’humeur paternelle.11 Plusieurs études ont montré que les effets observés sont indépendants des possibles facteurs confusionnels, comme le poids à la naissance, l’âge gestationnel, l’éducation de la mère, l’usage de tabac, la consommation d’alcool et, plus important encore, l’anxiété et la dépression postnatales.5 Par conséquent, bien que l’état émotif de la mère après l’accouchement et la qualité des soins postnataux soient clairement impliqués dans plusieurs aspects du développement de l’enfant, les résultats scientifiques suggèrent que les facteurs prénataux ont aussi des effets considérables.

Nous avons établi que, au sein d’une population normale, les enfants des mères les plus anxieuses au cours de la grossesse (les 15 % plus anxieuses) étaient deux fois plus à risque d’éprouver des problèmes affectifs et des problèmes de comportement que les enfants des mères moins anxieuses.5 La plupart des enfants n’étaient pas touchés et ceux qui l’étaient, l’étaient de différentes façons. Cependant, le fait que le risque soit deux fois plus grand est considérablement important sur le plan clinique. Plusieurs études révèlent que les garçons et les filles peuvent être affectés de manière différente.3 Il existe probablement une interaction gènes-environnement, c’est-à-dire qu’il est plus probable qu’un enfant ayant une certaine vulnérabilité génétique soit affecté d’une façon particulière.12 

Il est clair que ce n’est pas seulement le stress prénatal toxique ou extrême qui importe, car plusieurs études ont montré que les problèmes comme les tracas quotidiens, l’anxiété liée à la grossesse ou les tensions dans les relations interpersonnelles6 peuvent avoir des effets négatifs sur le développement du fœtus. Les effets qu’ont certains événements désastreux comme les attentats du 11 septembre 201113 ont aussi été montrés. Différentes études ont établi que les fœtus étaient vulnérables à différents âges gestationnels. En fait, il semble que l’âge gestationnel de vulnérabilité varie selon l’aspect du développement touché. Une vulnérabilité accrue à la schizophrénie s’est révélée être liée à des niveaux de stress extrêmes au cours du premier trimestre14 de la grossesse. Les risques d’apparition d’autres problèmes comme le TDAH se sont révélés être liés au stress vécu plus tard pendant la grossesse.5

Les mécanismes à la base de tous ces effets commencent à peine à être compris. L’altération des fonctions du placenta, permettant à plus de cortisol (l’hormone du stress) d’atteindre le fœtus, pourrait bien être importante,15 tout comme le serait le système immunitaire maternel.16

Lacunes de la recherche

Des recherches ont suggéré que de faibles niveaux de stress ont en fait des effets positifs sur le développement de l’enfant; DiPietro a d’ailleurs montré ces effets sur le développement moteur et cognitif.17 Il se peut que cela soit dû au fait que les divers aspects du développement soient influencés de différentes façons. Par exemple, le stress prénatal peut entraîner une accélération du développement physique de l’enfant et une augmentation de son niveau d’anxiété. Il reste beaucoup à apprendre sur le sujet pour comprendre quels types et quels niveaux de stress ont des effets sur le développement du fœtus. Nous n’en savons que très peu sur les effets qu’exercent les divers types de stress professionnel au cours de la grossesse. Nous devons en apprendre davantage sur les âges gestationnels au cours desquels le fœtus est vulnérable au stress et quels aspects de son développement peuvent être touchés à ces âges. Nous ne comprenons pas encore pleinement l’interaction entre le stress prénatal et les prédispositions génétiques de la mère et de l’enfant. Nous devons aussi explorer davantage dans quelle mesure et à quels moments des soins postnataux adaptés et sensibles peuvent contrecarrer les effets du stress prénatal.

Conclusions

Le stress de la mère pendant la grossesse augmente le risque d’apparition d’une quantité de problèmes de développement neurologique chez l’enfant. Le stress peut être de différents types et, pour certains aspects du développement du moins, son effet semble suivre une relation linéaire dose-réponse. Tous les enfants ne sont pas touchés, et ceux qui le sont, le sont de différentes façons. L’âge gestationnel auquel ils sont vulnérables change probablement selon les différents aspects du développement concernés. Il est intéressant de considérer ce phénomène du point de vue de notre évolution. Dans un environnement stressant, il était peut-être adapté pour nos ancêtres d’avoir des enfants plus vigilants (anxieux), ou dont l’attention était facilement distraite (TDAH) ou dont le développement moteur était possiblement plus rapide. Toutefois, dans notre société moderne, plusieurs de ces changements peuvent être inadaptés et causer des problèmes à l’enfant et à sa famille.

Implications pour les parents, les services et les politiques

Pour assurer le meilleur développement possible de nos enfants, nous devons offrir les meilleurs soins de santé émotionnelle possibles aux femmes enceintes. Nous devons accroître l’éducation de la population sur cette question de santé publique et les femmes enceintes devraient être encouragées à entretenir leur santé émotionnelle et à demander de l’aide en cas de besoin. Pour le moment, la plupart des symptômes d’anxiété et de dépression chez les femmes enceintes ne sont ni décelés ni traités. Nous devons nous assurer que les questions qui sont posées aux femmes enceintes sur leurs antécédents émotionnels et leur état émotif actuel sont appropriées et sensibles lorsqu’elles entrent en contact avec des professionnels de la santé. Il est important de noter qu’il n’y a pas que les troubles pouvant être diagnostiqués qui influent sur le développement du fœtus, mais aussi toute une gamme de symptômes de stress, d’anxiété et de dépression ainsi qu’une relation difficile avec le partenaire. On devrait fournir une aide appropriée et personnalisée à chacune des femmes. Cette mesure pourrait prévenir plusieurs problèmes de développement neurologique observés chez une proportion cliniquement significative d’enfants.

Références

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  3. Van den Bergh BRH, van den Heuvel MI, Lahti M, Braeken M, de Rooij SR, Entringer S, Hoyer D, Roseboom T, Räikkönen K, King S, Schwab M. Prenatal developmental origins of behavior and mental health: the influence of maternal stress in pregnancy. Neuroscience and biobehavioral reviews. 2017. doi: 10.1016/j.neubiorev.2017.07.003. [Epub ahead of print] 
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Pour citer cet article :

Glover V. Les effets du stress prénatal sur le développement comportemental et cognitif des enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Glover V, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/stress-et-grossesse-prenatal-et-perinatal/selon-experts/les-effets-du-stress-prenatal-sur-le. Actualisé : Avril 2019. Consulté le 8 octobre 2024.

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