La diversité dans les services à la petite enfance


Gent University, Belgique
, Éd. rév.

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Introduction

Les questions de diversité et d’égalité sont désormais bien ancrées dans le cœur et l’esprit des chercheurs autant que des intervenants en milieu de garde. On convient généralement que l’apprentissage des enfants se fait en contexte réel et que ce contexte se caractérise par une diversité d’ethnies, de cultures, de sexes, de compositions des familles, de capacités, etc. Parallèlement, les résultats du programme PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) montrent un écart social marqué du niveau d’instruction dans la plupart des pays de l’OCDE, pourtant l'écart diffère sensiblement d'un pays à l'autre.1,2 Cet écart semble correspondre aux distinctions entre les groupes socioéconomiques et ethnoculturels : les enfants des minorités ethniques et ceux issus de familles pauvres (deux catégories qui se recoupent souvent, mais pas nécessairement) réussissent généralement moins bien à l’école.3,4,5,6,7 En bref, l’éducation semble (re)produire les inégalités sociales et, par ricochet, les inégalités sociales menacent la cohésion sociale et l’avenir économique des pays.

Enjeux

Si le constat de la diversité fait consensus, cela ne signifie pas pour autant qu’il y ait consensus sur la façon dont cette diversité est perçue ou traitée.8 En fait, on parle tellement de diversité dans le secteur de l’éducation que ce mot risque de perdre tout sens. Dans une tentative modeste de redonner un sens à ce concept, je vais l’analyser à partir de trois paradigmes dominants, à savoir les points de vue économique, pédagogique et social.

Le point de vue économique

La crise économique de la fin des années 1970 a suscité la désindustrialisation et la mondialisation ainsi qu’une sensibilisation croissante au fait que le capital intellectuel d’un pays est sans doute crucial pour son bien-être économique. Ce mouvement a attiré peu à peu l’attention sur l’apprentissage continu tout au long de la vie et sur la petite enfance comme moment particulièrement fertile pour gagner une longueur d’avance dans la vie. Bien des études montrent l’impact positif des services de garde éducatifs sur le développement de l’enfant, surtout dans le cas d’enfants à risque d’échouer à l’école en raison de leur désavantage social.9 Aux États-Unis, l’étude la plus célèbre en ce sens est celle de NICHD-ECCRN, qui montre les effets bénéfiques d’une éducation à la petite enfance sur divers aspects du développement cognitif et linguistique.10 Au Royaume-Uni, une étude longitudinale exhaustive sur l’efficacité d’une éducation préscolaire (EPPE) conclut aussi que les enfants cumulant plusieurs facteurs de risque réussissent bien à l’école s’ils ont profité en bas âge d’un service d’éducation et de garde de grande qualité.11,12

En bref, d’un point de vue économique, l’éducation de la petite enfance est perçue comme un important outil pour surmonter les désavantages. Le rendement de cet investissement est élevé, puisque les enfants à risque réussissent mieux sur les plans social et scolaire et s’adaptent mieux ultérieurement aux exigences de l’école, du milieu de travail et de la société. Cependant, ce point de vue est problématique à deux égards. D’une part, le paradigme de l’économie peut permettre de cerner les besoins quantitatifs touchant l’éducation de la petite enfance, mais il ne résout en rien les questions d’ordre qualitatif, y compris les grandes questions : à quoi sert une éducation de la petite enfance et de quel genre d’éducation de la petite enfance avons-nous besoin? D’autre part, ce paradigme réduit l’enfant au statut d’adulte en devenir, ce qui peut amener à négliger son bien-être du moment présent ainsi que le point de vue des parents.

La démarche pédagogique auprès d’enfants issus de milieux défavorisés

Le principe selon lequel les enfants de milieux défavorisés ont besoin de services qui tiennent compte de leurs antécédents et de leurs besoins particuliers est fondamental. Pour bien des enfants, l’inscription à un service de la petite enfance constitue un premier pas dans la société. Ce pas témoigne de ce que la société pense d’eux et, par conséquent, de la façon dont ils devraient se percevoir, puisque l’identité ne peut être construite que par l’exposition à des similitudes et des différences. Dans ce miroir public, chaque enfant est confronté à une question existentielle cruciale : qui suis-je et est-il acceptable d’être qui je suis? Une image de soi positive est étroitement liée au bien-être et à la capacité de réussir à l’école.13 En conséquence, un programme axé sur l’enfant doit aussi être axé sur la famille.

Dans cette veine, un programme approprié d’éducation de la petite enfance doit trouver un juste équilibre entre deux pièges : déni et essentialisme.14,15 Le déni de la diversité signifie que l’on traite tous les enfants sur un pied d’égalité, ce qui sous-entend que l’éducatrice (ou parfois l’éducateur) interagit avec un enfant « moyen ». La plupart du temps, on estime que cet enfant moyen est blanc, issu de la classe moyenne et d’une famille nucléaire traditionnelle.16,17 Cette conception peut facilement mener à ce qu’on nomme parfois du « racisme par omission », comme le suggère l’étude en cours « Children of Immigrants in Early Childhood Settings in Five Countries: A Study of Parent and Staff ». La partie de cette étude portant sur la France montre en quoi des efforts pour traiter tous les enfants sur un pied d’égalité – ce qui est jugé comme une « pratique exemplaire » à l’égard de la diversité dans ce pays – empêchent souvent d’offrir l’enseignement différencié dont peuvent avoir besoin certains enfants appartenant à des groupes particuliers.18

L’autre piège (à l’opposé) est celui de l’essentialisme, qui laisse entendre qu’un enfant se réduit à sa famille, à son origine ethnique et à ses antécédents culturels. Par exemple, dans certains programmes « multiculturels », il est courant de prendre pour acquis qu’il existe des « pratiques musulmanes » ou une « culture africaine », ce qui nie non seulement l’immense diversité au sein de ces cultures, mais aussi la façon dont les parents et les enfants conçoivent leurs propres appartenances ou leurs multiples identités.15,19 Il n’est pas possible de prendre simplement pour acquis qu’un enfant d’origine nord-africaine aime les tajines, refuse de manger du porc et a des parents qui souhaitent qu’on lui parle en arabe. Le réseau européen DECET (European Diversity in Early Childhood Education and Traininga) présente un résumé des principes directeurs d’un programme de garde et d’éducation de la petite enfance respectueux. Selon le DECET, les centres de la petite enfance doivent être des lieux où :

  • Chaque enfant, chaque parent et chaque membre du personnel se sent personnellement accepté et a le sentiment de faire partie du groupe, ce qui veut dire qu’il y a une politique active pour tenir compte de la culture et des préférences des familles au moment d’élaborer le programme.
  • Chaque enfant, chaque parent et chaque membre du personnel est reconnu dans les différentes composantes de son identité, ce qui signifie que le programme favorise le façonnement de multiples identités et le multilinguisme en établissant des ponts entre le foyer, l’institution et la collectivité locale.
  • Chacun peut apprendre de l’autre au-delà des barrières, culturelles ou autres.
  • Chacun peut participer à titre de citoyen actif à la vie du milieu, ce qui sous-entend que le personnel doit adopter une façon de faire ouvertement exempte de préjugés et prendre les mesures nécessaires pour inclure tous les parents.
  • Le personnel, les parents et les enfants travaillent de concert pour lutter contre les préjugés et la discrimination au sein de l’institution, ce qui comprend une évaluation critique des politiques concernant la disponibilité et l’accès ainsi qu’un examen de la discrimination structurelle, telle qu’expliquée ci-dessous. 

Le point de vue social

Une troisième approche de la diversité dans l’éducation de la petite enfance revêt un aspect davantage social. De ce point de vue, l’éducation de la petite enfance est perçue comme une partie intégrante des mécanismes de bien-être social que les États ont mis en œuvre pour assurer la justice sociale, l’égalité des chances et la répartition de la richesse. Toutefois, nombre d’universitaires ont montré que les enfants issus de minorités ethniques et les enfants de familles à faible revenu se retrouvent plus souvent dans des milieux de garde de moins bonne qualité que ceux issus de familles à revenu moyen ou élevé.20,21 Leur situation se trouve aggravée lorsque le système de services à la petite enfance est scindé entre les programmes d’aide sociale et ceux d’éducation de la petite enfance, scission qui amène souvent à minimiser l’importance des services d’éducation. En la matière, l’étude EPPE sur l’efficacité d’une éducation préscolaire11 indique clairement que seuls des services de la petite enfance de grande qualité peuvent avoir un impact réel. Pour cette raison, les législateurs et les administrateurs doivent veiller à ce que tous les enfants aient accès à des services de haute qualité. Il ne suffit pas d’offrir des services selon un standard moyen ou même égalitaire : les enfants d’horizons ethniques pauvres doivent bénéficier des centres les mieux équipés et du meilleur personnel, soit gratuitement, soit moyennant un coût abordable.

L’effet des services à but lucratif

Il est encore moins probable que les enfants issus de familles à faible revenu aient accès à des services à la petite enfance de qualité si ceux-ci sont privés. Les services à but lucratif visent à desservir les quartiers fortunés et les familles aisées. De plus, diverses études montrent que les services qui suivent la loi du marché tendent à embaucher du personnel moins qualifié, pour réduire les coûts.22,23,24 Une vaste étude menée aux Pays-Bas révèle que la qualité des services de garde dans ce pays a considérablement diminué depuis leur privatisation récente. En 2001, 6 % des milieux de garde d’enfants n’étaient pas de qualité suffisante, mais leur nombre est passé à plus du tiers en 2005.25

Conclusions

Bien que la diversité et l’égalité se trouvent au cœur des préoccupations de l’éducation de la petite enfance, il y a différentes façons de les aborder. Une façon exhaustive de le faire serait d’intégrer les points de vue économique, pédagogique et social, au lieu de favoriser seulement un paradigme. Une vision étroite n’impliquant que les retours sur l’investissement des services à la petite enfance peut amener à négliger le point de vue des parents et des enfants ainsi que les fins plus vastes de l’éducation.23 Par contre, voir les services à la petite enfance comme une préoccupation exclusivement relative au bien-être social peut mener à des services de piètre qualité, offerts par du personnel peu qualifié et incapable de satisfaire les besoins pédagogiques des jeunes enfants. Dans le même esprit, une optique trop axée sur la perspective pédagogique peut entraîner une « scolarisation » des services de la petite enfance, qui ne tient pas compte des dimensions plus larges de l’accès et des programmes dont les enfants immigrants et membres d’une minorité ethnique peuvent avoir besoin pour réussir.26 Le simple prolongement des services d’éducation actuels selon la loi du marché, par exemple, sans réflexion sur les gens à qui ces services sont destinés, va souvent à l’encontre de la diversité et de l’égalité. Ces critiques ne visent pas à rejeter les points de vue économique, social et pédagogique comme tels, mais plutôt à faire valoir que, quand il y a de la diversité, les politiques publiques doivent s’accompagner d’analyses selon divers points de vue.

Implications

Les administrations doivent par conséquent voir au-delà des stéréotypes selon lesquels des catégories sociales ou des familles ethniques particulières ne valorisent pas assez l’éducation ou sont tellement possessives à l’égard de leurs enfants qu’elles refusent de les envoyer dans un service de garde de la petite enfance. Au cours des dernières décennies, des discussions exhaustives ont porté sur cette problématique. Bien qu’a priori certains universitaires pensaient que la culture expliquait le faible taux d’inscription des groupes minoritaires, il est maintenant clair que la réalité est beaucoup plus complexe. Les parents de toutes les classes et de toutes les ethnies accordent de l’importance à des services de garde de bonne qualité, mais leur choix d’un service en particulier est grandement influencé par des contraintes environnementales. Des différences dans leurs préférences s’expliquent souvent, en fait, par des options de garde plus limitées; il faut donc remettre en question la notion de « choix ». En termes simples, les parents peuvent seulement « choisir » parmi ce qui leur est offert et se résignent généralement à ce choix (restreint).27 Wall et Jose28 révèlent, par exemple, que les familles immigrantes de Finlande, de France, d’Italie et du Portugal ont difficilement accès à des services de garde de qualité. Dans le même ordre d’idées, les services de garde de qualité en Belgique sont plus facilement accessibles dans des quartiers fortunés où les critères d’admissibilité favorisent généralement les familles à double revenu, de race blanche et de classe moyenne.27 En bref, même si l’on considère généralement que les services d’éducation et de garde des jeunes enfants sont au cœur des politiques d’intégration, ces services contribuent en réalité dans trop de pays à creuser le fossé de l’éducation entre les ethnies et les milieux sociaux.

Références

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Note :

a Voir aussi le site Web Diversity in Early Childhood Education and Training. Disponible à l’adresse: http://www.decet.org/. Consulté le 23 mars 2011.

Pour citer cet article :

Vandenbroeck M. La diversité dans les services à la petite enfance. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Bennett J, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/services-la-petite-enfance-education-et-accueil-des-jeunes-enfants/selon-experts/la-diversite-dans. Actualisé : Mars 2018. Consulté le 23 avril 2024.

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