Liens entre le développement des jeunes enfants et la diplomation : Commentaires sur les textes de Vitaro, Smith, et Hymel et Ford


École de Psychoéducation, Université de Montréal, Canada
, 2e éd.

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Introduction

Les synthèses proposées à travers ces trois textes offrent d’importantes convergences et complémentarités. Shelly Hymel et Laurie Ford s’attardent principalement à démontrer l’influence de la compétence socioaffective des enfants d’âge préscolaire sur la qualité de l’expérience scolaire. Reconnaissant au passage l’importance d’autres aspects du développement (biologique, cognitif, culturel, socioéconomique, ainsi que l’environnement familial), ces auteures étayent surtout les arguments scientifiques qui justifient un accroissement de nos connaissances sur les précurseurs du développement socioaffectif des jeunes enfants.

Frank Vitaroa, pour sa part, attire d’abord l’attention sur les effets néfastes des problèmes de comportement (agressivité) et d’autorégulation sur l’expérience scolaire, difficultés intimement liées aux problèmes langagiers et au déficit de l’attention. Il mentionne aussi l’influence de l’environnement familial et socioéconomique. L’auteur dresse ensuite un rapide portrait des interventions préscolaires qui ont permis d’améliorer la qualité de l’adaptation scolaire des enfants. Il rappelle que la durée et l’intensité sont des caractéristiques importantes des interventions efficaces. Vitaro renforce les propos de Hymel et Ford en soulignant l’importance de favoriser le développement précoce des habiletés sociales et  affectives. 

De son côté, Anne Smith résume les connaissances liées à l’influence et à l’efficacité des programmes éducatifs préscolaires (Early Childhood Education). Après avoir mentionné à son tour l’importance du dosage des interventions (intensité et durée), elle précise que tous les programmes éducatifs préscolaires n’offrent pas la même qualité. Elle rappelle les études qui démontrent que la qualité de ces environnements éducatifs relève autant des facteurs structuraux (taille du groupe, ratio éducatrice-enfants, qualification des éducatrices) que des processus éducatifs (qualité des relations éducatrice-enfants, attitudes relationnelles, pratiques éducatives centrées sur l’enfant, etc.).

Résultats récents de la recherche et conclusions

Il ne fait aucun doute que la qualité du développement social et affectif joue un rôle central dans l’expérience scolaire. La qualité des apprentissages est intimement liée à la qualité de l’intégration sociale des élèves.1,2. La centration des auteurs sur l’importance du développement social et affectif du jeune enfant est assurément justifiée, tant sur le plan théorique qu’empirique. Ajoutons cependant que les études longitudinales récentes indiquent que, si les difficultés au départ de la scolarisation (échec, retard) sont de puissants prédicteurs de l’abandon scolaire à l’adolescence, il en est autant des facteurs familiaux et socioéconomiques.3-5 Ainsi, on ne saurait pour le moment parler d’une primauté des facteurs de risque socioaffectifs sur les autres facteurs sociaux, durant l’âge préscolaire du moins.

Par ailleurs, un point de vue plutôt absent des synthèses proposées est celui de l’école comme environnement éducatif à part entière. Les vulnérabilités socioaffectives et comportementales précoces génèrent des difficultés scolaires dans un processus d’interaction avec un environnement éducatif qui, à travers sa composition, son organisation spatio-temporelle, ses pratiques éducatives, etc., a une influence sur l’expression de la réussite scolaire.6-8 

D’autre part, affirmer qu’un déficit des compétences sociales et affectives à l’âge préscolaire accroît les risques d’une expérience scolaire négative ne devrait cependant pas conduire au raisonnement inverse. Tous les élèves qui connaissent des difficultés à l’école n’affichaient pas des vulnérabilités socioaffectives dès leur tout jeune âge. Plusieurs chercheurs ont traité de l’hétérogénéité psychosociale et scolaire des adolescents qui abandonnent l’école prématurément.9-11 Si certains types de décrocheurs manifestaient probablement des difficultés dès leur entrée à la maternelle, cela ne semble pas être le cas pour plusieurs d’entre eux. Une approche centrée sur l’identification de différentes trajectoires développementales permettrait sans doute d’approfondir les liens entre le développement social et affectif à l’âge préscolaire et l’adaptation scolaire ultérieure.12 Il convient aussi, selon nous, d’insister davantage sur la question des différences sexuelles. Les garçons sont plus susceptibles d’éprouver des difficultés à l’école : plus d’échecs scolaires, davantage de retards, plus nombreux à décrocher, etc.13 Malgré une multitude d’hypothèses explicatives allant du déterminisme biologique aux analyses féministes, force est de constater le peu de connaissances empiriques sur le sujet. L’impact différentiel de la compétence sociale et affective en bas âge sur l’expérience scolaire des garçons et des filles demande d’être mieux documenté.

Implications pour le développement de services et de politiques

Plusieurs recommandations des auteurs méritent d’être rappelées et renforcées :

  1. Il est primordial d’accroître l’accès de la population à des programmes éducatifs préscolaires de qualité, c’est-à-dire qui respectent, tant au niveau de leur contenu que de leurs modalités d’application, les caractéristiques des programmes éprouvés.  Cependant, l’ajout de ressources financières et matérielles ne sauraient, seul, suffire à la tâche. Il est essentiel aussi de renforcer la qualité de la formation des éducateurs en matière de connaissances et de savoir-faire spécifiques. Une formation de niveau universitaire paraît plus adaptée à la complexité des opérations que requiert la mise en œuvre de programmes éducatifs spécialisés.
  2. Ces services doivent être adaptés aux caractéristiques culturelles et socioéconomiques des communautés, en particulier à celles des milieux plus défavorisés qui sont aussi les plus susceptibles de bénéficier des interventions préscolaires.14 Une approche intégrée des services sociosanitaires impliquant une coordination et une collaboration entre les différents partenaires de la communauté est essentielle pour relever ce défi.15,16
  3. Se centrer uniquement sur des interventions préscolaires serait cependant une erreur. Les gouvernements doivent se doter de stratégies d’actions continues et adaptées aux différentes étapes du développement des enfants et de leurs contextes de socialisation. Bien que son rapport coût-bénéfice soit avantageux et justifie la place qui doit lui être faite, l’intervention précoce n’est pas une panacée.14 Les effets néfastes de plusieurs déterminants des problèmes sociaux et affectifs demeureront malgré les interventions précoces (famille, pauvreté, vie de quartier, groupe de pairs, événements de vie stressants, etc.). Le degré de vulnérabilité de certains enfants et de leurs familles est tel, qu’un accompagnement pendant plusieurs années ou à différentes étapes du développement social s’avère nécessaire. C’est pourquoi il nous paraît excessivement important de penser à une continuité des services entre la période préscolaire et scolaire (primaire et secondaire).
  4. L’intégration d’un mandat de socialisation à la mission des ministères de l’éducation (p. ex., au Québec et en Colombie-Britannique) est certes un pas dans la bonne direction. Les écoles se doivent d’appliquer les pratiques éducatives les plus efficaces, non seulement pour le développement des apprentissages et des compétences scolaires, mais aussi en matière de développement des compétences sociales et de gestion des comportements.8,17 Malheureusement, la formation universitaire, à cette dernière enseigne, paraît insuffisante. Encore une fois, nous croyons qu’il appartient aux universités d’améliorer ou d’ajuster leurs programmes de formation afin que les futurs enseignants et directeurs d’école soient mieux préparés à assumer leur mandat de socialisation.
  5. D’autre part, il est impossible pour les écoles d’assurer à elles seules tous les services de prévention, de soutien ou de correction en matière d’adaptation sociale. Elles doivent pouvoir elles-mêmes compter sur les ressources, le soutien et l’expertise des différents partenaires de leur communauté.15 L’intégration et la coordination des services semblent facilitées par certains modèles organisationnels, en particulier dans les milieux défavorisés (p. ex. Full Service Schools; voir aussi références 18, 19 et 20). Cela dit, il est du ressort des différents paliers de gouvernements de favoriser et de soutenir la coopération active des différents partenaires scolaires et communautaires au partenariat intersectoriel. 

Références

  1. Finn JD. Withdrawing from school. Review of Educational Research 1989;59(2):117-142.
  2. Wehlage GG, Rutter RA, Smith GA, Lesko N, Fernandez RR.  Reducing the risk: schools as communities of support. New York, NY: Falmer Press; 1989.
  3. Alexander KL, Entwisle DR,  Kabbani NS. The dropout process in life course perspective : Early risk factors at home and school.  Teachers College Record 2001;103(5):760-822.
  4. Garnier HE, Stein JA, Jacobs JK.  The process of dropping out of high school: A 19-year perspective. American Educational Research Journal 1997;34(2):395-419.
  5. Jimerson SR, Egeland B, Sroufe LA, Carlson B. A prospective longitudinal study of high school dropouts: Examining multiple predictors across development.  Journal of School Psychology 2000;38(6):525-549.
  6. Baker JA, Derrer RD, Davis SM, Dinklage-Travis HE, Linder DS, Nicholson MD.  The flip side of the coin: Understanding the school’s contribution to dropout completion. School Psychology Quarterly  2001;16(4):406-426.
  7. Janosz M, Georges P, Parent S. L'environnement socioéducatif à l'école secondaire : un modèle théorique pour guider l'évaluation du milieu. Revue Canadienne de Psycho-Éducation 1998;27(2):285-306.
  8. Teddlie C, Reynolds D, eds. The international handbook of school effectiveness research. London: Falmer Press; 2000.
  9. Cairns RB, Cairns BD, Neckerman HJ. Early school dropout: Configurations and determinants. Child Development 1989;60(6):1437-1452.
  10. Kronick RF, Hargis CH. Dropouts:who drops out and why – and the recommended action. Springfield, Ill: Charles C. Thomas; 1990.
  11. Janosz M, Le Blanc Marc, Boulerice B, Tremblay RE. Predicting different types of school dropouts: A typological approach with two longitudinal samples. Journal of Educational Psychology 2000;92(1):171-190.
  12. Cairns RB, Bergman LR,  Kagan J, eds. Methods and models for studying the individual: Essays in honor of Marian Radke-Yarrow. Thousand Oaks, Calif: Sage Publications; 1998.
  13. Conseil Supérieur de l’Éducation.  Pour une meilleure réussite scolaire des garçons et des filles.  Ste-Foy, Québec: Le Conseil;1999. Disponible sur le site: http://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/facteurs.pdf. Page consultée le 25 octobre 2007.
  14. Brooks-Gunn J. Do you believe in magic?: What we can expect from early childhood intervention programs. Social Policy Report 2003;17(1):3-14.
  15. Arnold DH, Ortiz C, Curry JC, Stowe RM, Goldstein NE, Fisher PH, Zeljo A,  Yershova K. Promoting academic success and preventing disruptive behavior disorders through community partnership. Journal of Community Psychology 1999;27(5):589-598.
  16. Burt MR, Resnick G, Novick ER. Building supportive communities for at-risk adolescents: It takes more than services. 1st ed. Washington, DC: American Psychological Association; 1998.
  17. Gottfredson DC. Schools and delinquency. Cambridge: Cambridge University Press; 2001.
  18. Dryfoos JG. Full-service schools: a revolution in health and social services for children, youth, and families. 1st ed. San Francisco, Calif: Jossey-Bass; 1994.
  19. Kronick RF. Human services and the full service school: the need for collaboration. Springfield, Ill: Charles C. Thomas; 2000.
  20. Zigler EF, Finn-Stevenson M, Stern BM. Supporting children and families in the schools: the school of the 21st century. American Journal of Orthopsychiatry 1997;67(3):396-407.

Note :

a Commentaires sur l’article original publié par Frank Vitaro en 2003. Pour consulter cet article, contactez- nous à cedje-ceecd@umontreal.ca

Pour citer cet article :

Janosz M. Liens entre le développement des jeunes enfants et la diplomation : Commentaires sur les textes de Vitaro, Smith, et Hymel et Ford. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Vitaro F, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/reussite-scolaire/selon-experts/liens-entre-le-developpement-des-jeunes-enfants-et-la-diplomation. Actualisé : Mai 2014. Consulté le 19 avril 2024.

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