Diplomation et succès scolaire : l'impact de la compétence socioémotive précoce
Shelley Hymel, Ph.D., Laurie Ford, Ph.D.
University of British Columbia, Canada
, 2e éd.
Introduction
La grande majorité (75,8 %) des jeunes canadiens (âgés entre 18 et 20 ans) obtiennent un diplôme d'études secondaires et 12,8 % poursuivent leur éducation supérieure.1 Cependant, 11,4 % des jeunes canadiens abandonnent l'école tôt, la proportion de filles étant plus élevée que celle des garçons (14,7 % contre 9,2 %). Bien que les taux de décrochage aient diminué au cours des dix dernières années, de 18 % en 1991 (School Leavers Survey) à 11,4 % en 1999, les chiffres actuels représentent 137 000 jeunes qui ne réussissent pas à compléter une scolarité de base. Le décrochage précoce représente une perte à la fois pour l'individu et pour la communauté en terme de réduction de potentiel de contribution à la société, ainsi qu'en termes de coûts de chômage, de prestations sociales et d'autres services sociaux.2,3 En termes économiques, Cohen4 a déterminé qu'un seul décrocheur peut coûter entre 234 000 et 388 000 $ US.
Sujet et problèmes
Qu'est-ce qui distingue un diplômé d'un décrocheur? La recherche suggère que les trajectoires qui conduisent au succès scolaire et à la diplomation commencent à la naissance et qu'elles sont probablement attribuables à plusieurs facteurs différents, tant biologiques qu'environnementaux.5,6 Cependant, la recherche sur la diplomation s'est concentrée principalement sur les années scolaires et sur les facteurs de risque associés à l'abandon scolaire précoce et à l'échec scolaire, avec une attention particulière envers les aptitudes scolaires et les caractéristiques familiales des étudiants. Par exemple, on sait que les étudiants qui abandonnent l'école ont tendance à être moins compétents sur le plan intellectuel, à avoir de moins bonnes notes et de moins bons résultats et à avoir « redoublé ».1,7 Les décrocheurs sont aussi plus susceptibles de provenir de familles à plus faibles revenus et monoparentales.1,8 Leurs parents ont tendance à être moins impliqués et moins exigeants envers leurs enfants, à fournir moins de soutien éducatif,9-13 et sont moins susceptibles d'être un modèle en terme de réalisations scolaires.1,8 Les aptitudes scolaires et le soutien familial ne constituent cependant qu'une partie du portrait. Bien que les taux de décrocheurs soient plus élevés chez les familles à faibles revenus ou monoparentales, la majorité des décrocheurs proviennent de foyers biparentaux à revenus moyens.1,8,14 Également, bien que le manque de satisfaction à l'égard de l'école vienne en tête de liste des raisons du décrochage citées par les jeunes,15,16 moins d'un tiers des décrocheurs font état de difficultés à faire les devoirs.14 Au lieu de cela, parmi les principales raisons évoquées pour expliquer le décrochage, les étudiants citent les difficultés relationnelles avec leurs enseignants et avec leurs pairs, leur sentiment d'insécurité ou de non-appartenance à l'école, ou le fait d'avoir des amis qui ont déjà quitté l'école. Ainsi, en plus de leurs difficultés scolaires et d'un soutien familial limité, les étudiants qui décrochent ne réussissent pas à développer un sentiment d'attachement au milieu scolaire, et citent les facteurs socioémotifs comme étant des considérations d'importance égale pour la compréhension de l'échec et de l'abandon scolaire.17,18
Récents résultats de la recherche
De plus en plus d’études ont démontré que la compétence socioémotive était essentielle à la fois au rendement scolaire et au succès dans la vie,19-23 et que les relations empreintes d'affection et de soutien au sein de la communauté scolaire étaient essentielles à l'apprentissage optimal de l'étudiant.24-27 Une politique sociale récente recensée par Raver22 montre que les enfants qui ont des difficultés sociales (par exemple, s'entendre avec leurs pairs) et/ou émotives (par exemple, contrôler les émotions négatives) font preuve d’une moins bonne adaptation et d’un moins bon rendement scolaire. En fait, les comportements interpersonnels précoces des enfants prédisent aussi bien ou mieux la réussite scolaire que les facteurs intellectuels,28 même après avoir pris en compte les effets de confusion potentiels du comportement scolaire et du QI.29,30 Ces liens sont évidents très tôt, lorsque les comportements sociaux des enfants (par exemple, l'agressivité) ainsi que le faible statut socio-économique et que les difficultés scolaires précoces sont associés à une probabilité réduite de diplomation.5,11,13 De plus, des études longitudinales récentes31 suggèrent que ces associations sont probablement causales, et que le rendement pendant les premières années d'école est basée sur le développement social et émotif précoce.
Les relations positives avec les pairs peuvent constituer un facteur de protection venant en appui à la poursuite scolaire de l'enfant, et des études révèlent que les pairs peuvent être des agents de socialisation efficaces en ce qui a trait à l'engagement envers l'école et à la motivation.31-35 Dès la maternelle et tout au long de la scolarité, le fait d'avoir un ami et d'être apprécié est associé à un rendement scolaire plus élevé, à des attitudes plus positives envers l'école et à moins d'évitement face à l'école.31,36,37 À l’inverse, le fait d'être rejeté ou de ne pas avoir d'amis à l'école et d'être agressif constitue un risque de faible rendement scolaire, de redoublement, d'absentéisme et de fugue à la fois simultanément et dans les années subséquentes.7,36,38 Cependant, l'impact des difficultés précoces avec les pairs a des facettes multiples lorsque que la faible adaptation scolaire est associée à la fois à la persécution par les pairs,39-41 à l'agression et au comportement antisocial envers les pairs.42-44 Il est important de remarquer que ce processus semble être graduel. Par exemple, le fait d'être impopulaire et rejeté pendant les années d'école primaire prédit un décrochage dans les années subséquentes, alors que les enfants rejetés sont marginalisés et ostracisés et qu'ils se désengagent graduellement du milieu scolaire.7 Étant donné leur échec à s'intégrer à leurs pairs dans la vie scolaire normale, il n'est pas surprenant que les décrocheurs précoces participent moins aux activités extra-scolaires,1 et qu'ils soient plus susceptibles de s'associer avec d'autres pairs marginalisés qui accordent peu de valeur au succès scolaire.8,10,45
Les relations avec les adultes sont aussi importantes. Même après avoir contrôlé les aptitudes cognitives, le rendement scolaire plus tard est lié aux influences précoces des enseignants et des parents.46 Les relations positives avec les enseignants sont associées à un meilleur rendement scolaire29,30 et à des attitudes plus positives envers l'école,47 même dès la maternelle.36 Comme le fait remarquer Raver,22 les enfants qui éprouvent des difficultés socioémotives peuvent être « difficiles à éduquer », et les relations problématiques avec les enseignants à la maternelle sont de forts prédicteurs de difficultés scolaires et d'adaptation à l'école, à la fois simultanément48 et tout au long des années de scolarité primaire.49 Ainsi, le fait d'échouer à établir des relations positives tôt dans la vie peut signifier le début d'un cycle descendant de désengagement face à l'école. En effet, il y a moins de décrocheurs (60 %) que de diplômés (88,6 %)1 qui rapportent qu'ils s'entendent bien avec leurs enseignants.
Conclusions
La recherche sur les bases socioémotives précoces du rendement scolaire et de la diplomation est limitée. La plupart des études portent sur les enfants d'âge scolaire et peu d'entre elles se concentrent sur les premières années d'école.36 De plus, les liens entre le rendement scolaire et les difficultés socioémotives peuvent très bien être réciproques,22 les problèmes précoces d'apprentissage contribuant au comportement social négatif et vice versa. On pense que la transition des enfants vers une scolarisation à plein temps ainsi que leurs progrès pendant les cinq premières années d'école (de la maternelle à la deuxième année du primaire) constituent des périodes importantes pour le développement scolaire et social,46 qui à son tour, contribue au succès scolaire. Cependant, étant donné le lien entre les compétences socioémotives et scolaires, il devient important de comprendre les précurseurs du comportement socioémotif précoce avant que les enfants n'entrent à l'école, pendant la période de 0 à 5 ans. On pense que la compétence socioémotive prend ses racines dans les bases du tempérament de l'enfant et dans ses capacités langagières, ainsi que dans ses relations précoces avec les personnes qui s'en occupent, ce qui bâtit les fondations pour les relations interpersonnelles subséquentes.50 Afin de bien comprendre les facteurs qui contribuent au succès scolaire, il est donc impératif d'élargir notre vision et de considérer le problème sous une perspective écologique et développementale, en tenant compte des facteurs biologiques, scolaires, familiaux et socioémotifs ainsi que de leur inter-relation. Jusqu'à présent, peu d'études ont examiné les marqueurs socioémotifs précoces en relation avec les résultats scolaires, bien que des études longitudinales comme l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes51 soient très prometteuses en ce sens.
Implications
Grâce aux études qui existent, nous savons qu'un nombre significatif d'enfants manifestent des difficultés socioémotives qui interfèrent avec leurs relations tant avec les adultes qu'avec les pairs, ce qui affecte leur engagement envers l'école, leur rendement et leur potentiel à devenir des adultes compétents et des citoyens productifs. 52 Un jeune sur cinq présente des problèmes suffisamment graves pour justifier des services de santé mentale. 53-55 À la lumière de ces résultats, le fait de s'occuper de ces problèmes sociaux et émotifs dans les écoles constitue une des composantes du mandat éducatif plus large - préparer les étudiants à fonctionner efficacement dans un monde social complexe. Le ministère de l'Éducation de la Colombie-Britannique a fait un pas unique en ce sens en faisant de la responsabilité sociale une des quatre habiletés fondamentales aussi importantes que la lecture, que l'écriture et que le calcul. Les programmes d'intervention précoce basés sur des preuves et dont l'objectif est d'améliorer le développement socioémotif sont nécessaires,22 ainsi que les efforts visant à évaluer l'efficacité de programmes nouveaux et prometteurs (par exemple Roots of Empathy de Mary Gordon). Il est aussi très important d'offrir aux enseignants une formation adéquate sur le développement socioémotif. Cela fait longtemps que nous reconnaissons l'importance de l'intervention précoce (par exemple Perry Preschool Project, Head Start), mais de tels efforts doivent reposer une compréhension solide des précurseurs précoces du comportement social et émotif et sur les façons complexes dont les caractéristiques de l'enfant et de la famille interagissent avec le contexte social dans lequel un enfant fonctionne, tout en reconnaissant l'importance du fonctionnement socioémotif comme facilitateur de la diplomation et du succès scolaire pendant les années de scolarisation.
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Pour citer cet article :
Hymel S, Ford L. Diplomation et succès scolaire : l'impact de la compétence socioémotive précoce. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Vitaro F, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/reussite-scolaire/selon-experts/diplomation-et-succes-scolaire-limpact-de-la-competence-socioemotive. Actualisé : Mai 2014. Consulté le 8 octobre 2024.
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