Programmes préscolaires pour les enfants des familles défavorisées
Lawrence J. Schweinhart, Ph.D.
High/Scope Educational Research Foundation, États-Unis
, Éd. rév.
Introduction et sujet
Les programmes préscolaires sont des ensembles d’activités récurrentes qui ont pour objectif de procurer des soins et de l’éducation aux enfants pendant les années précédant leur entrée à l’école. Alors que le « préscolaire » englobe logiquement toute la période qui s’étend de la naissance à l’entrée à l’école, il réfère spécifiquement aux deux années précédent l’entrée à l’école, ce qui, dans bien des endroits, correspond à l’entrée en maternelle pour les enfants de cinq ans. Comme pour les programmes scolaires, les programmes préscolaires sont généralement offerts dans des écoles ou dans des centres, mais ils peuvent également être offerts à la maison. Ils peuvent servir uniquement à éduquer les enfants ou ils peuvent aussi permettre de prendre soin d’eux pendant que leurs parents travaillent ou étudient.
Les familles ne peuvent pas toutes offrir les mêmes avantages à leurs enfants. Leurs avantages et leurs désavantages dépendent beaucoup de leur statut socioéconomique, lequel est le plus souvent déterminé selon l’éducation, l’emploi, les revenus et les avoirs des parents. Certains programmes préscolaires, comme Head Start, aux États-Unis, ont pour but de contrebalancer les désavantages pour les enfants dont le statut socioéconomique est faible.
Problèmes et contexte de la recherche
Deux raisons expliquent la généralisation des programmes préscolaires depuis le milieu du 20e siècle. L’une est la tendance mondiale des mères à entrer dans la vie active. L’autre est la connaissance plus répandue des données cumulatives sur la valeur d’une bonne éducation précoce. Ces données proviennent des recherches récentes sur le développement du cerveau humain et de la recherche évaluative sur les programmes préscolaires modèles destinés aux enfants des familles défavorisées. La recherche en neurosciences a dévoilé que le cerveau des jeunes enfants élevés dans des milieux stressants et hautement toxiques était visiblement moins développé que celui des jeunes enfants élevés dans des milieux à faible stress et que le cerveau des enfants était beaucoup plus actif de l’âge de trois à sept ans que pendant les années subséquentes.3
Récents résultats de recherche
La recherche évaluative sur les programmes a découvert que les programmes préscolaires pilotes entraînent plusieurs conséquences importantes sur les participants pendant la petite enfance et jusqu’à l’âge adulte.4 Ces études, qui allient des devis rigoureux, des données recueillies de façon longitudinale et un faible taux de données manquantes, ont démontré que les programmes de grande qualité destinés aux jeunes enfants ont des effets positifs importants à long terme. Ces études rapportent également que grâce à leurs effets positifs, ces programmes présentent une rentabilité considérable sur le plan économique.
- L’étude HighScope Perry Preschool a attribué aléatoirement 123 enfants de familles à faible revenu soit à un programme préscolaire de très grande qualité à 3 et 4 ans, soit à aucun programme, et les a suivi jusqu’à l’âge de 40 ans. Le programme pouvait compter sur des enseignants qui détenaient un diplôme d’études collégiales, sur un curriculum axé intentionnellement sur le développement de l’enfant, sur des parents très dévoués et sur une évaluation continue de sa mise en place et du rendement des enfants. Les chercheurs ont découvert que ce programme a obtenu d’énormes effets positifs sur les habiletés intellectuelles des participants, sur leur succès scolaire et leur motivation scolaire, sur leur diplomation au niveau du secondaire, sur leurs revenus à l’âge adulte et leur emploi, ainsi que sur le faible taux d’activités criminelles.5 L’analyse économique a révélé que le programme a coûté 10 917 $ par enfant par année en dollars de 2011 (ramené au dollar de 2000 rapporté) à un taux d’escompte annuel de 3 % et a offert un rendement du capital investi à la société de 16,14 $ par dollar investi.
- L’étude Carolina Abecedarian a aléatoirement réparti 111 nourrissons provenant de familles à faible revenu et dont la moyenne d’âge était de 4,4 mois à un groupe recevant un programme spécial ou à un groupe contrôle qui utilisait les dispositions typiques de l’époque, dans des centres de la petite enfance et en milieu familial.6 Les chercheurs ont découvert que ces services de garde de très grande qualité offerts aux enfants durant la période préscolaire amélioraient leur performance intellectuelle et leur réussite scolaire subséquentes. En effet, les participants étaient moins nombreux à redoubler, à nécessiter des services spécialisés ou à devenir parent à l’adolescence. Ils étaient aussi plus nombreux à obtenir un diplôme d’études secondaires et à fréquenter une institution post-secondaire pendant quatre ans. L’analyse économique a montré qu’en dollars actualisés en 2011 (ramenés au dollar de 2002 rapporté) à un taux d’escompte annuel de 3 %, le programme coûtait 16 530 $ par enfant par année et rapportait des bénéfices de 3,78 $ pour chaque dollar investi.7
- L’étude longitudinale de Chicago a comparé 989 enfants provenant de familles à faible revenu, qui fréquentaient les centres parents-enfants de l’arrondissement scolaire de la ville, avec un groupe contrôle de 550 enfants qui ne les fréquentaient pas.8 Ces centres offraient un programme préscolaire à temps partiel aux enfants de trois et quatre ans. Le groupe qui participait au programme préscolaire avait une meilleure performance scolaire, un meilleur comportement social, des taux plus faibles de redoublement et de placement en éducation spécialisée, un taux moins élevé d’arrestations criminelles juvéniles et adultes et un taux plus élevé d’études secondaires terminées à temps et des revenus annuels plus substantiels. L’analyse économique a révélé qu’en dollars de 2011 à un taux d’escompte annuel de 3 %, le programme coûtait 6 155 $ par enfant par année et rapportait des bénéfices de 7,10 $ pour chaque dollar investi.9
Au cours des dernières années, une nouvelle génération d’études transversales rigoureuses menées auprès d’échantillons d’enfants d’âge préscolaire ont produit des résultats relativement décevants. Ces études ont examiné les effets des programmes préscolaires publiques, soit les programmes Head Start classique ou Head Start spécial, ainsi que d’autres programmes financés par le gouvernement fédéral et destinés aux jeunes enfants.
Deux études comprennent des échantillons représentatifs au plan national des programmes Head Start méritent une mention spéciale. Les enfants composant l’échantillon de l’étude d’impact de Head Start sont attribués aléatoirement aux conditions avec programme ou sans programme. Cette étude a donné des résultats pour les enfants de trois et quatre ans qui ont participé au programme pendant un an et jusqu’à la fin de la première année.10 L’étude fait état d’effets positifs petits à modérés du programme Head Start un an plus tard sur les capacités en lecture et en écriture ainsi que sur les capacités sociales des enfants, mais elle ne fait pas état d’effets cognitifs ou sociaux dus au programme chez les enfants à la fin de leur première année. Toutefois, uniquement 63 % du « groupe Head Start » et 50 % du groupe témoin étaient inscrits à Head Start à la fin de la deuxième année, soulevant ainsi la question concernant les éléments comparés dans cette étude. Le Head Start Family and Child Experiences Survey étudie un échantillon national représentatif des programmes Head Start aux États-Unis. Comparativement aux normes nationales, les enfants ont fait des progrès significatifs pendant leur participation d’un an à Head Start, en matière de vocabulaire, de capacités précoces d’écriture, de compétences sociales et de réduction des comportements hyperactifs. Enfin, ceux qui ont complété le programme Head Start se sont davantage rapprochés de la moyenne nationale à la maternelle.
Les évaluations rigoureuses de Head Start spécial et de plusieurs programmes similaires ont révélé de petits effets pour des programmes comme Early Head Start,12 Head Start Comprehensive Child Development Program,13 et le programme Even Start Family Literacy du ministère de l’éducation américain.14 Une étude sur les effets de cinq programmes préscolaires financés par l’état et utilisant un devis de régression discontinu a révélé des effets statistiquement significatifs sur le vocabulaire des enfants, ainsi que sur leurs connaissances des caractères imprimés et en mathématiques.15
Le curriculum des programmes préscolaires est une composante critique et a été étudié de façon empirique. Plusieurs études comparant ces programmes, qui ont débuté dans les années 1960, ont suivi les participants pendant des années. L’une d’elles a démontré que les enfants nés dans la pauvreté vivaient moins de problèmes affectifs et subissaient moins d’arrestations pour des crimes s’ils avaient participé à un programme préscolaire qui utilisait le modèle de développement de l’enfant High/Scope ou le modèle traditionnel de prématernelle centré sur l’enfant plutôt que celui de pédagogie directe centré sur l’enseignant.16 Cette étude ainsi que deux autres études longitudinales ont aussi découvert que les élèves participant à des programmes de pédagogie directe avaient des résultats très supérieurs à ceux des enfants inscrits dans les programmes traditionnels ou autres en ce qui concerne les diverses mesures de performance intellectuelle. Ces effets positifs étaient visibles pendant la durée du programme et jusqu’à un an après, mais s’estompaient par la suite.17,18 Les données empiriques suggérant que le curriculum des programmes d’enseignement destinés aux jeunes enfants peuvent avoir différentes répercussions sur ces derniers continuent à s’accumuler.19,20
Conclusions et implications
À la lumière des connaissances actuelles, il semble évident que les expériences vécues durant l’enfance ont des conséquences substantielles pour les individus et ce, durant toute la vie. Les différents modèles d’éducation préscolaires permettant d’évoquer chez les jeunes enfants des expériences enrichissantes. Afin de maximiser le potentiel des individus, il devient donc pressant d’adapter les modèles préscolaires en fonction des résultats de recherche disponibles. Ainsi, davantage d’enseignants qualifiés qui savent et parviennent à contribuer au développement social et cognitif des jeunes enfants, sont requis. Ces enseignants doivent entrer en contact avec les parents et faire d’eux des partenaires à part entière de l’éducation de leurs jeunes enfants. Ce besoin de personnel enseignant qualifié est d’autant plus critique que plusieurs jeunes enfants participent désormais à des programmes préscolaires. En s’assurant que tous ces programmes disposent d’enseignants qualifiés qui savent comment contribuer au développement des jeunes enfants et motiver les parents à en faire autant, on contribuera au succès et à la réussite de la prochaine génération.
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Pour citer cet article :
Schweinhart LJ. Programmes préscolaires pour les enfants des familles défavorisées. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Melhuish E, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/programmes-prescolaires/selon-experts/programmes-prescolaires-pour-les-enfants-des-familles. Actualisé : Décembre 2012. Consulté le 8 octobre 2024.
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