Programmes d’enseignement efficaces au préscolaire. Commentaires sur Melhuish et Barnes, Kagan et Kauzer, Schweinhart et Leseman

Introduction

Les programmes préscolaires canadiens offrent des environnements organisés aux jeunes enfants avant leur entrée en première année. Il s’agit de programmes d’éducation de la petite enfance caractérisés par des expériences récurrentes qui sont essentielles au soutien et au renforcement de l’apprentissage et du développement des jeunes enfants. Le programme d’enseignement représente la « première ligne » des expériences que vivent les enfants : ce qui est enseigné et ce qui est appris.¹

Au Canada, plus de la moitié des enfants âgés de deux à quatre ans participent à un programme préscolaire.² Ce programme peut se donner dans différents cadres : centres de la petite enfance, jardins d’enfants, prématernelle, maternelle, centres de développement de l’enfant, groupes de jeux ou programme d’aide préscolaire aux Autochtones.² Il peut être offert au titre du système d’éducation public, par des organismes sans but lucratif ou par des organisations commerciales. Même certains gouvernements municipaux ou établissements postsecondaires offrent des programmes préscolaires. À l’âge de 5 ans, tous les enfants peuvent aller à la maternelle ou au primaire au titre de leur première année d’études primaires et le taux de fréquentation est d’environ 95 %.²

Le Canada se joint à d’autres pays afin de reconnaître que les enfants sont de jeunes citoyens qui ont le droit d’avoir accès à la meilleure enfance qui soit, incluant l’occasion de participer à des programmes d’éducation de la petite enfance.

Si les programmes d’éducation de la petite enfance doivent offrir des possibilités équitables à tous les enfants d’âge préscolaire, ils doivent porter une attention particulière au contexte de vie des jeunes enfants. Ils représentent des expériences sociales qui guident l’apprentissage des enfants à l’égard du monde qui les entoure et doivent tenir compte des différences culturelles. Il est nécessaire que le contexte social soit pris en considération au moment de l’évaluation de l’apprentissage et du développement des enfants. La structure familiale, les caractéristiques sociales et économiques, les influences communautaires, de même que les antécédents ethniques et linguistiques constituent le contexte sur lequel repose l’apprentissage des jeunes enfants. S’assurer que chaque enfant est le bienvenu et voir à ce que chaque famille ressent un sentiment d’appartenance sont des éléments préalables à l’apprentissage des jeunes enfants.³ Au cours des dernières années, les compétences canadiennes ont suivi l’exemple de plusieurs compétences internationales en mettant sur pied des programmes-cadres d’enseignement visant à appuyer l’éducation de la petite enfance.⁴ Ces documents-cadres aident à guider la planification sans imposer un programme d’enseignement ou une méthode pédagogique en particulier. Ils partagent les mêmes principes de base qui tiennent compte des résultats des recherches du Royaume-Uni,⁵ des États-Unis,⁶ de la Nouvelle-Zélande⁷ et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).⁸

Recherche et conclusions

Edward Melhuish et Jacqueline Barnes⁵ ont conclu que tous les enfants ont avantage à participer à des programmes d’éducation de la petite enfance de grande qualité dès l’âge de 2 ans.⁹ Les enfants vulnérables et défavorisés peuvent en tirer un plus grand avantage, car ils débutent avec moins de ressources et d’atouts, mais les enfants des familles mieux nanties et provenant d’environnements d’apprentissage à la maison bien encadrés en bénéficient également. Les résultats des programmes préscolaires offerts depuis plusieurs années en France, en Suisse et en Norvège, dont l’accès élargi à des programmes préscolaires existe depuis les années 1970, ont montré qu’ils étaient bénéfiques pour l’éducation ultérieure et le marché du travail.⁵

Au Royaume-Uni, l’étude Effective Provision of Preschool Education (EPPE) effectuée en Angleterre a été réalisée auprès de 3 000 enfants de l’âge préscolaire à l’âge d’entrer à l’école, ainsi que du primaire et du secondaire.^10,11,12 L’échantillon comprenait des enfants participant à divers programmes d’éducation de la petite enfance et des enfants à la maison à temps plein. L’étude a révélé que les avantages que procurent les programmes préscolaires à tous les enfants sont toujours évidents à l’âge de 14 ans. L’étude EPPE incluait des études de cas qualitatifs connexes qui ont dégagé des éléments clés venant appuyer la prestation efficace.^13,14 Le développement cognitif et social sont considérés comme complémentaires. La dotation comprend des éducateurs chevronnés faisant preuve d’un grand leadership pédagogique et qui détiennent des connaissances ainsi que de l’expertise en matière de programme d’enseignement et de pédagogie. L’accent est clairement mis sur un volet éducatif fort et les enfants participent à des activités initiées autant par eux que par les éducateurs. Les interactions éducateur-enfant nécessitent un partage continu des idées et les éducateurs émettent souvent des commentaires constructifs aux enfants pendant les activités. Les activités d’apprentissage sont diverses afin de satisfaire les besoins individuels, et les politiques prônent la maîtrise de soi plutôt qu’une méthode de gestion du comportement. Les parents participent, surtout en collaborant avec les éducateurs afin d’établir des objectifs éducatifs pour leurs enfants.

Lawrence Schweinhart de la High/Scope Education Research Foundation est chercheur principal de la Perry Preschool Program Study depuis les années 1970. L’objectif du programme Perry Preschool était d’améliorer le développement et l’apprentissage des jeunes enfants issus de milieux défavorisés. L’étude consistait en un essai clinique aléatoire auprès de 123 enfants avec un suivi des participants jusqu’à l’âge de 40 ans. Schweinhart et ses collègues ont obtenu des résultats et un retour sur l’investissement étonnants – 17,05 $ pour chaque dollar investi.¹⁵ Le programme développé pour la Perry Preschool Program Study, un programme axé sur le développement cognitif, s’est transformé en une vaste organisation qui est devenue une ressource en matière de programmes d’enseignement et qui soutient le développement de programmes aux États-Unis, à l’échelle internationale, y compris au Canada.

Schweinhart¹⁵ indique que le programme d’enseignement et sa mise en œuvre sont des éléments essentiels dans l’obtention de résultats tels que ceux de la Perry Preschool Program Study et ceux de deux autres programmes préscolaires modèles : la Carolina Abecedarian study¹⁶ et la Chicago Longitudinal Study of Child-Parent Centres.¹⁷ Les trois programmes ont fait l’objet d’un suivi rigoureux dans le cadre du projet de recherche. Ils faisaient appel à du personnel qualifié, comportaient une large participation parentale et encadraient la mise en œuvre d’approches judicieuses, bien que différentes d’un programme à l’autre, en matière d’enseignement.¹⁸

Les nombreuses recherches récentes portant sur les programmes préscolaires envoient un message très clair : l’éducation de la petite enfance peut réduire les expériences négatives et placer le développement des jeunes enfants sur des trajectoires plus productives. La conscience accrue du développement humain en début de vie, particulièrement du développement du cerveau au cours des premières années en ce qui a trait à l’établissement à long terme de la base sur laquelle l’apprentissage, le comportement et la santé² reposent, de même que les inquiétudes concernant les difficultés développementales auxquelles les enfants font face sur le plan social, émotionnel et intellectuel lors de l’entrée à l’école,¹⁹ ont attiré l’attention des chercheurs qui s’intéressent au développement et à la neuroscience sur ce que les enfants accomplissent dans les programmes préscolaires.

Paul Leseman²⁰ souligne que plusieurs programmes préscolaires mettent l’accent sur des programmes d’enseignement académiques qui ont pour but de préparer les enfants à l’école. Il suggère de s’attarder à plusieurs aptitudes à l’apprentissage souvent appelées « fonctions exécutives », qui font partie intégrante de la maîtrise de soi.Leseman²⁰ fait remarquer que la maîtrise de soi nécessite de l’attention, une mémoire de travail, de l’inhibition et de la flexibilité, de la planification et de la surveillance hors du commun et une capacité à s’adapter à de nouvelles situations et à de nouveaux défis. Il fait valoir que ce sont les aptitudes dont les enfants ont besoin pour apprendre à acquérir une conscience métacognitive et pour « apprendre à apprendre ». Les programmes préscolaires peuvent utiliser une méthode pédagogique qui encourage les choix que font les enfants, la collaboration entre eux et la conscience explicite de leurs propres apprentissages et émotions. Les jeux symboliques et sociodramatiques, les activités de résolution de problèmes, les possibilités de risque et les histoires au contenu émotionnel contribuent à la maîtrise de soi sur le plan des émotions, du comportement et de l’attention.²¹ Les éducateurs qui se soucient des besoins des enfants, de même que des règles et des routines qui améliorent le climat socioémotionnel de la pièce, contribuent à la maîtrise de soi émotionnelle. Leseman²⁰ ne conseille pas d’abandonner le contenu du programme d’enseignement des programmes préscolaires axé sur la littératie, la numératie et les questions. Il recommande plutôt de s’assurer que le contenu est intégré à des environnements et à une pédagogie qui encouragent les aptitudes cruciales à l’apprentissage.

L’économiste James Heckman et ses collègues affirment que les « aptitudes engendrent des aptitudes »²² et que l’investissement dans le développement des jeunes enfants, notamment l’éducation de la petite enfance de qualité, génère un rendement du capital investi élevé. Placer les enfants sur des trajectoires positives en première année améliore les chances d’épanouissement d’un individu et le capital humain d’une société. Les vrais facteurs sont ce que Heckman appelle du « savoir-être » ou des traits de personnalité comme la persévérance, la capacité à reconnaître et à ignorer des distractions, le souci du travail bien fait et la sociabilité.²³ Ces aptitudes peuvent également être considérées comme la maîtrise de soi sur le plan des émotions, du comportement et de l’attention. Des critiques canadiennes²⁴ et américaines²⁵ sur la pédagogie par le jeu suggèrent que les enfants sont considérés comme des êtres indépendants qui peuvent contribuer activement à façonner leurs environnements d’apprentissage. L’objectif est d’enrichir et d’élargir les nouvelles occasions d’apprentissage, en se fondant sur les connaissances de l’éducateur à l’égard du développement de l’enfant, sur l’observation et la documentation des activités de l’enfant, ainsi que sur les contextes familial et communautaire de l’enfant.

Implications pour les politiques et les pratiques

Le programme-cadre d’enseignement préscolaire canadien comprend un continuum de méthodes qui sont guidées par un adulte et destinées à un enfant.²⁶ Il inclut des possibilités d’apprentissage intentionnelles et spontanées qui peuvent être destinées à un enfant ou guidées par un adulte. La plupart des programmes d’éducation de la petite enfance comprennent des jeux destinés à un enfant ainsi que des instructions guidées par un adulte, mais l’équilibre des deux varie.

Selon les méthodes plus guidées par un adulte, les éducateurs de la petite enfance créent un environnement et mettent sur pied certaines activités liées à plusieurs résultats ou attentes, par exemple, Montessori, High/Scope ou Sesame Street. Kagan, Kauzer⁶ et Schweinhart¹⁵ montrent l’utilité d’une approche en matière de programme d’enseignement préscolaire qui prépare les enfants à la réussite scolaire. Ils recommandent une approche développementale holistique, des intervenants qualifiés et des programmes ainsi que des normes en matière d’apprentissage qui soient clairs et spécifiques. Leurs approches correspondent aux approches préprimaires répandues aux États-Unis. Au Canada, le programme d’enseignement à la maternelle tient compte d’une méthode guidée par l’enseignant et vise à encourager les enfants à atteindre les buts d’apprentissage déterminés.

Selon les méthodes destinées à un enfant, le programme d’enseignement tient compte des intérêts et des nouvelles aptitudes de l’enfant, par exemple, un nouveau programme d’enseignement et Reggio Emilia. Leseman²⁰ encourage un programme d’enseignement organisé et planifié ainsi que des méthodes axées sur des références particulières et définies, mais il ne conseille pas un programme d’enseignement prescrit ou des buts d’apprentissage prédéterminés. Il recommande plutôt des principes pédagogiques qui tiennent compte d’une méthode destinée à un enfant que les praticiens réflexifs peuvent utiliser pour répondre aux besoins d’un groupe particulier d’enfants.

Les décisions liées au programme d’enseignement sont fondées sur les intérêts des enfants dans leur milieu familial et dans leur communauté immédiate. L’accent est mis sur les objectifs développementaux, l’interactivité avec les éducateurs et les pairs, ainsi que sur une grande qualité de vie dans les milieux de la petite enfance. Les programmes d’enseignement donnent des orientations générales pour les enfants plutôt que de prescrire des résultats spécifiques qu’ils devront atteindre. Les objectifs peuvent apparaître moins clairs, il y a moins d’imputabilité quant à l’atteinte des objectifs et moins d’accent mis sur l’évaluation des compétences des enfants. Des objectifs généraux sont établis pour chaque enfant en consultation avec les parents et sont évalués de manière informelle grâce à des observations et des évaluations continues, à moins qu’un dépistage supplémentaire semble indiqué. L’acquisition de compétences développementales est perçue comme un effet induit du programme d’enseignement plutôt que comme ce qui mène le programme.

Le programme d’enseignement le plus efficace est probablement conçu sur mesure pour chaque programme préscolaire selon un ensemble de principes et de connaissances axé sur diverses méthodes. Les programmes déjà établis pourraient être plus simples à mettre en place au début, mais ils sont généralement moins efficaces (en ce qui a trait aux résultats des enfants) que les programmes axés sur leurs propres environnements d’apprentissage. Il est plus important que le programme et les buts d’apprentissage pour les enfants et les familles soient clairs qu’un type de programme en particulier soit adopté. Il sera plus avantageux de créer un environnement d’apprentissage personnalisé que de tenter de mettre en place un programme d’enseignement particulier.

Les programmes préscolaires efficaces reposent tous sur une main-d’œuvre compétente en matière d’éducation de la petite enfance. Les éducateurs de la petite enfance qui sont des praticiens réflexifs et réceptifs doivent participer à la mise sur pied des programmes préscolaires comme des environnements d’apprentissage de la petite enfance.

Les éducateurs de la petite enfance guident et créent intentionnellement des occasions où les enfants peuvent parfaire leurs connaissances. Les stratégies pédagogiques des méthodes guidées par un adulte et destinées à un enfant offrent une structure et une direction aux éducateurs qui appuient le développement des capacités et des aptitudes tout en respectant les intérêts et les choix d’un enfant. Les éducateurs compétents utilisent diverses stratégies incluant le partage des idées et l’apprentissage guidé, l’étude et l’exploration, la modélisation et la démonstration, le questionnement ouvert, la spéculation et l’explication ainsi que les instructions explicites ou directes.

Les enfants d’âge préscolaire peuvent se développer très bien dans divers programmes d’éducation de la petite enfance grâce à des éducateurs avertis et réceptifs qui sont à l’écoute de leurs dispositions d’apprentissage et de celles de leur collectivité. À l’heure où le Canada cherche à rendre l’éducation accessible à tous les enfants d’âge préscolaire, le programme d’enseignement nécessitera le soutien continu des éducateurs, des preneurs de décisions et des familles.

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