École préscolaire et aptitudes liées à l’apprentissage
Paul Leseman, Ph.D.
Utrecht University, Pays-Bas
Introduction et sujet
Les programmes d’éducation de la petite enfance de plusieurs pays tentent de mettre en place des programmes de formation générale visant à mieux préparer les enfants en lecture et en mathématiques à l’école primaire. Selon les critiques, l’attention particulière portée au contenu théorique et à l’enseignement direct pourrait empêcher de mettre de l’avant d’importantes aptitudes liées à l’apprentissage, comme les fonctions exécutives et l’autorégulation. De récents résultats suggèrent que mettre l’accent sur la théorie au préscolaire pourrait s’avérer une erreur, car les enfants pourraient ainsi ne pas être assez bien préparés à faire face à la demande croissante en compréhension, en créativité, en travail indépendant et en travail de collaboration dans les années suivantes.1,2 La maturité scolaire ne fait pas uniquement référence à la capacité de l’enfant à s’asseoir sans bouger, à tenir un crayon et à mettre seul son manteau et ses souliers. Elle ne concerne pas que l’acquisition de la conscience phonologique, la connaissance des lettres et l’apprentissage des chiffres au préscolaire. La maturité scolaire comprend d’importantes aptitudes liées à l’apprentissage, comme l’aptitude de l’enfant à exprimer oralement sa pensée, ses désirs et ses besoins, à contrôler ses émotions, à faire preuve de curiosité, de concentration, de persévérance et à démontrer des compétences sociales.2,3
Aptitudes liées à l’apprentissage pendant la petite enfance
Selon la tradition de recherche, les aptitudes liées à l’apprentissage font référence aux fonctions exécutives, à l’autorégulation ou aux compétences métacognitives et métaémotionnelles, mais il ne fait aucun doute que ces différents concepts sont interreliés.
Fonctions exécutives
Les fonctions exécutives font référence aux systèmes du cerveau qui contrôlent de plus en plus le traitement de l’information et le comportement en cours de développement.1,4 Généralement, trois fonctions exécutives de base se distinguent : la mémoire de travail (également appelée « mise à jour »), le contrôle inhibiteur et la flexibilité (également appelée shifting), mais la question est débattue à savoir si ces fonctions se discernent déjà chez les jeunes enfants.5 La mémoire de travail fait référence à la capacité de maintenir une quantité limitée de renseignements temporairement active à des fins de traitement et de mise à jour. L’inhibition fait référence à la capacité de refouler une réponse prédominante (mais inadéquate) et à résister aux interférences en faisant fi des stimuli. La flexibilité fait référence à la capacité de passer d’une règle ou d’une stratégie à une autre et de changer d’idée. De plus, il existe des fonctions exécutives d’un plus grand ordre comme la planification, la surveillance et la créativité. Toutes les fonctions exécutives nécessitent une attention exécutive, un réseau cérébral qui contrôle l’allocation des ressources (« activation ») vers divers systèmes de traitement de l’information dans le cerveau.6
Autorégulation émotionnelle
L’autorégulation fait référence à l’adaptation du comportement à certaines situations afin d’atteindre des objectifs importants tout en refoulant l’envie soudaine d’obtenir des récompenses immédiates. Les différences individuelles en matière de retard de la gratification ont une très grande valeur prédictive à long terme.7 En observant la façon dont les jeunes enfants font face au retard de la gratification, on peut mieux comprendre l’importance de la mémoire de travail (maintenir les objectifs temporairement actifs), du détournement de l’attention (ne pas regarder dans la direction de la récompense attrayante) et de l’inhibition comportementale (garder les mains derrière le dos ou sous la table). Le développement de l’autorégulation pendant la petite enfance est lié à l’attention exécutive, soit la capacité de détourner délibérément l’attention vers des cognitions qui peuvent contrer les pensées ou les actions indésirables et inciter les pensées et les actions désirables.6
L’autorégulation dans l’apprentissage
L’autorégulation dans la tradition de l’éducation intègre à la fois la connaissance métacognitive générale propre à la façon d’aborder une tâche ou un problème d’apprentissage et la connaissance métacognitive propre à un domaine lié à des stratégies de résolution de problèmes appropriées.8 De plus, en ce qui a trait aux démarches pédagogiques, l’autorégulation comprend la capacité de remettre à plus tard la satisfaction immédiate afin d’atteindre des objectifs à long terme, la capacité à mobiliser l’énergie et à retenir l’attention, à résister aux renseignements gênants et à faire preuve de flexibilité en changeant d’idée. Idéalement, la motivation intrinsèque stimule l’apprentissage, c’est-à-dire par un intérêt réel dans la matière et dans l’apprentissage en soi, mais la vraie motivation intrinsèque peut être rare parmi les élèves. La motivation extrinsèque intériorisée fait référence à un élève qui peut maintenant associer une émotion positive à des activités pédagogiques, qui se sent capable d’apprendre et qui s’identifie à l’enseignant. Encourager ce type de motivation peut représenter un objectif important en matière d’éducation et peut dépendre considérablement des relations sociales positives avec l’enseignant, d’un environnement positif en classe, d’un équilibre entre les inquiétudes de l’élève et de celles de l’enseignant, de commentaires appropriés et d’expériences de compétence.9,10
Autorégulation selon la théorie de Vygotsky
L’autorégulation constitue également un important concept de la théorie de Vygotsky, où le progrès développemental, qui passe de la régulation externe par le biais des autres (p. ex., les parents, les enseignants et les pairs) à l’autorégulation, s’applique à une vaste gamme d’aptitudes, non pas uniquement un contrôle cognitif et émotionnel, et décrit jusqu’à quel point un enfant réussit à intégrer les connaissances, les aptitudes et les stratégies de résolution de problèmes à l’atteinte des objectifs, à la motivation, à la persévérance, à la planification et au contrôle. Selon la théorie de Vygotsky, la transition de la régulation par le biais des autres vers l’autorégulation nécessite l’observation, l’imitation, le dialogue et la coconstruction par le biais de la coordination de la façon de regarder, des gestes et de la négociation avouée. Dans le cadre des interactions pédagogiques avec un enseignant expérimenté, la pensée métacognitive verbalisée, comme la planification, la surveillance et le shifting, est modelée. L’internalisation du savoir-faire d’expert peut nécessiter une étape intermédiaire impliquant l’allocution privée, ou le « monologue intérieur », qui ressemble aux pensées métacognitives explicites de l’expert.11 Le monologue intérieur et l’allocution intériorisée constituent des outils importants du contrôle cognitif et émotionnel des enfants.
Fonctions exécutives « chaudes » et « froides »
Existe-t-il un lien entre les fonctions de contrôle pour les comportements cognitifs (fonctions exécutives « froides ») et les comportements émotionnels (fonctions exécutives « chaudes »)? Comment la motivation influe-t-elle sur l’apprentissage? Une étude réalisée auprès d’enfants d’âge préscolaire et axée sur l’évaluation de la tradition des fonctions exécutives froides et chaudes suggère un important chevauchement où les fonctions exécutives froides et chaudes prédisent tôt le rendement scolaire.12,13 L’attention exécutive joue un rôle essentiel auprès du contrôle cognitif et émotionnel. Quand vient le temps de s’adapter à certaines situations, l’attention exécutive alloue des ressources au traitement cognitif plutôt qu’au traitement émotionnel. Par exemple, la présence d’indices émotionnels flagrants peut nuire à l’apprentissage en retirant des ressources du traitement cognitif,14 tandis que les émotions positives modérées et les humeurs positives peuvent accroître les ressources allouées au traitement cognitif et améliorer l’apprentissage.10,15
Promouvoir les aptitudes liées à l’apprentissage
L’évaluation précoce des fonctions exécutives et de l’autorégulation aide à mieux prédire le rendement scolaire en lecture et en mathématiques que le QI,16 de même que l’ajustement comportemental et le bien-être en classe, l’empathie, le raisonnement moral et le comportement prosocial.17 Ainsi, promouvoir l’autorégulation liée à l’apprentissage devrait représenter l’un des principaux objectifs des programmes d’éducation de la petite enfance. Il existe plusieurs démarches : entraîner les fonctions exécutives sous-jacentes à l’autorégulation, offrir des environnements d’interaction qui encouragent la transition de la régulation par le biais des autres vers l’autorégulation et élaborer des pratiques en classe qui entraînent le développement de l’autorégulation.
Formation pour les fonctions exécutives
Les programmes ont été mis sur pied pour encourager les fonctions exécutives chez les enfants d’âge préscolaire à risque dont la mémoire de travail ou les fonctions exécutives sont peu développées ou qui souffrent d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). La recherche révèle que la formation informatisée entraîne d’importantes répercussions sur les fonctions exécutives si le degré de difficulté, ou la « charge de mémoire de travail », est augmentée en conséquence, sur l’intelligence non verbale et sur les rapports des parents axés sur le comportement d’autorégulation propre aux enfants souffrant de TDAH, mais les résultats liés au rendement scolaire et au comportement en classe ne sont pas toujours constants.18
Environnements qui favorisent l’autorégulation
Selon la théorie de Vygotsky, le développement de l’autorégulation pendant la petite enfance est lié à l’interaction avec les pairs dans le cadre de jeux où il faut faire semblant19,20 et où les enfants doivent créer un monde imaginaire qu’ils partagent. Ils négocient sur ce qu’il faut faire, ils coordonnent les rôles et ils concilient les motifs divergents, ils décident des jeux en général tout en mettant à jour le plan au fur et à mesure que les jeux évoluent. Dans le cadre de jeux plus matures où il faut faire semblant, les enfants passent fréquemment du langage pendant le jeu au langage « métajeu » pour coordonner leurs comportements et ainsi faire preuve de régulation métacognitive. Les jeux sociodramatiques s’approchent des jeux où il faut faire semblant, car les enfants font partie d’un ordre symbolisé et ils changent leur identité quand ils jouent les rôles. Les jeux sociodramatiques nécessitent d’imaginer d’autres états d’esprit, permettent d’essayer des émotions et semblent faire référence à l’autorégulation émotionnelle.21
Les enfants âgés de trois à cinq ans utilisent déjà les données sur l’apprentissage et surveillent déjà le processus d’apprentissage afin de le maîtriser par eux-mêmes, surtout dans des situations où ils peuvent choisir et contrôler le niveau de difficulté.22 Une analyse d’interactions enregistrées sur bande magnétoscopique a révélé que plusieurs facteurs encouragent l’autorégulation métacognitive. Quand les enfants devaient travailler en petits groupes sur des tâches nécessitant un plan, l’autorégulation métacognitive était plus prononcée. L’implication d’un enseignant augmentait également l’autorégulation métacognitive. Dans le cadre d’activités non supervisées en petits groupes, les enfants faisaient preuve d’une grande régulation métacognitive partagée et métaémotionnelle grâce aux émotions. Dans le cadre d’activités solitaires, l’autorégulation émotionnelle accrue, soit le fait de demeurer motivé et persévérant, était observée. Faire connaître aux enseignants du préscolaire les stratégies métacognitives lors de la planification, de l’exécution et de l’évaluation des étapes des activités d’apprentissage a eu des répercussions sur les connaissances métacognitives des enfants d’âge préscolaire, à savoir comment aborder les tâches d’apprentissage, comment maîtriser le processus d’apprentissage et comment évaluer les résultats.23
Pratiques en classe
La grande qualité des classes du préscolaire encourage des résultats variés chez les enfants, autant cognitifs que sociaux et comportementaux,24 et le développement des fonctions exécutives et de l’autorégulation semble représenter un lien médiateur important.25 Une expérience clinique randomisée26 a étudié les répercussions communes du Program for Alternative Thinking Strategies (PATHS) et une intervention interactive nécessitant la lecture de livres d’histoire intégrée à un curriculum Head Start régulier. PATHS a pour but d’accroître l’autorégulation émotionnelle, les aptitudes de résolution de problème et la compétence sociale. Les aspects principaux sont les suivants : 1) établir des règles et des routines en classe positives émotionnellement, 2) leçons en matière d’autoapaisement, d’autorécompense, de calme et de résolution de conflits sociaux, 3) enseignant qui modèle le comportement à adopter quand vient le temps d’aider et de partager, d’attendre son tour et de donner des conseils sur le plan émotionnel, et 4) lecture de livres d’histoire axée sur le dialogue et l’utilisation de questions ouvertes et d’un langage complexe. L’intervention a amélioré le fonctionnement exécutif en matière de comportement centré sur la tâche et de connaissances académiques.
Le programme Tools of the Mind (Tools)27 respecte la tradition de Vygotsky, car il encourage les aptitudes aux études chez les enfants d’âge préscolaire des familles défavorisées et il utilise les instructions et les interactions qui appuient la transition de la régulation par le biais des autres vers l’autorégulation. Les principaux aspects du programme sont les suivants : 1) l’apprentissage et la résolution de problème en petits groupes dirigés par l’enseignant et où les enfants sont encouragés à verbaliser leurs plans et à évaluer la résolution de problèmes, 2) la collaboration avec les pairs par le jeu et en matière de résolution de problèmes, avec les enfants qui agissent en tant que tuteur en alternance, 3) l’utilisation d’aide-mémoires symbolisant les règles sociales, comme l’écoute attentive et l’attente de son tour, et 4) les jeux sociodramatiques visant à promouvoir l’autorégulation émotionnelle. Une étude où Tools ou un programme de formation générale était assigné au hasard à des enfants âgés de 5 ans a révélé que Tools générait de meilleurs résultats scolaires et de plus grandes fonctions exécutives.28
Les maternelles Montessori, dont le programme est axé sur le travail que les élèves choisissent eux-mêmes et un mélange d’instructions individuelles et en petits groupes en matière d’aptitudes aux études et sociales, ont souligné l’importance de permettre aux enfants de prendre l’initiative et le contrôle. Les enfants ont participé à des classes regroupant des enfants de tout âge et les règles en classe incitaient les enfants à attendre leur tour et à être courtois envers les plus jeunes. En raison d’une liste d’attente, les enfants âgés de 3 ans, surtout des enfants provenant de minorités culturelles, étaient assignés au hasard à une école Montessori ou à d’autres programmes préscolaires. À l’âge de 5 ans, les enfants Montessori ont obtenu des résultats supérieurs en ce qui a trait aux aptitudes aux études, aux fonctions exécutives, aux compétences sociales, au raisonnement moral et aux aptitudes créatives.29
Conclusion
Les programmes d’éducation de la petite enfance peuvent aider à développer les aptitudes liées à l’apprentissage, particulièrement l’autorégulation et les fonctions exécutives. Les activités didactiques à contenu académique peuvent encourager l’autorégulation en incitant les enfants à verbaliser les plans et à évaluer leur rendement où le monologue intérieur établit un lien entre la régulation par le biais des autres et l’autorégulation. Modeler la métacognition et l’autorégulation par l’entremise de l’enseignant, offrir des aide-mémoires et stimuler l’utilisation de l’allocution privée peut aider à faciliter la transition de la régulation par le biais des autres vers l’autorégulation.
Permettre aux enfants de choisir et de contrôler le degré de difficulté stimule la prise de conscience et l’autorégulation métacognitive. L’utilisation de jeux collectifs et d’activités de résolution de problèmes, de jeux où il faut faire semblant et de jeux sociodramatiques encourage l’autorégulation chez les jeunes enfants. Les programmes existants peuvent bénéficier de règles et de routines qui améliorent le climat socioémotionnel en classe. Il est également primordial de former les enseignants afin qu’ils soient plus sensibles aux besoins des enfants, pour éviter la négativité et pour établir de solides relations sociales avec les enfants. Aborder explicitement les émotions, utiliser des histoires à contenu émotionnel, transmettre des connaissances émotionnelles et démontrer l’autorégulation émotionnelle améliorent l’autorégulation émotionnelle.
Pour conclure, l’enjeu ne consiste pas à abandonner le contenu académique qui comprend du vocabulaire riche, la connaissance du monde ainsi qu’un aperçu des phénomènes physiques et de la vie mentale et émotionnelle des humains. L’enjeu concerne surtout les méthodes pédagogiques, la conduite en classe, la qualité des relations sociales, le choix des activités des enfants, les types d’interactions pour les enfants ainsi que les fonctions et les activités, comme les jeux où il faut faire semblant, qui appuient particulièrement le développement de la mémoire, des fonctions exécutives et de l’autorégulation.30
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Pour citer cet article :
Leseman P. École préscolaire et aptitudes liées à l’apprentissage. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Melhuish E, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/programmes-prescolaires/selon-experts/ecole-prescolaire-et-aptitudes-liees-lapprentissage. Publié : Décembre 2012. Consulté le 8 octobre 2024.
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