Grande prématurité et fragilité associée : état des connaissances. Commentaires sur McCormick, Saigal, et Zelkowitz


École de psychologie, Université Laval, Canada, Institut de Réadaptation en Déficience Physique de Québec, Canada
, 2e éd.

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Introduction

Depuis plus d’un demi-siècle, la question de la prématurité et de ses impacts sur la santé et le développement des enfants représente un défi pour la science. L’augmentation graduelle des taux de prématurité au Canada (actuellement de 7.1 %) et aux États-Unis (7.6 %) oblige aujourd’hui les cliniciens, les chercheurs et les décideurs publics à travailler conjointement afin d’établir les priorités d’actions dans ce domaine. Tout en dressant un bilan réaliste des obstacles associés à l’étude de cette population, les articles de McCormick, de Saigal et de Zelkowitz résument les connaissances actuelles et ciblent les avenues de recherche dans ce domaine. Les propos et les préoccupations des auteurs convergent vers trois points principaux :

1- les conséquences de l’augmentation du taux de survie d’enfants dont l’âge de gestation et le poids de naissance se situent aux limites de la viabilité;

2- les facteurs associés à des problèmes de développement à court et à long terme; et

3- l’implantation de programmes d’intervention efficaces pour l’enfant et sa famille. Chacun de ces points sera repris et commenté à la lumière des connaissances actuelles.

Recherche et conclusions

1. Impact de l’augmentation du taux de survie de très grands prématurés

Soulevée par McCormick, la question de l’augmentation du taux de survie chez les enfants extrêmement prématurés et les déficiences que cela peut entraîner, représente une préoccupation, tant sur le plan éthique que scientifique. Cette question est délicate, selon cette dernière, car elle peut donner lieu à une stigmatisation de ces enfants alors que nous n’avons pas d’évidence scientifique nous permettant d’associer la grande prématurité à des déficits spécifiques. Si la mortalité périnatale a décru, c’est grâce aux interventions agressives, ciblées et dosées du côté médical, ce qui a même contribué à l’augmentation du taux brut de prématurés survivants. Mais les progrès s’arrêtent là et on manque de connaissances pour anticiper correctement la trajectoire de développement de ces enfants. Les parents ne peuvent apaiser leurs inquiétudes que sur la base de probabilités statistiques.  Le principal défi de la recherche, à ce moment-ci, est d’estimer les effets précis, sur les fonctions cérébrales, des complications périnatales ainsi que sur le développement du cerveau, soumis à un ensemble de stimulations prématurées et non prévues dans son programme génétique de maturation. On devra accorder une grande priorité à la recherche en neurologie et en neuropsychologie clinique pour comprendre l’impact de la grande prématurité sur l’évolution de diverses fonctions neurologiques.

Par ailleurs, on sait aussi que la prématurité « moins extrême » est associée à des problèmes de développement cognitifs ou à des troubles du comportement et que plusieurs hypothèses mettent en cause les déficits neurologiques acquis à la fin de la période de gestation en milieu extra utérin. Ceci nous conduit à suggérer que, pour avoir un portrait complet de l’impact de la prématurité sur le développement, il ne faut pas mettre l’accent uniquement sur ces populations extrêmes mais plutôt, comme le suggèrent les travaux de Amiel-Tison et al.,1 étudier également les « macro-prématurés » (1 500-

2 500 grammes) qui représentent de 5 à 7 % de la population néonatale et de 20 % à 40 % de la population présentant des difficultés d’ajustement  à l’âge scolaire.

2.  Les facteurs  associés à des problèmes de développement à court et à long terme.

Dans la plupart des travaux récemment publiés, la prématurité est associée, à court et à long terme, à des problèmes de développement. Mais la diversité même de ces problèmes et leur inconstance d’une étude à l’autre ont induit une approche prudente chez les chercheurs qui veulent éviter d’associer directement la prématurité à des problèmes spécifiques de développement. Le principal cadre conceptuel suggère que les déficits observés sont attribuables à des facteurs biomédicaux et environnementaux associés à la prématurité plutôt que causés par la prématurité. Mais les résultats restent ambigus à cause de la faible valeur prédictive (moins de 10 % de la variance expliquée) de ces facteurs et du manque de cohérence d’une étude à l’autre dans les variables contrôlées. Les plus récentes méthodologies cherchent plutôt à identifier des mécanismes par lesquels les déterminants médicaux et neurologiques de naissance sont associés à des problèmes de développement psychologiques et sociaux.2  L’hypothèse la plus courante est que les conséquences de la prématurité sont indirectes et médiatisées par des effets cumulatifs, dans le temps, de l’immaturité acquise à la naissance.2,3,4 Ces déficits seraient mesurables à la suite d’une période de latence, dont la durée est encore indéfinie, dans la maturation de l’enfant et seraient responsables de problèmes d’adaptation sociale et scolaire ultérieurs. Les mécanismes médiateurs recherchés portent principalement sur le développement social (relations parent-enfant) et sur la maturation cognitive et neurologique. Deux mécanismes sont actuellement proposés pour expliquer ces effets indirects : a) la prématurité agit sur la maturation neurologique et modifie le développement des processus cognitifs durant l’enfance lesquels, à leur tour, augmentent les risques de problèmes d’ajustement à l’âge scolaire et, b) la prématurité induit des problèmes relationnels en bas âge (parent-enfant) qui influencent le développement des fonctions cognitives et sociales durant l’enfance lesquels, à leur tour, augmentent les risques de problèmes d’ajustement social à l’âge scolaire. Ces deux processus à base biomédicale ou psychologique seraient en outre influencés par l’environnement qui agirait de façon additive : la qualité de l’environnement de l’enfant s’ajoute à la prématurité pour augmenter ou diminuer le risque.5,6

3.  L’implantation de programmes d’intervention

Pour Zelkowitz et McCormick l’identification des facteurs biomédicaux et sociaux devrait permettre la mise sur pied de programmes d’intervention précoce visant l’amélioration des capacités cognitives et la réduction des problèmes de comportement. Dans cette visée, on propose une approche expérimentale plutôt qu’observationnelle,7 c’est-à-dire qu’il est souhaité d’augmenter le nombre d’essais cliniques aléatoires et d’effectuer des suivis de ces populations afin d’évaluer l’efficacité à long terme des techniques médicales ou des interventions psychologiques sur la stabilité et les changements dans le développement des enfants. Dans le même sens, de récentes interventions de nature neurodéveloppementale et visant à modifier l’environnement des unités de soins intensifs ont produit des effets positifs,8,9 montrant à l’évidence qu’un environnement bien ajusté peut favoriser le développement normal du cortex en milieu extra-utérin.10

Implications pour les politiques et pour les services

Le point central des recommandations des trois auteurs concerne la divulgation aux parents des risques associés à une naissance prématurée. Les parents (nous dirions plutôt l’ensemble de la population) doivent être informés des risques de morbidités sur le plan neuromoteur dont les cas les plus graves sont diagnostiqués dans les deux premières années de vie.  Mais ils doivent également être informés du risque de morbidité à long terme sur le plan comportemental, scolaire et fonctionnel. Nous croyons également que le milieu scolaire devrait être sensibilisé aux problèmes potentiels de ces enfants, notamment les professionnels qui évaluent les enfants. Toutefois, cette divulgation doit nécessairement reposer sur des évidences scientifiques. La recherche est donc une voie d’action prioritaire tant pour poursuivre la lutte contre la prématurité que pour évaluer les risques associés.

Une meilleure connaissance de la prématurité et de ses effets à court et à long terme permettra aux parents, aux cliniciens, aux chercheurs ainsi qu’aux décideurs de se positionner sur la question suivante : sommes-nous prêts, en tant que société, à assurer des services à long terme aux enfants qui naissent de plus en plus tôt. Les responsables des services de rééducation ont des listes d’attente de plus en plus longues et les enfants nés extrêmement prématurés ont des besoins de plus en plus difficiles à combler. Une politique à l’égard de ces enfants devrait assumer que la survie n’est pas l’aboutissement mais le début d’un long parcours pour ces enfants et qu’il y a une obligation morale à investir les ressources nécessaires pour les aider à grandir.

Références

  1. Amiel-Tison C, Allen MC, Lebrun F, Rogowski J. Macropremies: underprivileged newborns. Mental Retardation and Developmental Disabilities Research Reviews 2002;8(4):281-292.
  2. Taylor HG, Klein N, Minich NM, Hack M. Middle-school-age outcomes in children with very low birthweight.Child Development 2000;71(6):1495-1511.
  3. Nadeau  L, Boivin M, Tessier R, Lefebvre F, Robaey P. Mediators of behavioral problems in 7-years-old children born after 24 to 28 weeks of gestation. Journal of Developmental and Behavioral Pediatrics 2001;22(1):1-10.
  4. Nadeau L, Tessier R. Relations sociales entre enfants à  l’âge scolaire : effet de la prématurité et de la déficience motrice. Enfance 2003;55(1/2):48-55.
  5. Levy-Shiff R, Einat G, Mogilner MB, Lerman M, Krikler R. Biological and Environmental correlates of developmental outcome of prematurely born infants in early adolescence. Journal of Pediatric Psychology 1994;19(1):63-78.
  6. Liaw F-R, Brooks-Gunn J. Cumulative familial risks and low-birthweight children's cognitive and behavioral development. Journal of Clinical Child Psychology 1994;23(4):360-372.
  7. Aucott S, Donohue PK, Atkins E, Allen MC. Neurodevelopmental care in the NICU. Mental Retardation and Developmental Disabilities Research Reviews 2002;8(4):298-308.
  8. Symington A, Pinelli J. Developmental care for promoting development and preventing morbidity in preterm infants (Cochrane Review). Cochrane Database Systematic Reviews. 2001;4:CD001814. Disponible sur le site: http://www.nichd.nih.gov/cochraneneonatal/symington/symington.htm. Page consultée le 3 mai 2004.
  9. Tessier R, Cristo ME, Velez S, Giron M, Charpak N. Kangaroo Mother-Care: A method of protecting high-risk premature infants against developemental delay. Infant Behavior and Development 2003;26(3):384-397.
  10. Als H, Gilkerson L. The role of relationship-based developmentally supportive newborn intensive care in strengthening outcomes for preterm infants. Seminars in Perinatology 1997;21(3):178-189.

Pour citer cet article :

Tessier R, Nadeau L. Grande prématurité et fragilité associée : état des connaissances. Commentaires sur McCormick, Saigal, et Zelkowitz. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/prematurite/selon-experts/grande-prematurite-et-fragilite-associee-etat-des-connaissances. Actualisé : Juillet 2008. Consulté le 20 avril 2024.

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