Politiques des programmes Head Start : commentaires sur Currie, Hustedt et Barnett


Sterling Professor of Psychology, Emeritus, Yale University, États-Unis

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Introduction

Le comité interdisciplinaire de planification qui a conçu Head Start a réalisé que les jeunes enfants vivant dans la pauvreté avaient besoin de beaucoup plus que de l’éducation préscolaire pour se préparer à l’école primaire. Ils ont donc conçu Head Start d’après deux caractéristiques de base toujours présentes à ce jour : 1) des services complets d’éducation, de santé mentale et physique ainsi que des services sociaux pour les parents et les enfants; et 2) un engagement visant à encourager les parents à participer aux activités de la classe et à la gestion du programme. Ainsi, Head Start a été la première intervention à adopter consciemment une approche bigénérationnelle complète d’intervention auprès des jeunes enfants.1

Currie et Hustedt ainsi que Barnett remarquent que ces principes alimentent la controverse entourant le contenu et l’efficacité de Head Start. Elle suit la transition entre le Président Clinton (un fervent supporteur de Head Start) et le Président George W. Bush (qui a commencé à critiquer le programme lors de sa campagne pour son premier mandat). Sous la pression de l’administration Bush, qui mettait l’accent sur les habiletés d’alphabétisation et de calcul, Head Start est devenu un programme conflictuel au plan conceptuel, en ce qui a trait à la meilleure façon de parvenir à remplir le mandat confié par le Congrès, à savoir améliorer les habiletés nécessaires à l’entrée à l’école. L’approche globale de l'enfant, qui demande une variété de services, et l’approche cognitive étroitement centrée sur les habiletés scolaires sont contradictoires.2 Le domaine complet de la science développementale appuie l’approche globale de l'enfant.3

La base de connaissances explique aussi que la qualité des services à la petite enfance a une influence directe sur les résultats de l'enfant. Ce n’est pas un secret, dès le début, Head Start comportait des obstacles à la qualité qui restent à surmonter. La composante de l’éducation préscolaire a été particulièrement problématique.4 Il n’y a jamais eu assez de financement pour embaucher une main-d’œuvre d’enseignants qualifiés, malgré l’obligation imposée par le Congrès. Aujourd’hui, seulement 27 % des enseignants de Head Start sont titulaires d’un baccalauréat.5 Pourtant, la population à haut risque desservie par ce programme a clairement besoin des compétences et des habiletés d’enseignants qualifiés.

L’absence de contrôle de qualité pendant les années déterminantes de Head Start constitue un autre obstacle. Les normes de performance n’ont pas été instituées avant 1975 – soit 10 ans après le début du programme. De plus, le financement destiné à la recherche, au développement et aux améliorations du service a été inconsistant dans le temps. Le point le plus bas a été atteint au début des années 1990, quand la qualité s’est détériorée à un point tel que l’auteur a publiquement déclaré que le tiers des centres Head Start devrait fermer. Depuis, le Congrès a alloué des fonds à l’amélioration de la qualité, les normes de performance ont été révisées et pour la première fois, de nombreux centres dont les performances étaient faibles ont fermé leurs portes. En conséquence, la qualité du programme augmente lentement mais sùrement. Comme elle a un impact clair sur les résultats des enfants, les dernières recherches sur l’efficacité du programme devraient en révéler davantage sur le potentiel de Head Start que les travaux entrepris avant le début des améliorations. Currie et Hustedt ainsi que Barnett examinent les études récentes pour vérifier s’il est encore possible de déterminer les bienfaits de Head Start.

Recherches et conclusions

Les deux articles font une recension louable des récentes données empiriques pertinentes permettant de savoir , d’une part, si Head Start a des effets à court et à long terme, d’autre part, pour qui il est le plus efficace, et enfin, s’il est rentable. De telles recensions sont très importantes parce que les chances de Head Start et son financement ont souvent crû et décru en fonction des études majeures qui ont suscité beaucoup d’attention de la part des médias. L’étude FACES a été sous les projecteurs et a montré que les nombreux bienfaits s’étaient renforcés après une participation à Head Start pendant un an. Cependant, les auteurs sont d’accord avec les deux précédents articles sur le fait que FACES est une évaluation relativement faible des effets du programme.

Le devis méthodologique de l’étude National Head Start Impact en cours est rigoureux. Tel que mentionné dans les deux articles précédents, cette étude standard effectuée avec l’intention de vouloir traiter est terminée, et les résultats de la première année ont été publiés. Contrairement à la conclusion de Curry, bien que plusieurs enfants témoins aient reçu d’autres interventions, l’échantillon est assez grand pour permettre de comparer ceux qui ont participé à Head Start et ceux qui ont uniquement reçu des soins dispensés par leurs parents.

Néanmoins, cette étude soulève de sérieuses questions, par exemple, un nombre considérable d’enfants témoins ont réellement participé à un programme Head Start officiel. (Les parents les ont simplement conduits à des centres proches qui ne faisaient pas partie de l’étude). Les chercheurs sont en train de s’occuper de ces problèmes et nous disposerons d’une bien meilleure série de données à la fin de l’étude. Cependant, les résultats de la première année sont beaucoup trop importants pour l’avenir de Head Start pour que les parties intéressées fassent preuve de beaucoup de patience.

Les résultats obtenus à ce jour sont essentiellement positifs d’après tous les chercheurs, mais certains pensent qu’ils ne le sont pas assez pour justifier le coût considérable de Head Start. Par exemple, les deux précédents articles ont souligné le fait que les effets soient très petits. La Society for Research in Child Development, premier organisme de recherche, a présenté une vision beaucoup plus positive des mêmes résultats.6 Wade Horn, représentant fédéral responsable de Head Start, a réagit en disant que ces derniers indiquaient que « Head Start a besoin de travailler plus fort ».

Implications pour le développement et les politiques

Depuis ses débuts, Head Start s’est trouvé en difficulté parce qu’il n’y avait pas d’objectif précis et réaliste. L’objectif global était d’améliorer les habiletés des enfants au moment de l’entrée à l’école, et une kyrielle de points de repère du développement humain servait d’objectifs secondaires, tel que défini par le comité de planification. Au cours des premières années, la plupart des évaluations de Head Start utilisaient le QI ou une autre amélioration de résultats à un test relatif au domaine scolaire comme baromètre. Dans les années 1970, la compétence quotidienne, mesurée dans plusieurs domaines, est devenue l’objectif officiel.7 La réautorisation de Head Start en 1998 a clarifié cela en légiférant : Head Start devait viser les habiletés nécessaires à l’entrée à l’école. Ces dernières comprenaient la santé mentale et physique, les habiletés sociales et affectives, et les premières habiletés scolaires. Il faut souligner que l’administration Bush est la seule à proclamer que les enfants participant à Head Start devraient atteindre le même niveau d’habiletés préalables à l’entrée à l’école que les enfants de la classe moyenne. Toute personne qui pense qu’une intervention de neuf mois peut éliminer l’écart de niveau croit à la magie.8

Wade Horn a raison de penser que Head Start doit s’améliorer. Les deux précédents articles et ce commentaire nous donnent des orientations considérables. Chaque enseignant principal de Head Start devrait posséder un baccalauréat en éducation des jeunes enfants9 et chaque assistant-professeur devrait être titulaire d’un DEC ou d’un certificat en développement de l'enfant (CDA). Nous devrions reconnaître qu’il est très difficile d’améliorer les trajectoires de croissance des enfants enlisés dans la pauvreté10 et faire en sorte que le programme Head Start commence à trois ans et dure deux ans. Bien que Hustedt et Barnett affirment que Head Start « dessert la plupart des enfants pendant deux années scolaires », 68 % y participent pendant un an seulement.5 De plus, le nombre d’enfants inscrits à l’heure actuelle à Early Head Start (qui dessert les enfants de la naissance à l’âge de trois ans, soi-disant pour de nombreuses années) est de 62 000.11 Bien que des données indiquent qu’un enfant qui fréquente le programme Head Start pendant deux ans acquiert plus d’habiletés nécessaires à l’entrée à l’école que s’il n’y participait que pendant un an,12 on ne peut pas en faire une norme et instaurer un programme plus long, puisque Head Start dessert uniquement 60 % des enfants admissibles et presqu’aucun quasi-pauvre.

Les États adoptent la mission que le gouvernement fédéral n’a pas remplie. Un mouvement organisé et bien financé se développe afin de mettre en place une éducation préscolaire universelle. Quatre États disposent déjà d’une telle législation, et plusieurs autres sont sur le point d’en adopter une.13 Un tel développement ne devrait pas mettre fin à Head Start. Les autres programmes de l’État devraient tirer parti de la richesse de l’expérience du programme. Conformément à notre base de connaissances, Head Start devrait plutôt insister sur les services complets aux enfants et aux familles (ce que les écoles publiques sont peu susceptibles de faire), sur les services de santé mentale pour les enfants qui ont des difficultés affectives ou comportementales, quels que soient leurs revenus, et sur l’expansion de Early Head Start, une approche qui prévient une préparation insuffisante à l’entrée à l’école.14

Références

  1. Smith S, ed. Two generation programs for families in poverty: a new intervention strategy. Norwood, NJ: Ablex; 1995.
  2. Zigler EF, Singer DG, Bishop-Josef SJ, eds. Children’s play: the roots of reading. Washington, DC: Zero to Three Press; 2004.
  3. Shonkoff JP, Phillips DA, eds. From neurons to neighborhoods: The science of early childhood development. Washington, DC: National Academy Press; 2000. Disponible sur le site: http://www.nap.edu/books/0309069882/html/. Page consultée le 20 mars 2006.
  4. Omwake EV. Assessment of the Head Start preschool education effort. In: Zigler E, Valentine J, eds. Project Head Start: A legacy of the war on poverty. New York, NY: Free Press; 1979:221-228.
  5. Head Start Bureau. Biennial report to Congress: The status of children in Head Start programs. Washington, DC: U.S. Department of Health and Human Services; 2003. Disponible sur le site: http://www.acf.hhs.gov/programs/hsb/about/biennial_report_2003.pdf. Page consultée le 30 octobre 2007.
  6. Society for Research in Child Development. Placing the first year findings of the National Head Start Impact Study in context. Disponible sur le site: http://www.srcd.org/documents/policy/Impactstudy.pdf. Page consultée le 20 mars 2006.
  7. Zigler E, Trickett PK. IQ, social competence, and evaluation of early childhood intervention programs. American Psychologist 1978;33(9):789-798.
  8. Brooks-Gunn J. Do you believe in magic?: What we can expect from early childhood intervention programs. Social Policy Report 2003;17(1):3-14.
  9. Bowman BT, Donovan MS, Burns MS, eds. Eager to learn: Educating our preschoolers. Washington, DC: National Academy Press; 2000. Disponible sur le site: http://www.nap.edu/openbook/0309068363/html/. Page consultée le 20 mars 2006.
  10. Rothstein R. Class and schools: using social, economic, and educational reform to close the Black-white achievement gap. New York, NY: Teachers College Press; 2004.
  11. U.S. Department of Health and Human Services. Administration for Children and Families. Head Start Bureau. Head Start program fact sheet 2005. Disponible sur le site: http://www.acf.hhs.gov/programs/hsb/about/fy2005.html. Page consultée le 30 octobre 2007.
  12. Wheeler CM. A longitudinal investigation of preschoolers’ Head Start experience and subsequent school readiness. Dissertation Abstracts International 2002;63(03):1592B.
  13. Zigler E, Gilliam WS, Jones SM, and colleagues. A vision for universal preschool education. New York, NY: Cambridge University Press. Sous presse.
  14. Zigler E, Gilliam WS, Jones SM, with Styfco SJ. A place for Head Start in a world of universal preschool. In: Zigler E, Gilliam WS, Jones SM. A vision for universal preschool education. New York, NY: Cambridge University Press. Sous presse.

Pour citer cet article :

Zigler E. Politiques des programmes Head Start : commentaires sur Currie, Hustedt et Barnett. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/politiques-des-programmes-head-start/selon-experts/politiques-des-programmes-head-start-commentaires. Publié : Mars 2006. Consulté le 29 mars 2024.

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