Les pères autochtones au Canada


University of Victoria, Canada

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Introduction

Les pères des Premières Nations et les pères métis et inuits au Canada sont généralement regroupés sous l’appellation « autochtones ». À l’exception des études citées dans cet article, il n’existe pas de projet de recherche subventionné sur l’implication des pères des Premières Nations et des pères métis dans l’éducation de leurs enfants. Cette absence reflète la réalité dont témoignent les résultats d’enquêtes démographiques et sociales, à savoir que les hommes autochtones forment la population du Canada la plus exclue socialement. La jeunesse puis la paternité chez ces hommes suivent une trajectoire unique, enchâssée dans des circonstances sociales et économiques qui ont été conditionnées par l’histoire et qui résultent de politiques gouvernementales coloniales toujours en vigueur ayant dépossédé les familles et communautés autochtones du Canada de leur pouvoir et de leur autonomie.  

Avant la colonisation par les Français et les Anglais, les peuples autochtones vivaient dans des communautés tribales où l’on trouvait des systèmes organisés de gouvernance, des clans, une langue, une culture et des structures familiales.1 Ces peuples accordaient une grande importance à la famille élargie : les aînés jouaient un rôle essentiel pour préparer les garçons à devenir des hommes, des pères puis des aînés eux-mêmes.2 Les politiques coloniales du gouvernement canadien ont eu un effet dévastateur sur le rôle des hommes autochtones dans leur famille et leur communauté. En particulier, la Loi sur les Indiens de 1876 a donné au gouvernement l’autorisation de retirer les enfants autochtones de leur famille pour les placer dans des « pensionnats indiens ». Le mandat gouvernemental explicite de ces écoles régies par l’Église était d’assimiler les enfants autochtones en les privant de leur identité culturelle et de leurs liens avec leur territoire, leur famille et leur communauté.3,4 Plusieurs jeunes parents actuels ont été eux-mêmes éduqués par des parents issus de la première ou deuxième génération de survivants de ces pensionnats, qui n’ont pas connu de modèles parentaux.5 Plusieurs communautés amérindiennes et métisses font des efforts vigoureux pour revitaliser les systèmes traditionnels de famille élargie et les rôles culturels typiques des pères.6,7 

Sujet

Les communautés et organisations autochtones font des efforts considérables pour retrouver le bagage culturel qui a été pratiquement perdu pendant le siècle d’activité des pensionnats indiens, qui s’est terminé en 1996. Le gouvernement canadien a consenti certains investissements9 pour soutenir le rétablissement des communautés suite à ce traumatisme historique.8 Le financement de la santé, de l’éducation et du développement social chez les autochtones cible toutefois principalement les femmes et les enfants. Bien que certains pères des Premières Nations et Métis soient des membres épanouis de familles et de communautés bien vivantes, plusieurs continuent de vivre en marge de la société et leur situation est exacerbée par plusieurs facteurs : ils sont peu représentés publiquement, leurs intérêts ne sont pas défendus et la recherche sociale et les programmes d’intervention à leur intention manquent. 

Peu de fonds publics sont consacrés à l’engagement paternel en général au Canada.10 Les programmes existants sont basés sur des modèles de service social euro-occidentaux et présument que la vie des participants se déroule dans des familles nucléaires et un environnement urbain où l’accès à des ressources typiques de la classe moyenne est aisé. Ces programmes peuvent ne pas convenir à plusieurs pères autochtones, particulièrement ceux ayant un faible degré de littéracie et vivant dans la pauvreté, sans permis de conduire et dans un logement inadéquat, s’ils en ont un. De plus, la plupart des familles autochtones recherchent du soutien pour aider leurs enfants à apprendre leur langue maternelle tout en parlant l’anglais ou le français, à comprendre la nature, à maîtriser des habiletés pour vivre « de la terre » et à développer une connexion spirituelle avec la vie.11 Par ailleurs, alors que les pères des sociétés occidentales ont tendance à décrire la naissance de leur enfant comme une expérience qui bouleverse immédiatement leur vie, les pères autochtones peuvent ne pas développer de lien avec leur enfant avant qu’il n’atteigne l’adolescence ou un âge encore plus avancé.12 Plusieurs facteurs historiques et démographiques expliquent ce constat : les hommes autochtones deviennent souvent pères au cours de leur propre adolescence; un nombre disproportionné d’hommes incarcérés au Canada sont autochtones;13 la toxicomanie est fréquente chez les autochtones; le rythme de travail saisonnier peut requérir des périodes d’absence du père; le taux de séparation et de divorce des parents est élevé. Tous ces facteurs sont susceptibles de nuire au lien père-enfant.14 

Contexte de la recherche

Le peu de recherches effectuées sur l’engagement des pères autochtones suggère que de nombreuses connaissances restent à acquérir à leur sujet; celles-ci pourraient alimenter de nouveaux concepts et mettre au défi les théories classiques que l’on retrouve généralement dans la littérature abondante sur l’implication du père et la vie de famille en général. De plus, l’évaluation des meilleures approches pour soutenir les pères autochtones pourrait ébranler les présomptions occidentales sur les besoins et les buts de l’engagement paternel et ainsi améliorer les pratiques en éducation ainsi que dans les milieux de garde d’enfants, les services de santé et les services correctionnels. Les efforts des chercheurs en sciences sociales pour recruter des hommes autochtones sont particulièrement délicats étant donné les expériences passées de mensonges et d’abus vécues par les peuples autochtones dans leurs contacts avec les organisations de colonisation et les anthropologues. Les études doivent être guidées par les principes d’éthique en recherche autochtone; des travaux approfondis ont d’ailleurs été menés au Canada sur les principes éthiques de la recherche impliquant des individus ou des communautés autochtones.15 Bien que les enquêtes par questionnaire et les méthodes empiriques soient des outils viables, la recherche en partenariat avec la communauté, basée sur des méthodes participatives, est la plus susceptible d’être reçue positivement par les chefs des communautés autochtones et les organismes subventionnaires.16 De plus, la recherche doit répondre aux objectifs et aux besoins identifiés par les peuples autochtones et elle doit considérer séparément les expériences des Premières Nations, des Métis, des Inuits et des autochtones qui vivent en milieu urbain. 

Résultats de recherche récents

Reconnaissant le manque de connaissances sur l’ensemble des pères canadiens, l’Alliance de recherche sur l’engagement paternel (http://www.fira.ca) a lancé, de 2004 à 2009, une étude nationale sur le sujet. L’une des composantes de l’étude, menée par le premier auteur du présent article, portait sur les expériences, besoins et buts des pères autochtones. Grâce à un partenariat communauté-université et des méthodes de recherche participatives, cinq organismes de services autochtones ont aidé à établir l’éthique de la recherche, les protocoles de consentement, la méthodologie, les questionnaires et les protocoles d’entrevue. Une équipe de recherche autochtone a recruté et passé en entrevue 80 pères dans les communautés partenaires. Lors de l’entrevue, on demandait aux hommes de décrire leurs conditions de vie, leur transition vers la paternité, leurs rôles auprès de leurs enfants (tant biologiques que sociaux) et d’autres membres de leur famille, leurs besoins et leurs buts comme pères de famille et leur compréhension des facteurs influençant leur expérience de la paternité. L’équipe a transcrit les entrevues, interprété les verbatim et participé à des rencontres avec les communautés partenaires pour conceptualiser les résultats et concevoir des outils de mobilisation des connaissances. Presque tous les témoignages des pères sur leurs difficultés à développer et maintenir une implication positive auprès de leurs enfants ont abordé les effets destructeurs des pensionnats indiens, des services de protection de la jeunesse, de l’adoption et de la perte de liens avec leur héritage culturel, leur langue, leur spiritualité et leurs aînés. Pratiquement tous les pères ont décrit l’engagement paternel comme un ensemble de compétences qui doivent être apprises, n’ayant pas vécu eux-mêmes de relations positives avec des hommes lorsqu’ils étaient enfants. L’étude a aussi relevé des barrières institutionnelles qui limitent l’engagement des pères autochtones auprès de leurs enfants, notamment : l’absence du nom du père sur les certificats de naissance des enfants et les dossiers des services de protection de la jeunesse; la pauvreté; les emplois intermittents ou saisonniers; l’incarcération; les programmes thérapeutiques en établissement qui n’incluent pas les membres de la famille; les obstacles juridictionnels dans l’accès aux services de soutien; les interventions déstabilisantes des services de protection de la jeunesse; le fait que les services de proximité et d’aide sociale soient centrés sur la mère.12 La plupart des pères autochtones ont exprimé leur désir d’apprendre et d’appliquer des pratiques éducatives basées sur leur héritage culturel, incluant notamment la consommation de nourriture traditionnelle, des activités « sur la terre », la narration de récits oraux, des chansons, de la danse et des pratiques spirituelles menées par les aînés; ils souhaitent aussi recréer des cercles familiaux traditionnels, composés de familles élargies et mixtes mobilisées autour de l’éducation des enfants.17 

En 2013, l’Agence de la santé publique du Canada a subventionné les auteurs du présent article pour mener une enquête nationale sur les programmes de promotion de l’engagement paternel destinés aux autochtones du Canada.6 Les auteurs ont contacté 130 individus ou organisations susceptibles de gérer des programmes pour les pères et figures paternelles d’enfants de moins de 6 ans (incluant la période prénatale) dans les communautés amérindiennes, inuites et métisses; 35 programmes en vigueur et interventions prometteuses ont été identifiés. La majorité de ces programmes sont des initiatives populaires locales issues des Programmes d’aide préscolaire aux autochtones (Head Start), des Centres d’amitié autochtones et des Conseils de bandes, alors que quelques-uns découlent de programmes financés par le gouvernement fédéral pour la population canadienne en général. L’étude a montré qu’en l’absence d’une source de financement public officielle pour la promotion de l’engagement paternel, les tentatives de rejoindre les pères autochtones sont souvent « cachées » dans d’autres programmes subventionnés tels que les programmes de santé maternelle et infantile, de garde et d’éducation de la petite enfance, d’action communautaire pour les enfants, prénataux ou de nutrition. La précarité du financement est considérée comme l’obstacle principal au maintien de ces programmes. D’autres défis mentionnés sont l’absence de lignes directrices ou de composantes de programmes adaptées à une clientèle masculine et à la culture rencontrée, ainsi que le manque d’intervenants masculins qualifiés pour animer les programmes. L’étude a également permis de découvrir un éventail varié de programmes fructueux, chacun étant adapté au financement disponible ainsi qu’à la culture, au contexte, aux besoins et aux objectifs de la communauté participante.

Questions clés de la recherche

  1. Il est nécessaire d’étudier l’efficacité des programmes de soutien aux pères autochtones pour identifier les pratiques prometteuses auprès de diverses populations dans divers contextes, des modèles durables et des stratégies pour surmonter les obstacles communément rencontrés par les pères autochtones et les communautés qui souhaitent les soutenir. Les communautés autochtones demandent clairement du financement et des modèles de programme qui peuvent être adaptés à leur culture et répondre aux besoins et objectifs de leurs pères. 
  2. La recherche devrait explorer comment les pères des Premières Nations et les pères métis et inuits définissent, mesurent et comprennent les déterminants du « succès » dans leur démarche pour devenir des pères engagés positivement. Pour être éthique et culturellement valide, la recherche devrait définir des buts et des manières d’en mesurer l’atteinte selon la perspective des autochtones plutôt que d’imposer une façon de voir propre à la culture dominante. 
  3. Il serait utile que des recherches par études de cas explorent de nouvelles formes de formation familiale et de soutien mutuel impliquant des pères autochtones, qui incorporent des valeurs, concepts, formes d’interaction et formes de cohabitation basées sur leur culture.18 

Conclusions 

Les quelques études menées à ce jour sur le parcours des pères autochtones et les services d’aide communautaire aux pères autochtones sont des premiers pas vers ce qui pourrait devenir un mouvement grandissant d’implication paternelle chez les autochtones. Néanmoins, la recherche sur la paternité doit dépasser les cadres conceptuels dominants et les méthodologies conventionnelles pour comprendre les fondements historiques et culturels et les objectifs contemporains de la paternité autochtone. La recherche sur l’engagement paternel et les programmes de services sociaux sont fortement influencés par des normes euro-occidentales préconçues de ce qui est considéré comme de « l’engagement »; toutefois, il faut évaluer de façon empirique si ces normes sont toujours les plus appropriées pour les enfants, les mères et les pères des diverses populations amérindiennes, métisses et inuites. Il est temps d’ouvrir le champ de recherche sur la paternité à une gamme plus large d’expressions paternelles en matière de soins, de responsabilité et de participation familiale. 

Implications pour les parents, les services et les politiques

La recherche citée dans cet article confirme le besoin urgent de rejoindre les pères autochtones. Ceci passe par un financement public stable pour former le personnel de soutien œuvrant auprès de ces pères, la disponibilité de fonds opérationnels pour des programmes initiés et menés par les autochtones, ainsi que la création et la diffusion de ressources et modules de programmes adaptés ou adaptables à leur culture. Les efforts de soutien doivent être pensés en fonction du contexte, des besoins et des objectifs des communautés et familles locales. Alors que cette réorientation politique générale devrait devenir la toile de fond dominante dans le futur, des améliorations immédiates devraient être apportées pour soutenir les pères autochtones par le biais des programmes qui sont les plus susceptibles de les rejoindre. Par exemple, les programmes prénataux, d’éducation parentale, de santé maternelle et infantile ou de garde et d’éducation de la petite enfance, traditionnellement centrés sur la mère, pourraient élargir leur portée pour offrir des environnements, activités et heures d’ouverture favorables aux pères et embaucher davantage d’employés autochtones. Il est clairement nécessaire d’établir un cadre culturel autour des services19 et de trouver des manières créatives d’exploiter les connaissances et habiletés des pères autochtones de façon à renforcer leur engagement et bâtir sur leurs forces

Références

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  18. Brant Castellano M. Aboriginal family trends: Extended families, nuclear families, families of the heart. Ottawa, ON: The Vanier Institute of the Family; 2002.
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Pour citer cet article :

Ball J, Moselle S. Les pères autochtones au Canada. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Roopnarine JL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/pere-paternite/selon-experts/les-peres-autochtones-au-canada. Publié : Octobre 2015. Consulté le 14 octobre 2024.

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