Investir dans le développement des jeunes enfants pour établir les bases d’une société prospère et durable


Harvard School of Public Health, Harvard Graduate School of Education, Harvard Medical School, Children's Hospital Boston et Center on the Developing Child, Harvard University, États-Unis

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Les premières années sont d’une grande importance puisque ce qui survient pendant la petite enfance peut influencer tout le reste de la vie. La science nous montre ce dont les enfants ont besoin et de quoi ils doivent être protégés pour se développer sainement. Les relations stables, bienveillantes et empreintes de tendresse ainsi que les expériences enrichissantes vécues pendant les premières années ont des bienfaits durant toute la vie sur l’apprentissage, le comportement et la santé physique et mentale.1 À l’inverse, la recherche sur la biologie du stress chez les jeunes enfants révèle comment le stress chronique causé par d’importantes conditions néfastes, telles que la pauvreté extrême, les mauvais traitements ou la négligence, peut compromettre le développement de l’architecture du cerveau et solliciter et en permanence le système qui régit la réaction au stress et ainsi augmenter le risque de développer diverses maladies chroniques.2

Établis au cours de plusieurs décennies d’études comportementales et de recherche en neuroscience, les concepts fondamentaux suivants aident à illustrer la raison pour laquelle le développement sain chez l’enfant, depuis sa naissance jusqu’à l’âge de cinq ans, établisse les bases d’une société prospère et durable.3,4

Le cerveau se construit continuellement au fil du temps. L’architecture de base du cerveau prend forme au cours d’un processus qui commence avant la naissance et se poursuit à l’âge adulte. Les expériences de la petite enfance influent sur la qualité de cette structure, car elles déterminent si les fondations de l’apprentissage, de la santé et du comportement seront solides ou fragiles.3 Dans les toutes premières années de la vie, il se forme chaque seconde 700 nouvelles connexions neurales (appelées synapses).5,6 Une fois cette période de prolifération rapide terminée, ces connexions sont soumises à un processus nommé élagage, qui permettra d’accroître l’efficacité des circuits du cerveau.7 Les voies sensorielles, comme celles liées aux facultés élémentaires de la vue et de l’ouïe, sont les premières à se développer, suivies des habiletés langagières précoces, et plus tard, des fonctions cognitives supérieures. Les connexions se multiplient et sont élaguées dans un ordre précis; de nouveaux circuits plus complexes viennent s’ajouter aux premiers.8,9,10,11

L’interaction entre l’influence des gènes et celle de l’expérience structure le développement du cerveau. Les scientifiques connaissent aujourd’hui un élément déterminant dans ce processus : la relation de réciprocité établie entre le bébé et ses parents, de même qu’avec les autres personnes qui s’occupent de lui au sein de la famille ou de la collectivité. Le jeune enfant recherche naturellement à interagir au moyen du babillage, de l’expression faciale et des gestes, et les adultes lui répondent par des sons ou des signes similaires.3 Lorsqu’il y a absence de réaction – ou que celle‑ci est imprévisible ou inappropriée – l’architecture du cerveau ne se forme pas convenablement, ce qui peut entraîner des écarts d’apprentissage et de comportement.12

La capacité du cerveau à s’habituer aux changements diminue avec l’âge. Au tout début de la vie, le cerveau est souple, ou « plastique », pour être en mesure de s’accommoder à un vaste éventail de milieux et d’interactions. Or, au fur et à mesure que le cerveau vieillit et se spécialise pour assumer des fonctions plus complexes, son aptitude à se réorganiser et à s’adapter à des situations nouvelles ou inattendues s’affaiblit. Par exemple, avant la fin de la première année, les zones du cerveau qui différencient les sons commencent à se spécialiser en fonction de la langue à laquelle le bébé est exposé. Au même moment, le cerveau commence déjà à perdre son habileté à reconnaître des sons provenant d’autres langues. Bien que demeurent ouvertes les « fenêtres » par lesquelles s’assimilent les connaissances complexes de la langue et s’acquièrent d’autres aptitudes, ces circuits du cerveau se modifieront de plus en plus difficilement au fil du temps. La plasticité du jeune cerveau signifie qu’il est plus facile et plus efficace d’influencer le développement de l’architecture du cerveau d’un bébé que de reconfigurer certains de ses circuits à l’adolescence ou à l’âge adulte.7

Les aptitudes cognitives, affectives et sociales s’entremêlent inextricablement au cours de la vie. Le cerveau est un organe hautement intégré et ses multiples fonctions s’exécutent d’une manière intensément coordonnée. Le bien‑être affectif et les habiletés sociales constituent une solide base pour les aptitudes cognitives qui se manifesteront par la suite; ensemble, ces compétences représentent les briques et le mortier qui composent les fondations du développement humain. La santé affective et physique, les habiletés sociales et les capacités cognitives et langagières qui se manifestent dans les premières années sont toutes d’importants préalables à la réussite scolaire, et plus tard, au succès sur les plans professionnel et communautaire.11,13,14

Bien qu’il soit important qu’un enfant apprenne à composer avec l’adversité pour se développer sainement, le stress excessif ou prolongé peut avoir des effets néfastes sur la formation du cerveau. Sous la menace, le corps a des réactions physiologiques diverses comme l’augmentation du rythme cardiaque, de la pression artérielle et des hormones du stress, telles que le cortisol. Lorsque le jeune enfant bénéficie du soutien des adultes, il apprend à s’adapter aux difficultés de tous les jours et son système qui régit la réaction au stress revient à la normale. Les experts qualifient de positif ce type de stress. Le stress tolérable, quant à lui, se manifeste quand surviennent des problèmes plus graves, notamment la perte d’un être cher, une catastrophe naturelle ou un accident traumatisant dont les répercussions sont amoindries par des adultes attentionnés qui aident l’enfant à s’adapter, ce qui peut atténuer les éventuels effets néfastes causés par un taux anormal d’hormones du stress. Si l’enfant doit surmonter sans l’aide d’un adulte des expériences défavorables intenses, fréquentes ou prolongées, telles que l’extrême pauvreté ou les mauvais traitements répétés, le stress devient toxique et perturbe le développement des circuits du cerveau. Un tel stress survenant en bas âge peut aussi entraîner des conséquences dommageables cumulatives sur la capacité d’apprentissage, de même que sur la santé physique et mentale. Les risques que le développement soit perturbé ou que d’autres problèmes surviennent sont étroitement liés à la gravité des épreuves vécues dans l’enfance. En outre, les adultes ayant connu des expériences défavorables lorsqu’ils étaient enfants tendent à souffrir davantage de problèmes de santé chroniques, y compris l’alcoolisme, la dépression, les maladies cardiaques et le diabète.15

Une intervention menée dans les premières années peut prévenir les conséquences qui découlent des conditions défavorables vécues durant l’enfance. Des études indiquent qu’il est moins – et parfois même aucunement – efficace d’intervenir ultérieurement. Par exemple, lorsque des enfants victimes de négligence extrême sont envoyés dans des familles d’accueil avant l’âge de deux ans, leur quotient intellectuel augmente considérablement; de même, leur activité cérébrale et leurs relations d’attachement sont plus enclines à redevenir normales que s’ils sont placés en foyer après cet âge.16 Bien qu’il n’y ait pas « d’âge parfait » pour intervenir, il reste évident que, dans la plupart des cas, procéder à une intervention dès qu’il est possible de le faire est nettement plus efficace que d’attendre à plus tard.7

Les relations stables et empreintes de bienveillance sont essentielles à un sain développement. Les enfants grandissent dans un environnement où ils tissent des liens d’abord avec les parents, puis avec les membres de la famille élargie, du personnel des services de garde et de la pré maternelle, et de la collectivité.1 Des études montrent que, lorsque confrontés à une situation déstabilisante, les jeunes enfants bénéficiant de relations sécurisantes et fiables avec leurs parents ou les personnes qui prennent soin d’eux sécrètent une quantité minimale d’hormones du stress, alors que ceux qui connaissent des relations d’attachement non sécurisant voient leur système de réaction au stress s’activer considérablement.2 D’après de nombreux travaux scientifiques, favoriser des relations empreintes de réconfort et d’attention dès le plus jeune âge peut prévenir ou annuler les effets dommageables du stress toxique.2

Conclusion

Les principes de base de la neuroscience indiquent qu’il est plus efficace et moins coûteux d’assurer des conditions favorables au développement des jeunes enfants que de tenter de remédier ultérieurement aux conséquences qui découlent d’une enfance difficile.4 C’est pourquoi une démarche qui accorde tout autant d’importance au développement affectif, social, cognitif et langagier est à privilégier pour préparer adéquatement tous les enfants à réussir sur les plans scolaire, professionnel et communautaire. Les enfants victimes de stress toxique nécessitent sans délai des interventions spécialisées qui s’attaqueront à la cause de leur angoisse et les protégeront des conséquences qui s’ensuivent.15

Pendant la grossesse et les première années de l’enfance, tous les milieux dans lesquels vivent et apprennent les enfants ainsi que la qualité de leurs relations avec les adultes et les personnes qui s’occupent d’eux influencent grandement leur développement cognitif, affectif et social. Un large éventail de politiques, y compris celles liées aux services à la petite enfance et à l’enseignement préscolaire, aux soins de santé primaires, aux services de protection à l’enfance, à la santé mentale des adultes et au soutien économique apporté aux familles, peuvent contribuer à créer des environnements sécuritaires et favorables ainsi que des relations stables et empreintes de bienveillance dont les enfants ont besoin.

Références

  1. National Scientific Council on the Developing Child. Young children develop in an environment of relationships. Cambridge, MA: National Scientific Council on the Developing Child; 2004. Working Paper No. 1. Available at: http://developingchild.harvard.edu/library/reports_and_working_papers/wp1/. Accessed December 1, 2009.
  2. National Scientific Council on the Developing Child. Excessive stress disrupts the architecture of the developing brain. Cambridge, MA: National Scientific Council on the Developing Child; 2005. Working Paper No. 3. Available at: http://developingchild.harvard.edu/library/reports_and_working_papers/wp3/. Accessed December 1, 2009.
  3. Center on the Developing Child at Harvard University. A science-based framework for early childhood policy: Using evidence to improve outcomes in learning, behavior, and health for vulnerable children. Cambridge, MA: Center on the Developing Child at Harvard University; 2007. Available at: http://developingchild.harvard.edu/library/reports_and_working_papers/policy_framework/. Accessed December 1, 2009.
  4. Knudsen EI, Heckman JJ, Cameron JL, Shonkoff JP. Economic, neurobiological, and behavioral perspectives on building America’s future workforce. Proceedings of the National Academy of Sciences 2006;103(27):10155-10162.
  5. Bourgeois JP. Synaptogenesis, heterochrony and epigenesis in the mammalian neocortex. Acta Pædiatrica Supplement 1997;422:27–33.
  6. Huttenlocher PR, Dabholkar AS. Regional differences in synaptogenesis in human cerebral cortex. The Journal of Comparative Neurology 1997;387(2):167-178.
  7. National Scientific Council on the Developing Child. The timing and quality of early experiences combine to shape brain architecture. Cambridge, MA: National Scientific Council on the Developing Child; 2007. Working Paper No. 5. Available at: http://developingchild.harvard.edu/library/reports_and_working_papers/wp5/. Accessed December 1, 2009.
  8. Dawson G, Fischer K, eds. Human behavior and the developing brain. New York, NY: Guilford Press; 1994.
  9. Nelson CA. The neurobiological bases of early intervention. In: Shonkoff JP, Meisels SJ, eds. Handbook of early childhood intervention. 2nd ed. New York: Cambridge University Press; 2000: 204-227.
  10. Nelson C, Bloom F. Child development and neuroscience. Child Development 1997; 68(5):970-987.
  11. Shonkoff J, Phillips D, Committee on Integrating the Science of Early Childhood Development, eds. From neurons to neighborhoods: The science of early childhood development. Washington, DC: National Academy Press; 2000.
  12. National Scientific Council on the Developing Child, the National Forum on Early Childhood Program Evaluation. Maternal depression can undermine the development of young children. Cambridge, MA: National Scientific Council on the Developing Child. Working Paper No. 8. In press.
  13. Emde R, Robinson J. Guiding principles for a theory of early intervention: A developmental-psychoanalytic perspective. In: Shonkoff JP, Meisels SJ, eds. Handbook of early childhood intervention. 2nd ed. New York: Cambridge University Press; 2000:160-178.
  14. McCartney K, Phillips D, eds. Blackwell handbook of early childhood development. Oxford, UK: Blackwell Pub.; 2006.
  15. Shonkoff JP, Boyce WT, McEwen BS. Neuroscience, molecular biology, and the childhood roots of health disparities: Building a new framework for health promotion and disease prevention. JAMA: The Journal of the American Medical Association 2009;301(21):2252-2259.
  16. Nelson CA, Zeanah CH, Fox NA, Marshall PJ, Smyke A, Guthrie D. Cognitive recovery in socially deprived young children: The Bucharest Early Intervention Project. Science 2007;318(5858): 1937-1940.

Pour citer cet article :

Shonkoff JP. Investir dans le développement des jeunes enfants pour établir les bases d’une société prospère et durable. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/importance-du-developpement-des-jeunes-enfants/selon-experts/investir-dans-le-developpement-des. Publié : Janvier 2010. Consulté le 28 mars 2024.

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