Évaluation de l’immigration et de l’acculturation


Tilburg University, the Netherlands and North-West University, Afrique du Sud

Version PDF

Introduction

L’immigration a eu et continuera d’avoir des répercussions sur toutes les sociétés. Le terme « acculturation » réfère aux changements qu’une personne vit à la suite du contact avec une ou plusieurs autres cultures et à la participation dans le processus de changement que subira un groupe culturel ou ethnique par la suite. D’un point de vue psychologique, les enfants peuvent appartenir à leur culture d’origine, à la culture du pays d’accueil ou aux deux. L’argument fondamental énoncé dans cet article est que la prise en compte d’une évaluation adéquate dans le processus d’acculturation permettra d’améliorer sa validité et sa qualité.

Sujet

Une appréciation du statut d’acculturation d’une personne peut fournir de précieux renseignements et peut aider à interpréter les résultats des procédures d’évaluation régulières. Chez les immigrants (arrivés récemment) qui n’ont souvent pas une grande connaissance de la langue de la société dominante, l’utilisation de procédures d’évaluation normales est problématique.

Problèmes

La figure 1 fournit un cadre conceptuel pour étudier l’acculturation et pouvant orienter l’évaluation. L’acculturation comporte trois éléments : les conditions, les orientations (aussi appelées stratégies) et les issues. Les conditions d’acculturation font référence aux facteurs (semi-) permanents de l’environnement et aux facteurs personnels qui ont une influence sur la façon dont les immigrants composent avec la culture d’origine et la culture dominante. À titre d’exemple, on peut citer la distance culturelle (c.-à-d. la distance entre le pays d’origine et le pays d’accueil, évaluée à l’aide d’indicateurs sociaux tels que les niveaux de richesse des pays ou à l’aide d’auto-évaluations sur des échelles portant sur les différences vécues), les relations intergroupes et les traits de personnalité. Les orientations d’acculturation concernent les attitudes à l’égard de la culture d’origine et de la culture de la société dominante. Les issues de l’acculturation sont habituellement divisées en deux catégories, soit les issues psychologiques et les issues socioculturels.1 La deuxième catégorie concerne l’aspect de « bien s’en sortir » dans la nouvelle culture (p. ex., le fait de parler la langue dominante, les résultats scolaires et les liens d’amitié avec les enfants du pays d’accueil), tandis que la première correspond à l’aspect de « se sentir bien »  (p. ex., la dépression et le bonheur).

L’accent sur la connaissance de la langue dominante, qu’il s’agisse du niveau de compétence rapporté par les personnes elles-mêmes ou de la connaissance du vocabulaire et de la compréhension de lecture, constitue une question récurrente dans l’évaluation de l’acculturation. Les principaux problèmes liés à cette approche résident dans le fait que la langue ne représente qu’un seul aspect de l’acculturation, que la connaissance de la langue dépend du temps passé au sein de la culture d’accueil et de la scolarisation dans le pays d’accueil, que la langue est souvent évaluée à l’aide de peu d’éléments (ce qui fait en sorte qu’il est difficile de vérifier la fiabilité de la mesure) et qu’une bonne connaissance de la langue ne veut pas nécessairement dire que les orientations sont exclusivement centrées sur la culture d’accueil.

Contexte de la recherche

La plupart des points de vue sur les orientations d’acculturation ont changé, passant de modèles unidimensionnels à des modèles bi-dimensionnels. Les modèles unidimensionnels considèrent l’acculturation comme une adaptation à la culture dominante et une perte simultanée de la culture d’origine.2 Il est devenu de plus en plus clair que l’adaptation complète à la culture dominante et la perte de la culture d’origine ne constituent pas des issues inévitables de l’immigration. Les modèles bi-dimensionnels s’appuient généralement sur deux dimensions sous-jacentes : l’immigrant souhaite-t-il garder sa culture d’origine et veut-il établir des contacts dans la culture du pays de destination ou veut-t-il l’adopter?3

Questions clés pour la recherche

Beaucoup de travaux portant sur l’évaluation de l’acculturation se sont concentrés sur les orientations.4,5 Les questions importantes de recherche portent sur l’élaboration et la validation des instruments d’évaluation et sur leur lien avec d’autres variables psychologiques, allant des résultats scolaires à l’évaluation clinique.

Résultats de recherche récents

Les recherches récentes ont contribué à l’approfondissement des connaissances sur la façon de mettre au point des instruments qui permettent de mesurer les orientations d’acculturation. Il est important de s’intéresser tant au domaine public que privé dans les procédures d’évaluation6. Le domaine public englobe les domaines de la vie tels que l’éducation, dans lesquels les immigrants sont en relation avec les groupes dominants. Le domaine privé fait référence à la vie de famille et aux sphères de la vie personnelle, comme la langue parlée avec les parents et les habitudes de socialisation. Plusieurs groupes d’immigrants démontrent plus de maintien culturel dans le domaine privé et davantage d’ajustement dans le domaine public. Les échelles d’acculturation publiées contiennent souvent des items qui portent sur les attitudes et les comportements. Si l’on tente de faire une distinction entre ces deux types, on peut remarquer que les items portant sur les attitudes font habituellement partie de questionnaires sur les orientations et que ceux portant sur les comportements se trouvent plus couramment dans les mesures des issues.

La figure 2 énumère les méthodes couramment utilisées pour évaluer les orientations d’acculturation à l’aide d’autoévaluations. Les façons dont se présentent le plus souvent les items qui servent à évaluer les autoévaluations de l’acculturation sont la méthode à une affirmation, la méthode à deux affirmations, la méthode à quatre affirmations et les vignettes. Le choix d’un modèle d’acculturation bi-dimensionnel rend la méthode à une affirmation moins intéressante, étant donné que cette méthode considère les préférences pour les deux cultures comme incompatibles. La méthode à quatre affirmations a fait l’objet de critiques sur le plan psychométrique et sur d’autres plans importants : toutes les questions sont, par définition, doubles.7,8 Par exemple, l’énoncé « j’aime avoir des amis américains, mais je n’aime pas avoir des amis mexicains » pose deux questions à la fois. Les enfants peuvent avoir de la difficulté à exprimer leur approbation lorsqu’ils sont d’accord avec une partie de l’item et sont en désaccord avec l’autre. De plus, plusieurs points portant sur l’acculturation contiennent des négations, ce qui peut être compliqué sur le plan cognitif pour certains immigrants, en particulier chez les enfants. Les vignettes peuvent aussi être complexes et contenir des éléments qui déclenchent des réponses non désirées. Des données probantes indiquent que la méthode à deux affirmations est légèrement plus efficace que les autres méthodes pour évaluer l’acculturation à l’aide d’autoévaluations.

Les mesures « dures » d’acculturation concernent le statut générationnel (p. ex., la première ou la deuxième génération), le pays de scolarisation (dans le pays d’origine ou d’accueil) et l’utilisation de la langue. Les échelles psychologiques qui mesurent les orientations d’acculturation sont des exemples de mesures « douces ». Les deux types de mesures comportent des avantages et des inconvénients. Les forces des mesures « dures » résident dans le fait qu’elles sont brèves, faciles à exécuter, très fiables et que le statut causal y est clair (p. ex., le statut générationnel ne peut pas être une variable de résultat). Leurs faiblesses se trouvent dans leur variation limitée au niveau individuel et leurs liens parfois indéfinissables avec les processus psychologiques liés à l’acculturation. Ces variables sont souvent plutôt considérées comme des proxies liées à l’acculturation, sur laquelle on n’a pas encore fait la lumière. Les mesures « douces » ont les avantages et les inconvénients inverses. Plus de travaux sont requis pour combiner les deux types de mesures.

Lacunes de la recherche

La littérature scientifique est remplie d’études sur les groupes ethniques d’un même pays. Des études comparatives de l’acculturation sont nécessaires. Les études longitudinales, celles qui comparent un même groupe ethnique dans différents pays (p. ex., les immigrants turcs au Canada et aux ÉtatsUnis) et celles qui comparent différents groupes dans un même pays (p. ex., les immigrants turcs et chinois aux États-Unis) en sont de bons exemples. Les études comparatives permettent de mieux évaluer le rôle des conditions antérieures, comme la vitalité ethnique, qui varient généralement très peu ou pas du tout dans les études actuelles sur l’acculturation.

Conclusions

L’évaluation de l’acculturation devrait à l’avenir faire partie intégrante des procédures d’évaluation des immigrants. Les résultats de l’évaluation de l’acculturation, en particulier ceux qui concernent l’adaptation socioculturelle, peuvent être des modérateurs importants de la performance dans d’autres domaines. Il n’existe pas de règle pratique simple pour savoir à quel moment l’évaluation de l’acculturation n’est plus nécessaire et quand on peut considérer que l’immigrant s’est adapté à la culture dominante.

Implications pour les parents, les services et les politiques

Les immigrants changent constamment sur le plan psychologique et les changements sont petits pour certains, mais grands pour d’autres. Il est important que les fournisseurs de soins et les professionnels comprennent la nature et la dynamique du processus d’acculturation. Des aspects comme le temps passé dans le pays d’accueil, la langue d’origine et celle du pays d’accueil, la distance entre les cultures et les préférences quant à la façon de composer avec les deux cultures devraient entrer en ligne de compte dans la prestation des services. Nous devons délaisser les procédures courantes d’évaluation plutôt « daltoniennes » et nous orienter vers des évaluations qui prennent la culture en compte. Bien des évaluations, notamment en éducation, s’appuient sur un raisonnement déficient en matière de différences entre les cultures. Le fait de se concentrer sur la connaissance de la langue et de la culture dominante semble inévitable lorsqu’on veut vérifier si les enfants d’immigrants éprouvent des problèmes. Cette façon de voir peut être utile lorsque vient le temps de concevoir des services d’orientation pédagogique, mais elle ne tient pas compte des connaissances de la langue et de la culture d’origine et des attitudes des immigrants à l’égard de ces deux éléments. Le fait d’inclure des renseignements sur l’acculturation dans les procédures d’évaluation psychologique nous permet de faire davantage honneur à l’hétérogénéité culturelle des immigrants et d’améliorer la validité de l’évaluation et les services de consultation.

Figure 1. Cadre de l’acculturation6

Cadre de l’acculturation

 

Figure 2. Méthodes habituelles d’évaluation des orientations d’acculturation

Méthodes habituelles d’évaluation des orientations d’acculturation

Références

  1. Ward C, Bochner S, Furnham A. The psychology of culture shock. London, UK: Routledge; 2001.
  2. Gordon MM. Assimilation in American life. New York, NY: Oxford University Press; 1964.
  3. Berry, JW. Immigration, acculturation, and adaptation. Applied Psychology: An International Review 1997;46:65-68.
  4. Rudmin FW. Acculturation, acculturative change, and assimilation: A research bibliography with URL links. In: Lonner WJ, Dinnel DL, Haye SA, Sattler DN, eds. Online readings in psychology and culture. Unit 8. Chapter 9.
  5. Varas T. Instruments for measuring acculturation. 2009. Disponible sur le site  http://vtaras.com/Acculturation_Survey_Catalogue.pdf. Page consultée le 3 juin 2011.
  6. Arends-Tóth JV, van de Vijver FJR. Issues in conceptualization and assessment of acculturation. In: Bornstein MH, Cote LR, eds. Acculturation and parent-child relationships: Measurement and development.Mahwah, NJ: Erlbaum; 2006: 33-62.
  7. Rudmin FW, Ahmadzadeh V. Psychometric critique of acculturation psychology: The case of Iranian migrants in Norway. Scandinavian Journal of Psychology 2001;42:41-56.
  8. Arends-Tóth JV, van de Vijver FJR. Assessment of psychological acculturation: Choices in designing an instrument. In: Sam DL, Berry JW, eds. The Cambridge handbook of acculturation psychology. Cambridge, UK; 2006: 142-160. 

Pour citer cet article :

van de Vijver FJR. Évaluation de l’immigration et de l’acculturation. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Bornstein MH, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/immigration/selon-experts/evaluation-de-limmigration-et-de-lacculturation. Publié : Juin 2011. Consulté le 19 avril 2024.

Texte copié dans le presse-papier ✓