Épigénétique : commentaires sur les articles de Sokolowski et Boyce


Deakin University, Australie

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Introduction

La comparaison des quatre articles associés et rédigés par Sokolowski et Boyce est une analyse de la relation entre les gènes, l’environnement et les critères comportementaux, psychologiques et neurodéveloppementaux que l’on peut résumer par deux états opposés : la « vulnérabilité » et la « résilience ». Le thème de ce chapitre est l’épigénétique qui se définit par « l’étude des modifications héréditaires par mitose et/ou méiose au niveau de la fonction des gènes qui ne s’expliquent pas par des modifications dans la séquence de l’ADN ».1 Ce phénomène repose principalement sur un ensemble de molécules de petite taille qui siègent sur (épi) nos gènes (génétique) ce qui a pour effet de modifier la machinerie moléculaire qui régule l’activité des gènes. Les changements dans la distribution de la somme totale des marques moléculaires épigénétiques sur l’ensemble du génome (plus précisément l’épigénome) dirigent le développement des êtres humains, lors de ses premières étapes, et celui de tous les autres organismes multicellulaires. D’un point de vue historique, de tels changements développementaux, du zygote à une cellule à la différenciation de cellules de centaines de types différents, portaient le nom d’« épigenèse ».2,3

Les marques épigénétiques sont elles-mêmes influencées par la génétique et les environnements externe et interne à l’individu. L’un des principaux objectifs des études de recherche axées sur l’épigénétique a été de comprendre comment l’environnement influence l’activité de nos gènes et de quelle façon l’épigénétique prédispose à des états de maladie ou de bonne santé.4 La vie de l’être humain est particulièrement sensible à l’environnement au cours de ses mille premiers jours, ainsi une grande partie des études consacrées à ce domaine ont ciblé cette période du développement et des stades équivalents dans des modèles chez l’animal.5,6 Ces quatre articles présentent les concepts ci-haut mentionnés et s’étendent au-delà, en citant les principales études à commencer à attribuer le statut épigénétique de certains gènes en particulier aux premiers environnements du développement et à des états ultérieurs de résilience et de vulnérabilité (c’est-à-dire de fragilité). Les auteurs expliquent dans quelle mesure le domaine de l’épigénétique n’en est qu’à ses balbutiements et ouvre le chemin à de futures études. Il est important de souligner qu’ils abordent des implications relatives à des interventions et des tests médicaux et à des politiques. 

Recherche et conclusions

Dans l’article « Biologie de l’épigénome », Sokolowski et Boyce introduisent le concept d’épigénétique, dans un langage simple en premier lieu, puis en s’appuyant sur des termes de plus en plus techniques, notamment des mécanismes spécifiques, à savoir la méthylation de l’ADN, la modification des histones et l’ARN non codant. Ils présentent l’historique de l’emploi du mot « épigenèse » qui était utilisé pour décrire le processus du développement de l’être humain et son usage actuel sous le terme de « épigénétique ». Un oubli mineur est la citation d’Aristote en tant qu’inventeur du terme « épigenèse ».2 Les auteurs effectuent une synthèse des études ayant démontré que les mille jours suivant la fécondation correspondent à la période où l’être humain est le plus vulnérable aux modifications épigénétiques induites par l’environnement. Ils indiquent à juste titre que la connaissance des états épigénétiques spécifiques aux maladies permettra de mieux comprendre les mécanismes à l’origine du développement des maladies et, de façon plus importante pour les politiques, les marqueurs biologiques spécifiques aux maladies. Ils citent le trouble du spectre de l’autisme comme exemple de trouble d’origine cérébrale qui a été analysé par des méthodes épigénétiques, sans néanmoins mentionner que ces études ont permis d’identifier des marqueurs biologiques de diagnostic, plus vraisemblablement en raison de différences méthodologiques entre les études. Pour finir, un point essentiel de leur travail est une courte description des défis rencontrés par les études dédiées à l’épigénétique, ce qui inclut la sélection du tissu le plus approprié et le plus commode qui permette d’analyser la relation avec la résilience et la sensibilité; la façon de distinguer la cause de l’effet; et l’importance d’analyser plusieurs mécanismes épigénétiques pour dresser un portrait plus complet du statut épigénétique.   

Dans le texte « Interaction gènes-environnement et processus épigénétiques », Sokolowski et Boyce expliquent de façon claire et succincte comment les gènes et l’environnement interagissent et utilisent l’épigénétique comme exemple de démonstration. Toutefois, il était probablement inutile de discuter des interactions gène-environnement, bien que de telles études aient fait la lumière sur les analyses des troubles de l’humeur.7 De plus, il aurait été judicieux d’ajouter d’autres exemples d’études spécifiques aux modifications épigénétiques induites par l’environnement, bien que de telles études soient mises en avant dans l’article suivant des mêmes auteurs. Ces auteurs voient juste lorsqu’ils mentionnent que les marques épigénétiques peuvent être influencées par la génétique et par l’environnement, et par l’interaction des deux.8 Les conclusions et les implications de ce manuscrit portent sur la compréhension des effets des interactions sociales en enfance, mais avec moins de détails en comparaison avec l’article précédent.

Dans le chapitre « Relations entre l’épigénétique et l’adversité pendant l’enfance et le risque pour le développement », Sokolowski et Boyce décrivent comment les modifications épigénétiques peuvent moduler l’effet des adversités pendant l’enfance (comme la pauvreté, la négligence et les traumatismes) sur le risque de présenter des problèmes de santé mentale, sur les résultats scolaires et sur les maladies chroniques en général. Ils s’attardent sur la question de savoir, en s’appuyant sur l’épigénétique, si nous sommes en mesure de prédire quels enfants sont les plus susceptibles de devenir résilients ou vulnérables. En décelant ces deux types d’enfants, les ressources et les interventions peuvent être dirigées sur cette dernière question. Les auteurs analysent quelques études réalisées chez l’animal qui ont établi un lien entre les adversités au plus jeune âge, comme la négligence, la maltraitance et la dominance sociale, sur le neurodéveloppement et sur les systèmes endocrinien et immunitaire, tous ces éléments étant, du moins partiellement, influencés par des modifications épigénétiques. Ils examinent également des études conduites chez l’être humain qui associent des adversités subies pendant l’enfance (comme la famine, la maltraitance, l’institutionnalisation et les infériorités socioéconomiques) avec des modifications épigénétiques ayant un impact sur les voies neurodéveloppementales. Ils réitèrent les difficultés mentionnées dans leur premier article. Il manque, cependant, une discussion sur les implications sociales de tests épigénétiques qui pourraient être conduits par d’autres entités.9,10 Par exemple, un résultat positif à un test de vulnérabilité pourrait-il stigmatiser à la fois des parents et leurs enfants et augmenter les primes d’assurance de ces derniers à l’âge adulte?

Dans leur dernier article intitulé « L’épigénétique et le rôle de la période de développement », Sokolowski et Boyce évoquent le problème portant sur comment les différentes phases de développement peuvent influencer le statut épigénétique et la plasticité du cerveau. En particulier, ils s’attardent sur le nouveau thème d’étude qui consiste à déterminer comment les environnements des parents antérieurs à la conception peuvent être transmis à leurs enfants par des processus épigénétiques. Ils illustrent également leurs propos par des exemples clés d’études conduites chez l’animal et l’être humain. Un exemple pertinent est celui des enfants de survivants de l’Holocauste ayant développé un trouble de stress post-traumatique qui présentent des altérations épigénétiques au niveau d’un gène impliqué dans la réponse au stress. Les auteurs mentionnent avec justesse que la plupart des marques épigénétiques sont complètement réinitialisées deux fois par génération, lors des premiers stades de développement des cellules somatiques et germinales, et que nous ne savons pas actuellement quels gènes échappent à cette réinitialisation. 

En résumé, Sokolowski et Boyce mettent à la page leurs lecteurs au sujet de l’historique et des mécanismes de l’épigénétique, en concentrant leurs travaux sur comment le statut épigénétique de l’environnement des premiers stades de la vie peut être influencé par les environnements sociaux, biologiques et physiques, afin de prédisposer les individus à la vulnérabilité ou à la résilience. Ils affirment que les études de recherche axées sur l’épigénétique ont d’innombrables implications pour les politiques, à de nombreux niveaux.  

Implications pour le développement et les politiques

De toute évidence, de nombreuses données démontrent que les environnements néfastes pendant la grossesse, l’enfance et l’adolescence peuvent constituer un risque pour les santés mentale et physique et que ces environnements sont nombreux à être régis par des modifications épigénétiques. Il existe plusieurs implications politiques. La première est que les parents, et, surtout, la société devraient établir pour les enfants et les adolescents des environnements idéaux pour maximiser la résilience et minimiser la vulnérabilité. Dans cet effort, au lieu de blâmer les parents et les enfants, nous devrions apporter le plus de ressources possible afin de nourrir la résilience. De telles ressources seront spécifiques (par exemple, des lignes directrices sur comment élever des enfants résilients) et générales (comme des investissements publics pour les familles à faible statut socioéconomique). Les études établissant un lien entre le statut épigénétique et les états ultérieurs de résilience ou de vulnérabilité sont répliquées en diverses cohortes et dans plusieurs pays. Par conséquent, il sera possible de tester des enfants de tout âge pour prévoir ceux susceptibles de bénéficier d’interventions ciblées. Toutefois, avant d’entreprendre de tels tests, tous ceux concernés, particulièrement les parents actuels et futurs, devraient être sondés au sujet de leurs attitudes et de leurs inquiétudes face à de tels tests. De plus, il est nécessaire de mener des discussions à propos d’un résultat positif obtenu à un tel test concernant la vulnérabilité, car il pourrait aboutir à la stigmatisation et à la discrimination de l’enfant par ses camarades d’école et ses futurs employeurs et assureurs.

Références

  1. Riggs AD. Epigenetic mechanisms of gene regulation. In: Russo VEA, ed. Epigenetic mechanisms of gene regulation. Cold Spring Harbor, New York: Cold Spring Harbor Laboratory Press; 1996:1.
  2. Nise MS, Falaturi P, Erren TC. Epigenetics: origins and implications for cancer epidemiology. Medical Hypotheses. 2010;74(2):377-382.
  3. Quatrefages A. Débats du 16 juillet 1863 de la Société d’Anthropologie de Paris. Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris. 1863;4:378-383.
  4. Schiele MA, Domschke K. Epigenetics at the crossroads between genes, environment and resilience in anxiety disorders. Genes, Brain and Behavior. 2018;17(3):e12423.
  5. Bianco-Miotto T, Craig JM, Gasser YP, van Dijk SJ, Ozanne SE. Epigenetics and DOHaD: from basics to birth and beyond. Journal of Developmental Origins of Health and Disease. 2017;8(5):513-519.
  6. Soubry A. Epigenetics as a Driver of Developmental Origins of Health and Disease: Did We Forget the Fathers? BioEssays. 2018;40(1).
  7. Karg K, Burmeister M, Shedden K, Sen S. The serotonin transporter promoter variant (5-HTTLPR), stress, and depression meta-analysis revisited: evidence of genetic moderation. Archives of General Psychiatry. 2011;68(5):444-454.
  8. Teh AL, Pan H, Chen L, et al. The effect of genotype and in utero environment on interindividual variation in neonate DNA methylomes. Genome Research. 2014;24(7):1064-1074.
  9. Meloni M, Testa G. Scrutinizing the epigenetics revolution. BioSocieties. 2014;9(4):431-456.
  10. Muller R, Hanson C, Hanson M, et al. The biosocial genome? Interdisciplinary perspectives on environmental epigenetics, health and society. EMBO Reports. 2017;18(10):1677-1682.

Pour citer cet article :

Craig JM. Épigénétique : commentaires sur les articles de Sokolowski et Boyce. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Sokolowski MB, Boyce WT, éds thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/epigenetique/selon-experts/epigenetique-commentaires-sur-les-articles-de-sokolowski-et-boyce. Publié : Mai 2018. Consulté le 24 avril 2024.

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