Divorce et séparation : Commentaires sur les articles de Kline Pruett et de McIntosh


Oregon Research Institute, États-Unis

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Introduction

Le dilemme

Kline Pruett et McIntosh décrivent le dilemme auquel font face les tribunaux de la famille lors d’un divorce ou d’une séparation : ils doivent supporter, de façon appropriée et sensible, le rôle de chaque parent dans la vie de l’enfant. Actuellement, il n’existe pas de normes qui prennent en considération le développement de l’enfant pour orienter les parents et les professionnels dans leur prise de décisions relatives à la garde partagée. Évidemment, nous devons consulter l’ensemble des résultats de recherche disponibles pour nous guider dans la création de normes, mais, comme les auteurs le soulignent, il y a un manque de recherche dans ce domaine. Ainsi, une grande confusion existe quant à la nature et la structure des dispositions optimales de garde partagée. McIntosh réclame, avec raison, un solide cadre de travail basé sur le développement de l’enfant pour la prise de décisions en matière de séparation ou de divorce. Toutefois, il faudra encore un certain nombre d’années avant que nous puissions nous appuyer sur des études développementales précises pour supporter des décisions spécifiques dans ce domaine. En l’absence de telles études, nous pouvons consulter la science développementale et les études portant sur les pratiques parentales pendant la séparation pour nous guider. Cependant, nous devons être très prudents avant de tirer des conclusions spécifiques sur la garde des enfants à partir de cette littérature scientifique plus générale.

Recherche et conclusions

Principes d’un développement sain

Le développement des compétences fondamentales au cours des premières années de l’enfance jette les bases de toute l’adaptation ultérieure.1,2 De plus, comme le souligne McIntosh, la croissance remarquable qui se produit au cours des premières années de la vie s’accompagne d’une grande vulnérabilité.2 Les parents jouent un rôle clé dans ce développement primaire.3 La maîtrise de tâches développementales sociales, émotionnelles et cognitives importantes est influencée par la qualité des pratiques parentales que les enfants reçoivent au quotidien. Les interactions parent-enfant systématiquement caractérisées par des échanges chaleureux, engagés, sensibles et réciproques sous-tendent l’habileté de l’enfant à contrôler et diriger son comportement, interagir et coopérer avec les autres, réguler ses émotions, communiquer et forger ses conceptions du monde.4,5,6 Ces compétences acquises au début du développement forment la base des futures trajectoires développementales. Les connaissances, le sentiment d’auto-efficacité, l’adaptation personnelle et le support social des parents affectent le développement des enfants, dans la mesure où ils influencent les pratiques parentales au quotidien. Les mêmes qualités parentales restent importantes alors que les enfants deviennent adultes. De plus, une autre habileté parentale essentielle consiste à supporter et encourager l’autonomie et l’indépendance grandissantes des enfants tout en surveillant leurs activités, ce qui est plus facile dans le contexte d’une relation parent-enfant forte et positive.

Le rôle important des parents au cours de la séparation ou du divorce

Les résultats obtenus dans les études menées auprès de parents qui se séparent ou qui divorcent suggèrent que l’impact négatif du divorce sur l’adaptation des enfants est médiatisé par des pratiques parentales problématiques. Les facteurs de stress quotidiens des parents divorcés peuvent s’accumuler et compromettre leur capacité à exercer leurs fonctions parentales. Une adaptation saine de l’enfant dépend en partie de l’habileté de ses parents à utiliser les ressources de leur environnement pour gérer ces facteurs de stress.7 Les pratiques parentales au cours de la première année suivant le divorce sont marquées par une augmentation de l’irritabilité et de la coercition, une diminution de la communication, de l’affection, de la cohérence, du contrôle et de la supervision8,9,10 et une réduction des interactions parent-enfant positives.9 Comparativement aux mères des familles intactes, les mères monoparentales sont plus dures, sévères8 et critiques envers leurs enfants, donnent plus d’ordres lorsqu’elles interagissent avec eux11 et tendent à montrer moins d’affection.8 Le manque de cohérence dans la discipline et une trop grande sévérité peuvent précipiter la coercition, un facteur qui contribue significativement au développement des conduites antisociales chez les enfants.12

Alors que les perturbations dans le fonctionnement de la famille sont un facteur de risque significatif pour le développement des enfants, un fonctionnement familial sain est un facteur de protection majeur.13 Les parents qui ont un style de parentage démocratique, qui sont sensibles aux besoins de leurs enfants et qui maintiennent une discipline cohérente et raisonnable permettent aux enfants de mieux affronter le stress du divorce.8,13,14

Les décisions relatives à la garde partagée devraient être prises à la lumière de ces résultats de recherche. Il est particulièrement important de créer des situations qui supportent l’expression optimale des qualités parentales et un engagement parental maximal. 

Créer des arrangements sensibles au développement de l’enfant

Kline Pruett a émis une excellente suggestion à l’effet que les plans de parentage devraient mettre l’accent sur des arrangements qui permettent aux deux parents de se sentir impliqués et responsables plutôt que sur la quantité absolue de temps que chacun passe avec l’enfant. Les professionnels qui travaillent avec des parents qui se séparent ou qui divorcent peuvent rechercher des arrangements qui optimisent la prédictibilité des routines quotidiennes et favorisent des pratiques parentales chaleureuses et sensibles. Kline Pruett et McIntosh mentionnent quelques aspects importants du processus de séparation ou de divorce, dont l’importance de bâtir des relations solides. Cependant, tel que décrit précédemment, la désorganisation et le stress qui accompagnent la séparation peuvent rendre l’établissement et le maintien de ces relations difficile pour les parents. Ceux-ci ont besoin d’outils et d’informations qui les aident à maintenir des relations de soutien chaleureuses avec leurs enfants. Ils ont aussi besoin de support pour affronter les variables contextuelles, comme le stress, qui affectent leur habileté à employer des pratiques parentales optimales. Ils ont également besoin d’être formés pour développer des habiletés de coparentage qui renforcent la relation, encouragent la coopération et réduisent le conflit entre les deux parents.

Une autre recommandation importante de Kline Pruett et McIntosh est de supporter les contacts fréquents entre l’enfant et le parent qui ne réside pas avec lui. Ces contacts sont typiquement limités dans la période qui suit le divorce et deviennent de plus en plus restreints avec le temps.15 Environ 25 % des enfants visitent le parent qui n’a pas leur garde légale sur une base hebdomadaire et 20 % d’entre eux n’ont aucun contact avec ce parent ou le rencontrent seulement quelques fois par année.16 Actuellement, la majorité des parents qui n’ont pas la garde de leurs enfants sont des pères. Kline Pruett souligne que le père apporte des contributions uniques au développement sain de l’enfant et que les plans de parentage devraient être conçus pour supporter l’implication du père au cours du processus de séparation ou de divorce. Chez les pères qui ne résident pas avec leurs enfants, des contacts plus fréquents avec ceux-ci sont associés à des perceptions plus favorables du coparentage.17 Une méta-analyse d’Amato et Keith18 a révélé qu’une relation étroite entre les enfants et leur père est liée au développement sain des enfants. Dans une étude menée auprès de familles monoparentales ou intactes, la perception qu’avaient les enfants du degré d’intimité qu’ils partageaient avec leur père expliquait une plus grande partie de la variance du fonctionnement émotionnel, social et académique que toute autre relation dyadique.19 Dans une étude longitudinale menée auprès de 341 enfants de parents divorcés, une bonne relation avec le parent qui avait la garde des enfants prédisait des problèmes de comportements moins nombreux, de meilleures habiletés de communication, de meilleurs résultats scolaires et un score global d’adaptation plus élevé chez les enfants.20 Une implication active des deux parents peut avoir des bénéfices pour les enfants et le parent qui demeure avec eux.

Information insuffisante

Plusieurs parents et praticiens cherchent de l’information sur la sécurité de l’attachement des enfants pour prendre des décisions éclairées relatives à la garde partagée. McIntosh affirme avec justesse que la question fondamentale est de déterminer si le plan de parentage proposé et les activités qui en résultent contribueront ou porteront atteinte à la sécurité émotionnelle du jeune enfant. Nous pouvons consulter la littérature sur le développement pour nous aider à répondre à cette question, mais les résultats scientifiques recueillis jusqu’à présent ne sont pas suffisants. Tel que mentionné précédemment, les recherches développementales ont montré que des soins cohérents, chaleureux et contingents sont essentiels. Cependant, l’attachement est un processus complexe et flexible qui se déroule tout au long de la vie et qui est affecté par une vaste gamme de variables, dont les pratiques parentales, les facteurs familiaux, la relation de coparentage, les facteurs contextuels et les caractéristiques individuelles de l’enfant et du parent. Des études récentes sur différents types de garde partagée après la séparation ou le divorce ont suggéré quelques possibilités à explorer, mais comme McIntosh le souligne, les recherches dans ce domaine commencent tout juste à émerger. La plupart des recherches disponibles sur la séparation ou le divorce sont basées sur des petits échantillons non représentatifs et s’appuient sur des questionnaires autorapportés remplis par les mères. Les études sur le coparentage qui explorent la perspective du père sont rares. De plus, très peu de recherches ont porté sur la séparation de parents qui n’ont jamais été mariés ou le divorce au sein des populations mal desservies composées de diverses races et ethnies. De plus, la plupart des recherches reposent sur des mesures de l’attachement, un construit qui a revêtu une importance croissante pour les chercheurs et les praticiens.21 Or, la recherche sur l’attachement est toujours remplie d’incertitude, notamment en ce qui concerne la validité de ce construit et ses méthodes de mesure.

Besoin de mesures fidèles et valides de l’attachement

Si nous devons nous appuyer sur l’information recueillie sur l’attachement des enfants, plus de mesures valides et fidèles de ce construit seront nécessaires.22 L’attachement est actuellement évalué de plusieurs façons, à la fois avec des mesures observationnelles et des questionnaires autorapportés. Cependant, ces méthodes différentes produisent parfois des résultats différents. Les études qui ont appliqué plusieurs méthodes de classification de l’attachement au même échantillon d’enfants ont trouvé des différences significatives de classification avec les diverses méthodes utilisées.23 Il est tout aussi préoccupant de constater que le construit que représente l’attachement n’est pas encore robuste. Certains chercheurs ont suggéré que, dans les études observationnelles de l’attachement des enfants (par ex., la situation étrangère),24 la variabilité du tempérament des jeunes enfants pourrait influencer l’interprétation du type d’attachement. Par exemple, un tout-petit qui a tendance à éprouver fréquemment de la détresse pourrait vivre une détresse lors de la séparation, continuer à manifester cette émotion lors de la réunion avec sa mère et être ainsi plus susceptible de se voir attribuer un type d’attachement insécurisé qu’un enfant moins sujet à éprouver de la détresse.25 Une mesure alternative de l’attachement, le Q-sort,26 souffre quant à elle des biais potentiels communs aux mesures autorapportées. De plus, des questions ont été soulevées quant au moment où les liens d’attachement critiques sont formés et à la possibilité que des liens d’attachement primaires puissent être développés avec plus d’une figure d’attachement. Il est donc nécessaire de raffiner le construit et les méthodes utilisées pour le mesurer.

Implications

Pour plusieurs parents, la transition que représente la séparation ou le divorce est marquée par la désorganisation, le stress et les conflits. Les parents et les professionnels veulent servir le mieux possible les intérêts des enfants et les décisions relatives à la garde partagée peuvent avoir d’importantes implications pour leur développement à long terme. La recherche actuellement disponible pour orienter ces décisions est limitée. Comme il y a énormément de facteurs en jeu, il n’y a pas une seule façon de faire qui soit supérieure aux autres. Kline Pruett et McIntosh soulignent quelques considérations utiles. Le facteur décisionnel le plus important est peut-être que l’arrangement choisi permette de préserver et de renforcer la relation de l’enfant avec chacun de ses deux parents. Comme Kline Pruett le souligne si judicieusement, les considérations familiales et individuelles devraient avoir préséance sur toute solution rigide employée uniformément pour toutes les familles. 

Références

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Pour citer cet article :

Backen Jones L. Divorce et séparation : Commentaires sur les articles de Kline Pruett et de McIntosh. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Emery RE, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/divorce-et-separation/selon-experts/divorce-et-separation-commentaires-sur-les-articles-de-kline. Publié : Décembre 2010. Consulté le 22 avril 2024.

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