La dépression de la mère et l’adaptation de l’enfant durant la petite enfance
Susan B. Campbell, Ph.D.
University of Pittsburgh, États-Unis
Introduction
Pour favoriser le développement optimal du jeune enfant, les parents doivent se montrer sensibles et attentifs à ses besoins. Durant les premiers mois, les parents veillent avant tout à combler les besoins essentiels du nourrisson, c’est-à-dire le nourrir, le protéger, assurer son bien-être, interagir avec lui et le stimuler; plus tard, lorsque l’enfant commence à parler et à marcher, les parents doivent aussi établir des limites à son exploration en fonction de son âge tout en favorisant son développement sur les plans cognitif, social et langagier.1 Les difficultés qu’éprouvent les parents de jeunes enfants peuvent être surmontées plus facilement lorsque la mère reçoit une aide et un soutien affectif adéquats pour prendre soin de l’enfant et que son état émotif est stable. Toutefois, une assez grande proportion de jeunes femmes en âge d’avoir un enfant ressentent des symptômes de dépression suffisamment graves pour nuire à leur capacité de prendre soin de leur enfant.2,3
Sujet
La dépression, qui se traduit par une tristesse persistante et un sentiment de découragement, est associée à des interactions où le parent se montre moins engagé et moins proactif envers son enfant et le stimule moins. Elle entraîne aussi une série de problèmes d’ordre social et cognitif chez le jeune enfant à divers stades de la petite enfance (nourrisson, tout-petit et âge préscolaire).4 Comme le jeune enfant dépend beaucoup de sa mère pour être stimulé sur le plan cognitif et avoir des interactions sociales, il est plus susceptible d’être touché par les effets de la dépression maternelle que ne le serait un enfant d’âge scolaire ou un adolescent.
Problèmes
Bon nombre de femmes ressentent le « baby blues » ou syndrome du troisième jour tout de suite après l’accouchement, en raison des changements hormonaux et physiques qui se manifestent pendant la grossesse, le travail, l’accouchement et la période tout de suite après l’accouchement.3 Toutefois, chez certaines nouvelles mamans, la dépression persiste au-delà de la période post‑partum ou survient au moment où elles commencent à connaître leur bébé. Les épisodes de dépression graves et prolongés qui ont lieu pendant les premières années de vie de l’enfant sont une source de préoccupation lorsqu’ils nuisent à la capacité de la mère de s’occuper de son enfant.2,3,4
La dépression maternelle peut être associée à des antécédents personnels de dépression, à la pauvreté, à la monoparentalité, à des difficultés conjugales ou à un pauvre soutien social.4,5,6 Des complications pendant la grossesse ou l’accouchement, les problèmes de santé du nourrisson, ses coliques ou son irritabilité peuvent aussi déclencher des symptômes de dépression chez les femmes vulnérables.6 C’est souvent le jeune enfant qui fait les frais de la dépression de la mère, et lorsqu’à celle‑ci s’ajoutent un stress au sein du couple et un soutien social insuffisant, les effets de la maladie de la mère sur l’enfant peuvent être exacerbés. De plus, certains nourrissons et jeunes enfants sont plus vulnérables que d’autres aux effets de la dépression maternelle à cause de leur tempérament, de leur état de santé ou de la disponibilité d’autres adultes en mesure de s’occuper d’eux.4,5
Contexte de la recherche
Bon nombre d’études ont porté sur des mères de jeunes enfants qui souffraient de dépression clinique ainsi que sur de vastes échantillons de mères qui disaient avoir des symptômes de dépression sévère. Les chercheurs de ces études longitudinales ont suivi l’évolution de la dépression maternelle en s’appuyant sur des entrevues et les comptes rendus des mères. Ils ont ainsi évalué certains aspects précis des interventions parentales et des interactions entre la mère et l’enfant au moyen de méthodes d’observation et ont pu mesurer les effets de la maladie sur le développement socio-affectif et cognitif des enfants, leur état de préparation à l’école et leur niveau global d’adaptation.4
Questions clés pour la recherche
Les questions pouvant faire l’objet de recherches futures sont axées sur la nécessité de cerner les facteurs qui expliquent les liens entre la dépression maternelle et les problèmes d’adaptation des enfants. Par exemple, dans quelle mesure les difficultés d’adaptation d’un enfant sont-elles dues à des facteurs biologiques, aux interventions parentales de la mère, à d’autres facteurs liés à la famille ou à une combinaison de ceux-ci? 4,5
Comme ce ne sont pas tous les enfants dont la mère est dépressive qui éprouveront des problèmes plus tard, les chercheurs doivent également examiner les facteurs susceptibles de protéger l’enfant ou de le rendre vulnérable qui sont associés à divers scénarios de développement et d’adaptation chez les enfants en bas âge.4,5 Par exemple, les enfants dont la mère a des antécédents familiaux de dépression ou était dépressive avant ou pendant la grossesse sont-ils plus à risque que les autres d’avoir des difficultés d’adaptation? Le moment où survient la dépression maternelle au cours des premières années de la vie de l’enfant a-t-il une importance? Dans les familles biparentales, un père attentionné peut-il protéger le jeune enfant des effets potentiellement dommageables de la dépression de la mère? Lorsque le père offre un soutien insuffisant, est-ce que d’autres adultes peuvent fournir le soutien dont la mère et l’enfant ont besoin et réduire ainsi les effets négatifs de la dépression maternelle? Pourquoi certaines mères arrivent-elles à se montrer attentives et réceptives en dépit de leur dépression? Les caractéristiques de la dépression et du contexte familial peuvent aider à détecter certains enfants qui courent un risque plus élevé que les autres d’éprouver des difficultés d’adaptation lorsque leur mère souffre de dépression.
Les caractéristiques de l’enfant et de la famille peuvent aussi avoir un effet les unes sur les autres, ce qui pourrait favoriser l’adaptation de l’enfant ou lui nuire. Ainsi, le nourrisson irritable ou qui a connu des complications pendant l’accouchement ou des problèmes de santé à la naissance est possiblement plus vulnérable aux effets de la dépression maternelle. De plus, le fait d’être préoccupée par un enfant malade ou difficile peut avoir une incidence sur l’humeur de la mère, ce qui peut faire empirer les symptômes de la dépression maternelle et les problèmes du bébé, particulièrement lorsque la mère se sent moins compétente pour en prendre soin. Inversement, la mère qui a un bébé « facile » peut avoir une plus grande confiance en elle et en ses compétences en tant que mère, et si elle reçoit l’appui de son partenaire, elle peut se montrer attentive aux besoins de son bébé malgré sa dépression. Ces questions qui portent sur les facteurs de risque ou de protection ont également des répercussions sur les interventions précoces auprès des mères dépressives et de leurs jeunes enfants et sur les programmes de prévention destinés aux femmes très susceptibles de souffrir de dépression pendant les premières années de vie de leur enfant.4,5,6,7
Résultats d’études récentes
Les études révèlent que les mères dépressives, surtout celles qui souffrent de dépression chronique, sont moins affectueuses avec leurs nourrissons et jeunes enfants, jouent et parlent moins avec eux, leur donnent moins de soutien, n’insistent pas autant sur la discipline et ne leur imposent pas autant de limites adaptées à leur âge que les mères qui ne souffrent pas de dépression.4,8,9 Lorsque les symptômes signalés par la mère sont sévères et chroniques, les enfants sont plus susceptibles de développer un lien d’attachement non sécurisant avec leur mère, de se développer plus lentement sur les plans langagier et cognitif, de se montrer moins coopératifs et d’avoir plus de difficulté à maîtriser leur colère et leur agressivité.8,9 Le fait que la mère soit moins attentive et moins engagée peut expliquer en partie ces constatations. Toutefois, les interventions parentales empreintes de sensibilité peuvent avoir un effet protecteur pour l’enfant lorsque la mère souffre de dépression.8,9 Lorsque la dépression survient en même temps que des difficultés financières et d’autres événements qui occasionnent beaucoup de stress, les effets sur les enfants peuvent être graves et dévastateurs.8,10
Lacunes de la recherche
Nous en savons beaucoup sur les facteurs de risque qui sont associés à la dépression maternelle et aux difficultés d’adaptation de l’enfant. Les recherches futures devront mettre l’accent sur des approches psychosociales qui visent à prévenir la dépression chez les femmes à risque élevé et à fournir aux mères dépressives et à leur famille les soins dont ils ont besoin.4,7,11 La plupart des études qui portent sur le traitement sont davantage axées sur la dépression de la mère, qu’on tente d’enrayer par la médication et la psychothérapie individuelle,12 au lieu de s’attarder à l’ensemble des besoins de la mère, y compris son lien avec son bébé et le soutien affectif et l’aide concrète du père (ou d’un autre adulte responsable) pour prendre soin de l’enfant. Des études fondées sur l’intervention et l’observation en milieu naturel sont donc nécessaires afin de pouvoir fournir des recommandations plus précises sur les facteurs qui aident la mère à ne pas sombrer dans la dépression et qui protègent les jeunes enfants des effets de la dépression maternelle.
Les démarches comportant des interventions, comme les visites à domicile par une infirmière, qui ont connu du succès dans d’autres contextes présentant des risques élevés,13 pourraient s’avérer efficaces auprès des mères qui viennent d’accoucher. Les femmes qui ont des antécédents de dépression ou qui souffrent de stress attribuable à de multiples facteurs psychosociaux ou liés à la santé pourraient particulièrement bénéficier des visites à domicile. Les interventions qui ciblent à la fois la dépression de la mère et la relation entre la mère et l’enfant7 pourraient aussi avoir un effet salutaire pendant les premiers mois de vie du bébé, mais surtout un peu plus tard, lorsque l’enfant devient plus « difficile » à mesure qu’il développe son autonomie et son identité.
Conclusions
La dépression est assez courante chez les femmes enceintes et, lorsqu’elle persiste et présente des symptômes sévères, elle peut avoir des conséquences sur la relation entre la mère et l’enfant ainsi que sur le développement social, affectif et cognitif du jeune enfant. Une dépression grave et chronique chez la mère est souvent associée à une série d’autres facteurs de risque, comme des antécédents dépressifs personnels et familiaux, du stress lié à la relation de couple, à la situation financière ou à la santé ou encore des problèmes liés à l’accouchement, à la santé du bébé ou à son développement. Toutefois, lorsque la mère dépressive peut compter sur un soutien social adéquat et qu’elle parvient à accorder son attention à son bébé, l’enfant peut être protégé des effets dommageables de la dépression maternelle.
Implications pour les parents, les services et les politiques
Les décideurs politiques et les intervenants de première ligne, surtout les pédiatres, le personnel infirmier et les obstétriciens, doivent être sensibilisés aux conséquences de la dépression post-partum et autres formes de cette maladie chez les mères de jeunes enfants. Les programmes qui aident les mères et les pères à se préparer à leur rôle de parents, surtout lorsqu’il s’agit de leur premier enfant, et qui fournissent un soutien et des encouragements aux nouveaux parents pourraient prévenir l’apparition de la dépression ou en réduire les symptômes. Par ailleurs, même si la participation des pères a augmenté au cours des 15 dernières années, les programmes qui encouragent les pères à s’investir davantage dans les soins et l’éducation de leurs enfants pourraient encore être nécessaires dans certains milieux. Il faut aussi rendre plus accessibles les programmes de traitement, y compris les visites à domicile par des infirmières et les interventions qui ciblent non seulement la dépression de la mère, mais aussi l’enfant et la famille. En même temps, il est important de rassurer les mères qui ressentent de brefs symptômes dépressifs post-partum tout de suite après l’accouchement et de leur fournir un soutien puisque, dans la plupart des cas, les symptômes ne seront que passagers. C’est pourquoi les intervenants doivent bien connaître l’évolution des premiers symptômes de la dépression maternelle et être en mesure de suggérer des interventions pertinentes lorsqu’elles sont nécessaires.
Références
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Pour citer cet article :
Campbell SB. La dépression de la mère et l’adaptation de l’enfant durant la petite enfance. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/depression-maternelle/selon-experts/la-depression-de-la-mere-et-ladaptation-de-lenfant-durant-la. Publié : Mars 2010. Consulté le 8 octobre 2024.
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