Les habiletés socio-cognitives sont corrélées avec le comportement prosocial chez les jeunes enfants
1Tracy L. Spinrad, Ph.D., 2Sarah VanSchyndel, M.A., étudiante au doctorat
1Arizona State University, T. Denny Sanford School of Social and Family Dynamics, États-Unis
2Arizona State University, Département de psychologie, États-Unis
Introduction
Le comportement prosocial se définit par un comportement volontaire au bénéfice d’autrui.1 Les chercheurs se sont intéressés à caractériser les modèles normatifs du comportement prosocial et à comprendre les facteurs qui seraient impliqués dans les différences individuelles relatives au comportement prosocial. Dans sa théorie sur le développement, Hoffman2 a souligné un changement temporel des propres préoccupations entre les nourrissons et les enfants de moins de trois ans, et de l’empathie et du comportement prosocial des jeunes enfants en réponse à la détresse des autres. Selon lui, les habiletés socio-cognitives des enfants, telles la différenciation du soi et la coordination des points de vue, jouent un rôle essentiel dans l’émergence du comportement prosocial.
Sujet
Des données récentes suggèrent que le comportement prosocial se manifeste de manière précoce : des comportements prosociaux, tels l’aide, le partage et le réconfort envers une personne en détresse, ont été décelés chez des nourrissons âgés de 14 à 18 mois,3-7 et ces comportements augmentent au cours de la petite enfance.1
Il a également été démontré que les habiletés socio-cognitives, telles la compréhension des émotions, la coordination des points de vue et la conscience de soi, sont associées aux différences individuelles relatives au comportement prosocial des enfants. Le présent article est axé sur les relations entre un certain nombre d’habiletés socio-cognitives d’importance avec la prosocialité, notamment la différenciation du soi, la théorie de l’esprit et la compréhension des émotions.
Problèmes
Une des difficultés de la recherche actuelle est la détermination du moment exact où les nourrissons développent les habiletés socio-cognitives requises au comportement prosocial, telle la différenciation du soi, et si de telles habiletés sont nécessaires à la prosocialité.8
L’examen de questions plus nuancées portant sur la relation entre les habiletés socio-cognitives et les comportements prosociaux des enfants est également important. Par exemple, savoir si l’émergence précoce des habiletés socio-cognitives au cours de la petite enfance présage les comportements prosociaux ultérieurs est une question mal élucidée. En outre, le nombre d’études dont l’objectif est d’examiner si les habiletés socio-cognitives permettent d’anticiper directement ou indirectement le comportement prosocial, chez les jeunes enfants, est limité. Il est possible que de telles habiletés conduisent à des réponses prosociales par leur impact sur la sympathie ou les compétences sociales. Finalement, bien que les chercheurs assument que les habiletés socio-cognitives constituent des prérequis pour le comportement prosocial, il est possible que les habiletés socio-cognitives soient nécessaires à tous les types de comportements prosociaux (l’aide instrumentale, par exemple) et qu’elles influencent également le développement socio-cognitif des enfants. Peu d’études longitudinales ont examiné cette possibilité.
Contexte de la recherche
En conformité avec la théorie de Hoffman, des études ont appuyé que la notion de différenciation du soi est associée à l’empathie observée envers les mères 9 et les pairs,10 ainsi qu’au partage sans coût avec les expérimentateurs d’âge adulte,11,12 chez les moins de 3 ans. Par l’utilisation du test classique de reconnaissance de soi devant un miroir, des chercheurs ont mis en évidence une relation positive entre la conscience de soi et le comportement prosocial des enfants.9,13 Une étude a récemment démontré que la compréhension de la notion de propriété (c’est-à-dire savoir qu’un objet appartient à soi et non à l’autre) était positivement associée au partage sans coût, chez des enfants de moins de 3 ans.11
D’autres aspects du développement socio-cognitif ont été associés au comportement prosocial. Par exemple, les habiletés relatives à la compréhension des émotions et à la coordination des points de vue ont été reliées de manière positive au comportement prosocial et à l’empathie, chez des jeunes enfants.12,14-18 Par ailleurs, la compréhension des « fausses croyances » établies par les enseignants ou les éducateurs (c’est-à-dire la théorie de l’esprit) a été associée à des taux relativement élevés de comportements prosociaux.19 Cependant, dans une autre étude, des élèves de niveau préscolaire ayant réussi un test portant sur la théorie de l’esprit étaient, dans le cadre d’un jeu de distribution des ressources, moins portés à partager des autocollants par rapport à ceux ayant échoué à l’évaluation de la théorie de l’esprit : les enfants deviendraient plus sélectifs avec les individus avec lesquels ils partagent des ressources, dans la mesure où ils développent des habiletés de coordination des points de vue.20
Questions clés pour la recherche
Il existe un certain nombre de questions de recherche essentielles relatives aux relations entre les habiletés socio-cognitives des enfants et leur développement prosocial. Les chercheurs doivent en priorité déterminer si les habiletés socio-cognitives sont nécessaires à l’émergence du comportement prosocial. En d’autres mots, des habiletés, telles la différenciation du soi et la coordination des points de vue, sont-elles des conditions nécessaires au développement du comportement prosocial des enfants? Ensuite, il est important de déterminer si les associations entre le habiletés socio-cognitives et le comportement prosocial sont directes ou indirectes. Troisièmement, en comprenant si les habiletés socio-cognitives permettent d’anticiper le comportement prosocial de manière différentielle en fonction du type (c’est-à-dire, l’aide, le partage et le réconfort) ou du contexte des comportements prosociaux (par exemple, des coûts associés ou non, les pairs par opposition aux adultes, les amis par apposition à d’autres individus), on pourrait clarifier l’amalgame de résultats présents dans la littérature. Finalement, les chercheurs doivent prêter attention à la direction des effets dans la compréhension des relations entre ces construits, par l’usage de plans expérimentaux longitudinaux.
Récents résultats de recherche
Malgré la mise en évidence d’une relation entre la différenciation du soi et le comportement prosocial, les chercheurs ont récemment démontré, par l’entremise de mesures implicites, que les nourrissons manifestaient une différenciation du soi rudimentaire, généralement, avant que des enfants de moins de 3 ans réussissent des tests de reconnaissance de soi devant un miroir.21 Par exemple, les nourrissons commencent à afficher une compréhension des intentions des autres, de leurs objectifs et de leurs désirs entre 9 et 12 mois22,23 et ont démontré l’habileté à émettre des jugements à caractère moral sur les autres, dès l’âge de 3 mois.24-27
Des relations longitudinales entre les habiletés socio-cognitives et la prosocialité des enfants ont été mises en évidence. Lors d’une étude, la compréhension des « fausses croyances » d’enfants de 54 mois était reliée positivement à l’orientation prosociale signalée par des adultes, à cet âge, puis 18 mois plus tard.28 Les chercheurs ont également démontré que la compréhension des émotions permettait d’anticiper la prosocialité, à 42 mois et 1 an plus tard. Il est intéressant de souligner que les compréhensions ultérieures des émotions et des fausses croyances n’étaient pas reliées à la prosocialité, ce qui indique qu’il est fort probable que ces habiletés permettent d’anticiper le comportement prosocial, ultérieurement, au cours de la période caractérisée par l’émergence des habiletés socio-cognitives.
Les travaux récents sont de plus en plus axés sur la compréhension du rôle des habiletés socio-cognitives dans la prédiction du futur comportement prosocial. Par exemple, Ensor, Spencer et Hughes29 ont démontré que la compréhension des émotions, chez des enfants âgés de 3 ans, était impliquée dans les relations entre, d’une part, les habiletés verbales précoces et la réciprocité mère-enfant et, d’autre part, le comportement prosocial des enfants âgés de 4 ans.
De plus, même en cas de détresse exprimée ouvertement, l’empathie ou la sympathie des jeunes enfants pourrait jouer un rôle dans les relations entre les résultats socio-cognitifs et les résultats prosociaux. En conformité avec cette notion, Vaish et ses collègues30 ont démontré que des enfants âgés de moins de 3 ans manifestaient davantage de préoccupations et de comportement prosocial envers une victime adulte ayant subi un préjudice en comparaison à une victime n’ayant subi aucun préjudice, même en l’absence d’émotion négative. Ces résultats suggèrent que les enfants de moins de 3 ans possèdent l’habileté de coordonner des points de vue avec les autres et ainsi, de se sentir préoccupés par les blessures d’autrui, ce qui entraîne, de façon subséquente, un comportement prosocial; cependant, ce modèle de médiation n’a pas été testé chez des jeunes enfants. Dans un test plus direct de ce concept mené avec des enfants plus âgés, la coordination des points de vue d’adolescents brésiliens était reliée indirectement au comportement prosocial par l’entremise de ses effets sur la sympathie et le raisonnement moral.31
Finalement, il a été considéré que les compétences cognitives et langagières générales étaient associées au comportement prosocial des enfants.32,33 Une étude a récemment indiqué que les compétences langagières des jeunes enfants étaient associées aux préoccupations liées à l’empathie de manière relativement élevée, mais peu à l’indifférence envers les autres, même après un contrôle des habiletés cognitives générales.33 Par conséquent, les compétences langagières, par opposition aux habiletés cognitives générales, joueraient un rôle spécifique dans l’explication de l’empathie exprimée par les jeunes enfants.
Lacunes de la recherche
Les recherches actuelles consacrées au comportement prosocial présentent un certain nombre de lacunes. Premièrement, les études portant sur le comportement prosocial de la petite enfance sont très limitées. Bien qu’une étude ait souligné que des nourrissons exposés à la détresse d’un pair étaient plus susceptibles de commencer eux-mêmes à pleurer,34 ce comportement reflèterait une contagion émotionnelle, et non de l’empathie à proprement dit. Une seule étude a démontré que des nourrissons âgés de moins de 12 mois présentaient des composantes cognitives et affectives d’empathie se greffant à une détresse personnelle.8 Peu d’études ont utilisé des mesures plus implicites des habiletés socio-cognitives nécessitant moins d’aptitudes cognitives que la reconnaissance de soi dans un miroir.35 Deuxièmement, les chercheurs doivent se concentrer sur un certain nombre d’habiletés socio-cognitives lors de leurs travaux portant sur la relation entre les différents types de comportements prosociaux (c’est-à-dire l’aide, le partage et le réconfort) et déterminer dans quelles conditions la prosocialité est associée à des coûts (par opposition à l’absence de coûts), puisqu’il est incertain si les divers types de prosocialité présentent des corrélations socio-cognitives similaires. Troisièmement, l’acquisition de données longitudinales est nécessaire pour émettre des conclusions de causalité sur les relations entre les habiletés socio-cognitives et le comportement d’empathie ou prosocial. La conduite d’études contrôlant la stabilité des construits au cours du temps et examinant les relations bidirectionnelles possibles est particulièrement nécessaire. Finalement, les chercheurs doivent continuer à axer leurs recherches sur les relations possiblement complexes entre les habiletés socio-cognitives et la prosocialité des enfants. Par exemple, il est possible que les relations entre ces deux éléments soient régulées par d’autres facteurs, tels le genre ou la motivation prosociale. Les processus impliqués doivent également être examinés sur des échantillons composés de jeunes enfants.
Conclusions
L’étude des comportements sociaux positifs des jeunes enfants, telle la prosocialité, a suscité un grand intérêt. Les travaux menés sur le développement indiquent que la prosocialité se manifeste avant l’âge de 3 ans et augmente avec l’âge. De plus, les habiletés socio-cognitives que l’on croit nécessaires au développement de l’empathie et du comportement prosocial ont été associées de manière positive aux différences individuelles en termes de prosocialité. De façon spécifique, la différenciation du soi, la coordination des points de vue (notamment la compréhension des émotions) et la théorie de l’esprit ont été corrélées à un comportement prosocial et/ou une empathie relativement supérieur(es). Les chercheurs continuent à se demander si de telles habiletés se développeraient plus tôt que proposé à l’origine par Hoffman.2 Par ailleurs, les chercheurs commencent à souligner l’importance de la conduite d’études axées sur les relations complexes entre les habiletés socio-cognitives des enfants et leur comportement prosocial et sur les relations entre les habiletés socio-cognitives intervenant plus tôt dans l’enfance et la prosocialité ultérieure. De plus amples travaux sont requis pour identifier les relations entre les facteurs socio-cognitifs et les différents types de prosocialités des jeunes enfants, dans divers contextes.
Implications pour les parents, les services et les politiques
Une meilleure compréhension des processus intervenant dans la prédiction de la prosocialité des jeunes enfants présente des conséquences cliniques importantes. Par exemple, l’entraînement de l’empathie peut constituer une direction prometteuse dans l’augmentation de la compréhension sociale et des habiletés prosociales, ainsi que dans la réduction des comportements agressifs et intimidants des enfants. En outre, il a été déterminé que les interventions visant à favoriser les habiletés sociales ou l’entraînement de l’empathie permettaient d’améliorer efficacement l’empathie et le comportement prosocial des enfants. Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour comprendre les mécanismes spécifiques intervenant dans les interventions efficaces, en particulier, si les facteurs socio-cognitifs, telle la coordination des points de vue, représentent des éléments importants dans l’amélioration du comportement prosocial des enfants, et pour caractériser les moyens d’identification des jeunes enfants à risque de développer des troubles associés à ces habiletés. De plus, les interventions sont généralement axées sur des enfants en âge d’être scolarisés; par conséquent, on ne sait pas si de telles techniques peuvent être employées sur des enfants plus jeunes; l’examen de ces construits adaptés en termes de développement doit être évalué chez des jeunes enfants. Il est également important d’étudier comment les parents peuvent influencer les habiletés prosociales des enfants, soit directement, soit indirectement, par l’entremise des habiletés socio-cognitives des enfants.
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Pour citer cet article :
Spinrad TL, Van Schyndel S. Les habiletés socio-cognitives sont corrélées avec le comportement prosocial chez les jeunes enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Knafo-Noam A, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/comportement-prosocial/selon-experts/les-habiletes-socio-cognitives-sont-correlees-avec-le. Publié : Mai 2015. Consulté le 14 octobre 2024.
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