Cognition sociale dans la prime enfance


Dalhousie University, Canada
, Éd. rév.

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Introduction

La cognition sociale se rapporte à la compréhension de la façon dont les gens se comportent, que ce soit les autres ou soi-même. En général, les êtres humains arrivent à comprendre leur comportement et celui des autres en se fiant à leurs états psychologiques intérieurs tels que leurs émotions, leurs pensées et leurs désirs. Les enfants plus âgés et les adultes peuvent évidemment témoigner de leur compréhension en utilisant le langage qui se rapporte à leurs états et activités psychologiques et à ceux des autres. Pourtant, même avant de savoir parler, les nourrissons manifestent cette compréhension à travers leur comportement envers les autres. Très tôt dans leur vie, les nourrissons trouvent les autres personnes fascinantes et, même avant qu’ils puissent parler, ils sont capables d’interagir et de communiquer avec elles. Autant d’intérêt et d’interaction dépendent de formes précoces de la cognition sociale.

Sujet

Les bébés naissent dans un monde social complexe. Ils doivent apprendre rapidement comment s’engager avec le monde social : comment répondre aux actions des autres, comment amener les autres à satisfaire leurs besoins et comment construire des relations. Par ailleurs, puisque presque tout ce que les enfants apprendront est véhiculé culturellement, les nourrissons ont très vite besoin d’utiliser d’autres personnes pour découvrir le monde extérieur.

Problème

Pendant les premiers 18 à 24 mois, les nourrissons ne sont pas encore capables d’utiliser le langage pour interagir avec les autres ou pour exprimer ce qu’ils comprennent. Par conséquent, savoir comment étudier ce que les nourrissons comprennent au sujet d’eux-mêmes et des autres sans s’appuyer sur le langage constitue le problème le plus important dans l’acquisition des connaissances sur la cognition sociale des nourrissons.

Contexte de la recherche

La recherche s’est centrée sur la façon dont les nourrissons répondent à diverses formes de stimulation sociale à différents stades de leur développement. Il est possible d’en apprendre beaucoup sur la façon dont les nourrissons comprennent le monde social en contrôlant et en surveillant soigneusement les formes de stimulation sociale qui leur sont présentées à des âges différents et en observant leurs réponses.

Questions clés pour la recherche

Il est possible que la question de base intéressant les chercheurs du domaine de la cognition de l’enfant soit : Comment les nourrissons acquièrent-ils une bonne compréhension des autres personnes, en tant qu’agents psychologiques animés ayant à la fois une expérience de « première personne » et des caractéristiques de la « troisième personne »?1 Cette question comprend deux aspects. Premièrement, elle implique de savoir que les autres gens sont de la même nature que soi-même du fait qu’ils ont des expériences subjectives et deuxièmement, elle implique d’en venir à prendre conscience que, comme les autres, le moi a un corps physique. À cette question fondamentale s’ajoutent des questions sur la nature du développement. Par exemple, existe-t-il des concepts sociaux de base, fondamentaux, tels que l’intentionnalité, qui régissent la façon dont les nourrissons comprennent les autres personnes et ce depuis très tôt dans leur petite enfance,2 ou les concepts au sujet de la nature des personnes s’acquièrent-ils de façon graduelle, fondés sur la base des renseignements obtenus sur la « deuxième personne » grâce aux interactions avec les autres au cours de leur petite enfance?3,4

Résultats récents de la recherche

Il est bien connu que les nourrissons commencent leur vie en s’intéressant et en préférant les stimulations sociales.5 Les voix et les visages humains sont les outils les plus efficaces pour capter l’attention d’un jeune nourrisson. À l’âge de deux ou trois mois, les nourrissons sont capables de participer à des interactions sociales simples avec les autres, au moyen desquelles ils peuvent coordonner leurs gestes, leurs vocalisations et leurs expressions faciales avec les autres.6 Pendant la deuxième moitié de leur première année, les nourrissons commencent à s’intéresser à des activités conjointes ou partagées avec des objets tels que des jouets.6  À ce stade, le nourrisson commence à interagir avec les objets de son environnement de manière sélective, et cette expérience facilite sa capacité de prédiction des gestes des autres.7 Ils peuvent participer à des jeux simples où chacun joue à tour de rôle; ils peuvent suivre ainsi qu’attirer l’attention des autres; ils peuvent acquérir des orientations émotionnelles envers des objets en se fondant sur les émotions que d’autres expriment; ils forment des évaluations sociales fondées sur les actions des autres;8 ils peuvent apprendre de nouvelles façons de s’intéresser aux objets en imitant les autres. Ces genres de comportements indiquent que les nourrissons deviennent sensibles aux états psychologiques des autres, même si au début, cette compréhension n’est manifeste que dans des situations où il leur est possible de partager de tels états psychologiques avec les autres.9 Au cours de leur deuxième année, les nourrissons deviennent aptes à reconnaître que les autres peuvent éprouver des états psychologiques différents des leurs et créent des prédictions sur le type de comportement que les autres adopteront en fonction de cette base, par exemple, ils peuvent comprendre que quelqu’un d’autre puisse ne pas voir quelque chose qu’eux-mêmes peuvent voir ou que quelqu’un d’autre puisse ressentir quelque chose qu’eux-mêmes ne peuvent pas ressentir. En même temps, les nourrissons démontrent clairement qu’ils ont conscience d’eux-mêmes, par exemple par le fait qu’ils se reconnaissent dans un miroir.10 Ces développements provoquent de profonds changements dans leur comportement social. Le plus remarquable est qu’ils commencent à présenter un comportement pro-social et empathique envers les autres11 et qu’ils deviennent aptes à coopérer avec12 les autres et à apprendre de façon plus efficace des autres.13 Ces comportements sont de plus en plus dictés par la compréhension sociale qui se déploie au-delà des signaux relatifs aux actions, au fur et à mesure que le nourrisson sélectionne des réponses prosociales appropriées sur la base de l’objectif d’un partenaire et imite les actions ciblées des autres.14,15 En même temps, les nourrissons deviennent de plus en plus autonomes, compétents et désireux d’exprimer et d’exercer leur indépendance.1 Toutes ces découvertes révèlent le développement progressif de la cognition sociale au cours de la petite enfance même avant l’établissement du langage.

Lacunes de la recherche

Bien qu’actuellement nous en sachions beaucoup sur les progrès réalisés par les nourrissons concernant leur compréhension des autres et leur prise de conscience d’eux-mêmes, nous en savons relativement peu sur le passage d'une étape de développement à l’autre. Pourquoi les nourrissons commencent-ils à être aptes à interagir socialement de façon structurée vers l’âge de deux à trois mois? Pourquoi sont-ils aptes à s’intéresser à des activités conjointes centrées sur un objet vers l’âge de neuf mois? Et qu'est-ce qui enclenche, entre 18 et 24 mois, l'apparition de la conscience de soi et la conscience que les autres peuvent être dans des états psychologiques différents? Nous avons de bonnes raisons de croire que la stimulation sociale de forme fiable joue un rôle important dans ces développements. Cependant, d’autres changements qui dépendent plus de la maturation du cerveau, tels que des modifications de l’organisation cérébrale et de la complexité cognitive, paraissent également importants.

Implications pour les parents, les services et les politiques

Depuis quasi leur naissance, les nourrissons sont très sensibles au comportement des autres personnes et éprouvent un grand besoin d’attention sociale très tôt dans la vie. Le type et la complexité de l’attention sociale qu’ils recherchent changent au fur et à mesure qu’ils se développent, ainsi l’attention face à face peut leur suffire au début mais à la fin de leur première année, les nourrissons veulent jouer avec des objets et avec d’autres personnes et participer à diverses activités conjointes. À ce stade, ils sont aptes à apprendre de nouveaux comportements en imitant les autres et le raffinement de cet apprentissage connaît une expansion rapide au cours de la deuxième année de leur vie. Les nourrissons sont, de ce fait, lancés dans ce qui deviendra une carrière à vie d’apprentissage social et d’activités coopératives. Le développement de la cognition sociale au cours de la petite enfance dépend d’une interaction sociale régulière et fiable assortie au stade développemental du nourrisson. Face à une demande d’attention croissante envers les parents sous forme de médias numériques, il est donc crucial que des activités conjointes cohérentes (p. ex., jouer à des jeux) menées avec des donneurs de soins attentifs soutiennent le développement social au cours des deux premières années.

Références

  1. Moore C. The development of commonsense psychology. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates: 2006.
  2. Carey S. The origin of concepts. New York, NY: Oxford University Press: 2009.
  3. Moore C. Representing intentional relations and acting intentionally in infancy: Current insights and open questions. In: Knoblich G, Thornton I, Grosjean M, Shiffrar M, eds. Human body perception from the inside out. New York, NY: Oxford University Press. 2006: 427-442.
  4. Moore C, Barresi J. The role of second-person information in the development of social understanding. Frontiers in Psychology 2017;8:1667. doi:10.3389/fpsyg.2017.01667
  5. Rochat P. The infant’s world. Cambridge, MA: Harvard University Press: 2001.
  6. Reddy V. How infants know minds. Cambridge, MA: Harvard University Press: 2008.
  7. Sommerville JA, Woodward AL, Needham A. Action experience alters 3-month-old infants' perception of others' actions. Cognition 2005;96(1):B1-B11.
  8. Hamlin JK, Wynn K, Bloom P. Social evaluation by preverbal infants. Nature 2007;450(7169):557-559.
  9. Moll H, Tomasello M. How 14- and 18-month-olds know what others have experienced. Developmental Psychology 2007;43:309-317.
  10. Brownell CA, Zerwas S, Ramani GB. “So big”: The development of body self-awareness in toddlers. Child Development 2007;78(5):1426-1440.
  11. Warneken F, Tomasello M. Varieties of altruism in children and chimpanzees. Trends in Cognitive Science 2009;13:397-402.
  12. Warneken F, Tomasello M. Helping and cooperation at 14 months of age. Infancy 2007;11(3):271–294.
  13. Herold K, Akhtar N. Imitative learning from a third-party interaction: Relations with self-recognition and perspective-taking. Journal of Experimental Child Psychology 2008;101:114-123.
  14. Buttelmann D, Carpenter M, Tomasello M. Eighteen-month-old infants show false belief understanding in an active helping paradigm. Cognition 2009;112(2):337–342. doi:10.1016/j.cognition.2009.05.006
  15. Meltzoff AN. Understanding the intentions of others: Re-enactment of intended acts by 18-month-old children. Developmental Psychology 1995;31(5):838–850. doi:10.1037/0012-1649.31.5.838

Note:

Texte financé par l'Alberta Centre for Child, Family & Community Research

Pour citer cet article :

Moore C, Corbit J. Cognition sociale dans la prime enfance. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Zelazo PD, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/cognition-sociale/selon-experts/cognition-sociale-dans-la-prime-enfance. Actualisé : Décembre 2019. Consulté le 19 avril 2024.

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