Cognition sociale : commentaires sur Hughes et Lecce


Oregon State University, États-Unis

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Introduction

Dans leur article, Hughes et Lecce1 se concentrent sur la cognition sociale en bas âge, laquelle englobe la théorie de l’esprit (c.-à-d. la conscience que ses propres pensées et sentiments peuvent être différents de ceux des autres), la compréhension des émotions et les habiletés sociales. L’article contribue aussi à la recherche dans le domaine en mettant l’accent sur les politiques et l’intervention. Les auteurs examinent les études qui montrent qu’une piètre cognition sociale a été associée à plusieurs déficiences et troubles chez l’enfant, comme l’autisme ou un trouble du langage ou de comportement. Les travaux réalisés sur la question ont mené à la création de nombreux programmes axés sur les compétences d’ordre social et émotif. La cognition sociale chez l’enfant se développe principalement pendant les années préscolaires et forme une partie des assises de la réussite scolaire, ce qui fait de cette période un moment critique pour l’élaboration et la réalisation d’une intervention.

Recherche et conclusions

Hughes et Lecce1 présentent les principales questions que les décideurs politiques doivent aborder dans le domaine de la cognition sociale, notamment les suivantes : déterminer les étapes clés du développement et les facteurs qui permettent de prédire le développement de l’enfant, et concevoir des interventions efficaces. La recherche sur la cognition sociale est tout à fait opportune car elle intéresse aussi bien les intervenants que les éducateurs. Comme le font remarquer Hughes et Lecce,1 il existe des différences stables entre les enfants sur le plan de la cognition sociale, mais cette dernière est elle-même assujettie au changement développemental. Tandis que les compétences des nourrissons en matière de compréhension sociale sont implicites, celles des enfants d’âge préscolaire sont plus explicites.2,3 En outre, il est possible de prédire les habiletés sociales de l’enfant d’âge préscolaire en considérant le développement de la théorie de l’esprit en bas âge.3 En d’autres mots, la capacité de l’enfant à s’entendre avec autrui dépend de sa capacité à prendre la perspective des autres. Par exemple, pour être capable de partager, l’enfant doit comprendre qu’un autre enfant peut vouloir jouer avec le camion rouge avec lequel il ou elle est en train de jouer.

Hughes et Lecce1 abordent aussi des facteurs importants liés à la cognition sociale, notamment ceux qui sont propres à l’enfant et ceux qui se rapportent à la famille. Comme elles l’expliquent, les différences entre les enfants en matière de cognition sociale sont importantes dans le contexte de l’intervention et dépendent, entre autres, de facteurs propres à l’enfant et de facteurs familiaux.4-6 Parmi les facteurs propres à l’enfant, les auteurs mentionnent la maîtrise de ses impulsions et la capacité de planifier, qui sont des aspects des fonctions exécutives en bas âge. Les fonctions exécutives aident l’enfant à gérer ses pensées, ses sentiments et son comportement avec souplesse et constituent un important facteur de prédiction de la cognition sociale. Par exemple, il faut être capable de contrôler son comportement et de gérer ses émotions pour prendre la perspective des autres et bien s’entendre avec ceux qui nous entourent. En outre, comme l’indiquent Hughes et Lecce,1 il est essentiel de se pencher sur les différences entre les garçons et les filles sur le plan de la cognition sociale, les travaux de recherche révélant que les filles sont meilleures au chapitre des habiletés du langage et des fonctions exécutives, deux éléments liés à la cognition sociale.

Il importe aussi de souligner que, tout comme la cognition sociale, les fonctions exécutives sont liées à des facteurs familiaux comme l’éducation donnée par les parents.7 Par exemple, si les parents guident convenablement leur enfant durant des activités, il y a de fortes chances que celui-ci sache maîtriser ses impulsions, gérer ses émotions et acquérir une bonne cognition sociale, tandis que l’enfant qui ne sait pas se contrôler est plus vulnérable à l’instabilité et au chaos.7 De plus, le comportement de la mère, comme sa sensibilité et son soutien de l’autonomie, aide l’enfant à développer sa cognition sociale et ses fonctions exécutives. Une étude récente conclut que la sensibilité de la mère, sa capacité à penser que l’enfant a des états d’esprit et son soutien de l’autonomie sont associés aux fonctions exécutives des jeunes enfants, le soutien de l’autonomie étant l’indice le plus important8. En d’autres mots, les parents qui donnent à leur enfant l’occasion d’être indépendant ont plus de chances de lui faire acquérir des fonctions exécutives solides, qui sont aussi importantes pour la cognition sociale.

En plus des travaux passés en revue par Hughes et Lecce,1 les prochaines études pourraient mettre l’accent sur la découverte des voies précises menant à l’acquisition d’une solide cognition sociale chez les enfants. Par exemple, même si un lien étroit a été établi entre la cognition sociale et le développement du langage,3 la relation entre la cognition sociale et les fonctions exécutives et des réalisations comme la réussite scolaire n’est pas aussi évidente. Des études récentes ont cependant commencé à élucider certaines de ces voies. Par exemple, Blair et Razza9 ont montré que mieux l’enfant comprend que la réalité peut être perçue de différentes façons (un aspect de la cognition sociale), plus il a de chances de réussir au primaire et de posséder des habiletés de fonctions exécutives. Des recherches commencent aussi à clarifier la complexité des liens entre ces différents éléments. Une étude a fait ressortir que le degré de connaissance des émotions de l’enfant (un autre aspect de la cognition sociale) permet de prédire son rendement scolaire, y compris ses aptitudes en mathématiques et en alphabétisation, ainsi que sa motivation.10 En outre, les aptitudes langagières de l’enfant permettent de prédire sa connaissance des émotions, qui, elle, permet de prédire son rendement scolaire. En d’autres mots, plus l’enfant peut communiquer efficacement avec les autres, plus il ou elle est capable de bien gérer ses émotions, ce qui lui promet un bon rendement scolaire. De plus, comme le font remarquer Hughes et Lecce,1 l’enfant qui a une bonne cognition sociale est plus apte à orienter son attention et son comportement vers des activités d’apprentissage et à réussir à l’école.9 Pour que des interventions efficaces puissent être élaborées, cependant, d’autres recherches devront permettre de découvrir les voies précises qui conduisent à une bonne cognition sociale chez les jeunes enfants.

La recherche qui met l’accent sur les mécanismes clés et les relations complexes est particulièrement importante, car l’efficacité de l’intervention varie souvent en fonction des facteurs définis par Hughes et Lecce,1 soit, entre autres, la population ciblée, la durée de l’intervention et l’accès à des programmes de stimulation subséquents. L’efficacité des interventions varie aussi en fonction du groupe d’enfants. Par exemple, de plus en plus d’études montrent que les enfants qui grandissent dans un milieu à risque sont plus susceptibles que les autres d’éprouver des difficultés sur le plan de la cognition sociale et des fonctions exécutives.11 Par contre, une solide cognition sociale et de bonnes fonctions exécutives peuvent aussi jouer un rôle compensatoire chez ces enfants.12 En général, les idées que nous exprimons reprennent les propos de Hughes et Lecce1 et soulignent l’importance de préciser les voies conduisant à différents résultats.

Implications : développement et politiques

Les conclusions des études passées en revue par Hughes et Lecce1 ont des implications pour les familles, les fournisseurs de services et les décideurs politiques. Pour les familles, des interactions positives et un environnement d’apprentissage de qualité à la maison favorisent une solide cognition sociale. Par exemple, les parents qui font preuve de compétences d’ordre social et émotif adéquates dans leurs conversations et leurs interactions avec leur enfant contribuent au développement de la cognition sociale chez ce dernier.13 La cognition sociale est également renforcée par les relations avec les pairs, même si celles-ci sont complexes et transactionnelles. Par exemple, les enfants qui possèdent une solide cognition sociale ont souvent des relations plus positives avec leurs pairs, et les interactions positives avec les pairs conduisent à une solide cognition sociale. Les parents peuvent favoriser les relations positives avec les pairs en aidant leur enfant à adopter des comportements sociaux appropriés.

Pour les fournisseurs de services directs, les travaux de recherche peuvent être utilisés pour élaborer les mesures d’intervention auprès des jeunes enfants et en accroître l’efficacité. Hughes et Lecce1 indiquent que différents degrés de cognition sociale peuvent être observés dans une classe et que les fournisseurs de services doivent être capables de déceler les enfants dont la cognition sociale est faible afin de pouvoir les aider en classe. Les fournisseurs de services peuvent aussi s’appuyer sur la recherche portant sur des voies d’influence précises pour élaborer et améliorer leurs interventions. Par exemple, selon les études réalisées, l’enfant qui a de la difficulté à communiquer peut aussi présenter des fonctions exécutives limitées et une cognition sociale faible, ce qui pourrait avoir des répercussions négatives sur sa motivation et sa réussite scolaire.3,9 Ainsi, en plus de suivre les recommandations de Hughes et Lecce,1 les fournisseurs de services qui conçoivent des interventions visant à améliorer le rendement scolaire peuvent aussi vouloir tenir compte de ces facteurs.

Hughes et Lecce1 formulent également plusieurs recommandations spécialement pour les décideurs politiques, à qui ils proposent notamment des initiatives éducatives et familiales à multiples facettes ainsi que des politiques à l’intention des cliniciens. La complexité des liens entre la cognition sociale et le développement de l’enfant mérite elle aussi qu’on y porte attention dans l’élaboration de politiques. Par exemple, des interventions pourraient être particulièrement bénéfiques pour certains groupes d’enfants (entre autres, les enfants exposés à un risque cumulatif, comme un faible statut socioéconomique, une famille monoparentale ou un chaos familial). En outre, une solide cognition sociale peut constituer un facteur de protection pour les enfants à risque. Les programmes et les politiques d’intervention seront sans doute le plus efficaces lorsque les chercheurs, les fournisseurs de services, les intervenants et les décideurs politiques travailleront de concert pour favoriser le développement sain des jeunes enfants.

Références :

  1. Hughes C, Lecce S. Early Social Cognition. In: Tremblay RE, Barr RG, Peters RDev, Boivin M, eds. Encyclopedia on Early Childhood Development [online]. Montreal, Quebec: Centre of Excellence for Early Childhood Development; 2010: 1-6. Available at: http://www.child-encyclopedia.com/pages/PDF/Hughes-LecceANGxp.pdf. Accessed August 10, 2010.
  2. Astington JW, Hughes C. Theory of Mind: Self-reflection and Social Understanding. In: Zelazo PD, ed. Oxford Handbook of Developmental Psychology. Oxford University Press. In press.
  3. Hughes C, Marks A, Ensor R. More than one way from A to B? From preschoolers’ false-belief understanding to school-children’s mental state talk with friends. Journal of Experimental Child Psychology. In press.
  4. Hughes C, Ensor R. Executive function and theory of mind: Predictive relations from ages 2-4. Developmental Psychology 2007;43:1447-1459.
  5. Hughes C. Social understanding and social lives: From toddler-hood through the transition to school. Hove, UK: Psychology Press. In press.
  6. McAlister A, Peterson C. A longitudinal study of siblings and theory of mind development. Cognitive Development 2007;22:258-270.
  7. Hughes C, Ensor R. How do families help or hinder the emergence of early executive function? New Direction for Child and Adolescent Development 2009;123:35-50.
  8. Bernier A, Carlson SM, Whipple N. From external regulation to self-regulation: Early parenting precursors of young children’s executive functioning. Child Development 2010;81:326-339.
  9. Blair C, Razza RP. Relating effortful control, executive function, and false belief understanding to emerging math and literacy ability in kindergarten. Child Development 2007;78:647-663.
  10. Izard CE, Fine, SE Schultz D, Mostow AJ, Ackerman BP, Youngstrom E. Emotion knowledge as a predictor of social behavior and academic competence in children at risk. Psychological Science 2001;12:18-23.
  11. Sektnan M, McClelland MM, Acock AC, Morrison, FJ. Relations between early family risk, children’s behavioral regulation, and academic achievement. Early Childhood Research Quarterly. In press.
  12. Obradovic J. Effortful control and adaptive functioning of homeless children: Variable-focused and person-focused analyses. Journal of Applied Developmental Psychology 2010;31(2):109-117.
  13. Maccoby EE. The role of parents in the socialization of children: An historical overview. Developmental Psychology 1992;28:1006-1017.

Pour citer cet article :

McClelland MM, Schmitt SA. Cognition sociale : commentaires sur Hughes et Lecce. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Zelazo PD, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/cognition-sociale/selon-experts/cognition-sociale-commentaires-sur-hughes-et-lecce. Publié : Décembre 2010. Consulté le 26 avril 2024.

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