Traitement de l’anxiété et de la dépression cliniques pendant la petite enfance
Sam Cartwright-Hatton, D.Phil; Clin.Psy.D.
School of Psychology, University of Sussex, Royaume-Uni
Introduction
Nous en savons relativement peu sur l’anxiété et la dépression pendant la petite enfance et les options de diagnostic et de traitement pour ces deux troubles sont limitées à cette période de la vie. Cependant, l’intérêt envers ce domaine de recherche est croissant.
Sujet
Il est de plus en plus reconnu que les jeunes enfants manifestent des symptômes d’anxiété et de dépression et que ces symptômes peuvent atteindre un niveau de sévérité clinique. Cependant, la recherche sur ces troubles chez les jeunes enfants a pris un retard considérable par rapport à celle menée auprès d’enfants plus âgés et d’adolescents.
Problèmes et contexte de la recherche
Bien que les symptômes d’anxiété et de dépression soient communs chez les jeunes enfants, très peu d’options de traitement sont destinées spécifiquement à ce groupe d’âge. Les essais d’intervention qui ont inclus des jeunes enfants ont souvent inclus également des enfants beaucoup plus âgés et n’ont pas rapporté les résultats séparément pour les différents groupes d’âge. En conséquence, les traitements qui semblent en apparence appropriés pour les enfants plus jeunes pourraient en réalité ne pas l’être.
La question de savoir si nous devons traiter les jeunes enfants qui présentent des symptômes d’anxiété ou de dépression n’est pas non plus résolue. Chez les enfants plus âgés, il semble y avoir un certain degré de continuité (tout de même modéré) des symptômes à l’adolescence et à l’âge adulte,1,2 mais nous ne savons tout simplement pas si c’est aussi le cas pour les enfants plus jeunes. Bien que ce soit peu probable, il est possible que les symptômes des enfants plus jeunes diminuent avec le temps et que le traitement de cette clientèle constitue donc un fardeau non nécessaire. De façon similaire, bien que l’anxiété et la dépression précoces soient associées à d’autres difficultés, notamment dans les domaines du rendement scolaire et du fonctionnement interpersonnel,3 on ignore si ces autres difficultés constituent la cause ou la conséquence des problèmes de santé mentale de l’enfant et si elles peuvent être atténuées avec un traitement efficace.
Questions clés de la recherche
- Devrait-on traiter les symptômes d’anxiété et de dépression chez les jeunes enfants?
- Comment devrait-on traiter l’anxiété et la dépression chez les jeunes enfants?
Résultats récents de la recherche
On sait que certains styles de tempérament chez les enfants sont associés à un risque accru de problèmes de santé mentale ultérieurs, mais nous en savons très peu sur la validité prédictive des symptômes précoces d’anxiété et de dépression. À cette incertitude s’ajoute le fait qu’il peut être difficile, tôt dans la vie, de distinguer les caractéristiques d’un tempérament sain mais inhibé des symptômes de difficultés émotionnelles ou d’anxiété; en réalité, les frontières entre les deux sont très floues. Par exemple, une forte timidité peut faire partie de la personnalité d’un enfant en santé ou constituer le symptôme d’un trouble d’anxiété sociale naissant. Ainsi, bien que nous puissions souhaiter traiter un enfant souffrant d’un trouble anxieux, il serait inapproprié d’attribuer une étiquette pathologique à un tempérament naturellement silencieux. Il faut faire preuve de sensibilité dans l’administration d’interventions précoces.
Approches basées sur la thérapie cognitive comportementale
Initialement, les chercheurs ont tenté d’adapter aux enfants les traitements de l’anxiété et de la dépression destinés aux adultes, en particulier la thérapie cognitive comportementale (TCC).4 Cette TCC adaptée a surtout visé à enseigner aux enfants à reconnaître et confronter leurs pensées problématiques et a été axée sur l’utilisation de techniques comme l’exposition et l’activation comportementale, empruntées à la recherche menée auprès des adultes puis modifiées. Les études à ce sujet ont généralement obtenu des résultats assez positifs,5,6 les interventions menées permettant à environ 50 à 60 % des enfants, en moyenne, de se libérer du trouble initialement diagnostiqué. Cependant, l’âge des enfants admis variait généralement beaucoup au sein de chaque étude et, étant donné la taille limitée des échantillons, il n’a pas été possible d’évaluer plus spécifiquement l’impact des interventions sur les enfants plus jeunes. Dans le cas de la dépression, les études n’ont généralement pas inclus d’enfants de moins de neuf ans. Cependant, certains résultats de la littérature sur l’anxiété donnent à penser que, lorsqu’elles sont appliquées avec sensibilité, les approches de TCC classiques pourraient être efficaces chez les enfants dès l’âge de six ans7,8 et même, lorsqu’elles sont adaptées davantage dans une optique de thérapie par le jeu, dès l’âge de quatre ans.9
Approches basées sur le parentage
Une seconde approche, particulièrement utilisée dans la recherche sur l’anxiété, a été de travailler avec les parents des jeunes enfants affectés pour leur permettre d’appliquer le style de parentage qui convient le mieux au tempérament de leur enfant. Par exemple, une intervention de ce type, ciblant les symptômes d’anxiété chez les enfants d’âge préscolaire ayant un tempérament inhibé, a amené une réduction du nombre de diagnostics de troubles anxieux chez les participants.10 Une autre approche basée sur le parentage est la Parent Child Interaction Therapy (PCIT ou Thérapie sur les interactions entre parents et enfants), une thérapie par le jeu impliquant les parents et les enfants, appuyée sur des théories du comportement et de l’apprentissage social, qui semble prometteuse pour le traitement de l’anxiété chez les jeunes enfants.11 De manière similaire, une intervention de parentage cognitivo-comportementale destinée uniquement aux parents et offerte en groupe, visant à offrir aux jeunes enfants anxieux un parentage chaleureux, calme, cohérent et prévisible, a généré une réduction significative des diagnostics de troubles anxieux dans le groupe traité comparativement au groupe n’ayant pas reçu l’intervention.12 Ces approches basées sur le parentage ont généralement été empruntées pour traiter les plus jeunes enfants.
En pratique, les approches basées sur le parentage et celles basées sur la TCC se chevauchent : les interventions basées sur le parentage entraînent généralement les parents avec des techniques d’exposition provenant de la TCC et la plupart des interventions en TCC impliquent les parents dans une certaine mesure, en leur enseignant des habiletés de base de gestion de l’anxiété ou du comportement. Cependant, malgré les résultats démontrant le fort risque de dysfonctionnement familial dans les familles d’enfants dépressifs, peu d’approches de traitement de la dépression impliquant la famille ont été développées pour les jeunes enfants.
Médication
La médication contre l’anxiété et la dépression est généralement recommandée en dernier recours pour les jeunes enfants. La recherche a montré que les médicaments ont une certaine efficacité dès l’âge de six ans chez les enfants dépressifs, mais des préoccupations quant à l’innocuité de ces médicaments ont mené certaines autorités de régulation nationale à restreindre ou interdire l’utilisation des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) chez les enfants.13
Contrairement aux traitements destinés aux adultes et, parfois, aux adolescents, les traitements médicamenteux destinés aux jeunes enfants ont tendance à être assez génériques, visant à traiter tous les types d’anxiété ou de dépression plutôt que d’être spécifiques aux sous-catégories cliniques de ces troubles. Cette situation est probablement appropriée, étant donné notre compréhension limitée de la validité des différentes catégories diagnostiques chez les jeunes enfants.
Lacunes de la recherche
Les recherches dans ce domaine ayant été peu nombreuses, il existe plusieurs lacunes importantes. Il est urgent d’examiner davantage si les symptômes d’anxiété et de dépression chez les jeunes enfants permettent de prédire de futurs problèmes de santé mentale et, le cas échéant, de déterminer à quel stade nous devrions tenter d’intervenir. En particulier, nous devons déterminer quand un tempérament tranquille normal, qui devrait être apprécié et encouragé, devient une condition clinique incapacitante. Si l’on souhaite intervenir auprès des jeunes enfants, nous devons déterminer quelle approche fonctionne le mieux dans ce groupe d’âge. À cette fin, la contribution des spécialistes du développement cognitif est susceptible d’être fort utile, pour orienter les thérapeutes vers les caractéristiques du processus développemental normal qui ont mal tourné chez les enfants affectés et les aider à développer les techniques de thérapie les plus appropriées à chaque stade développemental.
Toutes les approches psychologiques prometteuses de traitement des jeunes enfants décrites ci-dessus, à l’exception de la TCC classique, n’ont jusqu’à présent fait l’objet que d’un seul essai de faible envergure, dans lequel le groupe recevant l’intervention était comparé à un groupe témoin ne recevant aucun traitement. D’autres groupes de recherche devraient mener des études plus larges sur ces interventions, en employant des conditions placebos et, idéalement, d’autres conditions de traitement actif.
Il sera aussi nécessaire de mener considérablement plus de recherches sur le traitement de la dépression chez les jeunes enfants, car, actuellement, aucune intervention pour ce trouble n’a été testée auprès d’enfants de moins de neuf ans.
Conclusions et implications
Beaucoup de recherches sont encore nécessaires pour comprendre l’anxiété et la dépression chez les jeunes enfants. Même lorsque les enfants anxieux ou dépressifs sont repérés, plusieurs d’entre eux ne reçoivent pas de traitement efficace. Nous progressons dans notre compréhension des causes de ces troubles et des facteurs contextuels qui les influencent, mais les options de traitement fondées empiriquement pour les jeunes patients sont très limitées. La recherche sur les traitements de l’anxiété et de la dépression pendant l’enfance semble avoir pris du retard par rapport à la recherche fondamentale sur ces troubles et, plutôt que d’être basée sur notre compréhension récemment acquise de leur développement, elle a surtout développé des versions adaptées de traitements pour adultes, comme la TCC. Bien qu’il existe des résultats (modestes) attestant de l’utilité de ces traitements chez les enfants plus âgés et les adolescents, la recherche n’a pas vraiment été axée sur les jeunes enfants et il y a décidément place à amélioration de ce côté. Plus particulièrement, les facteurs contextuels (effondrement familial, santé mentale des parents, facteurs sociaux et éducatifs), dont on a pourtant montré le rôle critique dans le développement de la dépression, n’ont généralement pas été mis au cœur des traitements disponibles dans la littérature scientifique sur ce trouble.
Bien que ce ne soit pas encore clairement démontré, il semble très probable que des symptômes importants d’anxiété et de dépression à un jeune âge soient prédictifs de futurs troubles psychologiques et du bien-être social, académique, professionnel et physique ultérieur. En conséquence, il est aussi probable que des stratégies de dépistage et de traitement efficaces pendant la petite enfance aient des bénéfices substantiels, non seulement pour l’individu, mais aussi à l’échelle économique et sociétale; il vaut donc la peine d’investir dans ces stratégies. Vraisemblablement, les approches les plus efficaces impliqueront les parents, les cliniciens et les services de garde et d’éducation de la petite enfance, qui travailleront en partenariat pour offrir à l’enfant un environnement optimal qui lui soit le plus favorable possible.
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Pour citer cet article :
Cartwright-Hatton S. Traitement de l’anxiété et de la dépression cliniques pendant la petite enfance. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Rapee RM, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/anxiete-et-depression/selon-experts/traitement-de-lanxiete-et-de-la-depression-cliniques-pendant-la. Publié : Mars 2013. Consulté le 9 novembre 2024.
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