Soutenir l’allaitement/le développement social et affectif des jeunes enfants


University of Rochester School of Medicine, États-Unis
, 2e éd.

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Introduction

Les enfants sont faits pour être allaités. C’est le slogan de la dernière campagne universelle récemment parue visant à promouvoir l’allaitement. L’allaitement est la meilleure alimentation pour tous les bébés à cause des propriétés uniques du lait maternel.1 C’est plus qu’une bonne alimentation2 puisqu’il offre une protection immunologique,3 contre les infections,3 contre les allergies, mais son impact le plus notable concerne le développement physique et mental.4 L’allaitement se traduit par une réduction de l’incidence des infections courantes comme la diarrhée, l’otite moyenne et la pneumonie.5 Il est associé à une diminution de l’incidence du diabète juvénile, de maladie cœliaque, de maladie de Crohn et de certaines malignités infantiles.6 Des travaux plus récents suggèrent que les bébés allaités sont moins obèses pendant la petite enfance et l’enfance.7 Les mères qui allaitent ont un meilleur rétablissement post-partum et une plus faible incidence de cancer du sein et des ovaires, d’ostéoporose et d’obésité.8

Le processus même de l’allaitement procure une proximité et une intimité entre la mère et le nourrisson qui améliorent les liens entre eux.9 L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), la World Alliance for Breastfeeding Action (WABA), et les sociétés professionnelles de pédiatres,10 d’obstétriciens et de médecins de famille ainsi que l’Institute of Medecine (IOM)11 prônent tous l’allaitement maternel exclusif pendant six mois. Ils recommandent aussi de continuer d’allaiter en ajoutant des aliments de sevrage pendant les six mois suivants, et ensuite aussi longtemps que l’enfant et la mère le désirent.12

Sujet

L’allaitement joue un rôle important dans le développement social et affectif de l’enfant. Il y a plus de 40 ans, Niles Newton a publié les premières observations sur la différence entre les enfants âgés de trois ans qui avaient été allaités pendant plus de six mois et ceux qui avaient été nourris au biberon depuis la naissance.13 Les enfants allaités étaient plus extravertis, plus à l’aise socialement et plus avancés aux échelles développementales. Les mères ont été appareillées par âge, parité, éducation et statut social. Les études subséquentes effectuées par plusieurs chercheurs ont  démontré que l’allaitement avait aussi un effet sur le développement intellectuel.14-22

Problèmes

Étant donné les énormes avantages de l’allaitement pour le bébé et pour la mère, pourquoi les mères ne choisissent-elles pas d’allaiter, ou pourquoi cessent-elles de le faire avant les objectifs recommandés de six mois d’allaitement exclusif et d’au moins six mois d’allaitement supplémentaire? L’explication courante est la nécessité de retourner travailler ou d’effectuer une autre activité en dehors de la maison, comme par exemple les études.

Contexte de la recherche

Il est difficile d’étudier les comportements ou les résultats de l’allaitement parce qu’il n’est pas possible d’attribuer aléatoirement les mères et les bébés à des groupes de traitement ou à des groupes témoins, ou de contrôler la durée du processus. La définition même du processus est très importante pour tout format d’étude sur l’allaitement. Plusieurs études qui se penchent sur les problèmes de santé ont par exemple inclus des bébés ayant été allaités pendant quelques jours ou quelques semaines dans la même catégorie que des bébés allaités exclusivement pendant six mois, diluant ainsi l’impact mesurable. Par allaitement, nous entendons un allaitement exclusif sans aucun autre fluide ou aliment pendant les premiers six mois L’allaitement partiel est principalement de l’allaitement, mais avec l’ajout occasionnel de biberon de préparations commerciales pour nourrissons, d’eau, de jus ou de tisanes. D’autres bébés sont en partie allaités, en partie nourris avec des préparations commerciales pour nourrissons, et d’autres encore reçoivent plus de préparations commerciales pour nourrissons que de lait maternel. On a établi ces définitions aux fins de recherche.23

Les recherches épidémiologiques sur de grands groupes d’enfants allaités comparés à un groupe d’enfants nourris au biberon sont un modèle appliqué aux études qui tentent de mesurer les résultats développementaux des nourrissons. Les variables démographiques sont essentielles pour l’interprétation des résultats, par exemple l’âge de la mère, la parité (la condition associée au nombre d’enfants vivants mis au monde par une femme), la race, le statut socio-économique et l’éducation. Les résultats ont principalement mesuré la maladie ou le développement intellectuel comme critère d’évaluation. D’autres questions d’égale importance sont l’adaptation sociale, les relations interpersonnelles et la maturation sociale.

Newton décrit l’interaction mère-enfant lors de l’allaitement non restreint.13 Le sein sert non seulement à assouvir la faim, mais aussi à apaiser tout type d’inconfort et de peurs. La bouche ― le contact du mamelon et du corps répond aux signaux de détresse. Chez l’enfant plus âgé, tout le corps réagit à l’allaitement. Dans les études sur les animaux, le fait d’effectuer une rotation des chiots de mère en mère a causé des augmentations significatives d’émotivité et de détresse.24

Questions pour la recherche

Les questions clés ayant besoin de clarification sont l’impact de l’allaitement, non seulement en tant que jalon développemental, mais de développement psychologique, de maturité, d’assurance personnelle, d’affirmation et d’adaptations comportementales par rapport à l’impact de l’alimentation au biberon sur ces mêmes paramètres.

Les effets de l’allaitement sur les mères constituent aussi une question importante. Bien que l’on dise que les mères qui allaitent ne sont pas différentes, l’allaitement les rend physiquement et psychologiquement différentes à cause de la relation même qu’il entraîne.8,25,26

Récents résultats de recherche

On a démontré que l’allaitement exclusif pendant au moins quatre mois avait des effets positifs sur le développement intellectuel des enfants, même en contrôlant les variables démographiques, surtout le statut socio-économique et l’éducation de la mère.14-22 Les avantages alimentaires du lait humain ainsi que la relation mère-enfant fournissent la matrice grâce à laquelle l’enfant atteint sont plein potentiel intellectuel.

Contrairement à la croyance voulant que l’allaitement prolongé rende l’enfant très dépendant de sa mère, il le rend, en réalité, plus assuré et lui permet de croître socialement.27

Si l’on examine plus attentivement les recherches sur le développement intellectuel et l’acuité visuelle et auditive, on trouve quelques suggestions de maturité sociale ou de caractéristiques comportementales. Dans l’étude à grande portée, réalisée par Horwood, qui a suivi les enfants de la naissance jusqu’à l’âge de 18 ans ou jusqu’à la fin du secondaire, on a trouvé que plus les enfants étaient allaités longtemps, plus ils étaient coopératifs et meilleur était leur comportement social.17 Quand on a calculé le taux de décrochage, ce dernier était plus élevé chez les enfants nourris au biberon et moins élevé chez ceux qui avaient été allaités pendant huit mois ou plus, même quand on a normalisé les données en fonction des profils démographiques maternels.

Les chercheurs néo-zélandais ont décrit les dernières adaptations psychologiques en utilisant des mesures entre 15 et 18 ans.17 Ils ont soigneusement décrit les pratiques d’allaitement de 999 paires de mères et de nourrissons, de la naissance à un an. Ils ont évalué un échantillon d’enfants de 15 à 18 ans à l’aide d’une gamme de mesures psychologiques incluant les relations parent-enfant, la délinquance juvénile, la toxicomanie et la santé mentale. Les enfants allaités plus longtemps (plus de quatre mois) étaient plus susceptibles de rapporter des niveaux plus élevés d’attachement parental. Ils percevaient aussi leur mère comme plus aimante et moins surprotectrice que leurs pairs nourris au biberon. Les taux subséquents d’infractions juvéniles, de toxicomanie et de santé mentale ont été utilisés comme facteurs ainsi que l’âge maternel, l’éducation et le statut socio-économique. Les auteurs ont conclu que l’allaitement prolongé n’était pas associé aux risques de santé mentale, mais que l’allaitement pouvait se traduire par une relation plus intime entre les parents et les enfants.17 

Les doutes qui concernent la relation entre l’allaitement et le développement cognitif ont conduit à une méta analyse de 20 études. Après avoir normalisé les données selon 15 facteurs clés appropriés (y compris l’âge maternel, l’éducation, la race, l’ethnicité, le statut socio-économique, la taille de la famille et les expériences de l’enfance), on a trouvé que par rapport aux préparations commerciales pour nourrissons, l’allaitement était associé à des résultats significativement plus élevés au niveau du développement cognitif. Une différence de 3,16 points a été mesurée jusqu’à 15 ans.17 Une observation informelle des réactions à ces données a permis d’observer de la colère chez des mères qui clamaient que leur enfant nourri au biberon s’en était bien sorti, qu’il était allé au collège et aux écoles d’études supérieures. Il est important de noter qu’un enfant qui a un potentiel génétique de 150 de QI ne présentera probablement pas un déficit de 3,4. Un enfant au QI potentiel de 100 bénéficierait de ces 3,4 points. En d’autres mots, l’allaitement permet au nourrisson d’atteindre son plein potentiel.

Dans une étude sur une population homogène (même âge, statut socio-économique et éducation) où les mères bénéficiaient d’un environnement favorable et où la plupart des enfants étaient allaités, la durée de l’allaitement a clairement fait une différence en ce qui concerne le développement cognitif à 13 mois et à 5 ans. Plus la durée de l’allaitement était longue, plus les résultats développementaux étaient élevés.15

Bien qu’il n’existe aucune étude formelle, une recension de la documentation sur la violence envers les enfants indique que les femmes qui allaitent ne sont pas identifiées comme violentes envers les enfants. La question des méthodes employées pour nourrir l’enfant est un paramètre important quand on évalue le cas d’un enfant maltraité.

Conclusions

L’allaitement fait une différence pour le nourrisson en ce qui a trait à la nutrition, à la croissance et au développement, à la protection contre l’infection, l’allergie et certaines maladies chroniques. L’impact du lait maternel et le processus d’allaitement améliorent le développement intellectuel du nourrisson et la relation avec sa mère. Plus le nourrisson est allaité longtemps pendant sa première année de vie, plus son développement psychologique est avancé. Aucune donnée ne mesure les bienfaits de l’allaitement prolongé, bien que l’on sache que la protection immunologique continue tant que l’enfant est allaité.

Les bienfaits maternels de l’allaitement ont été établis en ce qui concerne un meilleur rétablissement post-partum et un risque moins élevé d’obésité à long terme, d’ostéoporose, de cancer du sein et des ovaires. L’impact sur les compétences et les attitudes de maternage n’a pas encore fait l’objet de recherches depuis les travaux de Newton et Newton en 1950-1960.13,24 La proximité physique de la mère et du nourrisson pendant l’allaitement permet le contact visuel et précipite le comportement caractéristique dans le processus de formation de liens affectifs tel que décrit par Klaus et Kennell.25 Le processus physiologique du réflexe d’éjection du lait quand le mamelon est stimulé libère l’oxytocine et la prolactine maternelles, ce qui améliore les comportements maternels chez toutes les espèces étudiées et dans la plupart des espèces, chez les mâles et les femelles.13

Implications

Les répercussions de l’allaitement sont importantes pour le nourrisson, la mère, l’autre parent, le système de santé et les coûts sociétaux encourus pour élever des enfants sains qui atteignent leur plein potentiel.28

Le conseil standard donné aux femmes devrait être d’allaiter exclusivement pendant six mois, de continuer à le faire pendant la même période tout en ajoutant des aliments de sevrage et ensuite aussi longtemps que la mère et le nourrisson le désirent. Ceci refléterait les recommandations de l’OMS, de l’UNICEF et la Innocenti Declaration.29 La politique nationale devrait suivre le code de marketing de l’OMS qui interdit la publicité de substituts au lait maternel à la télévision, à la radio ou sur des documents imprimés et qui prohibe toute distribution d’échantillons gratuits de préparations commerciales pour nourrissons.

Un des obstacles les plus difficiles pour les femmes est de continuer à allaiter une fois qu’elles quittent l’environnement de soutien de l’hôpital. Le système de santé doit fournir un système de soutien plus important, en commençant par des marraines d’allaitement expérimentées et bien formées pour soutenir les mères quand elles font face à des problèmes pendant les premières semaines. Le fait d’avoir un enfant change la vie, et la culture actuelle des villes modernes ne procure pas le réseau de soutien dont les mères ont besoin.

On ne sait pas tout de l’impact de l’allaitement sur la mère et sur le nourrisson. Les études ayant de bons devis modelés sur les premières observations et projections de Niles Newton13 apporteraient une plus grande compréhension du processus. Le parentage est influencé par l’allaitement, mais doit être envisagé en relation avec le comportement, de même qu’avec l’adaptation et la compréhension sociales du nourrisson.

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Pour citer cet article :

Lawrence RA. Soutenir l’allaitement/le développement social et affectif des jeunes enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/allaitement-maternel/selon-experts/soutenir-lallaitementle-developpement-social-et-affectif-des. Actualisé : Mars 2008. Consulté le 19 avril 2024.

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