[Archivé] Comportements alimentaires et impacts sur le développement psychosocial des enfants : commentaires sur Ramsay et Liu et Stein


University of Durham, Royaume-Uni

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Introduction

En dehors des contextes médicaux rares et spécialisés, les comportements alimentaires sont l’unique façon de répondre aux besoins nutritionnels d’un enfant. Le lien entre ces besoins et leur satisfaction par l’ingestion de nourriture peut être compromis si les besoins nutritionnels ne motivent pas le comportement (problèmes d’appétit faible ou anorexie), si les habiletés motrices nécessaires sont insuffisantes (problèmes de dysfonction orale motrice), si d’autres caractéristiques comportementales interfèrent avec l’ingestion alimentaire (par exemple la néophobie) ou si l’environnement social ou physique ne soutient pas l’ingestion d’aliments adéquats (problèmes d’approvisionnement alimentaire ou d’adéquation des soins).

Nous pouvons être raisonnablement certains que si la croissance pendant la petite enfance est négativement affectée par n’importe quel de ces problèmes, le développement cognitif le sera aussi.1 Mais nous avons évolué de façon à faire des provisions de ressources énergétiques pour affronter les problèmes de « disette et de famine » et l’ingestion énergétique ne se régule que faiblement.

Une seconde série de problèmes est associée au stockage excessif de graisses dans les communautés où la dépense énergétique est faible et où les aliments agréables au goût sont facilement disponibles; ceci est devenu une question urgente étant donné les tendances séculaires à l’augmentation de l’adiposité pendant l’enfance.

Ramsay se concentre sur la façon dont les caractéristiques du nourrisson provoquent ou influencent les comportements alimentaires, les interactions au moment du repas et la croissance. Elle insiste particulièrement sur la recherche récente impliquant le faible appétit des nourrissons dans l’étiologie des problèmes d’alimentation et de croissance. Liu et Stein couvrent une large gamme de sujets avant de s’intéresser principalement à l’obésité et à l’alimentation saine. Ensuite, les auteurs traitent de ces questions en profondeur.

Recherches et conclusions

Étant donné que les auteurs traitent de questions tellement variées, il est impossible de toutes les commenter. Je commencerai par émettre quelques réserves. Ramsay déclare que les difficultés alimentaires se traduisent souvent par une croissance et un développement faibles et que, selon les rapports de leurs parents, 25 à 28 % des nourrissons de moins de six mois, 24 % des enfants de deux ans et 18 % des enfants de quatre ans ont des problèmes alimentaires.

Ces chiffres me semblent surtout témoigner de l’extraordinaire anxiété des parents au sujet de l’alimentation et la croissance de leurs enfants, plutôt que de quelque problème généralisé touchant leur bien-être nutritionnel réel. Comme pour les problèmes de sommeil, ce qui est problématique pour les parents peut ne pas l’être pour les enfants. Dahl et ses collègues2,3 ont suivi un groupe d’enfants identifiés à la fois par les parents et par des infirmières d’un centre de santé infantile comme ayant des problèmes alimentaires qui duraient depuis au moins un mois et que l’aide principale apportée par le centre n’avait pas réussi à éliminer. En utilisant ce critère strict et raisonnablement objectif, on s’est aperçu que 1,4 % des nourrissons avaient des problèmes alimentaires et la croissance était affectée négativement uniquement chez ceux dont le problème était « un refus de s’alimenter » (0,8 %).

Liu et Stein traitent des données selon lesquelles l’allaitement protège contre le développement de l’obésité plus tard dans la vie et font mention d’une « relation dose-réponse » entre la durée de l’allaitement et un risque plus faible d’obésité. Le langage provient de la pharmacologie, mais il ne s’agit pas ici de pharmacologie, et ce dont nous avons besoin, c’est de faire très attention à l’ordre causal que l’on retrouve dans la meilleure réflexion épidémiologique, combiné à la reconnaissance du fait que les enfants ne sont pas que des receveurs passifs de ce que la mère leur offre. Ils contrôlent activement leur ingestion alimentaire selon leur propre appétit, comme le souligne Ramsay.

Il est vrai que plus longtemps les enfants sont allaités, moins ils sont susceptibles de devenir obèses, mais c’est peut-être simplement parce que les nourrissons qui ont moins d’appétit sont plus longtemps rassasiés par le lait de leur mère et qu’en conséquence, il sont sevrés plus tard (et indépendamment, sont moins susceptibles de devenir obèses, encore une fois parce qu’ils ont un moins grand appétit).

Si je devais choisir une seule question qui selon moi mérite d’être mise en évidence, ce serait l’état critique des enfants ayant des déficiences, surtout au plan neurologique. Bien qu’il soit maintenant bien établi que la malnutrition est courante chez les enfants atteints de paralysie cérébrale, il y a de bonnes raisons de penser que ce problème n’est généralement pas traité efficacement, ou parfois pas traité du tout.

Dans la Oxford Feeding Study, qui se penchait sur les problèmes alimentaires et nutritionnels des enfants souffrant de déficiences neurologiques (93 % des enfants étaient atteints de paralysie cérébrale), les problèmes alimentaires étaient très courants.4 Quatre-vingt-huit pour cent d’entre eux avaient besoin d’aide pour s’alimenter et 56 % s’étouffaient avec des aliments. Vingt-huit pour cent des parents rapportaient qu’ils passaient plus de trois heures par jour à les alimenter et 38 % considéraient que leur enfant souffrait d’insuffisance pondérale. Pourtant, la majorité des enfants (64 %) n’avaient jamais été évalués en ce qui a trait à leur alimentation et à leur nutrition.

La deuxième question digne d’attention serait l’extraordinaire développement précoce des problèmes d’image corporelle, qui ont été identifiés même chez les enfants de cinq ans5 et qui sont un des facteurs de risque le plus documenté de développement et de troubles alimentaires plus tard.6

Implications pour les politiques et les services

Ramsay prône 1) le développement de lignes directrices éducatives, et 2) davantage de recherche, et ses deux demandes sont valables. Sa proposition consistant à mettre en place des cliniques alimentaires multidisciplinaires pour traiter les difficultés les plus graves (3) et de former des experts dans le domaine des troubles alimentaires (4) me paraît excellente. Les difficultés alimentaires graves requièrent l’expertise combinée d’orthophonistes, de psychologues du développement, de diététiciens et d’une gamme de spécialistes médicaux.

Bien qu’il y ait des experts des troubles alimentaires dans ces disciplines, la recherche et les progrès cliniques qui viendraient des cliniques multidisciplinaires serait hautement souhaitable (pensez aux progrès apportés par les cliniques spécialisées dans la douleur). L’élaboration d’un instrument de dépistage pour les comportements alimentaires problématiques serait aussi valable.

Liu et Stein préconisent une série de mesures (1-9) dans le domaine de l’alimentation saine et de l’exercice, qui sont principalement motivées, en tout cas je le suppose, par le besoin de s’attaquer à la prévalence du risque d’obésité chez les jeunes. Les mesures suggérées reflètent adéquatement le besoin de l’aborder sous l’angle social et politique plutôt qu’individuel ou médical, et je suis d’accord avec toutes leurs recommandations.

En ce qui concerne les implications clés, parmi les propositions de Ramsay, je choisirais le développement de cliniques alimentaires spécialisées pour s’attaquer aux difficultés alimentaires graves; plusieurs de ses autres propositions pourraient être abordées dans le contexte de ces cliniques.

L’implication clé de Liu et Stein serait d’élaborer une approche étendue de l’obésité chez les enfants. Cela ne se fera jamais si on traite ce problème uniquement sous l’angle médical, ou encore seulement sous l’angle de la recherche. Comme leurs recommandations le suggèrent, c’est un problème auquel nous pouvons nous attaquer maintenant, en nous basant sur les connaissances que nous possédons déjà.

Références

  1. Corbett SS, Drewett RF. To what extent is failure to thrive in infancy associated with poorer cognitive development? A review and meta-analysis. Journal of Child Psychology and Psychiatry 2004;45(3):641-654.
  2. Dahl M, Sundelin C. Early feeding problems in an affluent society .1. Categories and clinical signs. Acta Paediatrica Scandinavica 1986;75(3):370-379.
  3. Dahl M, Kristiansson B. Early feeding problems in an affluent society .4. Impact on growth up to two years of age. Acta Paediatrica Scandinavica 1987;76(6):881-888.
  4. Sullivan PB, Lambert B, Rose M, Ford-Adams M, Johnson A, Griffiths P. Prevalence and severity of feeding and nutritional problems in children with neurological impairment: Oxford Feeding Study. Developmental Medicine and Child Neurology 2000;42(10):674-680.
  5. Davison KK, Markey CN, Birch LL. Etiology of body dissatisfaction and weight concerns among 5-year-old girls. Appetite 2000;35(2):143-151.
  6. Stice E, Shaw HE. Role of body dissatisfaction in the onset and maintenance of eating pathology: A synthesis of research findings. Journal of Psychosomatic Research 2002;53(5):985-993.

Pour citer cet article :

Drewett RF. [Archivé] Comportements alimentaires et impacts sur le développement psychosocial des enfants : commentaires sur Ramsay et Liu et Stein . Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Faith MS, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/alimentation-enfant/selon-experts/comportements-alimentaires-et-impacts-sur-le-developpement. Publié : Novembre 2005. Consulté le 29 mars 2024.

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