[Archivé] Comportements alimentaires chez les très jeunes enfants. Commentaires sur Piazza et Carroll-Hernandez,Ramsay et Black​


Cincinnati Children’s Hospital Medical Center and Dept of Pediatrics, University of Cincinnati College of Medicine, États-Unis

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Introduction

Les troubles de l’alimentation se produisent fréquemment dans la population pédiatrique et touchent les enfants en santé ainsi que ceux qui ont des troubles du développement et des troubles médicaux. Les troubles de l’alimentation présentent des facteurs multiples et peuvent avoir des causes très variées, y compris les anomalies physiques, les troubles neurodéveloppementaux, les problèmes de régulation de l’appétit, les maladies métaboliques, les déficiences sensorielles et les comportements appris. Ils englobent une large gamme et sont variables. Cela va de l’enfant difficile en matière d’alimentation, ce qui peut ne pas avoir d’impact imminent sur sa santé physique, à un refus total de s’alimenter, ce qui peut entraîner des risques de carence nutritionnelle.

Étant donné les conséquences pour la croissance, le développement cognitif et la santé physique de l’enfant qui a des problèmes d’alimentation chroniques, il est très important de comprendre comment se développent les habiletés alimentaires problématiques et les interactions au moment des repas, et de découvrir des stratégies d’intervention efficace afin de favoriser la santé de l’enfant à long terme.

Ramsay, Black ainsi que Piazza et Carroll-Hernandez ont merveilleusement recensé la recherche existante et souligné leurs propres travaux, ce qui fait ressortir l’importance de considérer les multiples facteurs qui interagissent dans la compréhension, l’évaluation et le traitement des problèmes d’alimentation pédiatriques.

Recherche et conclusions

Dans son panorama sur l’alimentation et la croissance des enfants, Ramsay décrit l’évolution des habiletés alimentaires selon une perspective développementale. Elle illustre le cours normal du développement précoce de l’alimentation chez les jeunes enfants, qui répond au départ à des signaux internes de faim et à des habiletés motrices orales fonctionnelles, mais qui est aussi modulé par le caractère de l’enfant et par les styles des parents en matière d’alimentation.

Ramsay reconnaît combien il est complexe de bien comprendre l’acquisition des habiletés alimentaires, et mentionne plusieurs autres influences, y compris les attentes sociétales et les caractéristiques maternelles et familiales pour ce qui est du poids de l’enfant et du type d’aliments consommés, qui contribuent au développement de modèles alimentaires négatifs et à une faible croissance de l’enfant.

Tel que démontré par la sérieuse recension de Ramsay, les problèmes d’alimentation de l’enfant dépassent ses caractéristiques particulières et reflètent l’influence de plusieurs facteurs externes ou environnementaux qui affectent simultanément le jeune enfant à des niveaux multiples. En conséquence, discerner les éléments qui contribuent particulièrement à une déficience alimentaire chez le jeune enfant représente un défi, étant donné que les modèles alimentaires problématiques peuvent résulter de problèmes alimentaires physiologiques ou fonctionnels (par exemple une faim limitée, une faible succion), mais peuvent aussi être conditionnés plus tard par des associations apprises à l’aide de signaux externes ou environnementaux (par exemple les pratiques alimentaires et les croyances parentales).

Comme le souligne Ramsay, tous ces facteurs peuvent avoir un impact néfaste sur les comportements alimentaires de l’enfant, sur ses interactions au moment des repas et sur sa croissance.

Black abonde dans le même sens que Ramsay en illustrant l’impact de l’interaction de la personne qui prend soin de l’enfant sur le développement de ses modèles alimentaires et sur ses comportements au moment des repas. La contribution de l’enfant aux problèmes alimentaires subséquents peut inclure une communication incohérente ou perturbatrice par des signaux verbaux et non verbaux en ce qui concerne la faim et la satiété. À leur tour, les personnes qui prennent soin de l’enfant peuvent avoir des difficultés à reconnaître ou à interpréter les signaux alimentaires de ce dernier, ce qui peut conduire à des conflits au moment des repas.

Black recense plusieurs stratégies selon lesquelles les personnes qui prennent soin de l’enfant peuvent favoriser le processus alimentaire, par exemple en modelant des comportements alimentaires positifs, en établissant des routines cohérentes et prévisibles pour les repas et en insistant sur l’importance d’offrir des aliments nutritionnels équilibrés dans une atmosphère positive à l’heure des repas.

Cependant, Black souligne l’importance de la nécessité des interventions à niveaux multiples pour favoriser des modèles alimentaires sains chez l’enfant, y compris les changements environnementaux pour les restaurants qui doivent inclure des choix d’aliments nutritifs et attirants pour les enfants et pour la famille, ainsi qu’une éducation individuelle qui favorise la gestion des repas et sensibilise davantage la personne qui prend soin de l’enfant à des comportements alimentaires sains. Ces interventions sont également importantes pour les enfants dont le poids est insuffisant ou qui ont une surcharge pondérale.

Alors que l’article de Black fournit des orientations pour les interventions à niveaux multiples visant à favoriser des comportements alimentaires sains pour tous les enfants à travers le continuum de poids, Piazza et Carroll-Hernandez centrent leur recension de la recherche uniquement sur les enfants dont le poids est insuffisant et qui sont atteints d’un retard staturo-pondéral. Comme dans les recensions de Ramsay et de Black, les auteurs soulignent les causes complexes des troubles alimentaires pédiatriques, qui peuvent comprendre des facteurs biologiques et environnementaux exacerbés par la façon de faire de la personneprenant soin de l’enfant.

En démontrant l’efficacité de programmes de jour intensifs et interdisciplinaires qui sont principalement basés sur le comportement, les auteurs soutiennent empiriquement le traitement comportemental alimentaire par le biais de données basées sur des résultats. Dans leurs propres travaux, les auteurs documentent le fait que les enfants qui avaient des problèmes alimentaires depuis longtemps, et dont plusieurs nécessitaient des suppléments alimentaires dispensés grâce à des sondes naso-gastriques ou à une gastrostomie, ont été capables d’atteindre 70 % ou plus de leurs objectifs au plan de la consommation orale pendant le traitement, et que, dans 100 % des cas, on a réussi à transférer le traitement à domicile et dans la communauté. Les données du suivi qui se poursuit jusque 24 mois après la fin du traitement ont révélé que 85 % des enfants continuaient à progresser vers une alimentation typique pour leur âge.

Implications pour le développement et pour les politiques

Ensemble, ces trois articles illustrent la complexité du développement de l’alimentation et des mécanismes par lesquels les problèmes d’alimentation apparaissent chez les jeunes enfants. Il est clair que les troubles de l’alimentation pédiatriques n’ont pas une origine unique; ils comprennent plusieurs composantes qui interagissent et qui résultent en des modèles alimentaires atypiques qui affectent finalement l’enfant, la famille et la société dans son ensemble.

Les données fondées sur les résultats sont très importantes pour comprendre les stratégies les plus efficaces quand on traite les problèmes d’alimentation des enfants, et les auteurs ont fourni des preuves solides pour soutenir l’utilisation des interventions comportementales intensives afin de faire avancer le développement alimentaire chez les enfants aux prises avec des problèmes d’alimentation et de croissance chroniques.

Cependant, on a besoin de beaucoup plus de recherche au sein de la famille. Sur le plan individuel, très peu de données ont été publiées sur les résultats médicaux, psychologiques et sociaux longitudinaux des enfants atteints d’un « retard staturo-pondéral » lorsqu’ils étaient des nourrissons et qui ont participé à des traitements alimentaires intensifs. La santé physique, le poids, la croissance et l’état alimentaire de cette population d’enfants restent incertains, à l’exception des résultats obtenus à partir d’études de suivi effectuées uniquement jusqu’à deux ans après le traitement.

Par exemple, il n’est pas certain que comparés à leurs pairs en santé, les enfants qui reçoivent un traitement alimentaire continuent à présenter des différences importantes en matière de taille et de poids lorsqu’ils grandissent ou s’ils cessent de présenter des différences appréciables pour ce qui est de la taille du corps ou qu’ils aient simplement une petite stature ou une mince ossature. La recherche antérieure révèle que pour les enfants de faible poids à la naissance, une croissance et un développement inhibés peuvent constituer une caractéristique permanente.1

On s’interroge encore à savoir si les enfants de faible poids à la naissance sont plus, moins ou autant en santé physiquement que ceux qui se maintiennent à 90 % - 100 % de leur poids idéal. Il est donc important de comprendre à quelle(s) période(s) du développement il convient de se préoccuper plus ou moins du poids ou de la faible croissance.

De plus, les problèmes médicaux, psychologiques ou développementaux non détectés peuvent apparaître dans le cours du processus de maturation, pour lequel un modèle caractéristique particulier de problèmes alimentaires aurait pu constituer le premier signe d’un problème diagnosticable en émergence. En clarifiant ces problèmes, on aiderait à déterminer les choix des intervenants en santé, en ce qui a trait à l’orientation et à l’intensité du traitement pour un jeune enfant aux prises avec des problèmes d’alimentation.

Des recherches supplémentaires sont également nécessaires sur le contexte de la famille, surtout en ce qui concerne les effets des traitements alimentaires sur le fonctionnement de cette dernière. Tel qu’illustré par Piazza et Carroll-Hernandez, la recherche qui examine les traitements alimentaires comportementaux a démontré son efficacité de façon cohérente pour ce qui est de l’amélioration des habiletés alimentaires orales des enfants.

On en sait cependant bien peu sur les effets sur les relations familiales au moment où les personnes qui prennent soin de l’enfant commencent à transférer les stratégies alimentaires comportementales dans l’environnement familial. Par exemple, pendant combien de temps ces personnes doivent-elles faire des efforts considérables pour traiter les problèmes alimentaires de leur enfant (c’est-à-dire quand peuvent-elles mettre fin ou diminuer le recours à des stratégies alimentaires comportementales strictes au moment des repas et laisser leur enfant libre de manger de façon indépendante sans intervenir)? Comment ces interventions alimentaires affectent-elles les relations entre l’enfant identifié et sa fratrie? De la même façon, quel impact les stratégies alimentaires comportementales utilisées par la personne qui prend soin de l’enfant ciblé ont-elles sur les modèles alimentaires et sur les interactions pendant les repas des autres enfants de la famille qui n’ont pas de problèmes d’alimentation ou de croissance?

Au niveau sociétal, les politiques et les programmes publics doivent soutenir les efforts de promotion d’alimentation et de nutrition saines pour les enfants et les familles en effectuant une prévention primaire, secondaire et tertiaire des troubles de l’alimentation pédiatriques. Les efforts de prévention primaire comprendraient la cessation du développement de troubles alimentaires chez les enfants, surtout chez ceux dont on sait qu’ils sont le plus à risque de développer ce type de problème, comme les prématurés et les nourrissons de très petit poids,2-3 ou les familles aux prises avec des stresseurs environnementaux et affectifs.4-5

Les programmes alimentaires doivent au moins s’effectuer en partenariat avec des programmes communautaires existants chargés de réduire les facteurs de risque chez la population générale. Dans les cas particuliers de l’alimentation et de la croissance, il doit exister une collaboration entre les programmes alimentaires et communautaires qui fournissent des interventions étendues et du soutien nutritionnel aux jeunes enfants. De cette façon, tous les intervenants et les enfants, notamment ceux à risque, peuvent accéder à de l’éducation et à des programmes conçus pour augmenter les connaissances en matière de choix alimentaires sains et de comportements alimentaires positifs et appropriés au développement.

Le plus important, c’est que ces efforts de prévention primaire soient évalués empiriquement pour déterminer si les enfants et les familles bénéficient d’un tel support et d’une telle éducation et que ces efforts se traduisent par des taux réduits de problèmes d’alimentation chez l’enfant.

Pour les enfants aux prises avec des problèmes d’alimentation, les efforts de prévention secondaire et tertiaire doivent se concentrer sur la prévention (secondaire) ou le contrôle (tertiaire) des complications coûteuses (dépendance envers la sonde naso-gastrique ou la gastrostomie) des problèmes d’alimentation. Étant donné les causes complexes des problèmes alimentaires chez les enfants, ces derniers et leur famille doivent avoir accès à une équipe interdisciplinaire d’experts formés dans le domaine de l’évaluation et du traitement de l’alimentation pédiatrique pour être capables d’évaluer et de traiter autant les composantes physiologiques que développementales et comportementales.

L’importance de l’équipe de soins interdisciplinaires est bien décrite dans la documentation. Malheureusement, ces évaluations et ces traitements peuvent être coûteux et ne sont peut-être pas disponibles pour tous les enfants et toutes les familles, dépendamment de l’endroit où ils habitent et des ressources disponibles.

En conséquence, pour étendre la disponibilité des services, les systèmes de santé doivent soutenir la formation des intervenants pour les aider à apprendre à identifier les problèmes de nutrition tôt, et à comprendre et à enseigner les stratégies de base en matière de gestion alimentaire et d’heures des repas aux personnes qui prennent soin d’enfants atteints de troubles de l’alimentation ou de retard de croissance.

D’autres modèles de traitement doivent être explorés pour les enfants qui nécessitent des traitements alimentaires intensifs. Bien qu’efficaces, les traitements alimentaires comportementaux sont très individualisés et demandent beaucoup de personnel avec une formation spécialisée pour effectuer l’intervention. On doit effectuer davantage de recherche pour déterminer si le traitement choisi (c’est-à-dire les interventions comportementales intensives) peut être adapté à un groupe afin d’en faire bénéficier plusieurs personnes, par exemple, plutôt que sur une base individuelle pour réduire les coûts de soins de santé et pour augmenter la disponibilité des services.

Si nous parvenons à aider les personnes qui prennent soin de l’enfant et les intervenants en santé à comprendre comment les problèmes alimentaires se développent chez les enfants et quel est le moyen le plus efficace de traiter les problèmes alimentaires particuliers aigus et chroniques, davantage d’enfants seront susceptibles d’éviter de s’enfoncer dans la trajectoire de modèles alimentaires mal adaptés.

Références

  1. Fledelius HC. Inhibited growth and development as permanent features of low birth weight. A longitudinal study of eye size, height, head circumference, inter-pupillary distance and exophthalmometry, as measured at age 10 and 18 years.Acta Paediatrica Scandinavica 1982;71(4):645-650.
  2. Douglas JE, Byron, M. Interview data on severe behavioural eating difficulties in young children. Archives of Disease in Childhood 1996;75(4):304-308.
  3. Hawdon JM, Beauregard N, Slattery J, Kennedy G. Identification of neonates at risk of developing feeding problems in infancy. Developmental Medicine & Child Neurology 2000;42(4):235-239.
  4. Drotar D. Failure to thrive (growth deficiency). In: Roberts MC, ed. Handbook of Pediatric Psychology. 2nd ed. New York, NY: Guilford Press; 1995:516-536.
  5. Skuse D, Reilly S, Wolke D. Psychosocial adversity and growth during infancy. European Journal of Clinical Nutrition 1994;48(Suppl 1):S113-S130.
  6. Lefton-Greif MA, Arvedson JC. Pediatric feeding/swallowing teams. Seminars in Speech & Language 1997;18(1):5-11.
  7. Miller CK, Burklow KA, Santoro K, Kirby E, Mason D, Rudolph CD. An interdisciplinary team approach to the management of pediatric feeding and swallowing disorders. Children’s Health Care 2001;30(3):201-218.
  8. Kerwin ME. Empirically supported treatments in pediatric psychology: severe feeding problems. Journal of Pediatric Psychology 1999;24( 3):193-214. 

Pour citer cet article :

Burklow K. [Archivé] Comportements alimentaires chez les très jeunes enfants. Commentaires sur Piazza et Carroll-Hernandez,Ramsay et Black​. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Faith MS, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/alimentation-enfant/selon-experts/comportements-alimentaires-chez-les-tres-jeunes-enfants. Publié : Novembre 2004. Consulté le 23 avril 2024.

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