[Archivé] L’agressivité comme conséquence du développement des jeunes enfants Commentaires sur les textes de Tremblay, de Keenan et d’Ishikawa et Raine


Cardiff University, Pays de Galles

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Introduction

Ces trois articles soulignent l’importance de la petite enfance et des premières années de l’enfance pour notre compréhension de l’agressivité. Les auteurs ont tous effectué des contributions importantes à l’étude des origines précoces de l’agressivité et ont souligné la question centrale du débat : est-ce que les enfants doivent apprendre à être agressifs, par exemple en copiant des modèles d’agressivité? Ou l’agressivité fait-elle partie d’un moyen fondamental d’aborder le monde social pendant la petite enfance? En regard de ces deux possibilités, nous pourrions poser la question suivante : est-ce que les différences individuelles dans les niveaux et dans les modèles d’agressivité sont présentes dans les premières années de l’enfance ou est-ce qu’elles apparaissent graduellement pendant l’enfance et pendant l’adolescence? Et si les très jeunes enfants ont des niveaux d’agressivité différents, ces différences sont-elles attribuables aux facteurs génétiques ou aux facteurs de risques médicaux et sociaux précoces?

Recherches et conclusions

Tremblay cite le US National Academy of Sciences Panel et fait remarquer le fort soutien en faveur de la notion selon laquelle l’agressivité et la violence s’apprennent au cours du développement. Il cite ensuite des preuves qui contredisent cette affirmation. Par exemple, on a démontré que dans les populations normatives, alors que l’exposition aux modèles agressifs augmente au cours de l’enfance, la fréquence de l’agressivité diminue avec l’âge. Il semble y avoir une augmentation puis une baisse normales de la fréquence de l’agressivité avec une pointe vers l’âge de deux ans et demi. Ainsi, Tremblay attire l’attention sur le recours spontané à l’agressivité dans la prime enfance, arguant que l’apprentissage principal des jeunes enfants consiste à apprendre à interagir avec les autres sans utiliser l’agressivité. Keenan va dans le même sens. Son argument est que « les enfants sont socialisés dans le but de désapprendre les modèles de comportements agressifs ».1 Ces arguments sont en accord avec les préoccupations philosophiques de longue date sur la nature du développement des jeunes enfants et sur le rôle de l’inné et de l’acquis dans l’agressivité humaine. Cependant, les preuves nécessaires pour tester ces affirmations (comme celle des effets des processus de modelage) sont inexistantes. Les recherches classiques sur l’apprentissage social qui portent sur la contribution des processus de modelage au développement de l’agressivité ont eu tendance à se centrer sur des groupes plus âgés.  Les analyses systématiques des processus d’apprentissages sous-jacents à l’agressivité dans les premières années de la vie, quand l’agressivité fait sa première entrée dans le répertoire des comportements, sont rares. Au contraire, les études sur l’imitation chez les trottineurs ont eu tendance à examiner les habiletés générales des enfants à imiter les modèles comme faisant partie du développement cognitif général, mais n’ont pas exploré spécifiquement l’imitation de l’agressivité.

Tremblay et Keenan ne citent pas de preuves provenant de recherches génétiques, mais il est bien connu que les comportements antisociaux se transmettent dans les familles et que les études sur les jumeaux révèlent l’importance de l’environnement familial ainsi que des prédispositions génétiques. Les implications de ces découvertes sont que les parents antisociaux peuvent favoriser l’agressivité, non seulement en transmettant leurs gènes, mais aussi en créant un environnement qui promeut l’agressivité. Les modèles agressifs semblent être particulièrement importants au moment du développement où l’agressivité est à son maximum – à l’âge de deux ans, mais ce point de vue mérite des recherches plus approfondies.

Tremblay et Keenan attirent tous deux l’attention sur le fait que l’agressivité est fréquente et normale à la fin de la petite enfance et pendant la jeune enfance. Cependant, il semble important de distinguer la capacité d’être agressif et la fréquence du recours à l’agressivité. À l’exception de l’étude longitudinale de Tremblay sur une cohorte née au Québec, les preuves disponibles sur l’agressivité chez les jeunes enfants proviennent d’études d’observation à petite échelle de petits enfants et de trottineurs à la maison et dans des centres de garde. Ces études ont permis de découvrir que la plupart des trottineurs entraient en conflit avec leurs pairs et avec leurs frères et sœurs, mais que l’agressivité physique était en fait un phénomène minoritaire, moins fréquent que les comportements prosociaux, même chez les enfants âgés de moins de trois ans.1 En effet, de façon générale, les trottineurs ont tendance à interagir avec les pairs et les frères et sœurs d’une façon paisible et l’agressivité n’est pas la façon fondamentale d’interagir avec les autres. Il est donc important de souligner que le recours fréquent à l’agressivité n’est pas normal, même dans les toutes premières années de la vie. Keenan argue en faveur de l’importance d’identifier les caractéristiques de l’agressivité atypique chez les jeunes enfants, bien qu’elle reconnaisse le risque de pathologiser les comportements normaux. Je pense que nous devons compenser ce risque par la possibilité de concevoir des stratégies de préventions efficaces chez les jeunes enfants. L’agressivité chez les jeunes enfants mérite d’être prise au sérieux.

Ishikawa et Raine fournissent une information factuelle importante qui nous rappelle que les expériences physiques et sociales façonnent nos vies. L’exposition à certaines substances au cours de la vie prénatale concourt à des problèmes d’externalisation en général tout en favorisant particulièrement l’agressivité. Les enfants de mères qui boivent de l’alcool, fument des cigarettes ou prennent de la cocaïne sont à risque de développer des comportements perturbateurs. Un des éléments impressionnants de l’article de Ishikawa et Raine est qu’ils attirent notre attention sur des découvertes analogues dans la documentation sur la recherche expérimentale sur les animaux, découvertes qui soulignent quelques mécanismes causals potentiels. Bien sûr, il est clair que les mères antisociales sont spécialement susceptibles d’exposer le fœtus à un risque de cette façon, ce qui soulève la possibilité que ces découvertes représentent une influence génétique. Nos analyses récentes des liens entre l’exposition prénatale à la fumée de cigarette et les symptômes du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention présentés dans la recherche Welsh Twin Study montre que les effets du tabac demeurent, même lorsque l’on prend en compte les facteurs génétiques.2 En conséquence, les résultats soulignés par Ishikawa et Raine sont fort probablement des effets environnementaux véritables.

Néanmoins, comme le montrent Ishikawa et Raine, les atteintes prénatales n’interviennent pas seules. Elles apparaissent dans un contexte de facteurs de risque sociaux. Il est donc possible d’étudier une trajectoire développementale au cours de laquelle des parents antisociaux exposent leurs enfants à des risques élevés de développer des comportements antisociaux en ne promouvant pas la santé fœtale pendant la grossesse et en fournissant des modèles agressifs ou des stratégies de socialisation inefficaces lorsque les enfants sont des trottineurs. Il se peut aussi que les désavantages sociaux favorisent des risques similaires, même lorsque les parents n’ont pas eux-mêmes un historique d’activités antisociales. Pour tester ces possibilités, il est important de suivre la recommandation de Keenan de commencer à étudier le développement de l’agressivité pendant la grossesse.

Implications pour les politiques et pour les services

Tremblay et Keenan attirent notre attention sur l’importance d’enseigner aux jeunes enfants des alternatives à l’agressivité. Ishikawa et Raine soulignent qu’une amélioration des soins médicaux pourrait être un objectif important des politiques. Ces commentaires révèlent un besoin important pour les politiques efficaces portant sur la prévention de l’agressivité et de la violence : les initiatives politiques doivent être mises en place afin d’améliorer la prestation de services médicaux, éducatifs et sociaux existants. Une forme de pensée latérale serait également souhaitable afin de concevoir des politiques efficaces qui peuvent faire le pont entre ces domaines de services traditionnellement séparés.

La recherche sur les politiques qui incluent des comparaisons transnationales serait utile afin d’identifier les avantages et les inconvénients de stratégies d’intervention ou de prévention spécifiques qui ont fait leurs preuves. Par exemple, au Royaume-Uni, le programme Sure Start réunit des initiatives médicales et éducatives; l’évaluation de Sure Start devrait être spécifiquement centrée sur la prévention de l’agressivité et il serait utile de la comparer avec des programmes dans d’autres pays. Au Royaume-Uni, le National Health Service fournit les services de sages-femmes qui effectuent des visites à domicile pendant la grossesse et pendant la période postnatale afin d’aider les familles avant et après la naissance. Ce service institutionnel pourrait être utilisé comme un cadre dans lequel s’effectuerait la promotion de la santé du fœtus et du nourrisson ainsi que la socialisation efficace. Bien que les politiques concernant l’agressivité et la violence doivent prendre en compte les questions locales (comme les problèmes majeurs découlant de la propriété des armes aux États-Unis par rapport aux autres pays occidentaux), des comparaisons transnationales pourraient révéler des dimensions sous-jacentes aux stratégies de prévention et d’intervention à travers des frontières géographiques et culturelles.

References

  1. Hay DF, Castle J, Davies L. Toddlers’ use of force against familiar peers: a precursor of serious aggression? Child Development 2000;71(2):457-467.
  2. Thapar A, Fowler T, Rice F, Scourfield J, van den Bree M, Harold G, Hay DF. Smoking in pregnancy and attention deficit hyperactivity disorder symptoms. Soumis pour publication.

Pour citer cet article :

Hay DF. [Archivé] L’agressivité comme conséquence du développement des jeunes enfants Commentaires sur les textes de Tremblay, de Keenan et d’Ishikawa et Raine. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Tremblay RE, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/agressivite-agression/selon-experts/lagressivite-comme-consequence-du-developpement-des-jeunes. Publié : Juin 2003. Consulté le 9 décembre 2024.

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