Le développement et la socialisation de l’agressivité au cours des cinq premières années de la vie
Matthew E. Young, Ph.D., Kate Keenan, Ph.D.
University of Chicago, États-Unis
, Éd. rév.
Introduction
Les enfants d’âge préscolaire qui n’ont pas réussi à développer des stratégies adaptées à leur âge pour réguler leurs comportements agressifs sont fortement à risque d’adopter un comportement agressif et antisocial chronique. Plusieurs problèmes courants sont concomitants à l’agressivité pendant la petite enfance, dont l’impulsivité, la dysrégulation des émotions et les retards de langage, et est une raison fréquente de recommandation clinique. La façon exacte dont ces autres problèmes interagissent avec l’agressivité est toujours investiguée. Chez certains enfants, l’agressivité peut être aggravée par ces problèmes concomitants alors que, chez d’autres, les déficits dans ces autres sphères du fonctionnement peuvent précéder les problèmes d’agressivité. Les problèmes d’agressivité se développent généralement dans le contexte des interactions entre les facteurs de risque biologiques et sociaux, l’historique d’apprentissage et les comportements parentaux.1
Sujet
Un développement cognitif et socio-émotionnel marqué se produit au cours de la petite enfance. Sur le plan cognitif, l’émergence d’habiletés verbales de plus en plus sophistiquées, de la conscience de soi et du comportement axé vers un but contribue à une forte montée d’indépendance chez l’enfant. Simultanément, les parents commencent à imposer des règles et des limites, à la fois pour répondre à l’autonomie nouvellement acquise de l’enfant et parce qu’il s’agit d’une partie normale du processus de socialisation. Les écarts entre les manifestations d’affirmation de soi de l’enfant et les limites fixées par les parents mènent à des épisodes plus fréquents de frustration et de colère. Ainsi, certains comportements agressifs en réponse à la frustration sont typiques du développement au cours des premières années de la vie. Les habiletés qui émergent au cours du développement semblent influencer la trajectoire de cette agressivité précoce. Par exemple, la capacité grandissante de l’enfant à réguler son attention et ses émotions négatives, inhiber ses réponses impulsives et miser sur la communication sociale pour résoudre les conflits ou exprimer ses besoins crée une base qui favorise l’utilisation de comportements autres que l’agression en réponse à la frustration, la colère, la peur, etc. En fait, l'intensité de la réaction de colère chez les tout-petits exposés à des tâches frustrantes est associée aux niveaux d’agressivité plus tard dans l’enfance.2 Il est donc important d’évaluer l’ensemble des habiletés développementales de l’enfant agressif pour déterminer si des retards présents dans d’autres domaines du fonctionnement devraient faire l’objet d’une attention plus soutenue.
Problèmes
La définition de l’agressivité atypique au cours des années préscolaires a été controversée,3 en partie en raison des scrupules à coller des étiquettes ou à poser des diagnostics sur de jeunes enfants, ou encore à mettre en application des concepts inappropriés sur le plan du développement en vertu de la documentation scientifique consacrée à l’agressivité chez des individus plus âgés. L’agressivité a été définie au sens large dans la littérature développementale et psychologique,4 ce qui a résulté en un continuum de comportements qui varient de typique et adaptatif à atypique et non adaptatif. Nous savons maintenant que les jeunes enfants qui manifestent de hauts niveaux d’agressivité sont fortement à risque de présenter des problèmes de comportement chroniques et qu’ils ont besoin de services.5,6 Le comportement agressif est associé à des déficits au sein de toute une gamme de domaines comportementaux (par exemple, physiques, sociaux et cognitifs) que des problèmes concomitants peuvent exacerber. Par exemple, un retard dans le développement du langage peut entraver la communication des besoins, altérer la socialisation, la capacité d’empathie et la régulation des émotions, et nuire aux relations avec les pairs. Les retards de langage contribuent également aux lacunes en matière de compétences sociales qui peuvent conduire à une hausse du niveau d’agressivité au milieu de l’enfance.7
Questions clés de la recherche
Le comportement agressif émerge tôt8 et les formes précoces d’agressivité peuvent persister et devenir problématiques.1,4,5 De hauts niveaux d’agressivité observés dès l’âge de 1 à 3 ans prédisent des troubles de comportements perturbateurs ultérieurs.9 Suite à ces découvertes, l’intérêt envers les études sur l’agressivité chronique menées auprès de jeunes enfants s’est accru, parce que ces études peuvent servir la recherche sur les causes de l’agressivité sévère. De nombreux déficits critiques qui constituent le socle des comportements agressifs persistants ou problématiques apparaissent au cours des cinq premières années du développement de l’enfant.10 Des dérèglements affectifs, l’inattention, l’impulsivité et d’autres retards développementaux, notamment dans le domaine de la communication sociale, influencent certainement le cours du comportement agressif. Il est également probable que les interactions gènes/environnement jouent un rôle important. Par exemple, il semblerait que l’haplotype des gènes codants pour le transporteur de la sérotonine régulerait l’effet du parentage peu attentif à un âge précoce sur la désobéissance et l’agressivité.11,12 En raison de l’hétérogénéité du tableau de l’agressivité chez les jeunes enfants, la caractérisation des facteurs de risque et des problèmes concomitants devrait constituer la principale cible de la recherche.
Résultats récents de la recherche
Au cours de la dernière décennie, des données permettant d’identifier plus clairement les sous-types de l’agressivité se sont accumulées, tout comme les influences relatives de certains facteurs de risque, notamment les traits de l’insensibilité émotionnelle (IÉ), et le rôle de la maltraitance de l’enfant sur le développement de comportements agressifs.
Les enfants arborant des traits d’IÉ présentent des risques supérieurs de développer de l’agressivité réactive à l’adolescence, mais il semblerait que la contribution des traits d’IÉ soit modulée par la présence de problèmes d’internalisation comorbides.13 De plus, l’apparition précoce de comportements antisociaux, y compris l’agressivité, est un meilleur facteur de prédiction du comportement antisocial à l’adolescence et au début du stade adulte.14 Le traumatisme et la maltraitance ont été identifiés comme des variables importantes associées à l’agressivité chez les jeunes et des données récentes obtenues dans un échantillon norvégien suggèrent que les enfants qui ont subi de l’abus (physique, affectif ou sexuel) sont davantage susceptibles de développer de l’agressivité par rapport aux enfants victimes de négligence ou non maltraités. Ces données sont limitées par un échantillon homogène et par l’inclusion de nombreux enfants âgés de plus de cinq ans dans cet échantillon.15 Néanmoins, une étude de plus grande envergure et plus diversifiée a permis de démontrer qu’une forme spécifique de maltraitance de l’enfant (l’exposition chronique à la violence de quartier) était associée au développement de l’agressivité, y compris chez les enfants de pas plus de trois ans, probablement en raison de la désensibilisation émotionnelle à la violence.16
La transmission intergénérationnelle du comportement agressif sévère est probablement dictée par les interactions entre l’accouplement assortatif, la génétique et les facteurs d’influence socio-environnementaux, et peu par n’importe quel facteur de risque isolé.17 Plusieurs traits ont été identifiés chez l’enfant en tant que modulateurs du développement de l’agressivité, y compris le quotient intellectuel, le contrôle volontaire des émotions/comportements, la théorie de l’esprit, la compréhension des émotions et le biais attributionnel d’hostilité.18
Intervention
L’agressivité chez les enfants d’âge préscolaire n’est pas considérée comme un trouble mental ou un diagnostic de cette affection, mais elle généralement traitée dans le contexte d’interventions d’autres troubles, comme les problèmes d’externalisation, les troubles de comportements perturbés ou les comorbidités d’ordre psychiatrique ou développemental. Par exemple, l’atténuation des problèmes associés à l’agressivité en situation de retard du développement nécessite habituellement des interventions ciblées sur le retard, et pas simplement sur la réduction du comportement agressif. La psychopharmacologie, les thérapies comportementales et axées sur la famille et des services d’interventions précoces plus larges sont fréquemment utilisés pour cibler l’agressivité dans cette population. Les programmes d’interventions précoces qui ne ciblent pas spécifiquement l’agressivité, comme le programme Head Start, se sont avérés présenter des effets bénéfiques sur le comportement agressif.19 La majorité des données soutenant l’efficacité de la psychopharmacologie axée sur l’agressivité préscolaire est fondée sur des essais portant sur le traitement de troubles mentaux et psychiatriques concomitants.20
Les interventions psychothérapeutiques de réduction et de prévention de l’agressivité chez les jeunes enfants ont, d’une manière générale, été évaluées en tant que volet de protocoles de traitements plus larges destinés aux comportements d’externalisation. En ce qui concerne cette documentation scientifique, les thérapies comportementales individuelles et de groupe sont reconnues comme des traitements bien établis et fondés sur les preuves.21 La Mise à l’écart temporaire du renforcement positif (une méthode de conditionnement efficace généralement tout simplement désignée « mise à l’écart », time-out en anglais) figure parmi les interventions les plus efficaces et les plus sûres de réduction des comportements préscolaires agressifs lorsqu’elle est employée par un parent/intervenant auprès de l’enfant de manière planifiée et prévisible, en association avec d’autres stratégies de gestion comportementale. La mise à l’écart semble être particulièrement efficace pour traiter les comportements de l’enfant qui correspondent à de l’opposition volontaire, et son utilisation ne serait pas associée à des effets secondaires immédiats ou à long terme.22,23 Outre les démonstrations robustes étayant son efficacité, cette méthode est compatible avec les stratégies comportementales visant la discipline et fondées sur l’attachement, des systèmes familiaux et tenant compte des traumatismes.24
Lacunes de la recherche
Deux sphères de recherche sur le sujet sont encore en émergence. La première concerne la compréhension des différences sexuelles en matière d’agressivité précoce. De nombreuses études démontrent qu’il y a des différences entre les sexes quant à la trajectoire de l’agressivité.25 L’étude des différences sexuelles dans la recherche sur la caractérisation des problèmes concomitants à l’agressivité aidera à proposer des modèles causaux de l’agressivité chronique au cours du développement. Un exemple d’une telle étude est celle de Hill et coll.,26 menée auprès de plus de 400 garçons et filles entre 2 et 5 ans. La piètre régulation émotionnelle et l’inattention à l’âge de 2 ans étaient d’importants prédicteurs d’une agressivité et d’une défiance chroniques cliniquement significatives chez les filles, alors que l’inattention était un prédicteur chez les garçons.
Le second domaine de recherche en émergence concerne l’identification des sous-groupes d’enfants agressifs qui présentent des patrons spécifiques de comportements concomitants et des altérations correspondantes dans leurs systèmes biologiques. Par exemple, le rythme cardiaque et la conductance de la peau ont été utilisés pour distinguer des sous-types d’agressivité qui reflètent différents patrons de problèmes concomitants chez des enfants plus âgés.27 Tester de telles hypothèses chez des enfants plus jeunes pourrait aider à déterminer si l’activation du système nerveux autonome est une cause ou un effet de l’agressivité.
Conclusion
L’agressivité se développe tôt dans la vie et, dans la plupart des cas, elle décline graduellement au cours des cinq premières années de l’enfance. La plupart des enfants apprennent à inhiber leurs comportements agressifs et à les remplacer par des compétences prosociales qui se développement au cours de la petite enfance. Chez certains jeunes enfants, l’agressivité est envahissante, fréquente et sévère. Or, l’agressivité persistante qui émerge au cours des cinq premières années de vie est néfaste et associée à des troubles de santé mentale ultérieurs, une piètre évolution sur le plan social et une accumulation de déficits. L’agressivité précoce problématique se développe généralement en conséquence d’interactions entre des facteurs sociaux, des processus d’apprentissage des aptitudes sociales et d’autres facteurs d’influence environnementaux,1 dont les problèmes de langage, l’impulsivité, l’hyperactivité, la piètre régulation des émotions négatives et la défiance sont plus susceptibles de survenir dans un contexte d’agressivité persistante et sévère. Bien que la direction de l’effet (p. ex., quel problème apparaît en premier) ne soit pas toujours évidente, la concomitance justifie une évaluation complète du développement et du fonctionnement lorsque des préoccupations émergent quant au comportement agressif précoce.
Implications
Bien que les cinq premières années de la vie constituent une période à risque pour le développement de problèmes d’agressivité persistants, on peut aussi considérer que cette période offre une opportunité optimale de supporter le développement de la régulation émotionnelle et comportementale et de la communication, en vue de favoriser un développement social sain.
La progression développementale sur les plans cognitif, émotionnel, comportemental et social devrait être évaluée systématiquement et régulièrement tout au long des cinq premières années de la vie. Ces dimensions étant toutes reliées à l’acquisition d’habiletés prosociales, des délais sur l’une d’entre elles peuvent affecter le développement des autres et ainsi entraîner une accumulation de déficits. Les profils pathologiques de l’agressivité peuvent être traités efficacement par modification comportementale, des thérapies familiales et des traitements pharmacologiques dans le contexte d’une prise en charge efficace des comorbidités médicales, psychiatriques et développementales.
L’encouragement à considérer différentes perspectives, la régulation émotionnelle et comportementale, le report de la gratification et le contrôle volontaire sont associés à des déclins de l’agressivité. Ainsi, des délais ou déficits importants dans les processus psychologiques de base qui supportent le développement de ces habiletés entravent le déclin normal de l’agressivité observé au cours des cinq premières années de la vie. Toute intervention efficace pour traiter l’agressivité requière une évaluation des déficits dans tous les domaines et un support additionnel pour traiter ces déficits.
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Pour citer cet article :
Young ME, Keenan K. Le développement et la socialisation de l’agressivité au cours des cinq premières années de la vie. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Tremblay RE, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/agressivite-agression/selon-experts/developpement-de-lagressivite-physique-de-la-petite-enfance-lage. Actualisé : Décembre 2022. Consulté le 8 octobre 2024.
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