Développement affectif chez l’enfant


1Sonoma State University, États-Unis, 2DePaul University, États-Unis
, Éd. rév.

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Introduction

Perspective théorique

La perspective théorique adoptée à l’égard du développement affectif de l’enfant est une combinaison de la théorie fonctionnaliste et de la théorie des systèmes dynamiques1 : les interactions d’un enfant avec l’environnement peuvent être vues comme des transactions dynamiques qui impliquent une multitude d’éléments liés aux émotions (p. ex., comportement expressif, structuration physiologique, tendances d’action, buts et motivations, contextes sociaux et physiques, évaluations et sentiment expérientiel) qui se modifient avec le temps, au fur et à mesure que l’enfant grandit, et en réaction aux interactions environnementales. Le développement affectif reflète l’expérience sociale, y compris le contexte culturel. J’ai déjà soutenu dans d’autres écrits que le développement affectif devrait être envisagé selon un cadre bioécologique dans lequel les êtres humains sont considérés comme des systèmes dynamiques enracinés dans un contexte communautaire.2 Le tableau 1 résume les marqueurs descriptifs importants du développement affectif en fonction de l’interaction sociale.3

Tableau 1 : Marqueurs importants du développement affectif en relation avec l’interaction sociale

Âge

Régulation/adaptation

Comportement expressif

Établissement de relations

Nourrissons :
de 0 à 12 mois

Auto-apaisement et apprendre à moduler la réactivité.

Régulation de l’attention pour favoriser la coordination des actions.

Dépendance envers les fournisseurs de soins pour recevoir du soutien en situation stressante.

Synchronisation des comportements avec ceux des autres dans certaines voies d’expression.

Augmentation de la discrimination à l’égard des expressions des autres.

Une réceptivité expressive croissante face aux stimuli qui sont sous un contrôle dépendant.

Coordination croissante entre les comportements expressifs et les situations qui provoquent des émotions.

Jeux sociaux et activités qui se font à tour de rôle (p. ex., faire coucou).

Référence sociale.

Usage de signaux socialement instrumentaux (p. ex., faire semblant de pleurer pour obtenir de l’attention).

Tout-petits :
de 12 mois à 2 ans et demi

Émergence de la connaissance de soi et de la conscience de sa propre réaction affective.

Irritabilité due aux contraintes et aux limites imposées malgré l’autonomie grandissante et les besoins d’exploration.

Autoévaluation et conscience de soi évidentes dans les comportements expressifs accompagnant la honte, la fierté et la timidité.

Meilleure compréhension verbale et production de mots croissante décrivant les comportements expressifs et les états affectifs.

Anticipation de différents sentiments envers différentes personnes.

Augmentation de la discrimination envers les émotions des autres et leur importance.

Premières formes d’empathie et d’action prosociale.

Enfants d’âge préscolaire : de 2 à 5 ans

Accès symbolique qui facilite la régulation des émotions, mais les symboles peuvent aussi causer de la détresse.

Communication avec les autres permet à l’enfant d’évaluer plus en profondeur ses propres sentiments et les événements qui provoquent des émotions, et d’en être plus conscient.

Simulation de comportements expressifs dans le jeu et les taquineries.

Conscience pragmatique que les « fausses » expressions faciales peuvent induire en erreur quant aux sentiments d’une personne.

Communication avec les autres permet à l’enfant d’améliorer sa compréhension des transactions sociales et des attentes en ce qui a trait au comportement.

Comportement prosocial et compatissant envers les pairs.

Plus grande facilité à reconnaître les émotions des autres.

Premières années du primaire : de 5 à 7 ans

Émotions liées à la conscience de soi (p. ex., embarras) sont ciblés pour la régulation.

La recherche du soutien des fournisseurs de soins constitue encore une stratégie d’adaptation importante, mais l’augmentation du recours à la résolution de problème situationnelle est évidente.

Affichage d’une façade calme sur le plan affectif en présence des pairs.

Coordination croissante des aptitudes sociales entre leurs propres émotions et celles des autres.

Compréhension précoce des « scénarios émotifs » convenus par consensus.

Milieu de l’enfance : de 7 à 10 ans

La résolution de problème est adoptée comme première stratégie d’adaptation si le niveau de contrôle est au minimum modéré.

Utilisation de stratégies de distanciation si le niveau de contrôle est jugé faible.

Compréhension des normes en ce qui a trait aux comportements expressifs, qu’ils soient réels ou simulés.

Adoption de comportements expressifs pour moduler les dynamiques relationnelles (p. ex., sourire tout en faisant des reproches à un ami).

Conscience des nombreuses émotions ressenties envers une seule personne.

Utilisation de diverses périodes de temps et de renseignements personnels uniques sur l’autre pour faciliter le développement d’ amitiés étroites.

Préadolescence : de 10 à 13 ans

Une précision croissante dans l’évaluation du niveau de contrôle réel en situation stressante.

Aptitude à envisager diverses solutions et stratégies différenciées pour gérer le stress.

Distinction entre le fait d’exprimer ses vraies émotions avec les amis proches et de les contenir avec les autres.

Plus grande sensibilité sociale et conscience à l’égard des « scénario » émotifs et des rôles sociaux.

Adolescence : 13 ans et plus

Conscience de ses propres cycles d’émotions (p. ex., se sentir coupable d’être en colère), qui facilite l’adaptation intuitive.

Intégration croissante d’un caractère moral et d’une philosophie personnelle dans la façon de gérer le stress et prendre des décisions subséquentes.

Adoption habile de stratégies de présentation de soi qui permettent la gestion de l’impression.

La conscience que la communication mutuelle et réciproque des émotions a une influence sur la qualité des relations.

Remarque : Tiré de Saarni (2000, p. 74 et 75). © 2000 Jossey-Bass. Réimpression permise par l’auteure.

Résultats récents de la recherche

Sources de la compétence émotionnelle

Le fait que le développement de la compétence émotionnelle dépend à la fois du tempérament de l’enfant et de ses expériences socioaffectives fait généralement consensus.4,5 Les nourrissons peuvent présenter des différences au niveau des dispositions comportementales (à savoir, leur tempérament).6 Par exemple, certains peuvent être plus irritables que d’autres. Néanmoins, si les parents arrivent à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent et à prodiguer des soins chargés de sensibilité, une solide relation d’attachement s’établit. On considère que prodiguer des soins avec sensibilité consiste principalement à être en mesure de détecter avec discernement les signaux de communication envoyés par le nourrisson et d’y répondre en satisfaisant ses besoins. Néanmoins, il est important d’admettre que même les parents les plus affectueux ne réussissent pas toujours à soulager la détresse de leur nourrisson. Une relation d’attachement solide ne nécessite pas un maternage parfait. De plus, même si la relation entre le nourrisson et le parent (ou tuteur) est problématique, une solide relation d’attachement peut se développer plus tard au cours de l’enfance si la qualité des pratiques parentales s’améliore. Les enfants ayant un fort attachement présentent un affect plus positif par rapport à ceux dont l’attachement est plus fragile (ou incertain) et ont plus d’aptitudes à réguler leurs émotions.7

La régulation des émotions est un aspect important de la compétence émotionnelle de l’enfant.8 Chez le nourrisson, la régulation des émotions repose majoritairement entre les mains des personnes responsables de ses soins. Les parents faisant preuve de sensibilité sont aptes à détecter avec discernement les premiers signes de stress émis par le nourrisson et d’agir pour réduire ce stress en en éliminant la source et/ou en consolant le petit. Par exemple, ce type de parents peut nourrir un bébé qui pleure par faim tout en le berçant doucement. Si le bébé verse des larmes parce qu’il est trop énervé (par exemple, en présence d’un rassemblement familial bruyant), ses parents peuvent le placer dans un endroit calme. 

Socialisation de la compétence émotionnelle

Pour les enfants d’âge préscolaire/début scolaire, plusieurs stratégies de socialisation mises en œuvre par les parents et favorisant le développement de la capacité de l’enfant à surmonter de façon optimale les difficultés qu’il rencontre sur le plan émotionnel ont été identifiées.9 Certaines de ces stratégies incluent les réponses dépendantes des adultes à l’expression des émotions de l’enfant. Les réponses de soutien comprennent : (a) la détection et l’identification de l’émotion de l’enfant et son traitement en tant que réaction légitime à un événement de stress, (b) aider l’enfant à se sentir mieux (par exemple, en le réconfortant) et (c) aider l’enfant à gérer activement la source d’inconfort (par exemple, apprendre à rectifier une situation angoissante ou éviter un facteur de stress). Par exemple, si un enfant semble peureux lorsqu’un chien affectueux, mais imposant et très enthousiaste, s’approche, un parent rassurant pourrait lui dire : « Ce chien fait peur en apparence, mais il est juste content de te voir », tout en demandant au propriétaire du chien de le tenir pendant que l’enfant et le parent s’approchent de lui en même temps. Les réponses qui n’apportent pas de soutien seraient notamment les suivantes : (a) minimiser, faire abstraction ou dénigrer la peur de l’enfant, (b) punir l’enfant ou menacer de le faire et (c) avoir soi-même (en tant que parent) une réaction de stress démesurée. Par exemple, dans la même situation que celle décrite précédemment, un parent qui ne soutient pas son enfant pourrait réagir en disant « Ne fais pas le bébé », menacer de le forcer à caresser le chien et/ou se montrer excessivement angoissé par le stress de l’enfant. Ces stratégies de soutien et de non-soutien peuvent être employées par les deux parents et d’autres personnes qui interviennent dans les soins de l’enfant. Un lien entre les réponses de soutien contingentes et une meilleure adaptation socioaffective des jeunes enfants a été établi tandis qu’un lien entre les réponses de non-soutien et un taux plus élevé de comportements problématiques de l’enfant a été mis en évidence. Toutefois, il est nécessaire de caractériser ces généralités pour prendre acte que l’impact des comportements de socialisation des parents sur l’enfant peut différer en raison d’un ensemble de facteurs. Ces facteurs comprennent le tempérament et l’âge de l’enfant. Par exemple, un enfant ayant de fortes inhibitions pourrait présenter une réactivité moindre aux suggestions parentales sur la façon de répondre à des menaces possibles (s’il convient ou non de s’approcher du chien). Les comportements parentaux qui renforcent la compétence émotionnelle chez les jeunes enfants pourraient avoir un effet inverse s’ils sont appliqués à des enfants plus mûrs ou généralisés dans une gamme de contextes plus large.10 Par exemple, encourager les enfants à accepter librement leurs angoisses peut être souhaitable dans le contexte d’interactions entre les jeunes enfants et leurs parents, mais être problématique dans la situation d’interactions sociales entre des enfants d’âge plus avancé et leurs pairs (p. ex. pourrait être perçu comme adopter un comportement enfantin ou immature et aboutir au rejet par les pairs).

Outre les réponses contingentes aux émotions de leur enfant, d’autres comportements des parents qui influencent le développement de compétences émotionnelles plus ou moins importantes ont été identifiés. Ces comportements incluent l’apprentissage observationnel du côté de l’enfant et des consignes claires du côté de la personne responsable de l’enfant.11 En observant la façon dont les adultes répondent à des situations éprouvantes sur le plan émotif, les enfants peuvent développer leur propre répertoire de réponses. Par exemple, des enfants qui observent dans leur environnement des adultes qui réagissent avec colère à un large éventail de facteurs déclencheurs possibles de colère peuvent eux-mêmes développer ce type de tendances.12 De plus, une fois un certain niveau de développement cognitif et langagier atteint, les parents peuvent aborder sans détour avec l’enfant des façons appropriées et inappropriées de répondre à des menaces interpersonnelles et à d’autres facteurs déclencheurs d’émotions négatives. 

Conclusions

Les forces observées dans la sphère de la compétence émotionnelle peuvent aider les enfants et les adolescents à bien s’adapter à des circonstances particulières, tout en favorisant les caractéristiques liées à des issues développementales positives, comme les sentiments d’autoefficacité, les comportements prosociaux et les relations de soutien avec la famille et les pairs. De plus, la compétence émotionnelle agit comme facteur de protection diminuant les conséquences d’un éventail de facteurs de risque. La recherche a isolé des caractéristiques personnelles qui peuvent exercer une influence protectrice et beaucoup d’entre elles reflètent des éléments fondamentaux de la compétence émotionnelle, dont les aptitudes permettant de lire les signaux interpersonnels, de résoudre les problèmes, d’adopter des comportements axés sur des buts dans les rapports interpersonnels et d’envisager les comportements possibles tant d’un point de vue instrumental qu’affectif.

MESSAGE DE GRATITUDE

Bien que Carolyn Saarni nous ait malheureusement quittés en 2015, la vision de la compétence émotionnelle qu’elle a développée durant toute sa vie perdure et continue de proposer un précieux cadre de pensée et de recherche sur le développement émotionnel. Par conséquent, ce chapitre conserve la structure présentée par Carolyn Saarni dans la version précédente de cette encyclopédie, mais a été enrichi par l’ajout d’une brève synthèse des dernières études pertinentes.

Références

  1. Saarni C, Campos J, Camras L, & Witherington D. Principles of emotion and emotional competence. In: Damon W, Lerner R, eds. Child and adolescent development: An advanced course. Hoboken, NJ: Wiley; 2008:361-405
  2. Saarni C. The interface of emotional development with social context. In: Lewis M, Haviland-Jones J, Feldman Barrett L, eds. The handbook of emotions. 3rd ed. New York: Guilford Press; 2008:332-347.
  3. Saarni C. Emotion competence: A developmental perspective. In: Bar-On R, Parker J, eds. The handbook of emotional intelligence. San Francisco: Jossey-Bass; 2000:68-91.
  4. Lewis M. The rise of consciousness and the development of emotional life. New York, NY: Guilford Press; 2014.
  5. Pérez-Edgar K. Through the looking glass: Temperament and emotion as separate and interwoven constructs. In: LoBue V, Pérez-Edgar K, Buss K, eds. Handbook of emotional development. Switzerland: Springer; 2019:139-168.
  6. Rothbart MK. Becoming who we are: Temperament and personality in development. New York, NY: Guilford Press; 2011.
  7. Cooke JE, Kochendorfer LB, Stuart-Parrigon KL, Koehn AJ, Kerns KA. Parent–child attachment and children’s experience and regulation of emotion: A meta-analytic review. Emotion 2019;19(6):1103-1126. 
  8. Saarni C. The development of emotional competence. New York, NY: Guilford Press; 1999.
  9. Fabes RA, Poulin RE, Eisenberg N, Madden-Derdich DA. The Coping with Children's Negative Emotions Scale (CCNES): Psychometric properties and relations with children's emotional competence. Marriage & Family Review 2002;34(3-4):285-310. 
  10. Castro VL, Nelson JA. Social development quartet: When is parental supportiveness a good thing? The dynamic value of parents' supportive emotion socialization across childhood. Social Development 2018;27(3):461-465. 
  11. Eisenberg N, Cumberland A, Spinrad TL. Parental socialization of emotion. Psychological Inquiry 1998;9(4):241-273. 
  12. Leerkes EM, Bailes LG. Emotional development within the family context. In: LoBue V, Pérez-Edgar K, Buss K, eds. Handbook of emotional development. Switzerland: Springer; 2019:627-661.

Pour citer cet article :

Saarni C, Camras LA. Développement affectif chez l’enfant. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Lewis M, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/emotions/selon-experts/developpement-affectif-chez-lenfant. Actualisé : Septembre 2022. Consulté le 29 mars 2024.

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